L’Ecole et l’Entreprise: un partenariat à reconstruire

Par Daniel Bloch, ancien président d’Universités, ancien recteur d’Académie, ancien directeur des Enseignements supérieurs. Même si trop souvent l’Ecole et l’Entreprise constituent des mondes qui se méconnaissent, peut-on soutenir qu’elles n’ont pas un destin commun ? Comment l’Ecole pourrait-elle survivre dans le contexte d’une économie en friche, et quel avenir aurait l’économie sans qu’existe, à ses côtés, un dispositif d’éducation et de formation lui permettant de recruter des personnels en qualité et en nombre suffisants ?

L’essentiel est de comprendre à quel point l’éducation et l’économie constituent le môle sur lequel peuvent se construire les politiques sociales, culturelles, d’emploi, de santé, d’intégration ou de quartiers. Il est capital de renforcer tout autant l’image de l’Ecole que celle de l’Entreprise et de s’efforcer de construire ces politiques transversales.

L’image de l’industrie dans notre pays n’a jamais été aussi favorable que lorsque, au milieu des années 80, la gauche, a réussi à faire dialoguer l’Ecole et l’Entreprise, pour aboutir à un projet commun (1). Souvenons-nous des jumelages Ecole-Entreprise, au Collège ou encore du baccalauréat professionnel, faisant monter plus de 130 000 jeunes chaque année du niveau du CAP à celui d’un baccalauréat recherché par le monde de l’entreprise. Comment oublier le doublement, en quelques années, du nombre d’ingénieurs, de diplômés des écoles de commerce et de gestion, de spécialistes de haut niveau de formation ? Puis au début des années 2000, la Validation des Acquis Professionnels (VAE) permettait à nombre de nos compatriotes d’obtenir des diplômes. Pour finir cette liste : le concept de Lycée des Métiers, rassemblant en un même lieu des formations technologiques et professionnelles et ouvrant ses ateliers aux PME et aux PMI.

Pour la gauche, l’école est un vecteur de « démocratisation » avec une ambition de promotion économique et sociale du plus grand nombre. Ce n’est pas un élitisme étroit complété par une « massification » à minima (2).

Ainsi ont été récemment réintroduits, à la fin de la classe de 4ème, avec la loi Cherpion et le dispositif d’initiation aux métiers en alternance (DIMA), des dispositifs de préapprentissage destinés aux « élèves en difficultés ». En même temps étaient supprimés massivement des emplois d’enseignant à l’école primaire, ce qui n’était pas la meilleure façon de réduire le nombre de jeunes en difficultés. Ce n’était pas non plus en rejetant les élèves les plus en difficultés à l’apprentissage et à l’entreprise que pourront être améliorées l’image de l’apprentissage et celle des entreprises, ni en permettant à quelques centaines d’élèves de quartiers difficiles d’accéder à des formations de prestige que l’on résoudra l’ échec scolaire massif qui ruine, chaque année, l’ avenir de plus de cent mille d’entre eux.

L’Ecole ne détient pas seule les savoirs et les savoir-faire, ni le monopole de la formation. Ainsi, dès l’origine, le baccalauréat professionnel a été conçu comme un diplôme, certes majoritairement préparé en lycée professionnel, mais incluant dans sa préparation de longues périodes en entreprises.

L’apprentissage, et non l’alternance sous statut scolaire, constitue une priorité assumée par la droite, avec l’objectif affiché de passer, en quelques années, de 450 000 à 1 000 000 apprentis (3). Cette volonté de développer l’apprentissage, et de ce fait particulièrement le CAP, principal diplôme auquel il prépare, ne prend pas en compte l’évolution des compétences nécessaires pour assurer l’emploi de chacun sur une longue période.

Ces titulaires d’un CAP, en surnombre pour de nombreuses branches professionnelles, accèdent beaucoup plus difficilement au marché du travail que les bacheliers professionnels. Le chômage massif des seniors, c’est d’abord et avant tout le chômage de ceux qui n’ont pas acquis, à l’issue de leur scolarité, un diplôme ou un diplôme de niveau suffisant. Aujourd’hui, ceux qui détiennent ce diplôme accèdent difficilement à l’emploi et sont souvent les premiers à le perdre, à l’instant où surgit une difficulté, notamment parce que les actions de formation continue sont concentrées sur ceux qui ont davantage appris à apprendre lors de leur formation initiale. Compte tenu du niveau insuffisant de leur formation, ils seront nombreux, dans 40 ans, à être, à leur tour, des séniors sans emploi.

L’apprentissage est aujourd’hui pour partie à la charge des entreprises, notamment au titre de la taxe d’apprentissage. Celle-ci est indexée sur les salaires effectivement versés par les entreprises. Comment les moyens qui résultent de la collecte de cette taxe pourraient-ils doubler sans que le nombre de personnels employés soit aussi multiplié par deux ? Il est bien difficile de se situer dans cette perspective tant économique que démographique… Il est donc vain d’espérer un doublement de l’apport des entreprises, et donc les charges supplémentaires devraient être assumées par les Régions, qui devraient en conséquence trouver des ressources fiscales pour faire face à ces dépenses nouvelles. L’apprentissage coute cher : une année de formation en apprentissage nécessite, pour son financement, 60 % de plus qu’une année en lycée professionnel. Un tel coût pour la nation pourrait être justifié si ce transfert se traduisait par une amélioration significative des conditions d’accès à l’emploi. De fait, ce dernier est, mais dans de faibles proportions, plus aisé à l’issue d’une formation en apprentissage qu’à la sortie du lycée professionnel, mais cet avantage est compensé, et au delà, par le fait que plus du tiers des jeunes qui sont engagés dans la voie de l’apprentissage abandonnent en cours de formation, avec une rupture de leur contrat d’apprentissage, ou échouent aux épreuves comptant pour le diplôme. Sans oublier que l’accès à l’apprentissage est sélectif : les jeunes les plus en difficultés ne trouvent pas de maître d’apprentissage.
Le baccalauréat professionnel est, sans avoir démérité, profondément remis en cause. Il s’est agi dans un premier temps de réduire la durée de sa préparation, qui est passée de 4 à 3 ans, réduction qui ne pouvait se concevoir que pour les meilleurs élèves. Beaucoup perdent pied en cours de formation et se retrouvent, sans qualification sur le marché du travail. Mais l’objectif recherché est atteint, avec plus de 10 000 emplois d’enseignants ainsi « économisés ». Dès la prochaine rentrée scolaire, l’essentiel des réductions d’emploi dans le second degré portera sur l’enseignement professionnel.

Mais ce n’est qu’une étape : Nicolas Sarkozy propose désormais que la troisième et dernière année de préparation du baccalauréat professionnel se réalise elle aussi dans le cadre de l’apprentissage, avec là encore, des charges massives pour les Régions et pour les entreprises. Comme le baccalauréat professionnel est déjà, par construction, essentiellement préparé en alternance entre le lycée et l’entreprise, mais sans que les élèves aient le statut d’apprenti, former les futurs bacheliers dans des centres d’apprentissage ne se traduirait ainsi non pas par une modification pédagogique majeure, mais concrètement par la suppression de milliers d’emplois d’enseignants et une externalisation de cette formation. Cela revient à sortir l’enseignement professionnel du champ de responsabilité directe de l’Education nationale et de faire porter le poids non seulement des jeunes les plus en difficulté, mais plus généralement de l’enseignement professionnel, par les entreprises et par les collectivités territoriales.

(1) Pour une stratégie convergente de l’Ecole et l’entreprise. La documentation française. 2nde édition, 1987.
(2) Daniel Bloch. Ecole et démocratie. Presses universitaires de Grenoble. 2011
(3) Notons que ce développement massif de l’apprentissage, puisqu’il s’agirait, selon le programme de la droite, de doubler le nombre d’apprentis, conduirait à la suppression de plusieurs dizaines de milliers d’emplois au sein de l’Education nationale, étant donné que les enseignants des Centres de Formation d’Apprentis (CFA) ne sont pas des fonctionnaires contrairement aux enseignants des lycées professionnels.

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