Ouverture du colloque par Sami Naïr, André Gauron et Anne-Marie Le Pourhiet

Ouverture du colloque du 14 février 2009, L’Europe au défi de la crise, par Sami Naïr, André Gauron et Anne-Marie Le Pourhiet.

Sami Naïr
Merci, Monsieur le Président, et permettez-moi de présenter rapidement l’idée qui a présidé à l’organisation de ce colloque. Au départ, nous voulions nous interroger sur le fonctionnement de l’Union et sur la logique institutionnelle qui sous-tend ce fonctionnement. Mais la crise a changé la donne, l’Union européenne a été de fait débordée par l’explosion économique du néo-libéralisme et par la réaction des gouvernements nationaux. Cette situation a révélé, pour le moins, trois types de problèmes :

1) Des problèmes de premier type qui se rapportent à la question, essentielle, de la démocratie :
Le fonctionnement de l’Union européenne révèle non un simple déficit mais bien une déficience démocratique structurelle. La cause principale en est d’abord la soumission du Politique, c’est-à-dire de la volonté populaire organisée, à l’économique dirigé par la technostructure européenne ; ensuite la réduction de l’économique au libre-échangisme sous direction des sociétés transnationales.
Cette situation a conduit à un fédéralisme économique hors-contrôle et à la marginalisation des populations par rapport aux institutions européennes. Les institutions (Commission, Parlement, Cour de Justice, BCE) fabriquent en fait du « fédéralisme gradualiste » souvent opposé aux formes classiques de démocratie citoyenne en Europe.
Dans l’ensemble, les problèmes de ce premier type montrent l’émergence d’une machinerie institutionnelle visant à vider les Etats Nations de leur substance (avec l’accord, souvent, des élites politiques nationales). Espérons que notre débat nous éclairera sur ce point.

2) Des problèmes de deuxième type qui se rapportent à l’orientation économique exclusivement libre-échangiste.
Constatation de départ : depuis la mise en place de l’Acte unique, toutes les politiques économiques européennes visent à imposer partout le libre échangisme (intra et extra zone) comme forme unique du lien social. De là, la mise en concurrence des territoires, des modèles sociaux, des nations – avec une croissance basse (3%), un taux de chômage haut, l’institution d’une politique de concurrence en réalité monopolistique, et la déflation salariale comme variable d’ajustement de cette concurrence (Dans La trahison des économistes, Jean-Luc Gréau a remarquablement analysé ce point). La destruction d’un espace public de biens communs est consubstantielle à cette orientation.
Cette situation a conduit à la désaffection des citoyens vis-à-vis de l’Union, au point que les gouvernements craignent désormais de les consulter sur l’orientation de la construction européenne.

3) Des problèmes de troisième type qui se rapportent à l’impuissance géopolitique de l’Union européenne.
Thème que l’on n’abordera pas ici. Mais qui s’inscrit dans la cohérence de la construction européenne par le marché. Car l’impuissance géopolitique de l’Europe est liée autant à la différence des intérêts nationaux légitimes qu’à la domination des marchés financiers sur le Politique. Plus grave : l’élargissement à vingt-sept de l’Union renforce la soumission européenne à l’Amérique et rend inévitable une concurrence par le bas des modèles sociaux. Voir l’affaire Bolkenstein.

En un an, face à la crise, on a donc vu une Commission atone, une BCE puérile, un Parlement doté de pouvoirs mais impuissant, le retour des Etats Nations et, enfin, la remise en question du libre-échangisme. De là le double débat sur l’explosion possible de la zone euro et les formes probables de protectionnisme européen face au libre-échangisme.
Toutes ces questions seront, je l’espère, abordées directement ou indirectement au cours de notre journée de travail.

André Gauron
Je voudrais prolonger de deux mots ce que vient de dire Sami Naïr. Quand nous avons préparé ce colloque, à partir d’octobre-novembre, nous n’imaginions pas la situation que nous connaissons aujourd’hui. Nous pouvions penser que, devant la crise, les réactions des gouvernements européens et de la Commission européenne seraient différentes. Aujourd’hui nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas à la veille d’une implosion.

Le débat autour de la Constitution avait opposé les partisans du fédéralisme et ceux qui préféraient l’intergouvernemental. Aujourd’hui nous constatons qu’aucun des deux ne fonctionne. La Commission est totalement absente du débat : Que propose-t-on face à la crise, face à un gouvernement américain qui a une stratégie ? Les Etats, les gouvernements, sont incapables de s’entendre. Nous sommes revenus à un stade où chacun, au sein de l’Union, fait comme si les structures européennes n’existaient pas. Chacun décide, comme on pouvait le faire il y a vingt ans, de politiques purement nationales, ignorant que nous sommes dans un système totalement interdépendant où l’Europe échange d’abord en son sein, même si elle est largement ouverte sur l’extérieur. L’essentiel des échanges sont intracommunautaires. Aucun de nos gouvernements n’est capable d’expliquer que les politiques qu’ils préconisent en leur sein auront d’abord des conséquences – effets d’entraînement ou, au contraire, effets régressifs – sur leurs voisins. Cette dimension est totalement absente.
Mais l’heure n’est plus à se demander s’il faut plus de fédéralisme ou plus d’intergouvernemental.

Les questions qui se posent aujourd’hui sont : Comment fonctionne l’UE ? Pourquoi ne fonctionne-t-elle pas ?
L’Europe s’est construite, au fil des années, telle qu’on l’a voulue. On a voulu une construction par le droit, par le marché et non pas par la politique. Rien d’étonnant, donc, à ce qu’aujourd’hui, on ne fasse pas de politique. Aussitôt qu’un Etat propose un plan de relance, la Commission s’interroge sur la conformité de celui-ci aux traités, aux règles de la concurrence :
Ce plan n’enfreint-il pas les règles concernant les aides aux entreprises publiques ou aux banques ?
La Commission fait une politique notariale au lieu de faire de la politique, elle vérifie la compatibilité de toute initiative avec les règles.

Je serai moins sévère que Sami Naïr avec la Banque centrale européenne qui a contribué à éviter le pire en injectant les liquidités au moment où il fallait le faire. Mais le Président de la BCE se dit, lui aussi, tenu par un texte, par un traité qu’il doit respecter ; Il n’est pas en mesure de prendre des décisions qui iraient au-delà.

Autrement dit, dans ce système, nous ne sommes, ni collectivement ni individuellement, en état de faire de la politique au niveau européen. Là est le vrai sujet.
La question que nous voulions traiter, avant même que la crise ne révèle à quel point cette contradiction est au cœur des problèmes européens, est donc le problème du fonctionnement concret de l’Europe, dans le domaine spécifiquement juridique comme dans le domaine économique, sachant que la politique économique européenne se résume essentiellement au droit de la concurrence.

Anne-Marie Le Pourhiet
Je ne vais pas reprendre à mon tour ce qu’André Gauron et Sami Naïr ont déjà bien exposé, j’insisterai simplement sur l’intérêt primordial qu’il y a à faire aujourd’hui un « arrêt sur image » concernant la construction européenne pour radiographier la bête, voir exactement ce qu’il y a dedans et réfléchir de façon concrète et réaliste à la possibilité et à la façon de la réformer.

Alors que le référendum négatif de 2005 était une occasion formidable pour la France d’obliger ses partenaires à revoir profondément l’organisation et le fonctionnement de l’Union et de redéfinir ses finalités et les bornes à lui imposer, le président de la République s’est contenté de négocier une copie conforme du traité constitutionnel et de la faire ratifier par le parlement. Tout s’est donc passé comme s’il ne s’était rien passé. Une nation essentielle de l’Europe a signifié que l’Union devait changer de méthode et de cap mais personne ne l’a entendue et il n’y a même pas eu de tentative d’étude sérieuse des motivations des électeurs.

L’approche des élections européennes accroît évidemment l’intérêt de cette réflexion et soulève une interrogation sur le sens même de cette consultation électorale tandis que la grave crise économique et financière que nous traversons interpelle de façon particulièrement aiguë le gouvernement économique de l’Europe.

Je tiens donc à remercier les experts qui ont accepté de participer à cette journée de réflexion portant à la fois sur les diagnostics et les possibles remèdes aux dysfonctionnements de l’Union européenne.
En l’absence de Michel Clapié, empêché par des ennuis de santé. qui devait introduire ce colloque sur la question de l’opacité institutionnelle de l’Union, je vais, sans prétendre le remplacer au pied levé, vous livrer en introduction les quelques observations que peut faire un constitutionnaliste français sur le système institutionnel de l’Union européenne.

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