Conclusions par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Quelles institutions pour demain ? » du mercredi 22 septembre 2021
Nous avons en commun la conviction qu’il faut déverrouiller la souveraineté nationale qui est maltraitée en profondeur alors que tout l’imaginaire national, comme Stéphane Rozès l’a très bien dit, repose sur ce qu’elle est.
Il faut aussi comprendre que la République française n’est pas une forme mais une substance. Elle est substantielle, par opposition à d’autres pays qui ont le nom de république. La République française induit un certain nombre de comportements politiques, elle induit des formes d’appel au peuple, des formes d’expression du peuple, ce qui pose le problème du rôle des partis et du Parlement dans des institutions que nous ne voulons pas déséquilibrer.
Non seulement nous avons une matière très riche mais je crois que les analyses sont largement convergentes et que des propositions articulées en découlent.
Le point commun des interventions est que chacune à sa façon a traité du lien entre crise interne et crise externe de nos institutions.
C’est de ce lien que découle ce que nous cherchons à faire :
Nous cherchons à déverrouiller la souveraineté nationale par la reconstitution des conditions d’un débat politique permettant de véritables alternatives politiques. C’est là le substrat de la légitimité de l’action des pouvoirs publics, en premier lieu celle du président de la République. Pour la reconstitution d’une volonté nationale fondée sur l’intérêt général et qui ne soit pas négatrice de l’imaginaire du peuple, il faut que la voix de la France puisse porter en Europe. L’erreur que fut le quinquennat suivi des législatives est donc la dérive la plus importante à corriger. Il faut reconstituer cette double respiration qui nous manque : celle d’un président de la République sorti de l’interpellation permanente quant à sa mise en œuvre d’un programme en réalité gouvernemental et celle d’une représentation nationale totalement inféodée au parti majoritaire et pour laquelle l’alternance politique, lorsqu’elle se produit, n’est que la reprise en symétrique du même système.
Un des mérites de la crise qui a débuté avec les Gilets Jaunes et s’est prolongée jusqu’aux conventions dites citoyennes est d’avoir mis cela au jour. On le voyait moins clairement en 2016 lorsque nous avions fait notre colloque sur la souveraineté du peuple.
Quelles sont les propositions qui pourraient, dans cet esprit, découler de nos échanges ?
En tenant compte de la mise en garde faite par Jean-Pierre Chevènement contre le risque d’irréalisme dans la conjoncture très difficile et très exigeante à la fois qui se dessine pour la France en Europe, il me semble que nous pourrions regarder comme bénéfiques les propositions suivantes :
1/ Reconstituer le temps long de l’action présidentielle : 6 ans, avec 4 ans pour un mandat législatif reposant sur des élections législatives déconnectées dans le temps de la présidentielle ou bien 7 et 5. Le débat en tout cas n’est plus tabou depuis quelque temps. C’est un indice. La seule mesure qui serait selon moi à écarter serait le mandat non renouvelable. Ce qui compte est la question de la durée et de la non coïncidence. Comme le dit Anne-Marie Le Pourhiet on élit aujourd’hui un président de la République sur un programme de gouvernement… Or le Président a aujourd’hui une fenêtre : c’est que les Français ont compris que leur avenir se jouait en dehors de la France, et donc intégré le rôle qu’il devrait assumer à titre principal.
2/ Rénover la démocratie représentative y compris pour le motif d’envoyer un signal de cohésion nationale par opposition à la fragmentation des initiatives prétendues « citoyennes », d’ailleurs plus sollicitées que spontanées. Pour cela :
– Revenir sur le non cumul des mandats qui était une erreur d’analyse sur le rapport des élus aux citoyens. Là aussi le thème n’est plus tabou. Un mandat de maire, rien d’autre. (En revanche les cumuls horizontaux de fonctions territoriales renforcent la bureaucratie et l’autocratie des appareils de partis. Ce sont eux qu’il convient de limiter et drastiquement). Renforcer les moyens des élus (un sénateur américain a plusieurs dizaines de collaborateurs).
– Plus problématique serait sans doute l’abandon de la session unique instituée en 1995 qui a contribué à déconnecter le député du territoire qui l’a élu sans lui donner au contraire un meilleur outillage pour faire la loi. Mais cette réforme est indissociable d’une réforme de beaucoup plus vaste ampleur qui consisterait à limiter le flot législatif : serpent de mer qui mériterait à lui seul un vrai examen. C’est un autre débat en raison de son ampleur.
– et bien sûr ce qui permettra en tout cas au Parlement de débattre à nouveau est la déconnection du temps parlementaire et du temps présidentiel puisque la loi du parti de la majorité – lorsqu’il est en position dominante – n’aura plus la même force.
3/ Il est une institution dont nous n’avons pas ou peu parlé : celle du Premier ministre et du gouvernement. Celui-ci devrait bénéficier du retour au temps long, le Président n’intervenant que pour arbitrer certains débats plus délicats ou plus fondamentaux. L’extension des lois de programme pluriannuelles y compris les lois budgétaires pour l’exécution du programme gouvernemental pourrait être une piste intéressante (restant toutefois à explorer) car elle donne de la densité au débat et de la continuité à l’action gouvernementale.
4/ Enrichir le référendum comme proposé par Benjamin Morel et par le professeur Mathieu, d’une part quant aux matières nécessairement soumises au vote populaire (en tout état de cause tout engagement européen), d’autre part en permettant les initiatives référendaires venues du peuple au moins en certaines matières. « Qui a peur du RIC ? » demandait tout récemment Anne-Marie Le Pourhiet. Vraie question. Car si l’alternative est de bricoler des participations citoyennes à des débats dont il n’est pas prouvé qu’ils intéressent le peuple français tout entier et d’inventer des systèmes, tel le tirage au sort, qui sont la négation de la souveraineté du citoyen, alors il faut ouvrir plutôt le référendum national lui-même. Cette réforme aurait aussi le mérite de soustraire les lois ainsi votées au contrôle du Conseil Constitutionnel qui a beaucoup dérapé, on l’a dit, dans le sens de la mise sous tutelle de la volonté du législateur – mais je vois le professeur Mathieu et, dans la salle, Jean-Éric Schoettl et Anne-Marie Le Pourhiet faire des signes de dénégation – dans ce cas c’est une raison supplémentaire pour revoir les conditions de contrôle du Conseil constitutionnel sur la loi référendaire (autre que constitutionnelle qui, elle, échappe à son contrôle).
5/ Il reste la question de la citoyenneté elle-même comme base de notre système républicain et démocratique. La République en France, je le disais, n’est pas seulement une forme, c’est une substance : c’est pourquoi refaire des Français « archipellisés » des citoyens est un défi qui dépasse la question institutionnelle mais qui la fonde. C’est un défi pour l’éducation, pour la justice et pour la crédibilité de la parole politique. Ce défi conduit à des réformes profondes allant au-delà des réformes proprement institutionnelles. On ne peut pas confondre les sujets mais on doit constater les liens évidents qui existent entre eux …
Voilà donc les propositions que notre Fondation pourrait raisonnablement mettre dans le débat public sans s’abstraire de l’urgence temporelle : décisions capitales à prendre au niveau européen, présidence par la France du Conseil européen au 1er semestre 2022 et bien sûr présidentielles.
Qu’il me soit seulement permis pour finir de mentionner quelques réformes – qui seraient beaucoup moins consensuelles – de nature à générer des débats dont la vivacité même risquerait de les rendre contreproductifs. Je les pointe très rapidement :
1/ D’abord la réforme du contrôle de constitutionnalité : on ne peut empêcher le Conseil constitutionnel de donner des interprétations de la Constitution ou de choisir des terrains de censure de la loi parfaitement inattendus ; on pense pour la première catégorie à la portée normative soudainement donnée au « principe de fraternité » figurant dans la devise républicaine : là, il est difficile de réformer. Mais on pense aussi aux motifs de censure surmultipliés qui mettent en péril la stabilité de la volonté générale -sans parler même de la QPC dont notre ami Jean-Éric Schoettl avait pointé lors du précédent colloque les très graves travers. Nous avons ici même préconisé il y a longtemps avec le professeur Troper, et plus récemment avec Jean-Éric Schoettl justement, le « lit de justice », inventé par le doyen Vedel (qui ne préconisait pas l’adoption de ce système). La vérité est qu’il n’y a pas d’autre moyen que de demander au Parlement de confirmer son vote initial pour rendre à la loi son caractère d’émanation de la volonté générale mais qu’une telle réforme se heurterait à un lobbyisme pro-Conseil constitutionnel très puissant. Elle courrait aussi le risque de voir les majorités qualifiées qui seraient nécessaires pour confirmer la loi censurée par le juge constitutionnel se concentrer sur certains sujets au détriment d’autres, moins consensuels. Il ne faut pas se voiler la face : il sera plus facile de trouver une majorité qualifiée des 2/3 du Parlement pour confirmer une loi à visée sécuritaire qu’une loi de progrès social …
Le problème que nous avons avec le Conseil constitutionnel est qu’il invente ce qu’un juriste éminent appelait « des principes à la petite semaine », déstabilisant les représentants élus du peuple et par là même la volonté générale et qu’il ne fait pas vraiment son devoir là où on l’attendrait c’est-à-dire pour protéger notre Constitution contre les empiètements des traités européens. Au total il contribue puissamment à renforcer la mise sous tutelle de la souveraineté nationale que ce soit en abaissant la représentation nationale ou en laissant nos principes constitutionnels sans défense devant les empiètements progressifs des cours européennes, CJUE et CEDH. D’où l’intérêt de réformes renforçant l’identité constitutionnelle de la France qui intégreraient notamment les principes du service public en les mettant pour le futur hors d’atteinte des règles du marché unique. On peut citer aussi le cas des forces armées qu’il est indispensable de soustraire à l’application stupéfiante de la directive européenne de 2003 sur le temps de travail décidée prétoriennement par des juges européens peu soucieux de respecter un élément majeur de la souveraineté des États. Encore n’est-ce là qu’un exemple, le dernier en date, de dérives dont l’effet pourrait être très grave si les autorités nationales ne réagissaient pas.
2/ Par ailleurs et complémentairement une réforme de la justice s’impose :
– d’une part au regard des dérapages du juge, très fortement analysées il y a un instant par le professeur Mathieu, par rapport à la conduite de l’action politique, juge dans lequel j’ai le grand, le très grand regret de devoir inclure depuis peu le Conseil d’État. L’office du juge par rapport à celui du gouvernement est à repenser à la lumière des excès récents telles les injonctions faites à celui-ci en matière de mise en œuvre de ses engagements climatiques. Le professeur Mathieu a été très clair sur ces questions.
Il convient aussi de réformer la Cour de Justice de la République en la sortant de la logique pénale qui, malgré les précautions prises lors de sa mise en place en 1993, n’a pas su trouver l’équilibre entre la mise en cause légitime d’un ministre à raison de son comportement privé et la conduite de la mission ministérielle qu’il n’appartient qu’à la démocratie de censurer.
– d’autre part en ce qui concerne la faible protection accordée par le juge à la loi nationale au regard de la supériorité des traités, ne prenant en considération qu’a minima la protection en forme d’écran que peuvent fournir nos règles et principes constitutionnels. La dialectique loi nationale-supériorité des traités ne va pas, comme le disait le professeur Troper jusqu’au consentement à des pertes de souveraineté qui n’ont jamais été mises clairement sur la table. Cette réforme suppose d’abord un rappel que la loi nationale est, pour le juge suprême que sont le Conseil d’État et la Cour de cassation, l’horizon indépassable et cela ne peut être fait que par la voie d’une révision constitutionnelle.
Pour finir, j’en reviens au raisonnable : la démocratie française, comme l’a bien montré Stéphane Rozès n’est elle-même que si elle se reconnaît non seulement dans un programme mais dans un projet. C’est pourquoi, si l’on veut combattre les « passions négatives » rien ne vaut la réanimation d’un débat national porteur de politiques alternatives crédibles. Il y a certes matière à désespérer de ce point de vue lorsqu’on regarde l’état des partis politiques. Mais on peut aussi faire le pari que ceux-ci pourraient se rénover si la représentation nationale qui est leur débouché naturel reprenait force, vie et couleurs. Les grandes voix qui se sont éteintes, celles de Clemenceau, de Jaurès, et bien sûr de Victor Hugo n’ont pas d’équivalent aujourd’hui. Mais la parole ainsi que l’élan oratoire lui-même reste, y compris à l’heure du numérique, un élément majeur de la reconnaissance d’un destin commun et de la coagulation de l’adhésion des citoyens. Aider la représentation nationale à recolorer le débat, permettre au gouvernement de gouverner, permettre au président de la République de porter haut et fort la voix de la France en un moment où nos intérêts vitaux l’exigent, ce serait un premier temps fort de la réforme de nos institutions.
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Le cahier imprimé du colloque « Quelles institutions pour demain ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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