Intervention de Patrick Pincet, directeur général des services à la Ville de Lille, devant les auditeurs de l’IRSP, le 8 avril 2025.

Marie-Françoise Bechtel
Aujourd’hui nous abordons un sujet que nous n’avons pas encore traité dans ce cycle. Nous avons reçu des fonctionnaires avec une expérience préfectorale – que tu as eu à un moment de ta carrière – mais nous n’avons pas reçu des personnes en charge des questions territoriales au sens décentralisé du terme. C’est pour cela que nous serions ravis de débriefer ce que tu as observé sur ce qui ne fonctionne pas dans la structure territoriale telle qu’elle est administrée aujourd’hui, qu’il s’agisse des collectivités territoriales issues des réformes que nous avons connues depuis une vingtaine d’années, avec bien entendu les intercommunalités, le vent de métropolisation, les grandes voire immenses régions, des départements dont on ne sait plus trop où ils en sont exactement…
De l’autre côté, nous avons l’affaiblissement progressif de la fonction préfectorale qui peut être un phénomène tout à fait préoccupant. Comme tu as tenu les deux bouts de la corde, tu nous donneras un regard particulièrement informé : comment à partir de ton expérience perçois-tu ces évolutions ? Peut-être que je n’ai pas pointé des choses que tu considères importantes à mentionner et que tu ne manqueras pas de partager. Je te laisse te présenter.
Patrick Pincet
Pour bien comprendre les ressorts des allers-retours entre les logiques nationales et territoriales en France, il faut intégrer que c’est quelque chose d’extrêmement prégnant dans le discours, les faits et le ressenti. Je ne vais pas faire de la publicité pour le Puy-du-Fou mais on voit bien encore aujourd’hui qu’il y a eu un débat fort pendant la Révolution française entre l’unité nationale encore à faire et fragile et ceux qui avaient une vision beaucoup plus localiste de la politique et des intérêts. La centralisation a d’abord reposé sur le prélèvement des richesses dans les territoires pour alimenter le fonctionnement de l’Etat, ce que Louis XIV avait déjà fait, et qui a été renforcé après la Révolution française et sous Bonaparte.
Pour me présenter rapidement, je suis tombé dans les questions territoriales tout jeune puisque j’ai fait mes études au moment des lois de décentralisation, et j’ai commencé à travailler à Belfort en 1988 comme secrétaire général adjoint de la Mairie pendant 9 ans, de 1988 à 1997. Ensuite, j’ai passé une dizaine d’années dans le corps préfectoral, j’ai été directeur de cabinet du préfet de Seine-et-Marne, j’ai été sous-préfet de Sélestat-Erstein dans le Bas-Rhin puis sous-préfet de Provins en Seine-et-Marne. Ensuite j’ai été secrétaire général de la préfecture du Haut-Rhin. J’ai occupé les trois différents types de postes de sous-préfet en côtoyant à la fois des grands départements et des petits arrondissements par le nombre d’habitants. En ayant côtoyé ce qui fait la richesse du territoire français, c’est-à-dire, ses communes et ses dizaines et dizaines de milliers d’élus communaux qui forment le soubassement bénévole de la vie démocratique française et des services rendus à la population.
J’ai quitté le corps préfectoral en 2008, en étant en désaccord avec comment a été menée la révision générale des politiques publiques. Ensuite, je suis allé à Strasbourg en tant que directeur adjoint de la Ville de Strasbourg et de la Communauté urbaine de Strasbourg. Au bout d’un mois et demi, le maire de Strasbourg de l’époque, Roland Ries, m’a demandé de prendre la direction du cabinet commun du maire et du président de la communauté urbaine, ce que j’ai fait jusqu’en 2014. Puis en 2014, le maire de Colmar m’a proposé de prendre la Direction Générale des Services de la ville et de l’agglomération de Colmar. Il a ensuite voulu fricoter avec l’extrême droite et Fillon donc je suis parti pour exercer comme Directeur général des services de la communauté d’agglomération de Grand Paris Sud, créée par fusion des différentes entités de Corbeil-Essonnes, Evry, Sénart, Grigny. Il y a quatre ans et demi on m’a proposé de prendre la Direction Générale des Services de la Ville de Lille, où je suis depuis septembre 2020. J’ai eu la chance de travailler pendant quatre ans et demi avec Martine Aubry, un des derniers monuments historiques de la vie politique française alors en activité dans une collectivité territoriale.
Je ne vais pas ordonner mon propos de manière chronologique afin qu’il soit le plus clair possible et nous pourrons ensuite échanger. Vous avez le droit absolu de ne pas être d’accord avec moi ou de poser des questions qui fâchent.
L’idée est donc de parler de ce qu’est la décentralisation, de regarder l’évolution de l’Etat territorial. Pour avoir été dans les deux fonctions publiques, l’Etat territorial est une cousinade. On traite le même territoire, les mêmes gens, certes avec des compétences et points de vue différents. Pour les maires qui me disaient qu’ils étaient élus au suffrage universel, je leur disais que j’avais la légitimité d’avoir été nommé par décret du président de la République : chacun sa légitimité. Mais comment combiner ces légitimités pour mener des actions publiques ? Pour moi, si je devais qualifier la décentralisation, je dirais que c’est positif, ou comme disait Georges Marchais, globalement positif. Pour avoir été aux premières loges, d’abord en tant qu’étudiant puis à Belfort pour la mise en place de la décentralisation, il faut se souvenir que la manière dont elle a été mise en œuvre est le résultat d’une grande aspiration démocratique.
On avait un système de politiques publiques qui dans les territoires était à la main de l’Etat. Par exemple, les préfets et sous-préfets délivraient les permis de construire ou déterminaient les schémas d’aménagement. De l’autre côté, dans le système de pouvoir local, le département était une assemblée élue qui avait peu de pouvoirs et la région n’en avait quasiment pas du tout. Le préfet dirigeait à la fois le département et la région. On était dans un système extrêmement corseté et un climat général assez similaire.
Les années 80 c’est la décentralisation mais aussi ce sont les radios libres, la suppression de la peine de mort, c’est une grande respiration démocratique correspondant à des aspirations anciennes. Encore aujourd’hui, il faut défendre la décentralisation à travers ce prisme-là. C’est une démocratie qui s’exerce de manière régulière, au plus près du terrain. Il y a une magie permanente à avoir tous les 6 ans les élections municipales, le fait que les citoyens votent dans plus de 35 000 communes. Vous avez un pays qui organise des élections pour répondre à des aspirations communes. Qu’il y ait une administration locale qui découle du vote, c’est essentiel.
La deuxième chose positive de la décentralisation c’est que ceux qui l’ont conçue, en deux temps avec les textes de loi de 1982-83, en ont fait un bijou juridique, politique et institutionnel. La décentralisation a été fondée sur l’idée de rapprocher de manière adéquate les compétences et le niveau d’administration.
Je me souviens de Jean-Pierre Chevènement en 1984 répondant à une question au Gouvernement d’un député de droite sur la décentralisation de l’Education Nationale, expliquant qu’il n’y avait rien de plus logique que les écoles soient gérées par les communes, les collèges par les départements et les lycées par les régions, que c’était le bon niveau d’administration. C’est pour ça que l’on a pu rénover le patrimoine scolaire des collèges et lycées, en construire de nombreux nouveaux et accueillir beaucoup plus de lycéens. La dynamique éducative a été confortée par le fait qu’on a confié des responsabilités aux collectivités locales dans ce domaine, en se gardant de décentraliser la compétence pédagogique.
Ces lois de décentralisation ont été accompagnées de la création des régions et de la logique de planification régionale à travers les contrats de plan Etat-région (CPER). Ça a été accompagné de la loi d’Anicet Le Pors sur la fonction publique, et notamment la fonction publique territoriale, qui reste le garant de l’égalité de traitement des fonctionnaires au sein du territoire. On est dans le cadre d’un code de la fonction publique, les collectivités territoriales ne peuvent pas faire ce qu’elles veulent. La loi Paris-Lyon-Marseille (loi PLM) portait sur l’organisation des arrondissements de ces villes, il faut rappeler qu’avant 1977, date à laquelle Jacques Chirac fut élu, il n’y avait pas d’élections à Paris.
A l’époque, on n’a cependant pas traité la question de la fiscalité locale. On avait réessayé en 2012 de faire passer l’idée qu’on peut asseoir une fiscalité locale sur la fiscalité sur les revenus, mais Moscovici a renoncé très vite car Bercy lui avait dit que c’était trop compliqué. Ça reste un vrai sujet aujourd’hui la question des ressources financières des collectivités locales, qui leur permettent d’être autonomes.
Parallèlement, on révise le fonctionnement de l’Etat, on baptise les préfets « Commissaires de la République », on maintient l’ensemble des pouvoirs régaliens des préfets (ex : sécurité). Quoi qu’on ait dit à l’époque dans des articles, que le préfet allait voir son rôle diminuer, l’Etat conserve une puissance considérable jusqu’à la RGPP (Révision Générale des Politiques Publiques) en 2008-2009. Il conserve une capacité d’expertise et de financement à travers l’ensemble des programmes qui se sont déployés sur le plan territorial. C’est un élément important dans la cohabitation entre l’Etat et les collectivités territoriales. Sur le terrain, il y a une énorme attente qui est de plus en plus déçue au fil du temps en matière d’expertise. Quand vous êtes maire d’une commune de moins de 500 habitants, vous avez au mieux un secrétaire de mairie et un ouvrier technique, et vous êtes tout seul avec vos propres moyens. L’Etat jouait un rôle de conseil auprès des collectivités territoriales malgré la décentralisation (voire même à cause d’elle).
Dans le même temps, il y a une vision de l’Etat du Gouvernement de l’époque ambitieuse par rapport à de grandes politiques publiques : 1981-1982 ce sont les Assises de la recherche, avec la création de direction régionales de l’industrie et de la recherche avec le CNRS. Vous avez plus tard en 1988 la mise en place du RMI (Revenu Minimum d’Insertion), majeur pour ne pas laisser les gens au bord du chemin comme disait François Mitterrand. Vous aviez des logiques de planification des grands travaux, l’Etat avait une ambition planificatrice, car Michel Rocard était chargé du plan en 1981, ce qui pour Mitterrand était la meilleure manière de le mettre face à ses paradoxes. Mais le Commissariat au Plan a été extrêmement actif pendant beaucoup d’années. Il y a eu des planifications sectorielles, par exemple Jack Lang a rénové des cathédrales. L’Etat a impulsé en s’appuyant sur les collectivités territoriales et sur l’ingénierie des collectivités. Par exemple, en 1988, a été lancé le ‘Plan Université 2000’, l’Etat était très moteur en matière de grandes politiques publiques.
Selon moi, il y eut un tournant en 2004. Jean-Pierre Raffarin était venu à Strasbourg annoncer la nouvelle vague de décentralisation, celle de l’action sociale, qui est une erreur majeure. D’abord, c’est une arnaque pour les départements. Comme toute décentralisation, cela s’est traduit par un transfert de moyens à l’instant t qui n’a jamais été réactualisé. C’est pour ça que maintenant les départements rencontrent des difficultés financières majeures et parce qu’il y avait déjà à l’époque des déséquilibres dans la manière de traiter des problèmes sociaux. Quand j’étais en Seine-et-Marne, on avait fait la comparaison entre ce qui était investi par le département de la Seine-Saint-Denis en matière d’aide à l’enfance et celui de la Seine-et-Marne : lorsqu’un enfant en Seine-et-Marne touchait 75%, celui en Seine-Saint-Denis touchait 100%. Or, une politique où il y a une nécessité d’égalité de traitement, c’est bien celle-là.
En plus, l’Etat s’est désarmé au sens où la première conséquence fut de transférer la gestion du RMI puis du RSA au département. L’Etat a perdu de ce fait son rôle de coordination dans la gestion du RMI. L’Etat a la capacité de pouvoir coordonner les acteurs, y compris être dans l’injonction, ce que ne peut pas faire le département. Au cours de mon expérience de sous-préfet à Sélestat, on recevait assez fréquemment des mères qui élevaient seules leurs enfants et se posait la question du présentéisme scolaire. La condition pour que le RMI soit maintenu était que les enfants aillent à l’école – le sous-préfet peut appeler un directeur d’école, mais pas le fonctionnaire du département.
En ce qui concerne les recrutements des emplois jeune, les adjoints de sécurité (ADS) introduits dans le cadre de la police de proximité était recrutés par des jurys présidés par un membre du corps préfectoral. Cela permettait que des jeunes accèdent au métier de policier en n’étant pas diplômés, d’origine modeste ou étrangère. L’Etat, localement parlant, peut faire des choses que les collectivités ne peuvent pas faire pour des raisons politiques évidentes. Si demain on remet en place des ADS dans le cadre des polices municipales, et que c’est la mairie qui les recrute, je doute qu’à Perpignan on recrute beaucoup d’ADS d’origine maghrébine.
A partir de 2004, se développe un discours commun à la gauche et à la droite, résultant sûrement du peu de préanalyse sur ce qu’est la décentralisation, considérant que toute solution à un problème territorial passe par la décentralisation. Elle est devenue l’horizon indépassable de l’organisation territoriale.
La décentralisation s’est poursuivie, notamment celle de la formation professionnelle qui est scandaleuse. Cela représente 23 milliards d’euros par an que l’Etat a confiés aux régions, qui n’avaient pas la capacité de gestion. Ça a déconnecté les CFA municipaux (Centre de Formation des Apprentis), pour lesquels il y avait beaucoup de collectivités impliquées, et qui, au lieu d’être en relation avec l’Etat se trouvent en relation avec la Région, ce qui n’est pas sans biais politique, comme par exemple avec un maire socialiste et un président de région de droite. On a décentralisé essentiellement pour des raisons d’économie de l’Etat, la motivation principale depuis 2004 étant de se décharger financièrement sur les collectivités territoriales par effet de décentralisation.
Il y a une autre loi déterminante en matière de décentralisation, celle de 1999 sur les intercommunalités, dite loi Chevènement. Elle a cherché à structurer le territoire en créant des solidarités locales, des compétences qui débordent la compétence communale en allant chercher ce qui était rationnel en termes d’organisation (bassin d’emploi, de vie…). C’était inspiré de la loi sur les pays de Charles Pasqua en 1994. Il fallait chercher des territoires pertinents, y compris en débordant éventuellement des frontières départementales, et en traitant des compétences à exercer au meilleur niveau.
Dans une intercommunalité dans un territoire rurbain ou rural, vous allez gérer la petite enfance, les restaurants scolaires, les écoles, l’eau… Cela permettait de substituer tous les syndicats intercommunaux divers et variés à une entité intercommunale qui reprenait leurs compétences. A partir de là, on est dans une logique de péréquation des ressources – les communes riches contribuant plus que les communes pauvres – et d’interlocution avec l’État. Quand vous créez un territoire pour les intercommunalités, il faut créer des frontières, et il y a le problème des inimitiés (ex. : maire communiste cerné par des communes de droite). Il faut être subtil dans le découpage et dans l’élaboration de la charte de l’intercommunalité. Il s’agit non seulement de faire un territoire, mais aussi de générer un projet politique avec la mise en commun des intérêts.
Cette intercommunalité a plutôt bien fonctionné, mais elle a sûrement une tare originelle : les exécutifs d’intercommunalité sont élus au second degré. C’est le Sénat qui n’a pas voulu d’un suffrage universel direct, et pour que la loi soit votée à l’unanimité par le Sénat et l’Assemblée, le Gouvernement a renoncé à cette élection au suffrage universel. Se pose donc la question de la légitimité, souvent on est dans la recherche de consensus. A Grand Paris Sud, on avait une intercommunalité avec 23 communes : cela allait de Philippe Rio, maire communiste de Grigny, à Serge Dassault, maire de Corbeil-Essonnes, avec au milieu des élus de tous les partis… mais cela ne fonctionnait pas trop mal, à condition d’avoir un projet et un président qui le porte.
La problématique des intercommunalités, c’est qu’au même titre qu’on a voulu faire de grandes régions, on a voulu faire de grandes intercommunalités. L’idée selon laquelle « faire plus grand est économique et rationnel » a donné des intercommunalités de 143 communes, comme celle de Reims. La métropole de Lille : 95 communes. Ce sont des entités extrêmement hétérogènes. Vous avez des territoires ruraux ou semi-ruraux dont le poids est considérablement réduit. Vous avez aussi une incapacité totale à animer politiquement. Au contraire, pour Grand Paris Sud, avec 23 communes, c’est facile de voir le maire de chaque commune au moins une fois par an, a contrario de 95 communes. On a affaibli les intercommunalités en les agrandissant, alors qu’elles ont la compétence de choses absolument essentielles.
Je reviens sur la réussite de la décentralisation. Une autre raison, c’est parce que nous avons eu de « Grands Féodaux ». Ce sont des élus très impliqués sur le plan national, qui, avec la décentralisation, se sont emparés des pouvoirs donnés en tant que maires ou présidents de conseil régional, notamment Giscard, qui, après avoir été président de la République, a été président de la région Auvergne, et qui appliquaient leur capacité politique sur un territoire. Quand vous êtes capable de penser la France, vous êtes capable de penser votre commune, votre département, la relation avec la commune d’à côté… Beaucoup d’élus de rang national avaient été aussi des élus locaux ; François Mitterrand avait été maire de Château-Chinon et président du conseil général de la Nièvre. Ils avaient une réelle appréhension du terrain. Après la décentralisation, ceux qui se sont emparés des pouvoirs ont fait des choses étonnantes, parce qu’ils avaient l’imagination et qu’ils ont su attirer des compétences humaines fortes attirées par ces grands élus.
Quand vous êtes en collectivité locale, vous avez les moyens d’agir, vous tenez les deux bouts entre l’élaboration du projet et la réalisation du projet. En même temps, ça a été fédérateur, car les projets développés par les collectivités étaient assez proches. Par exemple, à Belfort, on était en dialogue avec Épinal, on se rencontrait et on avait les mêmes politiques malgré l’appartenance des maires à des bords politiques différents. Il y avait une capacité de projection : les collectivités avaient des moyens, on pouvait augmenter modérément les impôts sans que personne ne se plaigne, contrairement à l’idéologie anti-impôts aujourd’hui commune à la droite et à la gauche.
On a aussi une décentralisation s’appuyant sur des personnes faisant de la politique. Faire de la politique au niveau d’une collectivité locale, c’est affirmer des objectifs que l’on donne ensuite à des équipes qui doivent les atteindre. À partir de là, on a une dimension politique positive, celle d’avoir des projets, voire des utopies, et de se demander quelle est ma ville, quels sont les besoins du territoire sur 5 ans ou même 15 ans. Il faut avoir une vision, qui soit politiquement défendable et suppose une continuité dans la pensée, avec une dimension stratégique prégnante dans la décentralisation.
L’État se donne les moyens d’accompagner les collectivités territoriales, et le plan État-région est piloté au niveau de la région. Cela se met en œuvre par des réunions chez le préfet de Région avec la Région, le Département et les grandes collectivités du bloc communal où l’on discute de projets et de leur financement. Chacun prend connaissance des projets des autres, fédère au niveau régional et crée des solidarités. Par exemple, c’est par des tours de table qu’a été financé le projet TGV. Au contraire, aujourd’hui, nous sommes dans une logique de systématisation des appels à projets ou des relations bilatérales, il n’y a plus ce phénomène de fédération de projets.
En même temps, avec la décentralisation, nous avons assisté à un certain nombre de dérives. La première des dérives est la manière dont les régions et les départements ont évolué. D’abord, ils se sont technocratisés. J’ai le souvenir des régions qui s’appuyaient au départ sur une administration de mission, au sein de laquelle il y avait peu de fonctionnaires. Certains présidents de région et de départements ont voulu exister au-delà des compétences confiées par la décentralisation, faisant des choses permettant de les mettre en valeur. Par exemple, le département a créé le festival des Eurockéennes à Belfort. Des régions et départements sortent de leurs compétences. Je ne dis pas que ça ne venait pas compenser certaines faiblesses ou que ça ne correspondait pas à certaines logiques de défense du territoire. La technocratisation de ces collectivités, l’extension des compétences, la course à la grande taille et la disparition des féodaux expliquent pourquoi la décentralisation patine aujourd’hui.
Quand on regarde la sociologie des collectivités dirigées par la gauche, on avait une génération de dirigeants politiques, y compris nationaux, issus de l’opposition. Ils étaient venus à la politique en ayant une activité professionnelle, ayant vécu des années d’opposition et ayant construit un corpus idéologique complet. Quand on relit le projet de François Mitterrand, on constate qu’avant, on pensait la politique de manière globale. Aujourd’hui, la politique est pensée de manière morcelée par des associations plus spécialisées. Le dernier point qui pose question, c’est le non-cumul des mandats.
Un maire député ou un président de conseil départemental sénateur, c’était très bien pour ceux qui travaillaient avec eux sur le plan local. Il y avait deux temps distincts : ceux sur place travaillaient du lundi au mercredi, puis le jeudi, vendredi, samedi, c’était le temps des réunions, dans un temps où, par ailleurs, il n’y avait pas Internet. De nos jours, nous avons des maires, des présidents de conseil de département à plein temps, et il faut se départir de la conception fausse que c’est un métier. C’est temporaire et c’est une charge ; je respecte le maire de Montpellier qui continue à aller donner cours 4 heures par semaine pour garder un pied avec la réalité professionnelle. Le non-cumul des mandats a pour conséquence une césure entre les parlementaires et les élus locaux, avec des choix qui doivent être faits, et on se prive de talents. Par contre, j’ai un reproche que j’ai pu faire aux parlementaires qui étaient élus locaux depuis longtemps, c’est qu’il n’y avait pas chez eux un grand intérêt pour la chose territoriale.
Quand vous regardez les débats à l’Assemblée nationale sur la fonction publique territoriale, la fiscalité, les problématiques de compensation de la taxe professionnelle, ils ne sont pas très investis. Il y a très peu de très bons parlementaires dans ce domaine, et il n’y a pas de politisation au niveau national des enjeux territoriaux. J’ai rencontré dernièrement le nouveau président du CNFPT (Centre national de la fonction publique territoriale), le premier qui a développé un discours sur le CNFPT qui consiste à dire que la formation des fonctionnaires territoriaux est là pour mettre en adéquation les ressources humaines et les besoins des collectivités, et permettre, par la voie des concours, que la fonction publique permette d’être un moteur d’ascension sociale et de méritocratie républicaine. Il ne faudrait pas dériver vers un système de contrats à l’américaine, où l’on rentre par relations plutôt que par concours, sans compter que, sur les 800 millions d’euros dépensés en formation, le CNFPT en capte seulement 60 %. Certains se disent aussi qu’on pourrait supprimer le CNFPT, qui capte 0,9 % de la masse salariale, voire privatiser la formation.
Dans la question du non-cumul des mandats, il faut réfléchir à la question du dialogue entre les élus territoriaux et les parlementaires. On pourrait créer des instances départementales ou régionales de dialogue entre les élus locaux et les parlementaires, par exemple. Cela avait été mis en place dans le Grand Est, lorsqu’on avait préfiguré les grandes régions : il y avait des réunions avec l’ensemble des grandes collectivités et les parlementaires sur les grands projets de la région, ce qui avait produit des choses intéressantes. À un moment, le dialogue entre le niveau national et territorial doit s’organiser, à défaut qu’il repose sur le cumul des mandats, qui ne me paraissait pas un problème en soi avec des élus organisés et investis.
J’en reviens à l’État. La problématique est qu’il a continué jusqu’aux années 2000 à être extrêmement actif, sur la base de trois éléments : une vraie capacité d’organisation des politiques publiques et des projets à l’échelle globale, régionale, la gestion des fonds FEDER, à l’échelle des arrondissements notamment, des fonds en faveur de l’investissement, qui reposaient sur des tours de table entre le parlementaire, le conseiller départemental, le président de l’intercommunalité, la région… C’est grâce à cela que des communes qui n’avaient pas d’argent réussissaient à financer des projets par addition des différents fonds. L’État disposait aussi d’une véritable expertise dans la gestion de communes.
Par exemple, dans l’arrondissement de Sélestat-Erstein, 115 000 habitants, il y avait 4 subdivisions de l’Equipement, dont 3 tenues par des polytechniciens en début de carrière. Vous aviez 15 cantons, 12 antennes du Trésor public capables d’aider les maires pour faire le budget, solliciter les subventions. Il y avait aussi la capacité du sous-préfet. Un maire explique qu’il a des problèmes budgétaires, et on se rend compte qu’il s’est fait avoir par le Crédit agricole avec des conditions de prêt délirantes. Dans ce cas, on appelait le responsable de la caisse locale, sinon on appelait le directeur régional du Crédit agricole pour renégocier le prêt. Cependant, tout cela a disparu à cause de la Révision Générale des Politiques Publiques, qui consistait à réduire le nombre d’entités de l’État au niveau territorial – c’était une excellente chose. Vous aviez les fameuses conférences départementales de l’État, en Seine-et-Marne, il y avait 69 personnes autour de la table. Quand vous vouliez agir sur un commerce qui vendait de la viande avariée, il fallait mettre d’accord le directeur des services vétérinaires et le directeur de la concurrence et de la répression des fraudes. C’était un État relativement étalé en termes d’organisation. Il était évident qu’il fallait regrouper certaines directions et faire des économies (support, immobilier, secrétariat).
À partir du moment où l’on était dans une logique d’occupation du territoire, en 2001 on commence à parler de maisons du service public. L’idée était de voir comment on pouvait répartir les moyens de l’État de façon à créer des spécialisations et des guichets particuliers. Cela s’est traduit par une feuille de route donnée aux secrétaires généraux de préfecture dès fin novembre 2007, qui consistait à dire qu’au 1er janvier 2008, il fallait avoir supprimé tel nombre d’emplois dans le département dépendant des préfectures et sous-préfectures.
Dans le même temps, le fait qu’on puisse avoir une gestion immobilière centralisée à l’échelle du département mais aussi dynamique – au sens où il y a une aberration, c’est que lorsque l’État investit territorialement, il le fait sur des crédits de fonctionnement. Il n’y a pas de crédits d’investissement alors qu’on pourrait imaginer avoir une gestion dynamique d’un actif qui garantit une sécurité et permet des retours sur investissement.
Dès qu’il s’agissait de donner au préfet des compétences immobilières, les DRFIP (Directions Régionales des Finances Publiques), tout nouvellement créées par fusion des directions des services fiscaux et des TPG (Trésoriers-Payeurs Généraux), ont créé un conseil commun avec le préfet avant de finir par mettre la main sur cette compétence. C’est comme ça que nous avons aujourd’hui une Direction de l’Immobilier de l’État qui imagine que l’on pourrait faire une agence foncière de l’État. On est quand même en 2025. On découvre 225 ans après la création des préfectures qu’on pourrait créer un foncier et un immobilier de l’État dynamique : on n’est pas prêts d’y arriver.
La RGPP a abouti à une réduction drastique des moyens. Autre élément : le corps préfectoral, et de manière générale l’administration territoriale de l’État, avait pour mission de réunir tout le monde autour d’une table pour discuter et mener des projets communs. Or, au fil du temps, ce rôle de médiateur existe de moins en moins. L’État se replie sur ses fonctions régaliennes, qui deviennent de plus en plus tatillonnes, avec de plus en plus de contrôles. Par contre, pour ce qui concerne la vie des territoires, l’État a renoncé à être à la manœuvre.
L’illustration la plus navrante a été la crise sanitaire, lorsque vous avez vu des préfets aller sur des aérodromes pour saisir les masques commandés par les communautés d’agglomération ou les régions, mais en étant incapables de prioriser la distribution des masques vers les centres hospitaliers ou les EHPAD. En même temps, des maires cherchaient à se mettre en avant en distribuant des masques dans les boîtes aux lettres des habitants !
On a confiné le mardi 17 mars au matin, le COD (Centre Opérationnel Départemental) de la Préfecture de l’Essonne a été activé le vendredi à 17 heures et désactivé à 21 heures. C’est dire à quel point l’État avait renoncé, parce qu’on s’est dit dans un premier temps que c’étaient les agences régionales de santé qui étaient à la manœuvre, alors qu’elles n’ont pas le rôle de gérer des problématiques de sécurité civile, ni d’être en relation avec les élus territoriaux. Elles gèrent des établissements hospitaliers.
Ensuite, pour des raisons d’argent, certains ont trouvé confortable que les régions, les agglomérations et les communes achètent des masques à tour de bras, y compris à prix d’or et aux Chinois.
L’État est absent : il ne gère plus le dialogue entre les différents niveaux de collectivités, il n’est plus un animateur de territoire, il ne porte plus de projets ni de financements, avec une absence de cadre dans lequel nous puissions échanger et bâtir des politiques publiques. Les grandes intercommunalités et les grandes régions sont surréalistes. La carte des régions actuelles a été dessinée sur un coin de table à l’Élysée à 20 heures, et les présidents de région en ont pris connaissance dans les médias le lendemain matin.
On a créé des régions complètement ingérables : le territoire de la région Grand Est représente deux fois celui de la Belgique. Soit on entre dans une logique où l’on accepte que ce soit un État fédéral, et que l’État est trop gros pour bien se gérer, donc on fait des Länder – même s’il faut être prudent lorsqu’on parle de l’Allemagne, car ce n’est pas si déconcentré que ça tout le temps, c’est plus compliqué. Là, on fait des territoires monstrueux en se disant que plus c’est grand, plus ce sera rationnel en termes de gestion, donc on va faire des économies. C’est exactement le contraire qui s’est produit. Les hôtels des anciennes régions sont invendables, et on a démultiplié les antennes.
Un autre élément important concerne tout ce qui touche à la numérisation. Je faisais tout à l’heure référence au fax de 1986, dans un principe de gestion pour l’État et les collectivités territoriales qui était celui d’unité de temps, d’action et de lieu. La possibilité de décloisonner les activités avec la numérisation, permettant aussi de faire plusieurs choses à la fois, d’aborder plusieurs sujets – c’est une catastrophe pour la politique, car les impulsions sont permanentes (exemple : un pavé qui manque et fait tomber un enfant), et pendant ce temps vous faites autre chose et faites exploser la chaîne hiérarchique de commandement pour un sujet jusque-là géré au bon niveau.
Heureusement, beaucoup de choses continuent de fonctionner. Par exemple, à la cuisine centrale de Lille, lorsque le cuisinier constate qu’un produit frais n’est pas arrivé et que le menu du jour n’est pas possible, il n’appelle personne pour déclencher le plan de secours et ouvre des boîtes de raviolis.
Cette présence permanente de l’impulsion, de l’information et de la demande parasite l’action et la capacité de réfléchir. Si la décentralisation a été une réussite, si la capacité de dialogue avec l’État territorial était forte, c’est parce qu’on prenait le temps de réfléchir pour élaborer des projets. De nos jours, incapables de discriminer les urgences, on finit par faire n’importe quoi.
Nous avons eu une cyberattaque le 1er mars 2023 à la mairie de Lille et nous avons été sans informatique pendant trois mois. Ça a été douloureux pour les collègues de l’état civil et de nombreux services, mais pour le reste, on a appris à s’écouter et à se voir en présentiel.
Marie-Françoise Bechtel
Merci beaucoup de nous avoir fait une véritable plongée dans ce qu’a été la décentralisation et pourquoi il fallait décentraliser. Ça avait très bien marché, nous dis-tu, tant que les politiques tenaient les choses en main, que ce soit au niveau national ou local.
Deuxième phase, on est allé surcomplexifier la gestion des territoires, nous amenant aux grandes régions. Tu as même été un peu indulgent sur les intercommunalités et les métropoles – mais c’est un point de vue extérieur, je connais moins la chose de l’intérieur. La difficulté de l’élu politique qui affronte l’interdiction du cumul de mandats, e suis entièrement d’accord avec toi là-dessus ; les ravages de la RGPP au tournant de 2008 parce que nous n’avons pensé qu’au quantitatif et pas aux projets territoriaux.
Pour finir, ce que tu incrimines au fond, c’est le management dans son côté horizontal et en tant que saisi par le numérique. Il est certain qu’il y a des abus que, peut-être, dans vingt ans on regardera comme une période folle de notre histoire. J’ai vécu la décentralisation d’abord en tant qu’élève de l’ENA, deux fois, ensuite auprès d’un préfet en Seine-et-Marne et ensuite auprès du maire de Paris qui venait d’être élu, qui était de Jacques Chirac. Puis je l’ai vécu au Conseil d’Etat comme membre de la Section de l’Intérieur avec les différentes vagues de décentralisation jusqu’au moment de la loi Raffarin qui a semé la pagaille parce qu’il n’y avait pas de projet politique. Il fallait se creuser la cervelle pour trouver des compétences à transférer et, simultanément, ou du moins assez vite est arrivée la RGPP conçu d’abord comme une restriction en moyens, On est finalement arrivé à un déshabillage considérable des services de l’Etat.
Dans la salle
Qu’est-ce que vous pensez des dépenses communales en milieu urbain ? L’exemple de la ville de Lille, nous avons une ville-centre relativement peu peuplée par rapport à la population totale dans la métropole. Est-ce que ce serait une bonne idée de fusionner les communes ?
Patrick Pincet
L’idée de la fusion repose sur une bonne intention : dire que, pour certains types de compétences, il est nécessaire de fusionner afin de peser davantage. Toutefois, je pense que c’est une mauvaise idée. En effet, certains services de proximité, s’ils sont gérés par des entités plus grandes, risquent d’être moins bien administrés au niveau local.
La véritable réponse réside dans l’intercommunalité : c’est une excellente idée en soi. Le problème réside dans la détermination de la taille critique de l’intercommunalité. Nous sommes allés bien trop loin dans le processus de grossissement des intercommunalités. Dans une intercommunalité, celui qui détient la légitimité politique, c’est le maire. Il existe une conférence des maires où chaque maire dispose d’une voix. Plus vous élargissez le cercle, plus vous vous retrouvez avec un nombre croissant de maires, ce qui entraîne un tropisme communal exagéré et des écarts de plus en plus marqués entre les maires des zones rurales, des zones périurbaines et ceux du noyau dur urbain.
Il existe également la question du point de vue d’où l’on se place. Pour qu’une intercommunalité fonctionne, il est nécessaire d’avoir une relation constante et permanente avec tous les maires ; c’est la première condition pour que l’intercommunalité soit effective. La seconde condition est que l’intercommunalité repose sur un territoire cohérent en termes d’intérêts et de projets. C’est pourquoi les schémas de cohérence territoriale sont essentiels. Troisièmement, il est nécessaire de distinguer les efforts visant à améliorer les conditions de vie des communes. Il faut séparer les investissements en faveur des petites communes et ceux destinés aux rénovations urbaines, ou au développement universitaire et économique, par exemple.
Le fait de ne pas avoir d’élection au suffrage universel des présidents des intercommunalités oblige à parvenir à un consensus. Toutefois, lorsque le nombre de membres est trop élevé, il devient impossible de discuter ou de transférer des compétences de manière efficace.
Marie-Françoise Bechtel
En tant qu’élue, j’ai également observé que dans certains territoires ruraux intercommunalisés, les choses ne fonctionnent pas du tout. Lorsqu’un élu détient une certaine puissance, il peut se tourner vers le préfet, qui ne lui refuse généralement pas son soutien et ne lui impose pas le schéma de cohérence territoriale. La France est avant tout un territoire largement rural, et même si certaines zones sont désertifiées, ce n’est pas le cas de l’ensemble du pays. Les intercommunalités, tout comme les métropoles, ont résolu certains problèmes, et elles pourraient en résoudre d’autres encore plus efficacement si nous suivions les prescriptions que tu évoques, qui sont très pertinentes.
Cependant, nous n’avons pas encore réglé la question de la cohérence territoriale à l’échelle nationale. Nous faisons face à la désertification des services, à la disparition quasi totale des sous-préfectures, et à une réduction des services de l’État, notamment fiscaux, qui peinent à collecter les impôts. Les intercommunalités ont certes des défauts et des qualités, mais elles n’ont pas encore résolu cette question de la gestion du territoire à l’échelle de tout le pays.
Patrick Pincet
Je repense aussi à la question de la numérisation des services. Aujourd’hui, seules les communes assurent encore des services physiques. Par exemple, déposer une demande de titre de séjour en préfecture est devenu très difficile. Ces démarches concernent souvent des personnes d’origine étrangère, qui rencontrent déjà des difficultés avec la langue française, et pourtant, on leur impose un service entièrement dématérialisé.
Concernant la taille des intercommunalités, lorsqu’on me parle de fusions de communes, je conseille souvent de prendre une voiture et de traverser la France par les départementales. On se rend vite compte qu’il y a généralement entre 5 et 20 kilomètres entre deux communes. La question du rapport à l’effectivité du service reste fondamentalement physique.
De la même manière que les départements ont été découpés pour permettre un aller-retour entre les extrémités et la préfecture dans la journée, je pense qu’il devrait en être de même pour les intercommunalités. Une intercommunalité pertinente, c’est celle où les habitants entretiennent un lien concret avec le territoire. Il faut pouvoir percevoir physiquement les intérêts communs du territoire, mais aussi être en mesure de les « toucher du doigt ». Si les entités deviennent trop grandes, ce lien se délite, et cela engendre des dynamiques très complexes, voire ingérables, en termes de gouvernance et de gestion.
Marie-Françoise Bechtel
Par ailleurs, je trouve que la carte scolaire ne marche pas si mal. Ça fait longtemps qu’elle a été mise en place. Compte tenu de la démographie des territoires, dont l’État n’est pas directement responsable tout de même, ce n’est pas un échec. On peut faire de la planification territoriale intelligente sans tout ramener à la RGPP.
Dans la salle
Comment recréer le lien entre le numérique et le territorial ? L’État peut-il jouer le rôle de coordinateur entre les différentes strates territoriales dans les grandes régions ?
Patrick Pincet
Quand on regarde ce qui pouvait se passer à l’échelon départemental, des arrondissements, des « pays », c’est une question d’animation, de volonté et de réflexion. Quand j’étais sous-préfet à Provins, on avait travaillé avec Nogent-sur-Seine, Sens et Provins — trois départements, trois régions. Pourquoi ? Parce qu’on avait regardé quels étaient les grands enjeux dans ce triangle à l’écart de tout, même si Sens bénéficie de l’autoroute A5 et Nogent a l’atout économique lié à la présence de la centrale nucléaire.
On avait réussi à convaincre les élus et à organiser plusieurs réunions assez fructueuses, même s’il aurait fallu réussir à dépasser certaines choses, notamment sur le plan financier. Le problème, c’est d’avoir des idées — ce que nous avons de moins en moins aujourd’hui. De nos jours, vous avez des organisations très recentrées sur elles-mêmes, des élus globalement moins politiques et moins imaginatifs.
Je trouve qu’on est dans le court-termisme. Le fait de ne pas être capable de se concentrer une heure sur un sujet et d’écouter l’autre est le problème de base. Je ne désespère pas du corps préfectoral, que j’ai quitté avec grand regret à la suite d’un désaccord, car c’est un outil formidable.
Le problème, c’est le préfet qui fait du règlementaire, ce qui renvoie à un débat sinistre sur l’exception règlementaire corse en 2000, faisant suite à l’assassinat d’un préfet, jamais condamné par ceux avec qui nous avons discuté et qui sont maintenant au pouvoir en Corse. Un État qui se respecte et se fait respecter n’accepte pas cela, et affirme qu’il n’est pas possible de discuter avec de telles personnes — et encore moins de leur donner du pouvoir.
Régulièrement, tous les trois ou quatre ans, par contrition, on annonce qu’on va réaffirmer le pouvoir réglementaire du préfet — mais pour quoi faire ? Adapter la loi ? Il suffirait déjà de l’appliquer. On oublie souvent, même au sein du corps préfectoral, que le préfet dispose d’un pouvoir discrétionnaire dans bien des domaines.
Le préfet qui veut régulariser quelqu’un qui est en France depuis six mois, parce qu’il estime qu’il s’est bien intégré, peut le faire. Il existe un pouvoir de contestation, mais il peut agir.
Un grand paradoxe du quinquennat Sarkozy, c’est qu’on n’a jamais été autant déconcentrés et libres en matière d’étrangers. On avait déconcentré les dossiers d’instruction de naturalisation vers les préfectures, certains étant même traités à la sous-préfecture de Provins. Je vois ce qui se dit en ce moment sur les préfets : Bayrou veut les remettre au centre du jeu, mais encore faut-il des préfets de qualité, avec des directives claires, et qu’on leur dise que leur mission est de mettre tout le monde autour de la table.
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