Intervention prononcée lors du colloque du 4 avril 2006 Pas de société du savoir sans école
Je n’ai été ministre de l’Education nationale que pendant vingt mois, c’est court ! Nous avons beaucoup travaillé, Philippe Barret notamment et moi-même (Philippe Barret était directement à mes côtés, chargé de mission et il a beaucoup apporté à la conception) à enrayer le courant, déjà dominant, des pédagogies « constructivistes » : chaque petit bonhomme – comme disait Monsieur Le Bris – étant invité à faire son Champollion, ce qui ne donnait pas forcément de très bons résultats.
Le 14 novembre 1984, je donnai un certain nombre de directives sur la lecture : « soyez modernes, sachez lire », « la lecture est elle-même instruction, disais-je, le mot n’est pas que le mot, il est l’expression de l’idée. Si l’écriture alphabétique contribue à la formation de l’esprit, c’est parce qu’elle extrait l’enfant du monde souvent confus des situations concrètes et qu’elle introduit à l’analyse et à la démarche logique ». J’émettais ensuite l’intention de donner des directives aux inspecteurs généraux, d’académies, de l’Education nationale … pour qu’ils aillent dans ce sens… Chacun sait qu’au fil des ans, tout cela s’est perdu dans les sables.
Je lis avec surprise et ravissement à la fois une circulaire et un commentaire de l’actuel titulaire du poste, Monsieur Gilles de Robien, déclarant : « J’ai voulu traiter la question de la lecture, c’est pourquoi je vous ai envoyé une circulaire « Apprendre à lire » le 3 janvier dernier…L’enseignement systématique et précoce du déchiffrage est la méthode la plus efficace pour apprendre à lire à un enfant. Systématique, c’est-à-dire progressif, exhaustif, organisé. Précoce, dès les premiers jours du CP, tout au long des premiers mois de cette classe. J’ajoute que cette méthode est particulièrement efficace lorsqu’on enseigne à des enfants fragiles »
Toutes ces choses-là, je les avais dites et répétées. La trace en existe. J’ai commis un petit livre intitulé « Apprendre pour entreprendre » qui contient le recueil d’un certain nombre d’interventions qui vont dans ce sens. Que s’est-il donc passé pour qu’entre temps, les choses soient allées à l’inverse ?
Pourquoi les directives données par le ministre que j’étais n’ont-elles pas été suivies d’effets ?
Mon successeur immédiat, Monsieur Monory, à ma connaissance, n’a pas vraiment donné de directives contraires aux miennes. Heureusement inspiré, sur bien des sujets, il n’a même pas donné de directives du tout. J’ai simplement regretté qu’à l’automne 1986 il ait supprimé une directive sur les lycées qui créait de nouvelles filières plus cohérentes d’accès au baccalauréat général.
Ensuite, avec le retour de la gauche au pouvoir, Lionel Jospin a fait voter la loi d’orientation scolaire en 1989, qui met « l’élève au centre de l’Ecole » et, comme l’observe finement Monsieur Prost, conseiller à l’éducation de Michel Rocard, « par un effet de résurgence » on a vu réapparaître le contenu des rapports que mon prédécesseur (Monsieur Savary) avait commandés, par exemple, à Monsieur Faveret sur l’école primaire et sur « l’éveil », à Monsieur de Peretti, sur la formation des maîtres, qui suggérait la création de ce qui allait devenir les IUFM… mais dix ans plus tard. Donc, « par un effet de résurgence », on voit que le courant dit « pédagogiste » qui avait cheminé souterrainement réapparaît et prend définitivement le pouvoir tout au long des années quatre-vingt-dix.
Mais que s’est-il passé en amont ? Je me le demande moi-même. Comment s’est faite cette révolution qu’on a aussi appelée «constructiviste » ? Pourquoi ces pédagogues ont-ils pris le pouvoir ?
Je me suis posé cette question sans y trouver de réponse absolument claire. Certes j’avais lu le petit livre de Jean-Claude Milner : « De l’école » en 1984 où il incriminait ceux qu’il appelait « les réformateurs pieux » qui, dans son esprit, ne se trouvaient d’ailleurs pas qu’au SGEN mais aussi au SNI-PEGC… Je dois dire que mon ami Barbarant (1) n’avait rien d’un esprit pieux… Mais c’était quand même le courant qui dominait et, à l’époque, la FEN avait de grandes ambitions : la même école de la maternelle à l’université, avec la même durée de formation pour tous les professeurs ! Cette ambition, syndicalement, était compréhensible – on voit très bien le caractère unifiant d’un tel mot d’ordre – mais, avec un peu de bon sens, on pouvait aussi en percevoir les limites. Nous ne nous étions pas beaucoup émus de ces revendications et on ne peut pas dire qu’elles aient beaucoup pesé sur notre action, au contraire j’ai favorisé autant que j’ai pu la formation disciplinaire des enseignants sanctionnée par l’obtention d’un CAPES, en réduisant la proportion des professeurs « bivalents », l’expérience montrant que lorsqu’un professeur plusieurs matières, il y en a toujours une qu’il enseigne moins bien que l’autre. En fait la bivalence fait surtout l’affaire des gestionnaires qui veulent « réduire les moyens ».
D’où vient que cette révolution « pédagogiste » ait pris son envol plutôt à la fin des années soixante avant de s’imposer vingt à vingt-cinq ans plus tard ? On en observe déjà quelques prémices avec le rapport Rouchette. Déjà, en 1963 je crois, l’interdiction des devoirs à la maison avait été décidée par un ministre radical de l’Education nationale, Monsieur Billières, dans le gouvernement de Guy Mollet au prétexte, quelque peu misérabiliste, que les enfants des familles pauvres et par conséquent mal logées n’auraient pas pu trouver un coin de table pour travailler. On voit qu’il y avait déjà un petit courant, un ruisselet à l’époque, pas encore le fleuve amazonien qui nous a depuis submergés !
Comment l’expliquer ? 1968 marque sûrement un tournant : on peut y voir la prise du pouvoir par une petite bourgeoisie – que je ne veux pas assimiler aux deux frères Cohn-Bendit – qu’on nommera ensuite par dérision les « bobos ». Ils sont nombreux parmi nous, même à la Fondation … mais qui, essayons de transcender, comme nous pouvons, cette misérable condition.
Bien sûr, il y a un effet de la sociologie, profondément modifiée par trente années de croissance et de mutations accélérées. C’est aussi le début de la fin de la « classe ouvrière », telle que le parti communiste l’avait instituée, construite.
Il y a aussi quelque chose de plus profond, me semble-t-il. J’avais à l’époque un oeil neuf sur ces questions : l’éducation était confisquée par les syndicats à l’intérieur du Parti socialiste, je ne pouvais même pas y mettre mon nez. Tout cela était entièrement accaparé par les hommes de confiance de la FEN. La confection des programmes du Parti socialiste en matière d’éducation nationale en porte la trace.
Il m’a semblé trouver un début de réponse à mes interrogations dans la lecture du livre de Hannah Arendt traduit sous le titre « Crise de la culture ». Ce livre, qui analysait la déliquescence de l’enseignement secondaire aux Etats-Unis au début des années soixante, décrit le phénomène de répudiation du savoir et de la tradition de la culture que nous allons connaître en France vingt ans plus tard. J’en déduis que ce phénomène auquel nous sommes confrontés aujourd’hui a des causes beaucoup plus anciennes, beaucoup plus profondes et traduit peut-être l’épanouissement de ce que Marcel Gauchet appelle « l’hyperindividualisme libéral ». Nous assistons à une dissolution des institutions les plus solides et Dieu sait- si je puis dire – que l’école primaire était une institution solide. Créée par Jules Ferry, Ferdinand Buisson, (avec son « dictionnaire de pédagogie » : les meilleurs esprits y avaient travaillé), c’était quelque chose d’absolument admirable par l’élégance qui la sous-tendait et la cohérence de sa construction.
Comment ce prodigieux édifice qui avait duré de 1880-1890 à 1960 a-t-il pu être sapé, comme l’ont montré les précédents intervenants (dont j’ai admiré la contribution qu’ils apportent à notre réflexion) ? Comment les choses ont-elles pu se défaire d’une manière aussi absurde, aussi folle en matière de lecture, de calcul ? Je constate que tout cela s’est produit et qu’on n’a pas pu redresser le cours des choses.
Pourquoi ? Il y a le lien entre la République et l’Ecole. Le combat pour l’Ecole, c’est le combat pour la République et quand le combat pour la République est perdu, le combat pour l’Ecole l’est aussi !
Or le combat pour la République a été perdu, non pas tant à droite qu’à gauche. J’en parle – croyez-le- d’expérience.
L’éducation était-elle vraiment l’affaire de la droite ? Le Général De Gaulle disait « Laissez l’éducation nationale aux socialistes ! »… Il en avait chargé André Boulloche, le maire de Montbéliard qui, en butte aux critiques de son parti, la SFIO, avait saisi l’occasion d’un amendement de la droite concernant le « caractère propre » des établissements privés pour décider, fin 1959, que c’était le moment de partir [je le comprends très bien]. Les socialistes avaient quitté le gouvernement du général De Gaulle beaucoup plus tôt mais André Boulloche était resté, mis, en quelque sorte, « en congé de parti » par un accord entre Charles De Gaulle et Guy Mollet de façon à ce que l’éducation reste gérée par les socialistes. Quand André Boulloche est parti, Monsieur Lucien Paye, un diplomate socialiste, l’a remplacé. Puis a été nommé Monsieur Fouchet qui, lui, n’était pas socialiste mais qui a quand même fait les CES (collèges d’enseignement secondaire) et porté la scolarité obligatoire à seize ans, ce qui était tout à fait conforme aux ambitions du plan Langevin-Wallon, tout cela avant d’être balayé par mai 68. Donc l’inspiration « de gauche » (au sens traditionnel et républicain du terme) a été constante sous les gouvernements du général De Gaulle jusqu’en 1968.
Ensuite, il y a eu Edgar Faure qui a beaucoup concédé aux gauchistes pour obtenir le retour au calme. Et c’est là qu’on voit se produire une curieuse alliance, contre l’Ecole, de la droite au pouvoir et de courants gauchistes qui veulent faire la « révolution culturelle ».
De cette époque date la fragmentation universitaire et la polysynodie dans l’enseignement supérieur au prétexte d’autogestion. De là aussi la suppression de l’Education civique dans les écoles (que j’ai rétablie dix ans plus tard).
Sans doute dans la crise de l’Ecole et le rabais du niveau d’exigence, il y a aussi l’effet de ce que vous avez appelé la massification.
Je ne suis pas tout à fait d’accord avec vous cependant : la massification, c’était d’abord la démographie, c’était ensuite le désir de prolonger les études. Et c’était juste !
Je partage ce qu’a dit Elizabeth Altschull sur le plan Langevin-Wallon. Je n’arrive pas à croire qu’il fût un plan réactionnaire. D’ailleurs, Langevin-Wallon n’opposait pas du tout la quantité à la qualité, il définissait ce qu’on n’appelait pas encore l’élitisme républicain. Si je me souviens bien, il avait trouvé une formule : « la sélection des meilleurs par la promotion de tous », c’est tout à fait l’élitisme républicain et cela en 1947 !
L’idée qu’on va porter une classe d’âge plus loin dans le cours de ses études n’est quand même pas en soi réactionnaire. D’ailleurs, quand j’ai pris cette orientation (80% d’une classe d’âge non pas au bac mais au niveau du baccalauréat), tous les pays en dehors de la Grande Bretagne, étaient plus avancés que la France qui était alors un pays relativement malthusien du point de vue de l’accès aux études longues. Je n’ai évidemment jamais donné de consigne visant à en rabattre sur les exigences de qualité. Mais j’ai bien dû constater par la suite qu’en réalité, dans l’appareil de l’éducation nationale au moins, on a peu à peu confondu le niveau du bac avec le bac et qu’on a ainsi donné le bac à une proportion croissante de jeunes pour montrer que la machine réussissait admirablement et que tout le monde pouvait s’en féliciter. Si la volonté d’amener beaucoup de jeunes au niveau du bac était une ambition légitime, on peut imaginer que les parents n’étaient pas contents quand leurs rejetons échouaient, d’où la tendance des responsables de l’Education nationale à en rabattre sur le niveau d’exigence.
Elizabeth Altschull nous a mis en garde à juste titre, à mon avis, contre l’opposition entre républicains et pédagogistes en disant qu’il ne fallait pas laisser la pédagogie aux pédagogistes et que les républicains devaient se la réapproprier. Toujours est-il que nous devons constater que la pédagogie dite « constructiviste » a triomphé avec « l’élève placé au centre de l’école ». Le savoir n’est plus au centre du système, mais c’est devenu l’élève et cela change tout !
Avec les IUFM, la dérive s’est accentuée vers ce que j’appelle la « pédagogie du vide » : on n’apprend plus rien, on apprend à apprendre… mais à apprendre quoi ? Je me souviens d’une séance à l’Assemblée nationale : en face de moi siégeait l’excellente Marie-France Lecuir, députée socialiste du Val d’Oise, issue du SGEN-CFDT. Lorsque je me tournai vers l’Assemblée pour déclarer : « …et s’il faut le reconnaître, je le reconnais, je suis un conservateur… », j’aperçus devant moi la mine défaite de Marie-France mais j’ajoutai après un silence calculé « … mais le conservateur du progrès… ! ». J’ai gardé cet instantané dans la tête… Il faut bien s’amuser de temps en temps…
Je pense donc que le combat pour la République a été perdu à gauche à la fin des années 1980 malgré nos efforts résistibles mais en tout cas méritoires quelques années auparavant ! Peut-être n’avons-nous fait que retarder un courant extrêmement puissant qui s’est traduit par les évolutions que vous savez au sein du Parti socialiste, au sein de la politique française, et par le triomphe d’une ligne que, de manière désobligeante, on qualifie en matière économique de sociale-libérale, en matière sociétale de « libérale-libertaire » et que je pourrais qualifier de petite bourgeoise, en tout cas, d’une ligne parfaitement accordée, selon moi, à un certain obscurantisme. Celui-ci vient de loin dans notre Histoire mais les classes dominantes aujourd’hui ne le voient pas d’un mauvais œil. L’esprit des Lumières et l’amour du peuple allaient de pair.
Le rejet des classes populaires et de l’ouvrier souvent vu comme un « beauf » se traduit par un certain désintérêt vis-à-vis de la grande cause de l’Ecole, et en particulier des apprentissages fondamentaux, certes laborieux mais tout à fait essentiels.
Le triomphe de l’idéologie libérale à l’école, c’est aussi le rejet de l’effort et des disciplines contraignantes, le goût pour « l’éveil », c’est-à-dire pour ce qui se passe ailleurs qu’à l’Ecole, le sanctuaire de la pensée libre dont parlait Marx.
Je me souviens d’un mot d’Antoine Prost sous une belle photo illustrant une encyclopédie de l’éducation. On y voyait des enfants se rendant à l’école dans le froid de l’hiver et la neige : le commentaire était « et si encore l’école les rendait heureux …». C’était évidemment une confusion sur le rôle de l’école ! L’Ecole a pour but d’apprendre, non de rendre heureux, même si l’un peut entraîner l’autre. On est arrivé à cette idée que l’école n’a plus pour but d’instruire, comme le montre aussi la réaction qu’Elizabeth Altschull nous rapportait tout à l’heure, même si elle émanait de la directrice d’une école catholique : « Mais personne ne parle plus d’instruction, voyons ! »
Cette fin de l’éducation républicaine est parfaitement accordée avec le fait que la privilégiature trouve toujours des biais pour ses propres enfants. Au fond, elle accepte ce grand naufrage de l’école publique à travers ce que Monsieur Le Bris a décrit, c’est-à-dire l’abandon de l’apprentissage simple de la lecture par la méthode syllabique, remplacé par les pédagogies « constructivistes » (« les petits Champollion »), la disparition des programmes cohérents par le fait qu’on allège sans cesse les programmes (puisque les chers petits « ne peuvent pas suivre »…) jusqu’à obtenir des programmes-gruyères, avec beaucoup de trous ; on n’a plus de progression construite et on arrive finalement à une école où beaucoup de petits malheureux deviennent violents. On n’ose plus les faire redoubler car l’exigence de l’acquisition du niveau qui permettrait de passer à la classe supérieure est perdue de vue. C’est un enchaînement sans fin.
J’ai passé un jour six longues heures devant d’éminents spécialistes en sciences de l’éducation, tous polytechniciens, qui avaient travaillé dix ans sur des cohortes d’élèves afin de les comparer. Ils avaient découvert que ceux qui redoublaient leur sixième ne réussissaient pas mieux que ceux qui ne redoublaient pas ! Il était presque minuit… J’ai hasardé une réflexion: « Je ne suis pas polytechnicien mais il me semble que vous confondez la corrélation et la causalité » car les enfants qui redoublaient leur sixième étaient ceux qui avaient des difficultés, ils échouaient forcément au bac pour les mêmes raisons… et ceux qui ne redoublaient pas n’avaient pas de difficultés et réussissaient au bac ! Je me souviens du regard bleu mais courroucé d’un homme éminent dont j’ai gardé le nom à l’esprit (mais que je ne citerai pas pour ne pas handicaper la suite de sa carrière qui, d’ailleurs, approche de sa fin).
Je voudrais insister sur le fait que nous sommes en présence d’un phénomène profond lié à l’évolution de nos sociétés, de la démocratie libérale, à une mutation aussi bien sociologique qu’idéologique et, en définitive, à un retournement de perspective par rapport à ce qu’était l’école républicaine qui a forcément quelque chose à voir avec l’école des Lumières.
Ce qui est fondamental dans le redressement de l’Ecole est évidemment l’apprentissage de la lecture car, lorsque 20% d’enfants ne savent pas vraiment lire à l’entrée en sixième, toutes les bases de l’échec ultérieur sont déjà réunies. Ensuite, il faut refaire des programmes et j’approuve tout à fait le propos du GRIP : reconstruire des programmes cohérents, qui permettent d’acheminer progressivement les enfants vers un niveau de savoir toujours plus élevé.
Je ne dirai rien du collège unique parce que j’approuve ce qu’a dit Guy Coq tout à l’heure. Il me semble que c’est l’ensemble des filières qu’il faut reconstituer, reconstruire de A à Z pour en arriver à l’enseignement supérieur lui-même.
J’aurais aimé dire quelques mots de l’enseignement supérieur puisque nous parlons de société de la connaissance, de société du savoir. Je crois que le désastre qui se passe en amont ne doit pas nous faire oublier que l’enseignement supérieur est le parent pauvre de l’éducation nationale : un étudiant coûte environ 6000€ par an alors qu’un lycéen en STS coûte 10 000€. Je crois même que l’étudiant coûte moins cher que le collégien, c’est assez curieux ! Il y a un gros effort à faire en matière d’enseignement supérieur et pour reconfigurer l’université qu’on a cassée à l’époque où Monsieur Edgar Faure voulait casser la contestation étudiante, ce qu’on n’a plus aucune raison de faire aujourd’hui.
On pourrait reconstituer des universités dignes de ce nom en les regroupant avec certaines grandes écoles, avec certains laboratoires d’organismes de recherche présents sur les campus. La première université française ne serait plus 65ème au classement de je ne sais quel institut de Shanghai, elle serait dans les trente premières. On pourrait reconstruire quelque chose qui tienne la route. Mais c’est un immense travail, une immense ambition, à la fois difficile et très nécessaire.
Je me pose la même question que Monsieur Le Bris : il ne suffit pas qu’il y ait une lame de fond pour réussir cette entreprise de redressement. Il y a une sensibilité répandue dans notre pays comme en témoigne le succès du livre de Monsieur Le Bris et, accessoirement, la popularité des thèses que j’ai développées quand j’étais ministre de l’Education nationale. Des millions de gens comprennent spontanément tout cela mais il y a une caste dont il faudrait peut-être envoyer les membres à la campagne ou les former au métier de grutier pendant un an ou deux, ça leur changerait les idées… Il faudrait absolument qu’au sein du ministère de l’Education nationale souffle le vent de la révolution culturelle que Philippe Barret a appelée de ses vœux. Je ne sais pas s’il existe un « matériel humain » (comme on dirait dans un régime soviétique) mais y a-t-il des gens qui seraient capables de mettre en route ces réformes ? Pour ma part, je pense que c’est plutôt chez les enseignants qu’il faudrait les recruter. Nous avons la chance d’avoir encore un million d’enseignants parmi lesquels beaucoup sont d’un immense dévouement, des hommes et des femmes de grande valeur : je ne vois qu’eux pour mener à bien la reprise en main de l’institution. Il faudrait, bien entendu, au sommet, une impulsion politique, une République digne de ce nom qui reprendrait ses droits. C’est très difficile parce que, pour autant qu’on regarde, on ne voit pas cette impulsion républicaine se manifester à l’horizon… Mais le pire n’est pas toujours sûr et nous apportons notre petit fagot pour qu’un jour, peut-être, cette grande flamme s’élance vers le ciel et que la République reprenne ses droits. Je crois à cette disponibilité dans ce que Régis Debray a appelé « la basse intelligentsia » qui est à mes yeux la seule, car l’autre a trahi de toute évidence, participant à l’air du temps et à la complicité médiatique qui entoure l’étouffement des Lumières et de la République. Il faut donc que ça vienne d’ailleurs. Pour cela il faut s’organiser. C’est assez difficile mais j’observe quand même avec un intérêt qui me rend plutôt optimiste le fait que, de divers côtés, dans des horizons assez variés, une prise de conscience nouvelle est en train de s’opérer.
Pour conclure je voudrais simplement dire que les points principaux sur lesquels nous devons appliquer nos efforts sont d’abord l’école primaire – et bien sûr l’école maternelle parce qu’elle y prépare – ensuite les instituts de formation des maîtres, une institution qu’il faut revoir profondément et enfin l’enseignement supérieur. Et, bien entendu, probablement tout le reste mais ensuite. Je crois que quand nous aurons isolé les points principaux et traité les problèmes qui s’y posent, le reste suivra.
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1)Alors secrétaire général du SNI-PEGC
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