La transition énergétique
Intervention de M. Olivier Appert, Président du Conseil français de l’énergie (section française du World Energy Council) et de l’IFPEN (Institut Français du Pétrole – Energies nouvelles), au colloque « La France et l’Europe dans le nouveau contexte énergétique mondial » du 17 juin 2013.
C’est un plaisir de me trouver parmi vous pour vous présenter ma vision de la transition énergétique dans laquelle le monde est engagé.
Je le ferai sous deux casquettes. En effet, président du Conseil français de l’Énergie, qui regroupe tous les acteurs français dans les domaines de la production, de la consommation d’énergie et des équipementiers, je préside aussi l’Institut Français du Pétrole, devenu IFP énergies nouvelles (IFPEN).
Ceci me permettra ensuite de dessiner les contours de la transition énergétique.
Je rappellerai d’abord les perspectives énergétiques qui font consensus.
L’Agence internationale de l’énergie (AIE) publie tous les ans ses projections qui font référence. Les défis énergétiques et environnementaux, illustrés ci-dessous, sont :
- la croissance de la demande énergétique,
- la dépendance vis-à-vis des énergies fossiles, non renouvelables.
- le défi du changement climatique, incontournable quand on parle d’énergie puisque les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre (GES) proviennent du secteur énergétique (production, transformation, utilisation de l’énergie).
Demande d’énergie primaire (Mtep)
Un autre des fondamentaux importants est l’évolution de la géopolitique de la demande.
Demande d’énergie par région
Ces fondamentaux continueront à s’imposer dans les années à venir mais, ces dernières années, le secteur énergétique a été confronté à des bouleversements qui soulèvent des incertitudes, mais offrent aussi des opportunités, et amènent à définir un nouveau paradigme :
- En Europe, la crise économique génère des problèmes (baisse de la croissance, dette publique, mise en cause de l’euro).
- Au Moyen-Orient et en Afrique du nord, les « révolutions arabes » (à partir du « printemps arabe » tunisien) peuvent être comparées aux révolutions de 1848 en Europe qui n’ont débouché sur l’émergence de la démocratie qu’en 1875. Espérons que la « transition démocratique » sera plus rapide dans les pays arabes. En effet, ces risques géopolitiques ont un impact majeur sur la scène énergétique mondiale car la sécurité des approvisionnements impose la diversité géographique et des solutions énergétiques.
- Aux États-Unis, la révolution des shale gas (gaz de schiste) et, maintenant, des shale oils (huile de schiste, pétrole de roche mère) change profondément la donne.
- La catastrophe de Fukushima conduit à réévaluer le rôle, la place de l’énergie nucléaire dans les politiques énergétiques.
- En Chine, si le charbon reste aujourd’hui incontournable, la politique en faveur des énergies renouvelables a aussi une dimension industrielle. La Chine, avec 51 milliards de dollars d’investissements, a été en 2011 le premier investisseur mondial, devant les États-Unis, en matière de renouvelables.Les révolutions arabes
Réserves et ressources pétrolières
L’OPEP représente 72 % des réserves pétrolières mondiales (contre 1 % pour l’Europe).
De même, les 2/3 des réserves de gaz sont localisées entre le 50e et le 70e parallèle (Russie, Iran Qatar).
Notons que cette carte ne prend pas en compte les réserves des shale gas ou des shale oils.
La révolution des hydrocarbures non conventionnels aux États-Unis et dans le monde
Ce n’est que récemment qu’on n’a pris conscience de la révolution des hydrocarbures non conventionnels, commencée vers le milieu des années 2000.
Un marché US autonome. Effet « Shale gas »
Cette révolution des shale gas aux États-Unis entraîne une baisse des importations de gaz naturel. Alors qu’en 2007 on estimait que les États-Unis allaient devenir très fortement importateurs de gaz sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), on considère aujourd’hui qu’à échéance de 2016, ils devraient devenir exportateurs net de gaz naturel. Dès lors qu’il s’agit du premier pays consommateur au monde, on conçoit que l’enjeu est majeur, enjeu diplomatique, enjeu énergétique, enjeu industriel, enjeu économique, enjeu en termes d’emploi… ce qui a amené Barack Obama à affirmer dans le Times que la révolution des shale gas permet aujourd’hui aux États-Unis de discuter d’égal à égal avec les pays du Moyen-Orient et avec l’ensemble des pays du monde.
On commence à se rendre compte en France que la révolution des shale gas et des shale oils change radicalement la donne. J’espère que ce débat se poursuivra, notamment après la publication du pré-rapport réalisé par l’office parlementaire sur ce sujet [2].
On a cru que l’accident de Fukushima marquerait la fin ou, à tout le moins, un arrêt significatif du développement du nucléaire. Force est de constater que le nombre de pays qui ont arrêté leur programme nucléaire se compte sur les doigts d’une main.
Aux États-Unis, ce n’est pas Fukushima qui a arrêté le programme nucléaire américain mais les shale gas, dans la mesure où ce gaz est disponible localement à un prix trois à quatre fois inférieur au prix du gaz en Europe ou au Japon.
Je laisserai Etienne Beeker parler de l’impact de Fukushima sur l’Allemagne.
L’impact de Fukushima sur l’économie japonaise a été tout à fait majeur. Du jour au lendemain, 49 sur les 51 réacteurs nucléaires japonais ont été arrêtés et on ne sait pas encore si ces réacteurs vont redémarrer. La demande a été gérée par des coupures d’électricité et par une augmentation considérable des importations de GNL, de pétrole et de charbon.
Le défi du changement climatique est majeur. Il faut rappeler que les deux tiers des émissions de gaz à effet de serre proviennent du secteur énergétique.
Comment peut-on assurer une transition vers un système énergétique qui, moins carboné, émette moins de gaz à effet de serre ?
Une révolution énergétique nouvelle : réduire les émissions de CO2 liées à l’énergie
Quelles technologies peut-on déployer pour combler la différence entre un doublement des émissions de gaz à effet de serre (tendance naturelle) et le scénario vertueux d’une division par deux à échéance de 2050 ? Cette division par deux est nécessaire si on veut limiter à 2°C l’augmentation de température.
La réduction de la consommation d’énergie par l’amélioration de l’efficacité énergétique permet de réaliser près de 40 % du chemin. La substitution du charbon par du gaz (massive aux États-Unis grâce à la révolution des shale gas) réduit les émissions d’environ 15 %.
Le nucléaire, malgré Fukushima, continue à jouer un rôle mais celui-ci est limité du fait que le nombre de pays dans lesquels on peut envisager un développement important des programmes nucléaires est relativement limité.
Quand on parle de transition énergétique, on pense que la solution réside dans le solaire et l’éolien. Or les renouvelables ne représentent que 17 % de l’effort à fournir, dont la moitié (8 % à 9 %) de biomasse pour le chauffage, la production d’électricité ou pour les biocarburants.
Le CSC (captage et stockage du CO2) paraît incontournable. Des technologies disponibles permettent de capter le CO2 là où il est le plus concentré, c’est-à-dire dans les fumées des centrales électriques au charbon, de le transporter et de le stocker dans des horizons géologiques profonds, avec des technologies comparables au stockage de gaz naturels. L’AIE estime que le CSC représente un enjeu supérieur à celui des renouvelables.
On a souvent l’impression, en particulier en France, que la transition énergétique est la fin des hydrocarbures et que l’objectif est de se passer le plus tôt possible, à échéance de 2030, à la fois du nucléaire et des énergies fossiles. Mais, comme je vous le disais en introduction, les énergies fossiles représenteront encore durablement d’après l’AIE une part relativement importante.
Ressources disponibles et coûts de production
Rassurez-vous, les ressources potentielles de pétrole et de gaz sont suffisamment importantes pour assurer l’approvisionnement en énergie de l’économie mondiale pendant des décennies. Le progrès technique joue son rôle et l’exemple de la révolution des shale gas et des shale oils montre que la disponibilité des deux ressources n’est pas un problème urgent.
En revanche, la répartition géographique pose problème dans le domaine des ressources pétrolières et gazières conventionnelles (voir ci-dessus le graphique « réserves et ressources pétrolières »).
Le défi du CO2
Le débat sur la transition énergétique se déroule notamment au niveau international dans le cadre des Conférences des Parties. On commence à préparer le rendez-vous de 2015 qui pourrait avoir lieu à Paris [4]. L’accord conclu à Doha (prorogation du protocole de Kyoto jusqu’en 2020) ne concerne que quelques pays, responsables de 15 % seulement des émissions mondiales de CO2. Il s’agira en 2015 de définir un accord global avec l’implication de tous les pays pour tenter de limiter à 2°C le réchauffement de la planète.
Il s’agit de décider, au niveau international, qui va porter la charge des efforts à faire pour lutter contre le changement climatique.
Emissions mondiales de CO2 : OCDE = 65% de l’historique, non OCDE = 60% du futur…
Les renouvelables ont joué un rôle extrêmement important ces dernières années dans la transition énergétique.
Renouvelables : baisse en 2012 des investissements mondiaux
Voilà les quelques éléments que je voulais dessiner pour présenter la question de la transition énergétique : des fondamentaux toujours présents mais, ces deux ou trois dernières années, de nouvelles donnes et un changement de paradigme. Merci.
Alain Dejammet
Merci, Monsieur le Président, de ce tableau qui va donner à réflexion et sans doute à questions. D’aucuns auront sans doute à s’émouvoir du jugement que vous portez sur l’enthousiasme américain et ses conséquences géopolitiques.
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[1] André Giraud fut successivement directeur général adjoint de l’IFP de 1958 à 1964, directeur des carburants au ministère de l’Industrie de 1964 à 1969, vice-président de la Régie Renault de 1965 à 1971, administrateur général délégué du gouvernement auprès du Commissariat à l’énergie atomique ainsi qu’administrateur d’EDF de 1970 à 1978 et président de la compagnie générale des matières nucléaires (Cogema) de 1976 à 1978. Il est nommé ministre de l’Industrie dans le troisième gouvernement de Raymond Barre, poste qu’il occupe du 3 avril 1978 au 13 mai 1981. Il retrouvera un portefeuille ministériel en 1986 (ministre de la Défense du 20 mars 1986 au 10 mai 1988).
[2] Le rapport d’étape présenté le jeudi 6 juin par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (Opecst) plaide pour une exploitation « maîtrisée » de ces hydrocarbures non conventionnels.
[3] L’expression pic pétrolier (ou Peak Oil en anglais) désigne le moment où la production mondiale de pétrole plafonne avant de commencer à décliner du fait de l’épuisement des réserves exploitables. Les méthodes de prévision de ce pic s’inspirent des travaux du géologue M.K. Hubbert qui avait, dans les années 1950, pronostiqué avec succès le pic de la production de pétrole américaine.
[4] En septembre 2012, le président de la République François Hollande a fait part de l’intention de la France d’accueillir en 2015 la 21ème Conférence des Parties à la Convention Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques (CCNUCC) et la 11ème session de la réunion des Parties au Protocole de Kyoto. Cette réunion, conformément aux accords de Durban (2011) aura pour objectif principal la conclusion d’un nouvel accord international sur le climat, applicable après 2020 à tous les pays. Laurent FABIUS, ministre des Affaires étrangères a confirmé cette candidature lors de la conférence de Doha en décembre 2012.
Conformément au règlement interne de la CCNUCC qui prévoit une rotation annuelle par groupe régional des Nations-Unies, l’accueil du sommet de 2015 revient à un pays d’Europe de l’Ouest. La candidature de la France a été endossée par son groupe régional à l’ONU, le WEOG, le 12 avril 2013, ce qui ouvre la voie à une désignation officielle lors de la COP de Varsovie en novembre 2013.
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