Débat final au colloque « Quelles solutions pour le système monétaire international? » du 14 novembre 2011

Jean-Pierre Chevènement
Je voudrais vous remercier tous pour vos interventions vraiment passionnantes. La Fondation Res Publica, d’intérêt public, est un espace laïque où il n’y a place que pour les échanges argumentés, il n’y a pas de dogme. Nous vous avons tous écoutés avec beaucoup d’intérêt.

Je voudrais poser deux questions qui pourraient paraître techniques mais qui sont en fait assez politiques.
J’ai entendu Mme Parisot expliquer que la crise de l’euro était largement due à des intrigues d’origine anglo-saxonne. N’ayant pas particulièrement de tendances paranoïaques, j’ai écarté cette thèse … peut-être trop vite. Selon un article de Jean-Pierre Jouyet, paru il y a quelques jours, les Américains, soucieux de préserver le rôle du dollar comme monnaie de réserve, voudraient autant de mal que possible à l’euro ! Ce serait une des raisons qui sous-tendrait cette hostilité latente. Pourtant il est de l’intérêt des États-Unis, me semble-t-il, de maintenir un euro aussi surévalué que possible. La surévaluation de l’euro, dont il n’a guère été question, a un lien direct avec la désindustrialisation de la France, avec les délocalisations industrielles. Il suffit de regarder toutes nos statistiques, la corrélation est frappante, même si ce n’est pas le seul facteur de désindustrialisation.
Qu’en pensez-vous ?

Je voudrais poser à Christian de Boissieu une question plus précise sur les monnaies qui sont elles-mêmes des paniers de monnaies. Vous avez parlé des DTS mais l’Ecu aussi, qui a été l’anticipation d’une monnaie commune (le Hard Ecu dont on parlait à la fin des années 80), a été défini comme un panier de monnaies. À l’époque on faisait des emprunts en Ecus et cela marchait très bien ! Pourquoi une monnaie composée de plusieurs monnaies ne pourrait-elle pas, elle aussi, flotter sur le marché ? Un euro monnaie commune ne nous délivrerait-il pas d’une surévaluation qui pèse beaucoup sur l’économie productive ? Autrement dit, je constate comme vous que l’euro, monnaie branlante, est aussi une monnaie surévaluée, à 1,36 ou 1,37 dollar aujourd’hui, par rapport à un cours de lancement qui était de 1,16. J’aurais aimé que la valeur de l’euro baisse un peu. Je rencontre beaucoup d’industriels qui tous se plaignent d’un euro trop fort qui les empêche d’exporter. Une monnaie panier de monnaies ne peut-elle flotter comme n’importe quelle autre monnaie ?

Je n’ai jamais beaucoup cru à l’euro comme monnaie de réserve car, à l’évidence, les dix-sept pays de la zone euro ne constituent pas une puissance politique. Or une monnaie de réserve doit exprimer une puissance politique. Mais ce n’est que ma thèse.

Je veux également interroger mon ami Jean-Hervé Lorenzi dont l’optimisme est aussi légendaire que communicatif. Je voudrais lui rappeler que les taux d’emprunt étaient ces jours-ci de 1,8% pour l’Allemagne, 3,3% pour la France, 5,6% pour l’Espagne, 6,4% pour l’Italie. La Grande-Bretagne, qui n’est pas dans l’euro, empruntait à 2,2%, un taux à peine supérieur à celui de l’Allemagne mais inférieur à celui de la France.
Je suis tout à fait d’accord avec Jean-Hervé Lorenzi pour dire que l’arbre grec ne doit pas cacher la forêt… Quand même, 350 milliards de dette, 110 milliards (plus 160 milliards) déjà dépensés, ce n’est pas tout à fait négligeable. Certes, cela s’étale sur sept ans, mais le montant du Fonds européen de stabilité financière a été fixé à 440 milliards et ses prêts, eux aussi, s’échelonnent sur plusieurs années. On a déjà largement entamé la brioche ! D’autre part, les pays qui empruntent à plus de 3,5% ou 4% ne peuvent pas contribuer au FESF. Seules peuvent payer l’Allemagne et (pour combien de temps ?) la France qui emprunte à 3,3%. Que se passerait-il si la France ne pouvait plus payer ? Vous avez rappelé que l’Italie doit lever l’an prochain 300 milliards de dette ! Espérons que ce ne sera pas à plus de 6% car c’est intenable. Pensez-vous que les 250 milliards du FESF puissent, par un mécanisme de rehaussement de crédit (garantie partielle s’appliquant à 20% ou 30% de la dette émise), régler le problème ? J’ai observé que les gouvernements espagnol et italien étaient très hostiles à cette proposition allemande qui leur imposerait deux systèmes de dette, une dette qu’ils paieront très cher et une autre qui leur coûterait un peu moins cher mais encore trop cher. Je ne suis pas aussi optimiste que vous sur la possibilité que le FESF nous aide à passer tranquillement l’année 2012 qui sera difficile.

Il y a peut-être d’autres solutions. J’ai vu que les Sages allemands avaient fait une proposition retoquée par Mme Merkel qui, craignant la réaction des juges de la Cour constitutionnelle de Karlsruhe, a refusé tout net de créer un fonds de défaisance.

L’Allemagne regarde vers l’est, vers la Russie, l’Ukraine, le Kazakhstan, la Chine… Son excédent dans la zone euro représente 60% de son excédent total. Elle ne peut donc pas faire comme si elle n’était pas en Europe ! Mais peut-être, pour se décharger d’un certain nombre de boulets, souhaite-t-elle revenir à l’idée d’une petite zone euro, du « noyau dur » (Allemagne-Benelux-France) que MM. Schäuble et Lamers étaient venus proposer à Paris en 1994 (La France y était incluse pour d’évidentes raisons géopolitiques). N’est-ce pas vers ce type de solution que nous risquons d’aller ?

Je me permets de tempérer l’optimisme de Jean-Hervé Lorenzi et de dire qu’il faut faire preuve de beaucoup d’imagination pour penser que cela passera comme une lettre à la boîte !

J’ai lu comme vous l’interview de W. Schaüble (entretien publié dans Le Monde du 13-14 novembre 2011). À part la proposition d’autoriser la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne contre les États qui violeraient le Pacte de croissance et de stabilité, ce qui n’est quand même pas quelque chose de révolutionnaire, le mot « avancée » vers plus d’Europe, plus d’intégration n’a pas de traduction concrète sur le plan d’une union de transferts, c’est-à-dire d’une véritable solidarité.

Vous avez parlé des eurobonds. Les Allemands, jusqu’à nouvel ordre, n’en veulent pas.

Jean-Hervé Lorenzi
Je constate que la position exprimée ce matin par Mme Merkel devant son parti, le CDU (dont l’aile bavaroise n’est pas très favorable à l’idée d’une Europe qui paierait pour les Grecs), n’est pas la même que ce qu’elle était il y a un an. Mon optimisme va jusqu’à croire que les politiques disent ce qu’ils pensent et j’ai tendance à considérer comme une réalité l’évolution de la pensée politique allemande.

À propos du point très précis de la tentation du « noyau dur », si ce fut la position des Allemands il y a quelques années, elle n’est défendue aujourd’hui ni par le SPD, ni par les Verts, ni par la majorité, ni par le Chancelier allemand, ni par son ministre des Finances.

Selon les simulations, sur lesquelles je reste très prudent, les 250 milliards d’euros du FESF devraient permettre, par la grille de rehaussement de crédit, une couverture de la dette italienne à environ 4%. Peut-être le ralentissement de l’économie nous plongera-t-il dans une récession. C’est ma véritable inquiétude. Mais s’il n’y a pas de récession, objectivement, le mécanisme est à peu près calibré pour passer l’année 2012.
Je dois dire que, dans cette affaire, notre diplomatie a fait une erreur grossière en présentant la solution française (faire une cession de la dette par la Banque centrale européenne) trois jours avant le départ de J-C. Trichet, lui faisant ainsi tenir le rôle du fossoyeur de l’idée qu’il s’était faite de la Banque centrale européenne !

Je suis convaincu que nous irons vers une solution de ce type. C’est là où je suis un optimiste. Peut-être ai-je tort. Je suis plus alarmé par l’utilisation permanente de liturgies faites de mots dénués de sens. Je reste convaincu que, si on délimite les sujets, si on définit précisément le rôle de la Banque centrale européenne et du FESF, si on fixe les règles, cette crise peut être surmontée. Veut-on être sévère sur les déficits budgétaires ? Faisons-le symétriquement : un pays qui a un excédent de ses comptes primaires doit se voir obligé de regarder comment il peut favoriser la croissance des autres.

Ces problèmes sont posés depuis des années de manière trop idéologique. Je vous livre une anecdote : invité à intervenir aux rencontres d’Évian (1), j’ai écouté les vingt dirigeants allemands, patrons de Deutsche Telekom, Siemens etc. Tous sont conscients d’être dans une crise, ce ne sont pas de rudes hobereaux prussiens animés du seul souci de flageller le petit Français. L’Allemagne est confrontée comme nous à un problème de croissance économique mondiale. C’est le sujet majeur qui est devant nous.

Sami Naïr
Grand merci à Jean-Hervé Lorenzi, qui va malheureusement devoir nous quitter.
Christian de Boissieu va, à son tour, répondre à la question posée par Jean-Pierre Chevènement.

Christian de Boissieu
Pas plus que Jean-Pierre Chevènement, je ne crois à la théorie du complot qui n’est pas nécessaire pour comprendre ce qui se passe. J’ajoute que s’il y avait vraiment un complot anglo-saxon contre l’euro, le taux de change de l’euro ne serait pas au niveau où il se trouve car les investisseurs internationaux auraient vendu massivement leurs avoirs en euro. Nous ne connaîtrions donc pas ce problème de surévaluation du taux de change bilatéral par rapport au dollar. Si on prend comme taux de change d’équilibre euro contre dollar la parité de pouvoir d’achat autour de 1,10 dollar pour un euro, après deux ans de crise grave dans la zone euro notre monnaie est surévaluée de près de 20% … une situation qui arrange quand même un certain nombre d’Anglo-saxons mais ne fait pas nos affaires !

Cela rejoint le thème de la guerre des monnaies. Nous sommes rentrés dans une période – qui est loin d’être finie – où, bien qu’on n’observe pas de retour à un protectionnisme officiel comme ce fut le cas dans les années 30, la gravité de la crise suscite la tentation d’utiliser un levier parmi les plus efficaces des politiques protectionnistes : l’arme de la sous-évaluation du taux de change.

Je salue le fait que M. Draghi ait commencé son mandat par une baisse du taux directeur de la BCE. Mais je me serais passé des deux relèvements de 2011. Je crains que, par delà le yo-yo du court terme, l’euro ne monte par défaut, à cause de la fragilité du dollar (il faut être deux pour danser le tango !). Si on revient à 1,50 dollar pour un euro (ou plus), M. Draghi acceptera-t-il de poser le problème de la politique de change de la zone euro ?

J’ai besoin de préciser ce que j’ai voulu dire à propos des monnaies paniers de monnaies. De 1979 à 1998, sous le système monétaire européen, l’Ecu avait eu un certain succès dans ce que j’ai appelé sa fonction financière : il y a eu des crédits en Ecus, il y a eu des dépôts en Ecus auprès des banques. J’en ai indiqué la raison tout à l’heure : quand on empruntait, quand on prêtait en Ecu, panier des monnaies européennes du SME, on gérait de fait le risque de change intra-européen. En effet, si le deutsche mark monte et que le franc baisse, ces fluctuations se compensent à peu près. D’où le gros succès de l’Ecu en matière financière. Mais, pour des raisons légales, l’Ecu n’avait pas le pouvoir libératoire de la monnaie. Je n’étais pas autorisé, en tant que Français, à payer ma baguette de pain en Ecus. Au-delà même de cet argument juridique du pouvoir libératoire et du régime légal de la monnaie, je suis persuadé qu’une monnaie-panier n’est pas intéressante pour réaliser les transactions courantes. Il faut constamment passer des composantes au panier, du panier aux composantes, ce qui entraîne des coûts de transaction. Même si Internet et les nouvelles technologies ont réduit les coûts de transaction unitaires, quand de nombreuses opérations sont effectuées dans les deux sens pour composer et décomposer le panier, le risque est de voir la monnaie-panier dominée par une de ses composantes. Je prenais l’exemple du DTS dont je pense qu’il n’a pas de grand avenir international dans sa version actuelle. Il pourrait avoir un avenir dans la finance en matière d’opérations financières mais je ne crois pas à son succès dans le domaine des transactions courantes.

Je reviens sur votre proposition : l’Ecu était une monnaie-panier et, de fait, une monnaie parallèle aux monnaies nationales. À l’époque du débat sur l’euro, les Britanniques défendaient la thèse de la monnaie commune parallèle, à côté des monnaies nationales, avec l’argument que j’évoquais tout à l’heure : en cas de concurrence entre des monnaies nationales et une monnaie commune, on voit s’appliquer la loi de Gresham (la mauvaise monnaie chasse la bonne) ou son inverse (la bonne monnaie qui chasse la mauvaise). Par un hasard du calendrier, je me trouvais à Bruxelles il y a trois semaines pour un colloque en l’honneur de Robert Triffin. J’ai été passionné par la réouverture du débat sur le paradoxe de Triffin qui me paraît une des grandes clefs de lecture de l’économie et de la finance mondiales.

La monnaie commune peut ne pas être un panier. J’ai des questionnements, pour ma part, sur les problèmes de concurrence entre monnaies nationales et monnaie commune parallèle, de la même manière que j’ai des questionnements sur le problème de la concurrence entre un panier de monnaies et les monnaies nationales qui le composent, en ce qui concerne les transactions courantes.
Vous preniez l’exemple des crédits et des dépôts. Sur ces aspects-là, je suis d’accord avec vous.

Sami Naïr
Merci, Christian de Boissieu, c’était très éclairant.

Jean-Michel Quatrepoint
Il est dommage que Jean-Hervé Lorenzi ait dû partir car j’aurais aimé lui dire deux mots sur l’Allemagne. Je ne partage pas totalement son optimisme. Les vingt patrons allemands (présents aux Rencontres d’Évian) dont il parlait ont évidemment intérêt à garder à l’euro sa valeur actuelle. Mais globalement le climat que les politiques allemands expriment est très négatif vis-à-vis du Sud de l’Europe et de la France.
D’autre part, nous n’avons de chance de faire baisser l’euro, d’avoir une zone euro qui joue son rôle d’Europe puissance, que si la BCE joue le rôle de payeur en dernier ressort. Les Allemands ne l’accepteront jamais. C’est pour eux un casus belli et comme ils ont aujourd’hui le vent en poupe cela ne se fera pas sans une négociation au couteau où Français, Allemands (et éventuellement Italiens et autres, mais le nombre gêne la négociation) auraient une discussion au fond sur tous les sujets, pas seulement sur les sujets monétaires. S’il y a, certes, des différences entre la France et l’Allemagne, on peut mettre en jeu les dépenses militaires, on peut mettre en jeu les éléments démographiques. Le taux de natalité relativement élevé de la France, qui peut être un avantage à moyen et long terme, a aussi un coût pour les ménages, parce que les enfants coûtent cher, et pour le budget national (allocations familiales, crèches, système d’éducation nationale etc.). Demain les jeunes Français financeront les retraités allemands, mais cela a un coût. Tout cela doit être mis sur la table. Or, pour le moment, on ne discute que de conditions techniques sur lesquelles, jusqu’à maintenant, on a globalement cédé.

De mon point de vue, l’euro – et l’idée même européenne – ne pourra survivre que si une négociation franco-allemande est menée sur tous les problèmes politiques, pas seulement sur les problèmes monétaires, les problèmes de fiscalité ou d’harmonisation fiscale. Si, à l’issue de cette négociation, chacun se résout à faire des compromis, nous pourrons aller vers un peu plus de fédéralisme. Pour le moment, malheureusement, les Allemands attendent que les autres fassent un pas mais ils n’ont pas l’intention de céder quoi que ce soit.

Paul Jorion
Vous avez mentionné les taux de la France, de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Vous vous êtes interrogé sur le sens des propos de Mme Parisot. Mme Parisot est-elle paranoïaque dans son interprétation des faits ? Je crois que la réponse est non. Le fait que l’Angleterre ait des taux plus bas que la France en ce moment est une anomalie. Les anomalies sont toujours très intéressantes. [Par exemple, pour expliquer la rétrogradation de Mars, le fait qu’au firmament, au fil des jours, Mars avance, fait demi-tour puis repart, il a fallu produire le système astronomique de Kepler, c’est-à-dire poser l’hypothèse que les orbites des planètes sont elliptiques.] L’anomalie que représente le taux d’intérêt sur la dette britannique par rapport au taux français, requiert une explication. Mme Parisot a fait cette remarque après la publication d’un rapport du FMI qui comprenait une évaluation du risque de crédit que représentait l’ensemble des dix-sept pays de la zone euro. Ce qui a fait bondir Mme Parisot, à juste titre, c’est le fait que cette évaluation du risque de crédit avait été calculée à partir des primes exigées pour les CDS (Credit default swaps). Les CDS sont, de manière simplifiée, une assurance que l’on peut prendre contre un risque de crédit, dans l’hypothèse où une obligation ne serait pas pleinement remboursée. On entend dire, par exemple, qu’on remboursera cinquante centimes de l’euro sur les obligations grecques. Certains se présentent donc comme étant des assureurs et s’engagent envers vous, en échange du montant d’une prime, à rembourser ce sinistre, s’il devait avoir lieu. Il faut dire que les économistes considèrent en général que la perception du marché bien informée produit une évaluation objective du risque existant. Donc, dans la perspective classique de l’économie, le montant de la prime exigée pour le CDS reflète exactement le risque réel de non-remboursement à l’intérieur du marché. La mesure de ce risque n’est pas sans conséquence car la prime de risque qui se trouvera comprise à l’intérieur du taux exigé des pays quand ils émettent de la dette, c’est-à-dire quand ils tentent d’emprunter, sera un élément fondamental du taux d’intérêt qu’il leur sera réclamé quand ils se présenteront sur le marché des capitaux. Or, de fait, ce CDS ne s’adresse pas uniquement à des agents véritablement exposés à un risque de crédit. C’est aussi un marché spéculatif : des investisseurs qui ne sont pas exposés à ce risque peuvent contracter des CDS et bénéficier du défaut de ces pays. On appelle en général ce type de stratégie, « s’assurer sur la bagnole du voisin ». Il y a là un aléa moral, c’est-à-dire une incitation perverse à provoquer une détérioration de la situation. Le FMI n’a pas tenu compte de l’impact de ces spéculateurs dans le niveau auquel se constitue le montant de la prime de risque et a considéré que le montant de la prime du CDS représentait objectivement le risque encouru. Or il est possible, on le sait, que des hedge funds, des fonds d’investissement spéculatifs, se placent sur ce marché des CDS simplement pour jouer, pour parier sur l’évolution du prix et pour parier, dans ce cas particulier, sur la chute de la zone euro. À mon sens, une part de l’explication de la différence entre le taux exigé pour la France et le taux exigé pour l’Angleterre vient de la spéculation effective de certains organismes financiers sur les marchés, qui fausse la représentation du risque que courent véritablement des États.

Dominique Garabiol
Je vais rebondir sur le même sujet pour aller un peu plus loin. Il est vrai qu’il y a eu des instructions de la FED aux gérants des fonds monétaires américains (cet équivalent américain de nos SICAV a une force de frappe considérable) lui demandant de prêter beaucoup moins d’argent aux banques européennes et notamment aux banques françaises. Des documents qui commencent à circuler attestent de ces directives, concomitantes de l’étude du FMI que vient de citer Paul Jorion. C’est cela qui alimente l’idée qu’il y a non pas un « complot » mais une action concertée. L’action concertée est indiscutable. Le complot sous-entend une volonté de nuire à l’Europe, à l’euro, aux banques européennes, ce qui n’est pas établi. C’est pourquoi j’avais parlé dans mon introduction de la redomestication de la liquidité dollar qui est une préoccupation majeure des États-Unis et peut expliquer cette action concertée.

Tout à l’heure, Christian de Boissieu m’a repris sur le terme de démondialisation. Je ne voulais pas du tout dire que les États-Unis étaient prêts à renoncer à leur privilège d’émission, certainement pas ! Mais très préoccupés par l’efficacité du Quantitative easing, ils sont persuadés que son inefficacité relative est liée à la fuite des liquidités en dehors des États-Unis. Il est vrai que les banques européennes, en particulier les banques françaises, ont joué un rôle majeur dans cette fuite.

Ce point me paraît très intéressant parce que c’est une autre illustration du dilemme de Triffin, c’est-à-dire de la contradiction entre les besoins de liquidité de l’économie intérieure et de l’économie internationale. Les États-Unis connaissent ce problème, nous le connaissons en Europe : la zone euro a des problèmes mais il n’y a pas de problème de l’euro. L’euro n’est pas attaqué en tant que monnaie (à 1,37 dollar, il est au contraire plutôt en forme) mais c’est la zone euro qui pose un problème.

On observe exactement la même chose en Chine. Les autorités chinoises s’engagent sur une internationalisation, sur une convertibilité du yuan réservée aux non-résidents et, pour l’heure, manifestent une grande réticence à ouvrir la convertibilité aux résidents.
Tout cela montre que les problèmes intérieurs et extérieurs sont contradictoires, que le dilemme de Triffin est clef.

J’ai cité le Plan B de Jean-Pierre Chevènement pour l’Europe. Michel Aglietta est persuadé que la Chine n’ouvrira jamais la convertibilité aux résidents. Peut-être a-t-il raison. Et les États-Unis, de facto, font un peu la même chose. On est en train d’assister à une rupture fondamentale des circuits financiers et monétaires. Je ne sais pas s’il y aura des obstacles à cette évolution. Je ne sais pas si elle est complètement réfléchie. En effet, les décisions politiques sont prises alors que nous sommes acculés. À mon avis, cette contradiction est le problème majeur de l’euro. Le fédéralisme financier et la monétisation de la dette publique pourraient permettre de surpasser cette crise-là, mais la monnaie unique amène à une spécialisation des régions européennes et à une divergence fondamentale des espaces européens qui provoqueront une nouvelle crise dans cinq ans ou dans dix ans. On ne discute même pas des mécanismes qui permettraient de rééquilibrer fondamentalement les taux de croissance des économies européennes.

Sami Naïr
Merci à tous les participants de la table. Merci à Jean-Pierre Chevènement.
Je regrette de n’avoir pu donner la parole à la salle mais nous n’avions que trois heures pour rentrer dans la complexité du système. Nous organiserons d’autres rencontres sur ce sujet qui en vaut la peine.

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(1) Les Rencontres Franco-Allemandes d’Évian, créées en 1992, ont pour objectif de prolonger au niveau des entreprises la coopération franco-allemande, au service de la construction européenne, et d’établir des relations personnelles entre leurs dirigeants. Environ 40 participants y discutent chaque année pendant un jour et demi de thèmes d’intérêt commun aux entreprises des deux pays (Air Liquide, Allianz , Arcelor, Arte, B.A.S.F., Bosch, Burda, Caisse des Dépôts, Cap Gemini, Continental, Danone, Deutsche Bahn, Deutsche Bank, Deutsche Post, Deutsche Telekom, EADS, EDF, E.ON, France Telecom, Franz Haniel, GDF-Suez, Henkel, Lafarge, J.P. Morgan, Münchener Rück, Oetker, Peugeot, Renault, Roland Berger, Saint-Gobain, SAP, Schneider, Siemens, S.N.C.F., ThyssenKrupp, Total, Voith, Wurth).

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Le cahier imprimé du colloque « Quelles solutions pour le système monétaire international? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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