Débat final lors du colloque « Désertification et réanimation des territoires » du 27 février 2018.
J’ai travaillé au Parlement européen, à la Commission européenne et depuis 2005 je défends les intérêts économiques français dans le marché intérieur.
Je vais rebondir sur votre dernier propos avec, quand même, un sujet d’inquiétude à 15 milliards.
Je suis en train de finaliser un article « Qui veut perdre des milliards ? » sur la politique de cohésion actuelle. Comme vous, je suis tout à fait favorable aux fonds européens. La question n’est d’ailleurs pas d’être pour ou contre l’Europe mais de savoir comment nous Français nous défendons à l’intérieur de l’Union européenne.
La réanimation des territoires, pour l’Union européenne, ce sont deux mécanismes :
Un mécanisme de solidarité dont la France ne bénéficie pas parce que le critère d’attribution est le PIB. Or nous avons organisé la solidarité entre nos territoires, ce qui fait que nous n’avons ni territoires pauvres ni territoires riches (excepté l’Île-de-France). Contrairement à l’Italie qui, faute de solidarité intra-nationale, laisse le Sud bénéficiaire d’énormément de fonds européens et dégage des marges de manœuvres dans le Nord, là où la moyenne du PIB communautaire est la plus riche. Ce qui fait, sur l’actuelle programmation, beaucoup d’argent pour l’Italie, pas d’argent pour la France, ce qui n’est pas justifié par l’écart entre les PIB des deux États. On s’est fait avoir.
On ne peut pas continuer comme ça. Selon l’actuel système européen nous devrions renoncer à la solidarité nationale pour bénéficier des aides. Il faut donc changer le mécanisme européen. La future programmation en cours de négociation ne retiendra peut-être pas le PIB comme seul critère. Je ne vais pas plus loin, je sais qu’on n’a pas le temps.
D’autres fonds sont attribués au titre de la performance économique. La France peut bénéficier de 27 milliards de fonds (FEDER FSE FEADER, FEAMP), sur une programmation de sept ans. Si on projette ce qui a été programmé jusqu’alors (source Association des régions de France), la France va perdre, tous fonds structurels confondus, 15 milliards d’euros. Il est quand même paradoxal, pour un pays qui est poursuivi par la Commission européenne pour endettement public excessif, de perdre 15 milliards d’euros d’argent qu’elle nous restitue, lesquels nous coûtent par ailleurs environ 40 % plus cher que notre propre impôt ! L’image de la France à Bruxelles est dévastatrice. Il est urgent de renégocier avec la Commission européenne et on ne peut le faire que sur deux ou trois priorités.
L’Allemagne, qui est excédentaire au titre du commerce extérieur sur la France de plus de 15 milliards d’euros en 2017 (source Douane française), est le premier investisseur en France : les Allemands nous rachètent avec les moyens que nous leur donnons. Les fonds européens alloués dans tous les pays de la zone euro contribuent à cela. Il est temps d’avoir un programme d’intelligence économique qui permette à la France d’aller rechercher les fonds européens disponibles en Europe de l’Est et du Sud parce que ce ne sont pas des délocalisations mais des relais de croissance pour l’économie de nos territoires.
Je conclus en vous renvoyant à un excellent ouvrage collectif [1] que vient de publier le CNER (Fédération des agences de développement et des comités d’expansion économique). J’ai rédigé le chapitre sur l’Union européenne dans ce livre sur l’intelligence économique territoriale, laquelle est probablement la solution à tous les maux évoqués jusqu’alors.
Yvonne Bollmann
L’abandon de la notion d’aménagement du territoire laisse un grand vide tant elle incarnait le principe d’un territoire « un et indivisible ». C’est comme si on nous avait retiré le sol de sous les pieds.
Depuis Maurice Schumann qui fut le premier ministre de l’aménagement du territoire en 1962, maints coups de canif ont été portés à cette notion : par exemple Cécile Duflot et Sylvia Pinel étaient ministres du logement et de « l’égalité des territoires ».
J’avoue que cette notion de « cohésion des territoires » me paraît très alarmante, déstabilisante, parce que c’est presque une façon de reconnaître qu’il y a beaucoup d’« interstices » et de vide.
Je me demande par ailleurs si un des éléments des difficultés de la France dans ce domaine ne vient pas de la concurrence de l’Union européenne qui a son propre projet d’aménagement du territoire : J’ai découvert ces jours-ci un document qui a été élaboré sous la présidence allemande du Conseil européen au premier semestre 1999, intitulé : « Schéma de développement de l’espace communautaire » [2].
Jean-Pierre Chevènement
Je me tourne vers Monsieur le ministre à qui je laisse le mot de la fin. Il y a droit car nous avons été très heureux qu’il nous ait consacré tant de temps pour nous écouter mais aussi pour nous instruire sur la méthode.
Jacques Mézard
Je vous avoue que je préfère nettement la notion de « cohésion des territoires » à celle d’« égalité des territoires ». L’égalité des territoires, à propos de territoires extrêmement différents, non seulement au niveau des ressources mais dans leur constitution, ne veut rien dire. La cohésion des territoires signifie que nous devons justement rétablir les équilibres à la fois territoriaux et humains. Non seulement cela ne m’effraie pas mais je pense que c’est un progrès par rapport à la situation ante.
J’ajoute que nous n’avons pas abordé la question de la fonction publique territoriale, vaste sujet qui va être bientôt ouvert.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Monsieur le ministre. Merci à tous les intervenants. Merci à Monsieur le professeur Dumont qui nous a montré que l’histoire, c’est-à-dire l’identité des territoires, était un atout capital sur lequel ils pouvaient s’appuyer pour rebondir. Merci à Jean-Pierre Duport, avec toute son expérience, Merci à Marie-Françoise Bechtel et à Claude Rochet.
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[1] Publication du CNER, « Intelligence économique des territoires – Théories et pratiques », Olivier Coussi (dir), Patricia Auroy (dir), Jean-François Nativité
[2] Schéma de Développement de l’Espace Communautaire. Vers un développement spatial équilibré et durable du territoire de l’Union européenne.
Le cahier imprimé du colloque « Désertification et réanimation des territoires » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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