Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « L’Allemagne et la construction de la stabilité européenne » du mercredi 10 février 2021

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Nous sommes aujourd’hui le 10 février 2021 et nous allons consacrer nos travaux à l’Allemagne dans la construction de la stabilité européenne. Quelles sont les perspectives ?

Nous ont rejoints pour en débattre :
– M. Blume, journaliste allemand, correspondant de l’hebdomadaire allemand Die Zeit à Bruxelles (économie, culture).
– M. le professeur Husson, président de la Fondation Robert de Sorbon, directeur de l’Institut Franco-Allemand d’Études Européennes, qui enseigne l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe à l’Université de Cergy-Pontoise. C’est à la suite de la parution de son livre Paris-Berlin : la survie de l’Europe (Gallimard, octobre 2019), qui aborde une grande variété de sujets, que nous avions eu, en mai 2020, l’idée d’organiser ce colloque. Le Covid a retardé ce projet mais la désignation de M. Armin Laschet comme successeur de Mme Merkel à la tête de la CDU nous donne une visibilité un peu plus grande sur ce qui va se passer outre-Rhin.
– Enfin, M. Cayla, économiste, professeur à l’Université d’Angers, auteur de plusieurs articles et essais, dont l’un, Populisme et néolibéralisme : il est urgent de tout repenser (De Boeck Sup, 2020), porte un très bon titre car, à l’évidence, certains concepts souffrent bien souvent d’un manque de rigueur.

Je partirai d’une rétrospective historique.

La construction européenne doit beaucoup à la France qui, au lendemain des deux guerres mondiales, a perçu le caractère insoluble de la contradiction et du conflit entre la France et l’Allemagne. Les Allemands sont nos voisins. Ce sont nos « cousins germains ». Au-delà de la géographie, nous prenons en considération tout ce que la culture allemande a apporté à la philosophie, à la musique, à la poésie. C’est donc un grand pays avec lequel nous savons que nous devons travailler.

Une boutade approche la réalité des années 1870-1945 : « L’Allemagne est trop puissante et trop centrale pour ne pas chercher à dominer l’Europe, mais elle n’est pas assez puissante pour y parvenir. » Comment sortir de là ?

Après les deux guerres mondiales, la France a changé son approche de la question allemande.

À la rivalité de puissances traditionnelle, la France a voulu substituer une stratégie de dépassement à travers l’Europe.

A. Briand, de 1925 à 1930, a proposé le chemin d’une « union politique » de l’Europe, qui se heurtait à la position du chancelier Stresemann, lequel voulait commencer par l’économie. Cette démarche a donc surtout été prise à contrepied par la crise de 1929 et par l’arrivée d’Hitler au pouvoir.

Elle a été reprise, en 1950, sous l’inspiration de Jean Monnet, par Robert Schumann : ce fut la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA) et ses suites. Après l’échec de la Communauté européenne de Défense (CED, 1954) et la Conférence de Messine (1955), le traité de Rome instituant le marché commun, conclu en 1957, entre en vigueur en 1960. Le général de Gaulle donne le cachet d’une légitimité nationale incontestable à cette démarche qui ne sera plus réellement contestée à partir du moment où il crée les conditions d’un rapprochement avec l’Allemagne. On se souvient de la réception du chancelier Adenauer à Colombey en 1958 et du voyage du général de Gaulle en Allemagne en 1962.

Après un premier succès, la Politique agricole commune (PAC), en 1962, la même année voit l’échec du plan Fouchet de relance confédérale de l’Europe des Six (France, Allemagne, Italie et pays du Benelux). Le traité de l’Élysée, conclu en janvier 1963, ne permettra pas de surmonter cet échec car il a été vidé de sa substance par le vote d’un Préambule, inspiré par Jean Monnet, qui faisait que les affirmations contenues dans le traité de l’Élysée étaient contredites par la primauté réaffirmée de la solidarité transatlantique de l’Allemagne avec les États-Unis [1].

L’Europe s’est faite avec difficulté. Il a fallu attendre dix ans, après l’élan donné par De Gaulle et Adenauer, pour une relance européenne opérée par Giscard d’Estaing et Helmut Schmidt, avec la création du Conseil européen (1976) et surtout le Système monétaire européen (SME) entré en vigueur en 1979, en même temps que l’élection du Parlement européen au suffrage universel. Ces choix préfigurent la suite.

À partir de 1983, le projet européen se confond de plus en plus avec l’acceptation du modèle néolibéral à travers la dérégulation généralisée instituée par « l’Acte Unique », conclu en 1985 (sous l’égide de Jacques Delors, devenu président de la Commission européenne en 1984), ratifié en 1987, mis en vigueur dans les années 1990. Plus de 300 directives seront élaborées par la Commission européenne sur la base de ce traité du Luxembourg (Acte unique). Je me souviens avoir appartenu au gouvernement dont le Premier ministre était Michel Rocard où le « meilleur élève » était le ministre qui transposerait le plus rapidement en lois les directives européennes de la Commission (comme ministre de la Défense, je n’étais pas concerné). Ainsi la libération des mouvements des capitaux sans harmonisation fiscale préalable intervient en 1990, à l’intérieur de l’Europe mais aussi vis-à-vis des pays tiers. Et, compte tenu du fait que l’Europe est le premier acteur commercial mondial, cela veut dire une dérégulation à l’échelle mondiale, ce qui justifie la thèse de l’économiste américain Rawi Abdelal qui explique que les Français, c’est-à-dire Jacques Delors et son équipe, ont joué un rôle capital dans l’instauration de ce qu’on a appelé par la suite la « globalisation » [2].

C’est ensuite le traité de Maastricht (1991/1992), après le coup d’accélérateur que représente l’unification de l’Allemagne, l’implosion de l’URSS, le rapprochement des deux parties de l’Europe, l’élargissement du Marché commun (la Communauté européenne, comme on disait à l’époque). Ce traité prévoit notamment la création d’une monnaie unique sans qu’auparavant ait été définie une politique économique commune, en tout cas un gouvernement économique de la zone euro. C’est un peu « la charrue mise avant les bœufs ». Le texte du traité est assez clair : l’ordolibéralisme allemand s’impose au reste de l’Europe en tous domaines : budgétaire, monétaire, respect de la concurrence, etc.

Après l’entrée en vigueur de la monnaie unique en 1999, s’ouvre une période qui conduit à la crise financière de 2008. Il y a bien sûr la crise de la bulle technologique en 2001-2002 qui précède la crise des subprimes en 2008 qui va déboucher elle-même sur une crise de la zone euro (2010), laquelle va durer jusqu’en 2019 malgré les tempéraments apportés par M. Draghi en 2012-2015. Cette crise de la zone euro s’illustre par la mise en œuvre d’une politique déflationniste qui va creuser l’écart entre les pays de l’Europe du Nord et ceux de l’Europe du Sud où vont s’élargir les fractures sociales.

Ces choix qui ont été ceux du néolibéralisme et de l’ordolibéralisme vont être progressivement remis en cause.

Cet édifice, de plus en plus miné par ses contradictions internes, va être discrètement sapé par les initiatives de M. Draghi qui, succédant à M. Trichet comme président de la Banque centrale européenne, décide à partir de 2012 le rachat massif sur le second marché monétaire des titres publics émis par les États, puis, à partir de 2015, une politique de création monétaire (monetary easing) pour sauver la zone euro. M. Draghi y parviendra sans pour autant éviter les souffrances que des plans de restriction imposeront aux pays de l’Europe du Sud. On se souvient notamment de la crise grecque en 2010-2015.

Puis surgit la crise du Covid (mars-juillet 2020). On est tenté de lui imputer la responsabilité principale d’une suspension des dogmes de l’ordolibéralisme. Mais en réalité les choses se font à plus bas bruit.

D’abord, Mme Lagarde, qui a succédé à M. Draghi, a poursuivi et accentué cette politique monétaire accommodante, soutenue par une majorité au sein du Conseil des Gouverneurs de la BCE (mais contestée par M. Jens Weidmann qui représente l’Allemagne au sein du Conseil des gouverneurs). Plus de 2000 milliards d’euros ont été mis sur le marché. Cette politique s’inspire beaucoup mais avec retard du modèle du Federal Reserve Board américain.

La deuxième rupture sensible : la suspension des clauses restrictives en matière budgétaire (déficit limité à 3 % du PIB) intervient en 2020, de même que sont suspendues les interdictions concernant les aides d’État. L’Allemagne elle-même suspend sa « règle d’or » dite « Schwarze Null ». Cette réforme constitutionnelle instituant l’objectif d’un déficit budgétaire égal à 0.35 % du PIB et d’un endettement public ramené à 60 % du PIB avait été adoptée en 2009 par le Bundestag et le Bundesrat. Je me souviens d’une conversation avec le président de la Commission des finances du Bundesrat en 2009 : « Comment pouvez-vous prendre une telle décision sans vous en être ouvert à la France, bref sans concertation ? », lui avais-je demandé. « Pourquoi ? L’absence de déficit est bonne en soi ! », m’avait-il répondu. Je n’avais pu pousser plus loin cette conversation qui s’était d’ailleurs terminée très agréablement autour d’un vin du Palatinat, mon interlocuteur étant un viticulteur de Landau.

Le plan de relance national allemand de 2020 est plus massif que le plan français.

Aujourd’hui, le bras droit d’Angela Merkel à la Chancellerie fédérale, M. Helge Braun, est allé jusqu’à déclarer : « Le frein à la dette ne pourra pas être respecté dans les années à venir », suscitant une levée de boucliers chez les dirigeants de la CDU-CSU. Mais cela a été dit.

Un autre point très important est l’adoption par le Conseil européen du 21 juillet 2020 d’un plan de relance européen de 750 milliards d’euros dont 390 sous forme de subventions dont le remboursement sera mutualisé entre les États. Le reste, soit 360 milliards, sera accordé sous forme de prêts. Incontestablement les choses ont bougé.

Sur quoi débouche cette remise en cause des postulats de l’ordolibéralisme allemand ? Mme Merkel, à la fin de son 4ème mandat, a-elle renié les principes qu’elle avait imposés avec tant de fermeté depuis son avènement en 2005 ?

Il faut, à ce stade, distinguer les clauses des traités européens et la décision de mutualisation d’une partie de la dette européenne en rupture avec la politique antérieure.

S’agissant des clauses des traités, elles ont été seulement « suspendues » sans qu’on sache très bien si – et quand – elles pourront être rétablies. Cela dépendra de la durée de la crise du Covid (2022, voire au-delà).

D’ores et déjà, la guerre a éclaté sur le front idéologique. Peut-on annuler cette dette vis-à-vis des banques centrales ? Ou seulement l’étaler à travers des formules proches de la « dette perpétuelle » ? Ou bien faut-il dès maintenant claironner la décision de la rembourser quoi qu’il arrive ?

On peut s’interroger sur l’opportunité ou la pertinence actuelle de ce débat dont la réponse est évidemment politique et devrait s’envisager dans un cadre mondial. Du moins cette controverse dessine-t-elle des lignes de front idéologiques, à défaut de recouvrir des oppositions politiques aujourd’hui pertinentes.

En arrière-plan, se dessine un autre débat : faut-il revoir les traités européens, conçus et appliqués alors que le cycle néo-libéral était à son acmé ? Ou seulement en changer la pratique ? Ou un mixte des deux ?

S’agissant de l’acceptation d’une certaine mutualisation de la dette contractée pour la première fois par l’Union européenne, Mme Merkel s’était exprimée assez clairement pour dire que cette entorse majeure faite aux principes jusqu’à présent défendus par l’Allemagne était une mesure exceptionnelle, due au Covid, qui ne serait pas renouvelable, un point de vue largement partagé au sein de la CDU-CSU, mais aussi par une majorité du SPD, qui refuse de voir le contribuable allemand « payer pour l’Europe ».

Relativisons cependant : 390 milliards d’euros – sur 3 ans – représente seulement 2,5 % d’un PIB annuel de la zone euro qui avoisine 15 000 milliards d’euros.

Pour la majorité des conservateurs allemands, cette concession faite à l’occasion de la crise du Covid ne saurait être renouvelable. Nul ne peut ignorer que la « redistribution » à l’échelle de la zone euro, si elle devait se poursuivre, se heurterait à des difficultés encore plus grandes qu’à l’échelle nationale. Bonjour les « radins » (c’est ainsi qu’on nomme les pays dits « frugaux ») !

Incontestablement, l’Allemagne d’Angela Merkel a « ouvert le jeu » en acceptant la prolongation d’une « politique monétaire accommodante », en revenant sur la règle qu’elle avait constitutionnalisée du « Schwarze Null », en suspendant le plafond des 3 % du déficit étendu à ses partenaires, objet du TSCG, et enfin en admettant l’idée d’une mutualisation de la dette européenne.
Ces concessions annoncent-elles une « autre politique » ? Gardons-nous de céder à un enthousiasme médiatique prématuré.

Comment tout cela a-t-il pu arriver ?

Il faut se souvenir que la mondialisation a commencé il y a plus de quarante ans dans un certain contexte international entre les États-Unis et la Chine. Chacun a en mémoire le voyage de M. Nixon à Pékin, à l’initiative de M. Kissinger, et la politique de M. Deng Xiaoping après la mort de Mao Tsé-Toung (dite des « quatre modernisations »).

Cette mondialisation, qui s’est développée sur quatre décennies, a abouti à des tensions croissantes au sein de la zone euro provoquées par la prolongation de la politique austéritaire dictée par l’ordolibéralisme aux pays de l’Europe du Sud (crise grecque 2010-2015, notamment). Elle s’est traduite aussi par le vote du Brexit en Grande-Bretagne (2016), la crise des réfugiés, en 2015, la venue au pouvoir d’une coalition eurosceptique en Italie (2017), enfin par les élections allemandes de septembre 2017, où la CDU plafonne à un niveau plus faible que son niveau traditionnel, et où l’on a vu surgir l’AfD (Alternative für Deutschland) à l’avant-scène, tout ceci entraînant une moindre gouvernabilité allemande. Chacun se souvient des six mois qui ont été nécessaires pour ne pas constituer, en définitive, un gouvernement « jamaïcain » (noir pour la CDU-CSU, jaune pour le FDP, vert pour Die Grünen), et pour reconduire, in fine, la große Koalition entre le SPD et la CDU.

Parmi les causes de ce changement de cap effectué par l’Allemagne en 2020 il ne faut pas compter pour rien l’élection de Donald Trump aux États-Unis en 2016, l’affirmation de la politique chinoise par Xi Jinping et l’affichage clair de ses objectifs d’autonomie technologique (Made in China 2025).

On conçoit que l’Allemagne d’Angela Merkel ait pu éprouver un sentiment de profonde solitude. Comment ne pas tomber dans le « piège de la bipolarité » par alignement sur l’un des deux grands partenaires qui se disputent l’hégémonie mondiale ?

La posture « propositionnelle » d’Emmanuel Macron, exprimée dans son discours de la Sorbonne en mars 2018 qui prévoyait un budget de la zone euro égal à plusieurs points de PIB européen, n’a pas suffi à débloquer la situation. Néanmoins elle a contribué à faire « bouger les lignes ». Mme Merkel n’a admis un budget de la zone euro qu’à hauteur de quelques dixièmes de points du PIB, soit dix fois moins que proposé. Mais le climat créé a fait qu’au moment de la crise du Covid, pour toutes les raisons que j’ai rappelées, les choses ont pu réellement bouger dans le bon sens.

Il ne faut pas compter pour rien la manière dont Emmanuel Macron a su, à travers les élections européennes de 2019, « rebattre les cartes ».

Avec « Renew Europe » la coalition du PPE et du PSE, deux groupes au Parlement européen présidés par un Allemand, a cessé d’être majoritaire. Le « Spitzenkandidat » qui s’était imposé par la force de l’habitude, M. Manfred Weber, a pu être écarté de la présidence de la Commission européenne au profit de Mme Ursula Von der Leyen (aujourd’hui contestée pour des raisons superficielles car le regroupement européen des commandes de vaccin avait un certain sens). Un nouvel attelage s’est donc installé à la tête de l’Europe. Mme Christine Lagarde à la tête de la BCE, M. Charles Michel comme président du Conseil Européen, M. Josep Borell comme Haut représentant pour la politique extérieure. Ajoutons la nomination de M. Thierry Breton à la Commission pour le marché intérieur et la politique industrielle.

Enfin Emmanuel Macron a su faire « pencher la balance » avant le conseil européen de juillet 2020, en s’appuyant sur le groupe des 9, en fait essentiellement sur l’Espagne et l’Italie, mais avec le concours de certains pays de l’Europe du Nord, comme la Belgique et l’Irlande.

Je terminerai par deux (ou trois) questions :

D’abord pour la France, quel est le bilan de sa politique européenne maintenue contre vents et marées depuis soixante ans ?

La dégradation de notre position relative en Europe est évidente. Et pas seulement à travers les chiffres du commerce extérieur. On peut dire que l’élection d’Emmanuel Macron en 2017 a peut-être été une ultime tentative de « sauver les meubles » ? Cette initiative, dans un premier temps non payée de retour, a trouvé un sens à travers la crise du Covid. Celle-ci, cependant, affaiblit les « points forts » de la France (aéronautique, tourisme, etc.). La crise actuelle nous donne-t-elle cependant les moyens de redresser la barre ? La question est ouverte. On peut aussi se poser la question de savoir si nous avons reconnu la Chine en 1964 pour nous claquemurer aujourd’hui vis-à-vis d’elle ? Que fait la France sur le marché chinois ? Et que peut-elle faire ?

La deuxième question concerne l’Allemagne :

Que veut-elle en définitive ? Grâce en partie à l’Europe elle a récupéré sa souveraineté et son unité. Depuis la réunification, elle a encore consolidé sa prépondérance économique. Que cherche-t-elle aujourd’hui en priorité ? Le leadership en Europe ? Mais à quel prix pour ses partenaires de la zone euro, particulièrement en Europe du Sud ? L’Europe représente pour l’Allemagne une sorte de « cocon protecteur ». Quel prix l’Allemagne est-elle prête à payer pour maintenir ce cocon et éviter la dissociation de la zone euro qui lui a été et lui reste plus qu’utile : indispensable ?

La consolidation de son industrie dans la compétition mondiale résume-t-elle sa politique comme peut le faire croire l’accord Europe-Chine sur les investissements conclu par la Présidence allemande, au bénéfice principal de l’Allemagne devenu le premier client et le premier fournisseur de la Chine ?

L’Allemagne a par ailleurs besoin du gaz pour résoudre le problème énergétique qu’elle s’est créé elle-même, en décidant, en 2011, de sortir du nucléaire et de promouvoir des énergies alternatives intermittentes (éolien, solaire). Comment reprocher à l’Allemagne ses émissions de gaz carbonique dues à l’utilisation du charbon et du lignite, si on l’empêche d’utiliser du gaz deux fois moins polluant ? Et quel intérêt y-a-t-il encore à freiner Nord Stream 2 [3] dès lors que la dépendance créée l’est pour les deux parties ? L’Allemagne a ses problèmes. Mieux vaut l’aider à les résoudre quand cela ne se fait pas à notre détriment. Soyons pragmatiques !

Pour finir, quel sens le projet fédéral européen formulé au départ garde-t-il pour l’Allemagne ? Et pour nous ?

Peut-être y a-t-il une place pour une troisième question : Quelle place pour l’Europe dans le monde du XXIe siècle ?

À cette question n’y a-t-il pas des réponses pratiques à apporter, secteur par secteur et, par conséquent, à géométrie variable ?
D’éminents spécialistes vont éclairer notre lanterne.
– M. Blume nous décrira l’Allemagne à huit mois des élections législatives de septembre 2021 et la France vue d’Allemagne.
– M. Husson nous dira ce qu’il ajouterait à son livre Paris-Berlin, la survie de l’Europe un an après sa parution. Et surtout quel regard il porte sur l’Allemagne de 2021. Je veux saisir cette occasion pour lui dire ma reconnaissance pour la précieuse contribution qu’il nous apporte sur l’Allemagne en tant que chercheur. J’ajoute qu’il a le droit d’avoir ses opinions politiques, que je ne connais d’ailleurs pas pour n’avoir pas abordé ce sujet avec l’ancien vice-chancelier des universités de Paris, qu’il a été il y a une dizaine d’années. En effet la fondation Res Publica est reconnue d’intérêt public. La liberté d’opinion y est la règle.
– M. Cayla, à la fin, apportera sa vision, qui n’est pas forcément la même et surtout un regard critique éclairé.

C’est cette libre confrontation des analyses qui fait l’intérêt des colloques de la Fondation Res Publica.

Enfin, je tenterai de remplacer au pied levé M. Wieder, correspondant du journal Le Monde à Berlin, qui n’a pas pu être parmi nous et vous prie de l’excuser.

Je me tourne vers M. Blume. Willkommen, Herr Blume. Nous vous connaissons par vos écrits et nous sommes très curieux et intéressés de vous entendre.

—–

[1] À l’heure de ratifier le traité, le 15 juin 1963, les députés allemands du Bundestag lui ajoutent un préambule « assassin » qui rappelle leurs objectifs primordiaux : « une association étroite entre l’Europe et les États-Unis d’Amérique » et une unification de l’Europe « en y associant le Royaume-Uni », à la grande colère de De Gaulle, qui voit réduite à néant son aspiration à une Europe indépendante. (NDLR)
[2] Rawi Abdelal et Sophie Meunier, « Mondialisation : la French Touch », Telos, octobre 2007. (NDLR)
[3] Interrompu depuis fin 2019 après des sanctions américaines, le chantier du controversé gazoduc Nord Stream 2 reliant la Russie et l’Allemagne a repris le 11 décembre 2020, malgré une récente mise en garde des États-Unis. (NDLR)

Le cahier imprimé du colloque « L’Allemagne et la construction de la stabilité européenne » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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