Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du séminaire "Europe, État de droit et souveraineté nationale" du lundi 15 mai 2023.

Introduction par Marie-Françoise Bechtel, présidente de la Fondation Res Publica, lors du séminaire « Europe, État de droit et souveraineté nationale » du lundi 15 mai 2023.

Mesdames, Messieurs,

Chers amis,

Si nous sommes réunis ici en petit comité, comme le veulent nos séminaires, pour essayer d’approfondir une question, ce n’est pas pour le plaisir purement intellectuel de l’analyse, bien que nous ne risquions pas d’être privés, par nos brillants intervenants, de ce qu’il y a de mieux sur le plan intellectuel.

Que cherchons-nous à faire ici ? Au sein de cette Fondation nous sommes attachés à la souveraineté nationale et à la vision républicaine de l’intérêt national – deux choses qui sont profondément liées l’une à l’autre –  nous sommes donc attachés à une vision de la démocratie qui soit conforme aux canons tels qu’ils avaient été institués en France (après l’Angleterre), avec une souveraineté populaire qui se dote de représentants desquels émane une loi qui en principe est souveraine.

Ni notre ADN national ni notre histoire ne nous prédisposaient à des transferts vers cet être non défini devenu au fil des ans l’Union européenne, sorte de protoplasme dans lequel les formes s’agrandissent, se remplissent jusqu’à atteindre la totale plasticité qui, je crois, caractérise la situation actuelle.

Nous savions certes que l’Union européenne était largement gouvernée par une Commission qui est une sorte d’appareil d’État sans État, ce qui ne l’empêche pas, au contraire, de prendre une place considérable.

Nous avions appris aussi que ce qui était alors la CEE considérait qu’elle était la source d’un droit souverain s’imposant aux États membres (je cite l’arrêt bien connu Costa contre Enel, rendu en 1964 par la Cour de justice des Communautés européennes). Au moins à l’époque cette affirmation avait-elle quand même fait quelque bruit.

Et aujourd’hui enfin nous savons que nous avons donné notre consentement, par voie constitutionnelle, à un déferlement de pouvoirs et de compétences qui au fil du temps sont devenus considérables. Il suffit de rappeler que le traité de Lisbonne a produit cinquante nouveaux domaines de compétences en dehors des instruments d’action dont il gratifie les instances existantes.

Mais tout cela ne serait rien si nous n’étions pas en train de découvrir en outre que, s’emparant d’un espace laissé sans doute vide, souple et, comme je le disais, protoplasmique, le juge de l’Union européenne, aujourd’hui en première ligne, vient, par des arrêts où fleurissent de nombreux considérants de principe, donner un certain nombre de prescriptions et  d’édictions  qui sous couleur de dire le droit imposent aux États une sorte de gouvernance non dite fondée sur les droits fondamentaux.

Or, question préliminaire, que peut signifier la suprématie du droit édicté au nom d’une Union, organisation unique en son genre, dont les principales bases ne sont pas démocratiquement fondées ? Je le dis sans esprit de polémique en me référant au constat émis par la cour constitutionnelle allemande, le Tribunal de Karlsruhe, en 2009 : nous avons, dit ce tribunal, un Parlement qui n’est pas un Parlement et ne représente pas un peuple souverain. À ce constat on ajoutera pour décrire l’ensemble de l’architecture institutionnelle de l’Union que la Commission est un organe qui est en même temps semi-gouvernemental participant pour partie à l’exécutif et semi-législatif, partageant un certain nombre de pouvoirs avec le Parlement, tout en gérant l’administration européenne, chose unique et jamais vue ! La seule instance démocratique conforme aux canons de la démocratie est le Conseil des chefs d’État et de gouvernement. Mais cette instance, la seule légitimement fondée, ne semble pas avoir goût à prendre des décisions qui soient réellement négociées, prises à l’unanimité et portant une vision de l’Europe.

Ce sont toutes ces questions qui nous préoccupent. À la Fondation Res Publica nous cherchons toujours le chemin politique au sens large du terme. Mais face à une situation de blocage d’une telle nouveauté, comme il va être décrit dans un instant, nous sommes quand même conduits à faire un point de situation. C’est ce que nous faisons ce soir. Jusqu’à quel point les maux sont-ils graves ? Jusqu’à quel point l’atteinte à la souveraineté nationale par l’action du juge communautaire, ce dernier acte de la prise de pouvoir par les instances communautaires, est-elle si ce n’est irrémédiable, du moins largement et fortement installée ? à moins d’une volonté politique absolument inédite et peut-être aussi d’un basculement de la culture des peuples spécifiques que nous sommes, peut-être ne sera-t-il pas possible de revenir en arrière. Je le répète, nous avons ressenti l’Union européenne depuis maintenant de longues années comme un système trop écrasant par rapport à la souveraineté nationale. Mais où nous n’avions rien vu par rapport à ce que à quoi nous assistons depuis une dizaine d’années.

C’est ce phénomène nouveau que nous allons essayer de décrire, non sans nous interroger sur les moyens envisageables pour remédier à cet état de fait ou du moins pour canaliser quelque peu ce torrent qui nous emporte vers le tout juridique et vers l’abaissement du politique.

Jean-Éric Schoettl nous fait l’amitié d’intervenir devant nous sur la base d’une note remarquable qu’il nous a donnée[1], et nous l’en remercions, sur le rapport entre la souveraineté nationale et le droit européen. Et je n’ai pas besoin de vous dire à quel point le propos de Jean-Éric est savant, précis, rigoureux, sans parler de la qualité rhétorique brillante qui le marque.

Anne-Marie Le Pourhiet a accepté de faire ce que je n’ose appeler (comme elle l’a fait elle-même) un complément, en donnant les aperçus théoriques nécessaires pour éclairer l’évolution en cours et la façon dont l’horizon s’est bouché. Je n’attends pas d’elle une vision optimiste de la manière dont l’accumulation des nuages noirs pourrait, fût-ce au prix d’un orage, nous conduire à une révision de cette situation mais en tout cas nous entendrons une parole savante, formée, rigoureuse sur les principes. Je crois que cette base intellectuelle est vraiment ce que nous demandons à la Fondation Res Publica parce que nous pensons qu’il n’y a pas de pensée politique si la base intellectuelle et conceptuelle n’est pas sûre, rigoureuse et « bordée » de tous les côtés. Je donne donc pour commencer la parole à Jean-Éric Schoettl dont je ne vous ai pas dit – mais vous le connaissez tous – qu’il est polytechnicien, membre du Conseil d’État. Parmi les nombreuses fonctions qu’il a exercées, il a été notamment été secrétaire général du Conseil constitutionnel entre 1997 et 2007. C’est largement à ce titre qu’il a beaucoup de choses à nous dire ce soir.

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[1] « La notion européenne d’État de droit et les souverainetés nationales », note publiée sur le site internet de la Fondation Res Publica en novembre 2022.

Le cahier imprimé du séminaire « Europe, État de droit et souveraineté nationale » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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