La réindustrialisation doit être le cœur de cible de toute action publique
Tribune de Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica, répondant à la question « Le plan de rigueur en débat » du panel LeMonde.fr, mardi 15 novembre 2011.
La dégradation fulgurante de la compétitivité des entreprises françaises ces quinze dernières années est au cœur d’une spirale de déclin. Elle explique ainsi que, selon les prévisions, le déficit commercial de la France s’élèvera à 75 milliards d’euros en 2011. Faut-il rappeler qu’en 1997, la France jouissait d’un excédent de plus de 23 milliards d’euros ? L’Allemagne a connu l’évolution inverse : de légèrement déficitaire en 1997, sa balance commerciale est devenue largement excédentaire en 2010 (plus de 154 milliards d’euros). Autre exemple, la France comptait un peu moins de 10 000 entreprises de 50 à 2 000 salariés en 2003, elle n’en compte plus que 8 000 en 2010. La réindustrialisation doit être le cœur de cible de toute action publique. Le rétablissement de notre balance commerciale, celui de nos comptes publics, des rentrées fiscales passent par là. Satisfaire les agences de notation et redresser l’économie productive relèvent de deux cheminements fort différents.
A la persistance d’une surévaluation de l’euro par rapport au yuan et au dollar, les plans de rigueur en Europe risquent d’ajouter la restriction de la demande intérieure. Or le meilleur moyen de payer une dette a toujours été de créer de la richesse pour pouvoir dégager les recettes fiscales nécessaires à son remboursement. La France, à la démographie active – contrairement à l’Allemagne –, a d’abord besoin de croissance, notamment pour donner des perspectives d’emploi à sa jeunesse. Se placer à la hauteur de ses responsabilités devant l’avenir, c’est organiser le retour à la croissance dans une Europe qui s’enfonce dans le déclin. Pour cela, une grande réforme de l’architecture de l’euro s’impose : la Banque centrale européenne (BCE) ne peut se borner à la maîtrise de l’inflation. Elle devrait pouvoir appuyer par la création monétaire les moyens insuffisants du Fonds européen de stabilité financière.
A cause des engagements pris en Irlande, au Portugal et en Grèce, il ne peut plus compter que sur 250 milliards d’euros, alors que la dette des cinq pays sous tension dépasse 3 000 milliards d’euros. C’est en réalité un plan de relance coordonné à l’échelle européenne qui est nécessaire pour sortir de la crise. La réindustrialisation des pays européens, dont la France, passe par le soutien à la recherche (publique et privée) dans les technologies d’avenir, un plan de sécurité énergétique, l’optimisation du système de transport, un accompagnement à la croissance des PME, une politique industrielle nécessaire à la production de richesses, et à la création d’emplois.
Une telle dynamique suppose une monnaie moins chère : l’euro fort pèse sur notre compétitivité et notre balance commerciale. Il continue de favoriser les délocalisations industrielles. La France a pourtant des atouts pour réussir sa réindustrialisation : elle peut drainer l’épargne des ménages, abondante, vers l’industrie sur le territoire national, plutôt que vers les fameux IDE (investissements directs à l’étranger), qui représentent aujourd’hui plus de 1 600 milliards d’euros (alors qu’ils ne pesaient que 80 milliards d’euros en 1982) !
Le système social français est un amortisseur
Le plan de rigueur annoncé par le premier ministre étend enfin au secteur social la réduction des dépenses publiques. Déjà en 2009, alors que la zone euro entrait en crise, et devant les premières inquiétudes des marchés, la réponse fut l’annonce de la réforme des retraites. Le plan de rigueur de novembre 2011 vient accélérer le processus de mise en place de la réforme, en avançant le passage légal à 62 ans à 2017. Ce plan, s’il épargne les actuels retraités, va peser en revanche sur les dispositifs de protection sociale et donc sur les couches populaires et moyennes : réduction des dépenses de l’assurance-maladie de 2,8 % à 2,5 % ; faible revalorisation des prestations sociales, indexées en 2012 sur la croissance et non sur l’inflation. Certaines mesures, comme la hausse temporaire de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises dont le chiffre d’affaire dépasse 250 millions d’euros, sont trop courtes pour dissiper les craintes.
Cette volonté d’alléger le coût du modèle social français va à rebours des observations faites au début de la crise, selon lesquelles le système social français avait agi comme un amortisseur et évité à notre pays un choc aussi violent que celui reçu par beaucoup de nos voisins. Remplacer en Europe la volonté des peuples par les exigences des agences de notation, c’est courir le risque que le sommeil de la raison n’engendre des monstres.
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Voir le texte sur le site du Monde ainsi que les réponses des autres fondations.
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