Propos conclusif de Jean-Pierre Chevènement
Propos conclusif de Jean-Pierre Chevènement, fondateur et président d'honneur de la Fondation Res Publica, lors du colloque "Quelle architecture de sécurité en Europe ?" du mercredi 26 mars 2025.

François Gouyette
Sur l’Algérie on peut tout imaginer mais je ne crois pas un instant à cette hypothèse parce que s’il y a une doctrine intangible, immuable, dans l’Algérie indépendante, aussi bien de la diplomatie algérienne que de l’armée qui est vraiment au cœur du pouvoir, c’est celui de la non-présence de toute troupe étrangère, quelle qu’elle soit, sur le territoire algérien.
À propos de ce que disait Pierre Lellouche au début de son intervention sur le nouveau cours de la diplomatie française – et vous en avez exposé effectivement tout le sens -, une information parue ce 24 mars, passée inaperçue, me paraît être assez significative dans ce contexte, c’est la nomination de
Marie-Doha Besancenot, secrétaire générale adjointe de l’OTAN qui rejoint le cabinet du ministre des Affaires étrangères, Jean-Noël Barrot, où elle est chargée de moderniser la stratégie française d’influence et de guerre informationnelle, en lien étroit avec l’Élysée.
Jean-Pierre Chevènement
Je n’ai pas de réponse à la question que vient de poser François Gouyette. J’ignorais même cette nomination. Elle est sans importance, à mon avis, comme la plupart des initiatives ou des propos qui se prennent ou qui se tiennent sur le sujet.
Peu de choses sérieuses, finalement, auront été dites… en dehors des propos de nos intervenants qui, eux, étaient non seulement sérieux mais cohérents.
Cohérence dans l’analyse des causes. On n’a pas voulu vraiment associer la Russie au destin de l’Europe quand c’était possible, c’est-à-dire au moment de l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990. Il y avait une volonté qui faisait défaut. Pour avoir vécu cela d’assez près je peux dire que la volonté politique a manqué. Elle a manqué encore au moment des accords de Minsk quand il était clair que, comme le président Zelensky l’a d’ailleurs reconnu, les Ukrainiens ne voulaient évidemment pas appliquer les accords de Minsk qui, pour eux étaient inapplicables.
Donc on nous a quand même baladés pas mal sur cette affaire et il serait temps de revenir sur terre.
Cohérence entre le propos de Jean de Gliniasty et ce qu’a dit à juste titre Thierry de Montbrial à propos de l’effondrement de « l’empire russe ». On s’est ébaubis à l’époque en voyant cet empire s’effondrer sans pratiquement qu’une goutte de sang ait été versée… à part quelques unités, trois fois rien. Mais c’était ne pas voir le problème, ne pas comprendre que nous étions au début d’un processus qui allait se poursuivre et qui va s’achever, non pas définitivement, dans la période proche par la fin de la guerre en Ukraine. Première phase d’un conflit dont nous ne connaissons pas celles qui suivront.
Mais il est clair – et je partage tout à fait l’avis de Pierre Lellouche – que la guerre en Ukraine ne va pas se poursuivre. Pour une raison très simple : Qui va la financer ? Qui va payer la poursuite de la guerre ? J’entends beaucoup de propos « jusqu’au-boutistes » qui laissent penser que l’on peut financer une guerre à perpétuité. Mais je crois que toutes les conditions sont réunies pour qu’un certain nombre de grands esprits reviennent sur terre et fassent ce qu’il faut…
Pour faire quoi ? Je n’ai pas de réponse précise. Mais une chose me paraît sûre, c’est que ne rien faire est quelquefois la bonne solution…
On peut imaginer que les grands États de l’Europe occidentale trouveront des accords par traités.
Il y a en Europe deux puissances nucléaires (la France et le Royaume-Uni). Je ne crois pas que nous irons très vite vers une nucléarisation générale. D’abord parce qu’il y a des freins : les États-Unis, la Russie, tous les États dotés de l’arme nucléaire s’opposent évidemment à ce que les autres pays se dotent d’armes nucléaires.
Ce ne sera donc peut-être pas aussi facile que ça. Mais la tentation existe. Elle est là.
Les pays d’Europe occidentale, Pierre Lellouche l’a dit, ont les moyens de créer une sorte d’équilibre par rapport à la puissance russe qui n’est pas négligeable mais qui a aussi des limites.
La France a l’avantage d’avoir une dissuasion qui est peut-être calibrée pour défendre ses intérêts vitaux, ceux des 70 millions de Français. Mais que sont nos intérêts vitaux ? Y a-t-on vraiment réfléchi ? Où se situent-ils ? Quelque part très loin dans des brumes difficiles à percer à l’Est de l’Europe… Il faudra expliquer tout cela un peu plus longuement.
L’Ukraine a déjà cristallisé, à l’occasion des deux conflits mondiaux, les antagonismes qui existaient en Europe. Elle pourrait redevenir le trou noir de la diplomatie européenne et mondiale.
En attendant, je crois qu’il faut garder son sang-froid, éviter les déclarations trop péremptoires, les propos finalement inconséquents, et revenir à la défense des intérêts de la France.
Ce sera difficile parce qu’on a pris l’habitude de parler de la défense européenne. Il y a même un commissaire à la défense européenne ! Ça ne résulte d’aucun traité. Ça n’existe pas ! Mais c’est passé dans le langage courant. Et tout le monde parle de la défense européenne comme si c’était un concept clair. Non, ce n’est pas un concept clair !
Je ne formule qu’un vœu pour conclure, c’est que les gens qui s’exprimeront sur ce sujet particulièrement restent aussi clairs et aussi précis que possible dans l’intérêt de notre pays.
Marie-Françoise Bechtel
Merci, Monsieur le président fondateur.
Vous nous avez donné une si belle conclusion que nous allons nous arrêter là.
Merci à tous.
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Le cahier imprimé du colloque « Quelle architecture de sécurité en Europe ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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