Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du colloque "Quelle politique étrangère pour la France?" du jeudi 21 mars 2024.
Mesdames, Messieurs,
Monsieur le Président fondateur,
Messieurs les intervenants,
Chers amis,
Nous avons conscience d’aborder aujourd’hui un sujet ambitieux. Ambitieux d’abord parce qu’il suppose un diagnostic large et, autant qu’il se puisse, dépassionné de la place de notre pays dans un ordre mondial qui questionne largement cette place.
Peut-être cet ordre mondial, difficilement lisible, peut-il sembler plutôt un désordre. C’est pourquoi nous avions fait précéder ce colloque d’un autre colloque auquel beaucoup d’entre vous étaient présents qui s’est tenu ici même le 20 février dernier. Ce colloque avait pour objet d’interroger les concepts d’« Occident collectif » et de « Sud global ». Nous nous étions demandé à travers cette interrogation préalable si ces concepts rendaient vraiment compte de l’état réel du monde réel.
Nous avions ainsi entendu le professeur Bertrand Badie qui avait rappelé à quel point le concept d’Occident était ancien, comment aussi il n’avait permis une auto-reconnaissance des pays faisant partie de ce cercle occidental que relativement tard dans l’histoire, pour déboucher aujourd’hui sur une réalité plus interpellative puisque c’est par ce concept d’« Occident collectif » que la Russie désigne comme on le sait les pays qui ont adopté les sanctions collectives dont elle est la cible.
Pascal Boniface avait notamment souligné la faiblesse d’une vision du monde centrée sur les droits de l’homme par lesquels l’Occident s’occulte à lui-même les véritables enjeux de la rivalité des deux puissances dominantes, les États-Unis et la Chine. Il avait aussi mis en lumière le fait que l’Occident poursuit un projet commun à travers l’élargissement de l’OTAN, manifeste ou pas, et que si le Sud, quant à lui, n’a pas de projet commun, les pays du Sud dit « global » ont en commun le fait de mal accepter les leçons de morale d’un Occident qui pratique le deux poids deux mesures comme le montre amplement la différence de traitement, y compris médiatique, entre le conflit ukrainien et le conflit
israélo-palestinien. Sur cette question nous avions d’ailleurs eu des questions et des commentaires particulièrement argumentés dans la salle.
Jean de Gliniasty avait, entre autres considérations, souligné – dans l’attente même de la possible élection de Trump – l’importance du transfert du fardeau de la guerre d’Ukraine des États-Unis vers l’Europe. Il nous conduisait ainsi à recentrer à la lumière de cet élément trop peu souligné l’interrogation sur l’avenir de notre continent, ce qui n’est pas une mince affaire
C’est largement d’ailleurs cette interrogation qui structure le champ que nous voulons aborder ce soir :
Que peut et que veut la France aujourd’hui ? Que pourrait-elle vouloir demain ? Quels seraient les instruments de la remise en marche d’une politique étrangère dont aujourd’hui la panne saute aux yeux ? Panne déjà ancienne, manifestée aujourd’hui par des prises de position successives et contrastées des pouvoirs publics. Je crois n’avoir pas besoin d’insister sur ce point qui relève de la constatation objective : l’interview donnée par le chef de l’État à The Economist avant la guerre d’Ukraine (en novembre 2019), suivie de la position prise initialement vis-à-vis de cette même guerre, suivie elle-même des dernières déclarations toujours relatives à la guerre d’Ukraine … tout cela peut quand même désorienter l’opinion sensible à ces questions. Plus largement – j’ai l’intuition que certains intervenants vous le diront bien mieux que moi – cette désorientation naît de l’abandon de certains fondamentaux que l’on dit gaullistes, que certains ont appelés gaullo-mitterrandiens et qui vont de l’utilisation de notre siège permanent au Conseil de sécurité de l’ONU, le cas échéant pour faire entendre une voix spécifique de la France, au maintien de ce que l’on a appelé la politique arabe de la France, maintenant disparue. En faisait aussi partie la distance raisonnée avec le grand allié d’Outre-Atlantique (« allié mais pas aligné » selon la formule d’Hubert Védrine). Et tout au bout, last but not least, il existait une vision française de l’avenir du continent européen aujourd’hui marqué par le bellicisme russe mais qui, comme Jean-Pierre Chevènement l’avait dit fortement lors de notre précédent colloque, pose la question de notre vision à long terme du continent tout entier et pas seulement de l’Union européenne.
Sur ces interrogations je vais donner la parole aux intervenants que je commence par présenter.
Notre ami Sami Naïr qui devait intervenir vous prie de l’excuser car en raison de circonstances familiales graves il n’a pas pu être des nôtres ce soir.
Nous entendrons d’abord Thierry de Montbrial, président fondateur de l’Institut français de relations internationales (IFRI), président de la World Policy Conference, auteur, notamment, de Vivre le temps des troubles (Albin Michel, 2017).
Lui succédera Pierre Lellouche, ancien secrétaire d’État chargé des Affaires européennes, ancien président de l’Assemblée parlementaire de l’OTAN, ancien député.
Et nous entendrons pour finir Renaud Girard, grand reporter, chroniqueur international au Figaro, auteur, notamment, de Quelle diplomatie pour la France ? (Le Cerf, 2017).
Thierry de Montbrial, vous êtes un déchiffreur du monde que vous ne cessez de parcourir et d’analyser. Depuis quelques années, à travers un certain nombre d’interventions, vous nous avez invités à Vivre le temps des troubles. Cette idée pourrait paraître aujourd’hui tout à fait prémonitoire. Vous avez également conduit un ouvrage collectif dont le titre est très explicite puisqu’il porte sur l’intérêt national[1]. C’est donc ayant rappelé ces faits d’armes que je vais vous laisser la parole.
[1] Thierry de Montbrial et Thomas Gomart, Notre intérêt national. Quelle politique étrangère pour la France ?, Paris, Odile Jacob, 2017.
Le cahier imprimé du colloque « Quelle politique étrangère pour la France ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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