Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Quelles institutions pour demain ? » du mercredi 22 septembre 2021
Vous nous avez invités, Jean-Pierre Chevènement, à regarder le monde où nous sommes, le monde où nous vivons, sa cruauté, ses difficultés et les très grands défis qui se posent à un pays comme le nôtre et au continent européen tout entier.
« On ne peut pas assumer la défense d’un État qui n’existe pas », disiez-vous. C’est vrai. L’État français existe, il est devant des défis considérables.
Une question que nous posons ici est de savoir jusqu’à quel point, dans la crise institutionnelle que nous vivons, des réformes institutionnelles bien pensées, bien mûries, peuvent aider notre pays à passer à l’offensive pour son avenir, c’est-à-dire à s’inscrire d’une manière ferme et utile dans son avenir patriotique et européen.
Nous avions consacré en 2016 un colloque consacré à l’exercice de la souveraineté par le peuple [1]. Et je crois que les analyses qui en étaient ressorties restent aujourd’hui parfaitement valables.
Pour résumer ce colloque en peu de mots, nous y disions que c’est l’affaiblissement du débat politique marqué par l’absence d’alternatives fortes qui fait la crise de notre système démocratique et que celle-ci est accentuée par des institutions qui justement confisquent le débat politique. Nous liions cette aphanisis du discours politique, ce lent et progressif évanouissement, à la perte de souveraineté externe : la remise du pouvoir de délibération nationale aux mains d’un pouvoir supranational auquel le peuple français pouvait légitimement estimer au fil du temps n’avoir jamais consenti – consenti à ce point. Ce facteur majeur, le lent délitement de la souveraineté externe, corrode l’exercice même de la souveraineté nationale au sens interne c’est-à-dire le jeu même des institutions. Pour être plus précis dans ce tableau initial, le fait majeur des vingt dernières années est le développement en parallèle des facteurs internes et externes qui ont atteint l’exercice de la souveraineté. Facteur interne, le quinquennat suivi des élections législatives a tué le débat politique, dénaturé l’esprit même des institutions – qu’il s’agisse de la vision que peut porter le président de la République, de la place du gouvernement dans la vie de la nation et de celle du débat parlementaire dans la vie démocratique. Facteur externe, nous avons connu l’accélération de deux éléments : d’une part la dépendance accrue des grands choix économiques nationaux qu’ils soient industriels ou budgétaires – avec notamment le TSCG ratifié fin 2012 – d’autre part la dépendance des choix de société avec la montée en puissance d’un pouvoir des juges largement fondé sur les normes européennes imposant un affaiblissement du choix politique dont il réduit l’éventail , sape l’autorité et sur lequel il n’a de cesse de jeter le discrédit : la consternante décision de la Cour de Justice de la République dans l’affaire Buzyn en est la manifestation la plus récente.
Ces deux trajectoires, celle d’institutions devenues inadaptées à la délibération publique et celle d’un droit supra national rongeant les prérogatives mêmes du pouvoir politique ont d’ailleurs un point de rencontre : c’est entre 2002 et 2005 que se noue la défaite essentielle de nos institutions. 2002 : le démarrage du système du quinquennat avec élections législatives dans la foulée tue le débat partisan tout en renforçant la bureaucratie interne des partis de gouvernement. 2005 : le referendum sur le Traité instituant une Constitution européenne qui avait mobilisé largement l’électorat montre que la voix de celui-ci n’a pas de poids.
C’est donc dans ces années là – confirmées et renforcées par la séquence 2009-2012 (traité de Lisbonne et TSCG) que s’est joué me semble-t-il un phénomène de désaffection des institutions dont nous vivons aujourd’hui des séquelles mal diagnostiquées : revendication des Gilets jaunes, désaffection croissante des urnes, tentations de repliement localiste sur fond de faux diagnostic de crise. Et je ne parlerai pas de la découverte récente chez un universitaire de renom des « passions tristes » des Français – j’y reviendrai plus tard si j’en ai le temps.
Oui, crise des institutions il y a. On peut même la relier à une certaine demande de plus de démocratie directe mais cette demande ne se déploie, me semble-t-il, que parce que et dans la mesure où la représentation nationale n’est plus le lieu où s’élabore le débat. Le plus difficile sans doute, et nous comptons sur nos intervenants pour cela, est de dire si, dans son essence, la démocratie représentative peut encore et au prix de quelles réformes retrouver à la fois sa force et sa justification.
Quel est alors aujourd’hui l’enjeu ?
Sortant (si tel est bien le cas) d’une crise sanitaire majeure, notre pays est devant des défis considérables quant à son avenir. Et ces défis mettent avant tout en jeu notre relation à l’Europe. Pour que la France puisse sérieusement penser son futur il faut que sa voix pèse sur les grands choix européens – d’abord économiques et monétaires. Jean-Pierre Chevènement l’a dit. Il faut aussi que cette voix ne soit pas affaiblie par une crise interne qui, du rejet du politique, mènerait à la provincialisation des débats essentiels pour l’avenir de notre pays. La France ne peut jouer son destin à l’extérieur que si une adhésion citoyenne suffisante l’aide à porter ce projet.
Voilà donc ce que nous essaierons d’analyser et de proposer aujourd’hui : sur la base du diagnostic que chaque intervenant fera, quelles sont les réformes à la fois ambitieuses et réalisables que nous devrions préconiser ? Le défi est considérable parce que les facteurs mêmes qui ont conduit à l’affaiblissement de nos institutions sont ceux qui exigent d’elles un sursaut, mais un sursaut largement approuvé par le peuple français – si « chapelisé » politiquement et « archipellisé » sociologiquement soit-il. Comment la France pourrait-elle porter une voix forte en Europe si son propre peuple se divise sur la légitimité de ses représentants élus, alors que ce même peuple est en appétence, conformément à sa tradition historique, d’un débat politique qu’on lui mesure chichement, soucieux d’une identité qui ne se réduit pas à la crispation sur ses frontières, comment la France donc pourrait-elle avoir un chef de l’État portant un projet audible dans notre continent si la base républicaine et démocratique interne lui fait défaut ?
Tel est le sens du colloque de ce jour.
Je vais pour commencer donner la parole à Stéphane Rozès, ancien directeur général de l’institut de sondages CSA et, ajouterai-je, un habitué de notre fondation, un proche que nous sommes toujours très heureux d’inviter. Nous lui demandons finalement aujourd’hui de continuer à faire ce diagnostic à la fois cohérent et profond de ce qui s’est passé dans le temps et de ce qui a amené ce qu’il nomme volontiers « l’imaginaire français » là où il en est aujourd’hui. Interrogation fondatrice puisque cet imaginaire est nécessairement le support d’institutions vivantes et d’une manière civique ou républicaine de faire de la politique.
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[1] « L’exercice de la souveraineté par le peuple : limites, solutions », colloque organisé par la Fondation Res Publica, le 14 novembre 2016.
Le cahier imprimé du colloque « Quelles institutions pour demain ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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