Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du séminaire "L'avenir de la relation franco-africaine" du mardi 25 février 2025.

Monsieur le Président fondateur,
Chers amis,
Messieurs les intervenants,
Dans l’ensemble des questions d’avenir que pose l’immense continent africain, le troisième par la taille et la population, fait d’une diversité profonde d’Alger au Cap, de Nouakchott à Khartoum, comportant sans doute dans l’ensemble mondial le moins de puissances d’avenir ou d’avenir immédiat, malgré quelques grands pays l’Afrique du Sud et le Nigéria au moins, se niche parmi d’autres la question sensible pour notre pays de la relation franco-africaine. Nous limiterons ainsi notre réflexion de ce soir à la relation de notre pays avec ses anciennes colonies de la zone subsaharienne.
Nous parlons d’un phénomène devenu une quasi évidence et qui est pourtant récent. Après les premières interventions au Sahel qui ne remontent qu’à 2012, ce sont les départs dans des conditions de plus en plus humiliantes des troupes françaises de Centrafrique en 2015, du Mali en 2022, du Burkina Faso et du Niger en 2023 et tout récemment encore du Tchad puis de la Côte d’Ivoire, départs faits dans des situations politiques différentes allant jusqu’au coup d’État comme au Niger – et on ne saurait oublier dans cette longue litanie la fin des cinq emprises militaires françaises au Sénégal, le pays peut-être le plus proche culturellement et si je puis dire affectivement du nôtre, le pays du grand Senghor, le pays aussi il est vrai et comme le montre l’actualité récente, des tirailleurs massacrés en 1944.
La dégradation de cette relation n’est évidemment un mystère pour personne. Mais ses raisons, son avenir, les clés éventuelles d’une remise sur pied, tout cela doit nous interpeller. Nous n’avons en effet pas coutume à la Fondation Res Publica, de rosir la réalité dans une posture incantatoire ou autoréalisatrice. Mais nous croyons avec Jean-Pierre Chevènement, notre fondateur et inspirateur, qu’il faut toujours chercher les voies de la construction fût-ce à un horizon assez lointain.
D’autant que l’ambiance médiatique délétère qui entoure la question sur fond d’interpellation culpabilisante, de retours mémoriels plus ou moins orientés liés à la non-liquidation de la question coloniale, non liquidation qui est, qu’on le veuille ou non, une réalité ne laisse peut-être guère de place à l’optimisme immédiat.
Alors…au-delà ? Quelles seraient les voies et moyens de la reconstruction d’une relation avec l’Afrique dite francophone ? Si on ne peut créer la demande
peut-être peut-on tout de même, à défaut, compter sur le temps, cet élément qui même lorsqu’il nous semble long à l’aune d’une génération est si court au regard de l’histoire, pour envisager les conditions de réalisation d’une reconstruction dans le futur ? Sur quelles bases ? Économiques, militaires, culturelles ? À l’évidence nul ne songe à rêver d’un Commonwealth francophone (ce serait plutôt l’inverse, un ou deux pays de notre aire d’influence post coloniale, le Gabon et le Togo, ayant demandé à rejoindre celui-ci). On peut aussi se demander si la restauration de la relation perdue devrait se faire pays par pays sur la base de la spécificité de chaque cas ou bien plutôt par groupe de pays – on pense bien sûr aux problématiques du Sahel – ou alors dans une vision plus globale, peut-être – je hasarde cette idée – sur la base de la diplomatie culturelle comprise au sens large comme un élément clé de l’influence ? Et quel rôle jouerait dans tout cela la rivalité avec d’autres puissances pleines d’appétence envers le continent africain et ses richesses, la Chine bien sûr, les États-Unis dont il ne faut pas sous-estimer la présence, la Russie pour laquelle à l’inverse il ne faut peut-être pas la surestimer ?
En tout état de cause et sauf à me tromper d’analyse il me semble que deux questions distinctes quoique liées gagneraient à être analysées : l’une, ce que je nommais le défaut de liquidation de la question coloniale qui, pour ceux du moins qui sont de bonne foi c’est-à dire la jeunesse, semble à l’observateur une des causes majeures de la cassure de la relation. À moins bien entendu qu’elle soit surestimée et instrumentalisée – c’est une question à poser. L’autre touche à tout ce qui s’est passé depuis la fin du rêve avorté de la Communauté c’est-à-dire depuis le début des années 60 autour des liens plus ou moins avoués et avouables qui se sont tissés autour des affaires économiques, des services, du protectorat militaire et politique : ce que l’on a nommé la Françafrique. D’où ma question : jusqu’à quel point ces deux facteurs distincts sont-ils liés et quel est celui qui aura causé le plus de ravages ? N’est-ce pas la façon dont la France a géré sa relation avec les ex-colonies africaines après la décolonisation qui est principalement à l’origine de la situation actuelle ? Mais il ne semble pas non plus abusif de poser la question inverse : n’est-ce pas le défaut de capacité de constituer un État qui fait aujourd’hui le lit de la revendication du faible qui veut malgré tout montrer sa force au fort ?
Dès lors, dans cette situation où le faible cherche à punir le fort, quel langage tenir ? Sur la base de quelles analyses de fond ? Quelles sont les bonnes questions ? J’en livre une que l’on pourra regarder comme arbitraire voire abusive. Pourquoi une grande partie des États dont nous parlons ici, même si leurs frontières ont été arbitrairement tracées, peinent-ils à ce point à se définir comme nation ? Pire peut-être : comment se fait-il que tant la coopération bilatérale qui a fleuri depuis les années 60 que les aides multilatérales n’aient pas permis la constitution d’États ? Dieu sait pourtant si dans les institutions multilatérales la notion de « capacity building » était invoquée et ce depuis la fin des années 90. Faudrait-il croire, comme le relève, dans un récent numéro de la Revue politique et parlementaire[1], l’ancien Premier ministre de la RDC M. Augustin MATATA PONYO MAPON, que l’aide internationale (235 milliards de dollars en 2023) crée une « trappe institutionnelle » en Afrique subsaharienne ? Nombreux sont les travaux allant en ce sens. La conclusion de l’auteur est d’ailleurs plus nuancée relevant tout de même que l’impact de l’aide internationales sur le développement économique et social de la région est limité. La question de la corruption, des circuits de dissimulation des débouchés réels de l’aide qui est aussi celle des élites et de leurs comportements ne devrait-elle pas de son côté venir au jour même si l’on croit deviner qu’elle se heurterait aux intérêts divergents des grands pays donateurs ?
J’arrête ici un questionnement qui n’a peut-être pas de pertinence suffisante et que je n’ai introduit que pour lancer le débat….
Parmi les personnalités présentes qui pourront alimenter ce débat je citerai :
Bruno Aubert, ancien ambassadeur de France en Irak, au Soudan, en République démocratique du Congo, directeur de recherche à l’IRIS.
Michel Roussin, ancien ministre de la Coopération (1993-1994), ancien député.
Jean de Gliniasty, membre de notre conseil scientifique qui fut notamment ambassadeur de France au Sénégal, au Brésil et en Russie.
François Gouyette, grand ami de la Fondation Res Publica, ambassadeur de France aux Émirats arabes unis, en Libye, en Tunisie, en Arabie saoudite et en Algérie.
L’Ambassadeur de France Alain Dejammet. Je rappelle qu’entre toutes les postes éminents qu’il a occupés, il a été notamment directeur d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient.
Je note aussi la présence qui nous flatte beaucoup de Christian Jambet, nouvel académicien.
Je me tourne vers nos deux intervenants.
Stephen Smith, professeur en études africaines à l’université de Duke, ancien journaliste à Libération et au Monde, auteur, notamment, de Requiem pour « La Coloniale » (Grasset, 2024)
Nicolas Normand, normalien, ingénieur agronome et énarque, ancien ambassadeur de France en Afrique du Sud, au Mali, au Congo, au Sénégal et en Gambie, auteur, notamment, du Grand livre de l’Afrique (Éditions Eyrolles, 2022).
[1] « Afrique : Des indépendances à la souveraineté », Revue Politique et Parlementaire, Hors-série, avril 2024.
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