L’idée de « noyau dur européen » a-t-elle un avenir ?
Intervention prononcée lors du colloque du 7 septembre 2005 France-Allemagne : quel partenariat pour quelle Europe ?
Je vais vous parler de Paris-Berlin, seule base crédible pour un noyau dur, mais aussi de Paris-Berlin-Moscou : sujet d’un livre que j’ai publié en 2002 (ajouter références en note de bas de page), dans le cadre de la campagne présidentielle et à la suite d’une note que j’avais rendue à monsieur Chevènement et d’un article publié dans le Figaro du 27 octobre 2001 où il était aussi question de l’actualité du gaullisme. Cet article a attiré l’attention d’un éditeur avec lequel j’étais en discussion pour d’autres projets éditoriaux. Presque un an plus tard, la France, l’Allemagne et la Russie adoptaient des positions communes lors de la crise iraquienne. Ce livre a ainsi bénéficié d’une certaine attention dans les milieux diplomatiques, politiques, et militaires. En juillet 2002, les président Chirac et Poutine et le chancelier Schröder se retrouvaient pour la première fois à Sotchi, sur la Mer Noire. Lors de la dernière rencontre, en mars 2005, le chef du gouvernement espagnol s’est joint à cette troïka. La coopération franco-allemande (Paris-Berlin) et la coopération euro-russe sur la base d’un moteur franco-germano-russe (Paris-Berlin-Moscou) sont les deux revers d’une même médaille car elles sont la clé de la maîtrise des intérêts stratégiques de l’Europe et le moteur d’une politique réellement européenne. Paris et Berlin sont par ailleurs à même, d’inspirer de manière décisive la politique russe de l’Union. Je vais donc vous exposer les idées de base de l’axe Paris-Berlin-Moscou par rapport aux élections allemandes, puis je vous parlerai du livre que je prépare dans le cadre de mes activités à Strasbourg. Le think tank que je dirige à Strasbourg, récemment baptisé « Forum Carolus », étudie les modalités opérationnelles d’un noyau dur formé de la France, de l’Allemagne, de la Belgique et du Luxembourg, ainsi que de la Hongrie et de l’Autriche.
« Paris-Berlin-Moscou » repose sur une conception gaullienne de l’Europe et sur le constat que la France, l’Allemagne, et la Russie ont des intérêts économiques, culturels et stratégiques communs. Ces trois pays possèdent une masse critique suffisante et ont une position géographique privilégiée, la France au cœur de l’Europe occidentale et l’Allemagne en Europe centrale. La Russie, quant à elle fait le lien entre l’Europe orientale et le monde pacifique, seule région du monde connaissant à la fois une croissance économique et démographique (à l’exception du Japon). Les sujets stratégiques, pour faire court, sont ceux qui sont exclus aujourd’hui de ce que l’on appelle le partenariat stratégique entre l’Union européenne et la Russie. Les secteurs stratégiques les plus importants dans le cadre de cette coopération sont les transports (secteur vital pour les pays continentaux), l’aéronautique et le spatial, et bien sûr le secteur énergétique. En 2002 la Russie a pour la première fois dépassé la production de pétrole de l’Arabie Séoudite, elle détient les plus importantes réserves de gaz du monde et maîtrise comme la France l’énergie atomique. En dehors de son territoire, les zones de production et de transport des énergies fossiles bordent son flanc sud, dans cette zone de tempêtes, autrefois route de la soie et aujourd’hui zone de production et de transport des énergies fossiles. L’Union Européenne et la Russie peuvent ensemble préparer l’après-pétrole. D’une manière générale, il y a par ailleurs complémentarité entre le besoin d’investissement en Russie et la capacité énergétique russe. En ce qui concerne le secteur aéronautique et spatial, il y a un très grand potentiel entre les sociétés ouest-européennes et les sociétés russes. Nous avons par exemple les moyens de construire ensemble le meilleur avion de combat de cinquième génération, c’est le sujet de discussions actuelles entre EADS et des sociétés du secteur aéronautique russes, sujet repris, par la suite par Dassault et ces mêmes sociétés. En mars 2005, a été lancé le premier satellite d’observation allemand de la base de Plesetsk, en Russie, fruit d’une coopération entre la Bundeswehr et l’armée française. Cela dit, bien que des rencontres des chefs d’Etats et de membres des gouvernements se soient institutionnalisées entre la France, l’Allemagne et la Russie, il n’y a pas grand-chose de concret à part les exemples que je viens de citer. La déclinaison opérationnelle de la coopération entre les trois pays est encore à faire. Il y a eu une sorte de gesticulation diplomatique rhétorique, parfois brillante, mais « Paris Berlin Moscou » est loin d’avoir été concrétisé, verrouillé, économiquement et politiquement.
Aujourd’hui, à la veille des élections en Allemagne, les concertations entre la France, l’Allemagne et la Russie ont été très clairement remises en cause. Un article signé de Friedbert Pflüger, porte parole de la CDU-CSU au Bundestag pour la politique étrangère et proche de Madame Merkel est paru dans le Figaro du 18 juillet, veille de l’arrivée à Paris de Madame Merkel. En cas de victoire de la CSU-CSU, monsieur Pflüger écrit : « l’axe Paris-Berlin-Moscou, forgé par le chancelier Schröder ne saurait être maintenu dans le futur. L’union européenne doit être un partenaire des Etats-Unis fort et sûr de lui-même. Elle ne peut être un contrepoids et les futures rencontres à trois des dirigeants politiques de Paris, Berlin et Moscou, -il reste donc une porte ouverte à des futures rencontres de chefs d’Etats- doivent servir la cohésion et la construction de la confiance en Europe ». Le 20 juillet, le journal Die Welt se demandait quant à lui si l’axe Paris-Berlin-Moscou allait se briser (« Bricht die Achse Paris Berlin Moskau ? »).
Ce sujet primordial des relations stratégiques avec la Russie, mais aussi de celui de nos relations avec les Etats-Unis, de la nature de la relation que l’Union européenne devrait avoir avec la Turquie, divise actuellement l’ensemble de la classe politique. La ligne de partage traverse les partis, on trouve des alliés, des partisans d’une coopération stratégique avec la Russie, autant au parti socialiste qu’à l’UDF ou à l’UMP, et on y trouve des opposants au sein des mêmes formations.
Voilà pour Paris-Berlin-Moscou. Je n’ai malheureusement pas le temps d’entrer dans les détails. Une association a été créée peu après la publication du livre « Paris Berlin Moscou », vous en trouverez les principaux textes sur le site www.paris-berlin-moscou.org que je vous invite à visiter.
La coopération euro-russe sur une base Paris-Berlin-Moscou est le revers de la médaille de la coopération franco-allemande, car la coopération franco-allemande peut inspirer la politique russe de l’Union, et car les deux peuvent être le moteur d’une Europe pouvant peser sur la scène internationale d’un monde redevenu multipolaire. Comme l’ont souvent fréquemment rappelé les Commissaires Lamy et Verheugen lors de lors conférences de presse communes sur le sujet, il n’y a pas de noyau dur crédible en dehors d’une base franco-allemande. En dehors de ce que l’on dit habituellement sur la valeur symbolique et représentative pour l’ensemble de l’Europe des compromis franco-allemands, je vous rappelle que la France et l’Allemagne représentent 142 millions d’habitants et participent pour 41% au budget de l’Union.
Comment et par quels moyens peut on, après le non au référendum, relancer une dynamique européenne ?
La proposition du Forum Carolus, à la suite d’une tribune que j’avais publiée dans le Figaro du 15 juin 2005 : « Une alternative au non à Strasbourg », est la suivante : autour de la France et de l’Allemagne, la Belgique et le Luxembourg, pour des raisons géographiques et culturelles ont vocation à partager cette ambition (on se souviendra des rencontres de Tervuren d’avril 2003 sur la défense), à ces quatre pays, nous ajoutons deux pays d’Europe centrale, l’Autriche et la Hongrie. Vienne se trouve à l’est de Prague, bien que pour l’anecdote les Viennois parlent de Osterweiterung. La coopération franco-allemande est perçue avec inquiétude par les petits pays et plus particulièrement par les pays d’Europe centrale. Avec quatre petits pays, deux à l’Ouest et deux en Europe centrale, le noyau dur est plus équilibré. Il y a continuité territoriale et ouverture vers l’Europe centrale. Après le conseil européen de décembre 2003 et l’échec partiel de la CIG sur le projet de traité constitutionnel, Peter Medgyessy, chef du gouvernement hongrois a rencontré le président français. Puis le ministre hongrois des affaires étrangères, Laszlo Kovacs, et le premier ministre Peter Medgyessy ont déclaré, à l’occasion d’une conférence de presse, que la Hongrie souhaitait participer à ces projets et faire partie d’un futur noyau dur. Strasbourg, en dehors de sa vocation européenne et de son rôle central et symbolique entre la France et l’Allemagne, est aussi comme le reste de l’Alsace, la porte d’entrée historique, culturelle, et économique vers l’Europe centrale. Comme me le rappelait récemment un député européen originaire de Bavière, un slovène, un croate, ou un habitant de Lvov se sentent chez eux à Strasbourg.
Le Forum Carolus travaille donc sur les modalités d’un tel noyau dur, sur son fonctionnement institutionnel au sein de l’Union, sur son potentiel économique et politique, et sur le rôle qu’il pourrait jouer dans les domaines de la sécurité et de la défense. La relance par la défense autour du tandem franco-allemand a aussi été évoquée par Karl Lamers au lendemain du référendum français (Le Figaro, 31 mai, « Karl Lamers : L’Europe de la défense en priorité »). Remarquons en passant que la position de madame Merkel sur la coopération franco-allemande et sur la Russie est loin d’être représentative de son parti. Paris-Berlin et Paris-Berlin-Moscou sont les deux piliers d’une politique européenne digne de ce nom. L’histoire s’accélère, à l’est de l’Europe, les alliances stratégiques se mettent en place (rencontres turco-russes au Kremlin en juin dernier sur l’Asie centrale, projet d’oléoduc Iran-Inde passant par le Pakistan, mise en place rapide du triangle Chine-Inde-Russie après la rencontre des ministres des affaires étrangères de ces trois pays également en juin dernier, renforcement du groupe de Shangaï…) Les pays d’Europe risquent de sortir de l’histoire s’ils ne s’organisent pas eux aussi pour prendre à leur charge leurs intérêts stratégiques.
Nous publierons en 2006 un livre sur ce projet de noyau dur et organiserons des conférences et séminaires à Strasbourg. J’espère que nous aurons l’occasion d’en discuter lors du débat. Je vous remercie pour votre attention.
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