Accueil par Patrick Quinqueton, Conseiller d’Etat, membre du conseil scientifique et administrateur de la Fondation Res Publica, au colloque « Une politique du Travail » du 9 janvier 2012.
Notre réflexion porte ce soir sur un sujet un peu inhabituel mais très actuel que nous avons intitulé, faute de trouver quelque chose de plus caractéristique, « Une politique du Travail ».
Étrangement, la crise du travail donne lieu à peu de discussions, peu de controverses, dans la sphère politique, dans le débat public. Les entreprises se débattent dans des contraintes dictées par les marchés financiers et le travail n’en est souvent que la résultante. Les syndicats essaient de sauvegarder un modèle social en régression et, ce faisant, sont parfois sur la défensive.
Quant aux gouvernements, ils ont assez souvent une politique de l’emploi, une politique de la formation professionnelle, parfois une politique de la négociation sociale, une politique des salaires ou des revenus : politiques qui ne brillent pas toujours par leur capacité de renouvellement ni même par leur pertinence mais qui existent et dont le débat public se fait l’écho. Ils ont plus rarement quelque chose qui ressort d’une politique du travail.
Étonnamment, des questions comme le désintérêt pour le travail industriel, le mal être au travail ou encore l’incidence des moyens de communication électroniques sur le temps de travail sont généralement traitées sur le mode individuel : Comment s’adresser à la personne ? Comment influer sur ses comportements ? Comment la soutenir dans ses difficultés ? Elles sont rarement envisagées comme des phénomènes collectifs qui interrogent l’organisation du travail elle-même et pourraient faire l’objet de politiques publiques plus construites. Il est vrai que dans ce domaine l’individualisation des problèmes est parfois une façon d’éluder le conflit.
Or la réalité, que le langage convenu nomme « les risques psycho-sociaux », pose clairement la question de l’organisation du travail et des effets qu’a sur elle la globalisation financière que nous connaissons.
La dernière politique d’envergure que l’on puisse repérer date des années 1970, elle visait l’amélioration des conditions de travail. Elle a fait long feu et s’est heurtée à la montée du chômage de masse et du coup à une espèce de politique centrée sur l’emploi et non plus sur le travail.
Ces questions se sont ensuite traduites par une profusion de directives européennes sur les aspects techniques de la sécurité et de la santé au travail.
Par ailleurs, on peut constater que les 35 heures, dont on a dit qu’elles avaient été l’occasion d’une réorganisation du travail, ont certes suscité une réorganisation du temps de travail mais n’ont pas donné lieu à une réflexion sur l’organisation du travail.
C’est pourquoi il a semblé au conseil scientifique de la Fondation Res Publica que le moment était venu d’organiser un colloque sur la politique du travail. En effet, ici et là, des réflexions apparaissent et des pratiques nouvelles s’engagent. Parmi les réflexions stimulantes, citons les livres de Danièle Linhart : « Travailler sans les autres ? » (1) ou de Matthew Crawford : « Eloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail » (2). Mais c’est un livre d’humeur qui m’avait accroché au début de l’année dernière, celui d’un de nos invités d’aujourd’hui, Yves Clot, titulaire de la chaire de psychologie du travail du CNAM, livre intitulé « Le Travail à cœur, pour en finir avec les risques psycho-sociaux » (éditions la Découverte, mai 2010). Le point de vue d’un sociologue, Philippe Zarifian, avait été sollicité. Malheureusement son état de santé l’a empêché de répondre à notre invitation.
Nous avons voulu avoir aussi le point de vue d’acteurs de ces questions sur lesquelles travaillent aujourd’hui les organisations syndicales et patronales. Par exemple une délibération sociale (pour employer le langage officiel) est projetée par les partenaires sociaux au niveau national interprofessionnel, sur un intitulé un peu curieux : « La qualité de vie au travail ». Cette formulation est un peu ambigüe mais peut-être a-t-elle un contenu et peut-être nos débatteurs vont-ils ce soir lui en donner un.
Si certaines entreprises innovent, d’autres se laissent porter par la vague compassionnelle – ce qui n’est déjà pas si mal – et beaucoup se demandent comment se débrouiller avec les obligations légales récentes sur la pénibilité ou sur les risques psycho-sociaux.
Il nous a semblé intéressant d’entendre le Président de l’Association nationale des DRH, Jean-Christophe Sciberras, lui-même directeur des ressources humaines d’un grand groupe industriel.
La CGT, la CFDT, d’autres organisations syndicales réinvestissent peu à peu, dans des formes et selon des modalités différentes, la question du travail. Il nous a semblé que le point de vue de l’UGICT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens CGT) qui travaille de longue date sur ce sujet, dans ses différents développements, pourrait être intéressant. C’est pourquoi nous écouterons son Secrétaire général adjoint, Jean-François Bolzinger.
On voit que le sujet de l’organisation du travail semble en tout cas à nouveau en débat. La crise du travail touche bien entendu à de nombreux autres sujets qu’on pourra d’ailleurs aborder ici et là, mais il nous a semblé qu’il fallait essayer de cibler au moins un sujet central. Il y a bien entendu les évolutions du droit du travail. Il y a la rémunération du travail, sujet actuel. Je ne parle pas du discours déjà ancien sur la « fin du travail » qui risque d’être rattrapé par nos débats d’aujourd’hui.
Bref, la question est sans doute celle des effets de la crise financière sur le travail et sur notre vision du travail.
Il nous a semblé urgent d’identifier les termes actuels d’une action des forces vives de ce pays sur l’organisation du travail, c’est-à-dire ceux d’une véritable politique du travail.
J’ai donc proposé à Yves Clot de démarrer cette petite table ronde.
———
(1) Travailler sans les autres, Danièle Linhart, Seuil, 2009.
(2) Éloge du carburateur : essai sur le sens et la valeur du travail, Crawford, Matthew B. traduit de l’anglais par (États-Unis) Marc Saint-Upéry, Paris : La Découverte, collection Cahiers libres, mars 2010.
S'inscire à notre lettre d'informations
Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.