Une tribune de Julien Landfried, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, parue sur Slate.fr, lundi 21 mars 2016. Les retraités pèsent de manière démesurée sur la définition de l’offre politique.
En effet, si le taux de participation des électeurs de plus de 60 ans, s’est établi, selon l’institut Ipsos, à plus de 87% au second tour de l’élection présidentielle de 2012 (contre 80% sur l’ensemble de l’électorat), cette tendance s’est accrue lors des élections intermédiaires. Ces dernières ont été marquées par une abstention plus élevée et le poids relatif des seniors y atteint des surproportions remarquables, toujours selon le même institut: 76% de participation aux dernières municipales (contre 61% pour la moyenne des électeurs), 60% aux européennes (contre 43, 64% aux départementales (contre 50%), 67% aux régionales (contre 50%).
Les premiers sondages relatifs au corps électoral des futurs votants à la primaire de la droite confirment que celle-ci sera avant tout l’expression des électeurs les plus âgés. Alors que les plus de 65 ans représentent 23% de la population française, ils pourraient représenter 43% des électeurs à la primaire; les retraités, qui comptent pour 33% de la population française, pourraient composer 50% des électeurs mobilisés. Les moins de 50 ans, qui constituent 51% de la population française, ne représenteraient que 30% des ses électeurs. En d’autres termes, la primaire de la droite, présentée comme une opération de modernisation politique, est en fait structurellement tournée vers le passé par sa démographie.
Vieillissement, surparticipation et primaires
Quels sont les grands facteurs à l’œuvre? Premier point, la population française vieillit, et le poids des électeurs âgés parmi les électeurs augmente. Jusqu’ici, tout est très logique.
Deuxième point, la surparticipation électorale des électeurs âgés s’accroît. En l’absence d’études très poussées sur ce sujet, on peut émettre la double hypothèse que l’offre politique répond d’une manière plus satisfaisante aux préoccupations des électeurs âgés et que la politique effectivement menée par les gouvernements successifs fait de même. Sans compter que le phénomène majeur de la «mal inscription» électorale est concentré sur les jeunes et les actifs, alors que les électeurs âgés sont à la fois bien inscrits et utilisent massivement la procuration pour maintenir leur taux de participation.
Troisième point, les élections intermédiaires sont des élections où s’abstiennent prioritairement les actifs et où dominent les retraités, d’où probablement d’ailleurs une montée des thématiques identitaires (ce que le politiste Gaël Brustier appelle les «paniques morales», et qui ne se confondent pas avec le vote Front national et le dépassent très largement) et une orientation économique sinon conservatrice, du moins teintée d’un réflexe anti-inflationniste prononcé (en résumé: la dette plutôt que la croissance). Dernier point, la seule élection où les actifs «rentrent dans le jeu» est l’élection présidentielle, mais par un effet de persistance rétinienne, leur rôle dans l’élection en tant que tel est minorée car la logique médiatique est structurée par les mouvements des élections intermédiaires, qui surreprésentent les intérêts des électeurs âgés et font émerger des thématiques qui y répondent.
Le jeu des primaires aggrave encore cette situation car le corps électoral qui s’y déplace n’est pas homothétique du corps électoral global: les électeurs âgés y sont surreprésentés. La primaire socialiste de 2011 avait déjà été dominée par les seniors qui avaient accordé leur confiance à François Hollande, le candidat le plus prudent et en définitive le plus conservateur sur le plan économique. La primaire de la droite n’échappe pas à cette réalité démographique. D’où l’écart abyssal entre un électorat majoritairement inactif et un programme politique supposément préoccupé de la «France qui se lève tôt» mais qui est dans les faits favorable aux inactifs retraités et défavorables aux actifs. C’est ainsi qu’il faut comprendre la priorité à un programme de réduction des déficits publics, la préférence pour une faible inflation, les réformes des retraites concentrées sur les futurs retraités, c’est-à-dire les actifs d’aujourd’hui, et les discours culpabilisateurs visant les «assistés», c’est-à-dire les actifs les plus pauvres. Notons que les initiateurs d’une primaire à gauche pour 2017 semblent totalement se désintéresser de la structure démographique et sociologique de l’électorat qu’ils pourraient mobiliser, et des implications politiques et idéologiques qui vont avec…
A mesure que l’électorat vieillit et que son rapport avec l’activité économique concrète devient un souvenir ou une abstraction, l’offre politique se structure autour d’un nouvel économicisme abstrait et moralisateur. Son objet est de faire se déplacer les arbitrages rendus nécessaires par les contraintes budgétaires en faveur des inactifs âgés contre les actifs (employés ou chômeurs), d’où la concentration des ajustements sur les actifs et le marché du travail plutôt que sur le niveau des pensions ou le système de santé. Le sarkozysme, auquel tous les candidats à la primaire de droite adhèrent en définitive, pourrait ainsi être résumé à une réponse «de droite» à la crise de l’Etat social.
Comment renverser la table?
Comment, dans ces conditions, renverser la table? L’équation est compliquée car la pression est forte, quand l’exercice du pouvoir est à portée de mains, pour s’aligner sur un programme économique orthodoxe. C’est l’enjeu de l’évolution de la ligne économique du Front national, qui est soumis à l’injonction de «normalisation» non seulement de sa sensibilité interne «identitaire» mais aussi d’une partie troublante de la presse: les premiers estiment que le thème de la sortie de l’euro leur aliènerait les électeurs âgés; les seconds identifient la sortie de l’euro comme une menace alors qu’ils s’accommodent sans difficulté d’une ligne «identitaire», par ailleurs métastasée à droite mais aussi dans certains secteurs de la gauche, et recommandent au FN d’abandonner la sortie de l’euro pour accéder aux responsabilités.
Et la gauche? Canard sans tête, elle court après la droitisation de l’électorat âgé et se révèle incapable de porter un discours audible auprès des actifs. Une simple comparaison entre les discours des candidats Clinton et Sanders, voire d’Obama, et du champ lexical de la gauche française (qui ne se réduit pas au Parti socialiste) soulignerait par l’absurde son incapacité à s’extraire d’un discours technocratique pour s’adresser aux salariés et aux entrepreneurs. On n’entend guère parler des hard-working families de ce côté-ci de l’Atlantique… Le ralliement de la gauche à l’orthodoxie économique (qui ne date pas d’hier: trente-trois ans nous séparent du tournant de la rigueur de 1983) l’a coupée dans la longue durée de l’électorat ouvrier et employé, qui forme encore la grande majorité des actifs.
L’élection présidentielle est de fait la seule élection où ceux-ci ont encore droit de cité, même si leur poids relatif a baissé dans la structure de l’électorat. C’est à partir d’une vision dynamique et néanmoins réaliste des contraintes et des forces à l’œuvre dans celui-ci qu’une offre politique tournée vers le futur pourrait émerger. Cette offre devrait répondre à des problématiques économiques et sociales concrètes: la relance de l’activité économique et de l’emploi, la question du logement (et celle de la transmission du capital entre les générations), le soutien aux familles, la question des transports et de leurs prix, l’accès à des solutions de transition écologique, etc. Et elle devrait desserrer l’étau démocratique en réduisant les contraintes électorales pesant sur les jeunes et les actifs pour élever leur taux de participation (simplification de l’inscription sur les listes électorales, en particulier). En bref, un programme raisonnable et d’avenir. D’une certaine manière, lutter vraiment contre le «populisme», c’est faire ce choix-là. Ce n’est pas le chemin que l’on prend.
Source : Slate.fr
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