La réindustrialisation de la France passe par un changement de paradigme

Note de lecture de L’Urgence industrielle de Gabriel Colletis (Le Bord de l’eau, février 2012) par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica. C’est une démarche globale pour changer de « paradigme » de développement que Gabriel Colletis propose à ses lecteurs tout au long de « L’Urgence industrielle ». Cet excellent ouvrage est consacré au déclin industriel de la France, de plus en plus prononcé, et aux voies du renouveau.

Nous ne reviendrons pas sur l’ampleur de la désindustrialisation que subit la France depuis plus de trente ans, ni sur les causes de ce phénomène, que nous avons eu l’occasion d’explorer lors de nombreux colloques (1) et dans plusieurs études (2) et dont rend compte l’auteur. Une analyse, tout de même, mérite d’être soulignée : celle des illusions entretenues par les politiques publiques depuis plusieurs années pour contrecarrer le déclin industriel, comme la croissance verte ou la nouvelle économie (censée être tirée par les nouvelles technologies). Pour la première, l’auteur nous explique qu’elle contribuera seulement à faire évoluer des emplois existants, mais pas à susciter en masse de nouveaux métiers comme le prédisent certains. La seconde, la « fée technologie », aurait été exhibée par les pouvoirs publics pour désigner une dynamique technologique pouvant être une force de mutations économiques et sociales. Or, l’auteur défend plutôt une perspective d’évolution voire de succession de changements techniques : la technologie serait « un résultat et non une ressource du processus d’innovation ».

Gabriel Colletis imagine ensuite le passage du paradigme (actuel) de mondialisation financière, prônant la rentabilité à court terme et dénigrant le travail, à la (re)construction « des liens entre industrie, travail et démocratie ». C’est là que réside toute l’originalité et la profondeur de la réflexion.

« Aucun pays ne peut se développer ou rester un pays avancé sans base productive ». Toutefois, bien que les discours volontaristes sur le redressement de l’industrie française se soient multipliés, notamment au cours de l’élection présidentielle de 2012, c’est en fait le sens que nous donnons à l’activité industrielle qu’il convient de remettre en perspective.

Cela passe par trois facteurs, abordés en lien avec les effets pervers de la mondialisation financière. Tout d’abord une nouvelle conception du travail. La compétitivité étant aujourd’hui confondue avec la notion de rentabilité (financière), et la compétitivité-coût étant, la plupart du temps, invoquée pour redresser notre base productive, le travail est perçu comme un coût, qu’il faudrait réduire en permanence. La perversité de cette pensée est résumée en une phrase : « Elle fait reposer la cause ou la responsabilité du déclin industriel sur les épaules de ceux qui la subissent », c’est-à-dire les travailleurs les moins qualifiés, mis en concurrence à l’échelle globale, et les chômeurs. Or, la nouvelle conception du travail que promeut Gabriel Colletis est celle de la formation et d’une meilleure reconnaissance des compétences. Elle trouve sa traduction dans le concept de « travail cognitif » : « la mobilisation des compétences du travailleur et du collectif de travail pour formaliser et résoudre des problèmes inédits » (3) . Malheureusement, ce vocabulaire sophistiqué évoque justement le langage utilisé dans la description de nouvelles formes d’organisation du travail (comme le « lean management »…), que l’auteur semble pourtant rejeter.

Cette nouvelle approche du travail en termes de compétences se combine avec « l’ancrage territorial des activités » industrielles puisqu’elle peut en constituer le socle. Cette reterritorialisation (à ne pas confondre avec la localisation, répondant à une logique de coûts – salariaux, fiscaux, matériels etc – toujours susceptibles d’être concurrencés) se fonde sur la création et la valorisation durable de ce que Gabriel Colletis appelle « un patrimoine territorial » de compétences spécifiques, organisées en réseau.

Ce changement de perspective suppose enfin une nouvelle approche de la démocratie, prise comme facteur clé du développement industriel. C’est là que la thèse de Gabriel Colletis dépasse la seule question de la politique industrielle telle qu’on l’entend de manière habituelle. Elle propose un rééquilibrage des rapports entre capital et travail au sein des entreprises. Mais c’est également au « peuple citoyen d’élaborer progressivement » le nouveau paradigme de développement, afin de peser sur les orientations des pouvoirs publics, et finalement de réhabiliter l’Etat dans sa marge de manœuvre sur le plan économique. Cette réflexion débouche par exemple sur la production démocratique de nouvelles normes et réglementations, mises au service du développement industriel. L’auteur défend ainsi un protectionnisme européen, inspiré des thèses de Frédéric List sur le « protectionnisme éducateur », sans jamais en faire l’alpha et l’oméga d’une politique industrielle.
Le titre de ce livre de référence ne saurait être pris au pied de la lettre : Gabriel Colletis ne se contente pas de déclarer l’état d’urgence industrielle, il préconise des nouvelles conceptions, des réponses précises, qui, néanmoins, ont vocation à s’inscrire dans le « temps long » et dans le cadre du développement de productions socialement utiles et préservant la nature. Ce qui est urgent, c’est bien d’engager le changement de notre « paradigme » de développement.

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(1) Voir les actes des colloques suivants : « Une politique du Travail », « Quelle politique industrielle pour relever le défi climatique ? » et « Radiographie des entreprises françaises » sur notre site

(2) Voir les publications suivantes : « Une politique du travail », « La réindustrialisation doit être le cœur de cible de toute action publique » et « Pas de sortie de crise sans résorption des déséquilibres des balances des paiements » sur notre site

(3) Concrètement, cela désigne à la fois « des qualifications et des savoir-faire, une capacité à travailler en équipe, à prendre des initiatives, à mobiliser un capital d’expériences »

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