La France puissance de paix

Bonnes phrases issues du colloque "Quelle architecture de sécurité en Europe ?" organisé par notre Fondation le mercredi 26 mars 2025 . Cette rencontre était la première d'un cycle de trois colloques sur le thème "La France puissance de paix".

C’est pour notre Fondation un objectif majeur que la recherche des voies et moyens permettant de définir un avenir de paix, en premier lieu sur notre continent.

Pour tenter d’alimenter ce que pourrait être la voie suivie par la France, il nous a semblé de la première urgence de nous pencher sur la manière de poser la question des garanties de sécurité en Europe. Une certaine anémie du débat public sur la question, le retour en boucle d’évidences assénées et de vérités médiatiques faisant fi de toute analyse historique, est en effet un facteur préoccupant pour le citoyen qui voudrait regarder l’avenir les yeux ouverts. Cela alimente la peur de l’avenir en sautant par-dessus l’obstacle du comprendre.

C’est pourquoi nous publions ci-après, sans attendre la transcription du colloque que nous avons tenu le 26 mars sur l’architecture de sécurité en Europe, les « bonnes phrases » qui en sont directement issues. Le sujet nous semble en effet assez grave pour que nous souhaitions que le débat public puisse s’emparer des analyses diplomatiques, politiques et géopolitiques des trois intervenants que nous avions conviés à s’exprimer et qui ont pour point commun le courage d’une pensée fondée sur une longue expérience et une longue réflexion .

Vous trouverez donc ci-après un florilège d’analyses et de réflexions qui nous semble autant de « munitions pour l’avenir » ainsi que les réflexions que ces analyses ont inspirées à JP Chevènement en clôture de ce colloque.

Marie-Françoise Bechtel

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Introduction, par Marie-Françoise Bechtel (Présidente de la Fondation Res Publica)

« C’est pourtant dans le mouvement de l’histoire et non dans le monde plat d’une actualité rendue illisible par le défaut de l’analyse et l’empressement des idéologies qu’il faudrait rechercher la clé ce qui nous arrive. »

« Dans cette actualité faiblement lisible qui est aujourd’hui le lot de notre continent il y a comme un grand absent : quel est l’objectif d’avenir qu’il serait bon de poursuivre en termes d’intérêt national ? Et à le supposer défini, comment cet objectif s’articulerait-il avec un projet existentiel, un projet d’avenir pour notre continent ?« 

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Intervention de Jean de Gliniasty (ancien ambassadeur de France à Moscou (2009-2013), directeur de recherche à l’Iris, auteur, notamment, de La Russie, un nouvel échiquier (Eyrolles, 2022) et de France, une diplomatie déboussolée (L’inventaire, 2024))

« Une architecture de sécurité, c’est de la diplomatie et du militaire. Il en existait une en Europe au moment de la chute de l’URSS. Aujourd’hui, il n’y a plus rien. »

« La conférence de Paris (1990), c’est la malédiction initiale de l’architecture de sécurité en Europe : la volonté, malgré des solutions de compensation (accord de partenariat et de coopération de 1994, etc.) d’exclure la Russie de celle-ci. »

« Les Russes ont proposé plusieurs fois de participer à un système de sécurité européen. En négatif: conférence de Bucarest de 2008 (« ne faites pas rentrer l’Ukraine et la Géorgie dans l’OTAN »). En positif: en 2009, projet de traité pour neutraliser l’OTAN, puis à l’occasion de l’initiative de Meseberg. »

« Il ne peut y avoir d’architecture de sécurité en Europe sans une Russie qu’on a voulu repousser dans les ténèbres de l’extériorité européenne, au prix d’une profonde instabilité du continent. »

« Après avoir saboté les tentatives d’architecture de sécurité en Europe, les États-Unis s’en retirent. »

« L’OSCE est impuissante actuellement car on a pris grand soin de la priver de tout organisme directeur. Il n’y a pas de Conseil de sécurité de l’OSCE, ce que l’on pourrait envisager de créer. »

« En disant « débrouillez-vous », Trump offre une occasion pour l’Europe d’accéder à un niveau plus grand d’autonomie stratégique. »

« Tout nouveau système d’architecture de sécurité devra inclure la Russie, ce qui implique le règlement de la guerre en Ukraine, la fin des objections de principe, la continuité de la politique américaine de retrait de l’Europe et que la France assume ses responsabilités. »

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Intervention de Thierry de Montbrial (président fondateur de l’Institut français de relations internationales, président de la World Policy Conference, auteur de L’ère des affrontements : Les grands tournants géopolitiques (Dunod, 2025))

« La maîtrise des armements dans le monde avait débuté après la crise des missiles de Cuba. Tout cela a été mis à la poubelle du fait des Occidentaux. Les Russes nous en ont beaucoup voulu pour cela. »

« La chute de l’URSS, c’était la chute du communisme et, plus grave, la chute de l’Empire russe, le dernier Empire du XXe siècle. Cela produit inévitablement des conséquences pendant des décennies, ce qu’on a pas voulu voir par idéologie. »

« Les années 1990 ont été pour la Russie un effondrement total. Les universitaires devenaient chauffeurs de taxi pour survivre. Les centres de recherche s’effondraient. On pouvait aller au Kremlin sans rendez-vous et les Russes signaient le premier traité venu. »

« Brzeziński avait compris que celui qui mettait la main sur l’Ukraine mettait la main sur le continent eurasiatique et qu’il fallait donc que les Américains le fassent. Il l’a finalement regretté, en mettant en avant le risque de guerre mondiale. »

« Nous n’avons jamais été capables de comprendre la nécessité de la reconstruction d’un système de sécurité européen. »

« Il était prévisible dès 2022 que la guerre russo-ukrainienne s’arrêterait par la volonté des Américains. Cela s’est toujours fait ainsi, au Vietnam ou en Afghanistan par exemple. Il n’y avait pas besoin d’être un génie pour comprendre que tout ça finirait par une partition territoriale. »

« Comme je l’avais écrit en 2022, les Américains sont les premiers bénéficiaires de la guerre russo-ukrainienne, tandis que les Européens sont les grands perdants. »

« L’Europe se trouve aujourd’hui en morceaux car elle est tragiquement affaiblie économiquement et souffre des conséquences d’un élargissement excessif. »

« L’engagement précipité d’élargir l’UE à l’Ukraine est absolument fou. C’est un engrenage sans fin. Le jour où le Kosovo sera dans l’UE, on va s’amuser ! »

« Les réactions de nos dirigeants à la guerre russo-ukrainienne vont à rebours de notre histoire et de notre tradition géopolitique. Nous avons fait le choix de soutenir totalement le point de vue de la Pologne et des pays Baltes. »

« Emmanuel Macron a voulu profiter des circonstances pour reprendre le leadership en Europe, mais un tel leadership ne peut être que fragile. Les engagements n’ont de sens que dans la longue durée. On ne va pas construire une défense européenne en cinq ans. »

« On dit que la Russie de Poutine mène une guerre hybride contre la France. C’est vrai. Mais n’importe quel leader russe ferait la même chose aujourd’hui vu les positions que nous avons prises. »

« On peut imaginer un jour que les Russes aient une base navale en Algérie, voire déploient des missiles là-bas. Quand on pense aux enjeux de défense et de sécurité, il faut penser à vingt ans. »

« On aurait pu faire l’économie de cette guerre, ce qui aurait permis de préserver les frontières de 1991. Dans quelques années, il nous faudra en revenir à une vraie architecture de sécurité (pas juste à une trêve). Nous n’avons pas le choix. »

« L’Union européenne est en danger mortel. Il est tout à fait possible, à l’horizon 10-2O ans, qu’elle disparaisse. Il est essentiel de réfléchir de façon méthodique à son avenir, quels que soient les griefs qu’on peut avoir sur son fonctionnement actuel. »

« Les Allemands restent des Allemands. Ils vont faire ce qu’ils disent et se remettre en marche. Et ils finiront, comme toujours dans leur histoire, par se tourner vers l’Est. Les premiers à se tourner vers la Russie, ce sera eux, possiblement à notre détriment. »

« Si le fossé économique entre pays européens continue de s’élargir, l’UE mourra. Le point de rupture peut tout à fait être l’euro. »

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Intervention de Pierre Lellouche (ancien secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, ancien député, auteur de Engrenages (Odile Jacob, 2024))

« N’en déplaise aux partisans de sa poursuite, sans objectifs d’aucune sorte, la guerre russo-ukrainienne est en train de se terminer, par une partition territoriale dont je parlais dès janvier 2023, tout comme le chef d’état-major américain. »

« 300 000 Ukrainiens ont perdu la vie ou été blessés. 2 millions de maisons/appartements ont été saccagés. Le tiers des infrastructures énergétiques a été détruit. Mais cela ne suffit pas pour certains qui refusent toute négociation. »

« La négociation a produit une trêve de 30 jours qui protège les infrastructures énergétiques, mais Poutine a demandé en échange l’arrêt des livraisons d’armes et des renseignements. Une autre trêve porte sur la Mer noire, avec la fin de sanctons en retour. »

« Les Américains sont les grands gagnants de cette guerre. Ils ont saigné l’armée russe en laissant la note du boucher aux Ukrainiens, sans perdre de soldats. Ils ont vendu des armements massivement. Ils se sont substitué au gaz russe. Ils ont restauré leur leadership en Europe. »

« Poutine n’a pas réussi une formidable opération avec cette guerre. Ils n’ont pas pris l’Ukraine. Ils ont forgé une nation ukrainienne. Ils ont fédéré les Européens contre eux. Sans compter les centaines de milliers de morts et de blessés. »

« Poutine veut une nouvelle architecture de sécurité en Europe. Cela mérite d’être étudié. »

« L’Amérique est redevenue, comme au XIXe siècle, impériale, nationaliste, révisionniste et isolationniste à la fois. Cela ne peut que plaire à Poutine et à d’autres Empires, mais risque de nous poser bien des problèmes… »

« En épousant totalement la position des Ukrainiens, les Européens risquent de perdre la guerre avec eux. Ils s’entêtent sur une idée dont personne ne veut : l’entrée de troupes françaises et britanniques en Ukraine. On projette l’image d’une Europe désunie et faible. »

« Les Ukrainiens avaient déjà vendu les terres rares à l’UE en 2021. La méthode pose question. »

« La situation rappelle la description par Bainville du Traité de Versailles. L’abcès est là, dans un espace central de la géopolitique européenne. La signature trop rapide, par Trump et Poutine, d’une paix ne fera que déléguer le problème à leurs successeurs. »

« L’UE, trop élargie et trop vite, va vibrer dans tous les sens. Avec des scénarios très compliqués et un risque de prolifération nucléaire. Ces débats vont contaminer d’autres pays comme l’Allemagne. »

« L’Allemagne peut tout à fait devenir, demain, la première armée du Continent et fédérer les petits pays autour d’elle. Pendant ce temps là, la France est à l’os. Il nous faut d’urgence un effort massif de réarmement, pas juste des incantations. »

« La pire option pour se réarmer est de passer par l’UE. Pour dissuader les Russes, il faut une défense européenne à 5 adossée aux forces nucléaires française et britannique ou, alors, aller vers la confédération. »

« On est en train de paniquer les gens et de partir sur des options diplomatiques qui ne peuvent déboucher que sur un échec. C’est pourquoi je me suis permis d’écrire une lettre ouverte au président de la République. »

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Intervention de Jean-Pierre Chevènement (Président d’honneur et fondateur de la Fondation Res Publica) lors du débat final

« On n’a pas voulu vraiment associer la Russie au destin de l’Europe quand c’était possible, c’est-à-dire au moment de l’effondrement de l’Union soviétique dans les années 1990. Il y avait une volonté politique qui faisait défaut. Elle a manqué encore au moment des accords de Minsk quand il était clair que, comme le président Zelinsky l’a d’ailleurs reconnu, les Ukrainiens ne voulaient évidemment pas appliquer les accords de Minsk qui, pour eux étaient inapplicables. Donc on nous a quand même baladés pas mal sur cette affaire et il serait temps de revenir sur terre. »

« La guerre en Ukraine ne va pas se poursuivre. Pour une raison très simple : Qui va la financer ? Qui va payer la poursuite de la guerre ? J’entends beaucoup de propos « jusqu’au-boutistes » qui laissent penser que l’on peut financer une guerre à perpétuité. Mais je crois que toutes les conditions sont réunies pour qu’un certain nombre de grands esprits reviennent sur terre et fassent ce qu’il faut … Pour faire quoi ? Je n’ai pas de réponse précise. Mais une chose me paraît sûre, c’est que ne rien faire est quelquefois la bonne solution …

« La France a l’avantage d’avoir une dissuasion qui est peut-être calibrée pour défendre ses intérêts vitaux, ceux des 70 millions de Français. Mais que sont nos intérêts vitaux ? Y a-t-on vraiment réfléchi ? Où se situent-ils ? Quelque part très loin dans des brumes difficiles à percer et à l’Est de l’Europe… Il faudra expliquer tout cela un peu plus longuement. »

« L’Ukraine a déjà cristallisé, à l’occasion des deux conflits mondiaux les antagonismes qui existaient en Europe. Elle pourrait redevenir le trou noir de la diplomatie européenne et mondiale. »

« On a pris l’habitude de parler de la défense européenne. Il y a même un commissaire à la défense européenne ! Ça ne résulte d’aucun traité. Ça n’existe pas ! Mais c’est passé dans le langage courant. Et tout le monde parle de la défense européenne comme si c’était un concept clair. Non, ce n’est pas un concept clair !

« Il faut garder son sang-froid, éviter les déclarations trop péremptoires, les propos finalement inconséquents, et revenir à la défense des intérêts de la France. »

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