La planification écologique : un instrument économique utile, mais à quelles conditions ?

Une étude rédigée par Thomas Brignol et Jules Vidal, auditeurs du troisième cycle de l’IRSP.

Introduction

Stratégie française énergie-climat, Stratégie nationale bas carbone, Programmation pluriannuelle de l’énergie, Plan national d’adaptation au changement climatique, Plan climat : l’énoncé de ces différents documents de projection témoigne de la prise en compte théorique des moyen et long termes dans l’action publique. Leur multiplicité les rend toutefois peu lisibles, si bien qu’ils demeurent mal respectés et trop peu pris en compte dans l’élaboration des politiques publiques. 

Après-guerre, cet office de mise en cohérence de la politique économique a été rempli par une planification à travers laquelle l’Etat définissait moyens et objectifs à atteindre en concertation avec industriels, agriculteurs, syndicats et experts. De 1945 à 1965, quatre plans élaborés par un Commissariat général ont défini les grandes orientations de l’activité sur un modèle pluriannuel. Cette planification, indicative mais dotée d’une autorité telle qu’elle a été systématiquement respectée, a indéniablement contribué au succès de l’économie française et au redressement de l’industrie à l’issue de la Seconde Guerre mondiale.

En fléchant des ressources alors particulièrement limitées, la planification d’après-guerre a donné à l’activité publique et privée une cohérence générale. Elle a également permis de dépasser la « préférence pour le présent » – ou la pente naturelle au court-termisme – qui est souvent le lot des décisions prises tant sur le marché que par la délibération démocratique. En définitive, le plan a joué un rôle « d’anti-hasard », ou de « réducteur d’incertitude », pour reprendre les termes de Pierre Massé, l’un de ses commissaires généraux. Dans un ouvrage précieux, celui-ci n’hésitait pas à lier la planification à une vision de l’homme et de son ambition à passer « de la rétrospective à la prospective, attitude ouverte en face d’un avenir ouvert, inquiétude intellectuelle cherchant à se résoudre en optimisme d’action, recherche servant de trait d’union entre la pluralité des possibles, y compris ce que nous serons devenus nous-mêmes – et la décision unique à prendre à l’instant présent.1 » 

Ce modèle, qui ne va pas de soi dans le cadre d’une économie de marché, a toutefois été attaqué à plusieurs titres, menant à son extinction de fait aux tournants des années 1970 et 1980. Par le bas, la décentralisation a transféré aux collectivités locales des compétences d’aménagement du territoire et de préservation de l’environnement qui ont privé l’Etat de certaines de ses prérogatives en matière de développement économique. Par le haut, le rôle de la puissance publique a muté en passant, notamment sous l’influence des politiques de concurrence impulsées par la construction européenne, de stratège à arbitre de l’activité économique, comme en témoigne la perte de nombre d’entreprises publiques qui concourraient précisément au respect de ces plans. 

Cette mutation s’inscrit dans le cadre plus large de l’emprise croissante de l’idéologie néolibérale, qui revisite la théorie économique classique pour défendre une certaine réduction des interventions étatiques dans l’économie : l’Etat serait susceptible de brouiller l’information, là où le marché saurait envoyer aux agents, par le prix, les signaux à même de garantir les bonnes décisions privées qui, agrégées, maximiseraient le bien-être social.

Dans le contexte du changement climatique, les défaillances de marché sont pourtant susceptibles de faire à nouveau évoluer le rôle de l’Etat, notamment face aux enjeux de raréfaction des ressources et de transition énergétique, qui impliquent la mise en œuvre de stratégies de long terme. La prise en compte de cette temporalité nouvelle légitime la réintroduction d’une forme de planification, alors même que les fondements de son efficacité d’après-guerre ont été sapés. 

Face à cette dépossession, la récente nomination d’une première ministre « chargée de la planification écologique et énergétique2 » et armée d’un secrétariat général à la planification écologique (SGPE3), vise à renforcer l’articulation des différentes politiques publiques en la matière. Ajoutons qu’un haut-commissaire au plan avait été précédemment institué, lui aussi chargé de « coordonner les travaux de planification et de réflexion prospective conduits pour le compte de l’Etat.4 » 

Le manque « d’orchestration5 » dont a longtemps souffert l’action publique en matière environnementale pourrait donc être pallié par la mise en œuvre d’une planification renouvelée, dont les contours demeurent aujourd’hui flous : aucun plan d’ensemble, couvrant l’ensemble des secteurs et leurs besoins en amont, n’a à ce jour été élaboré et les moyens engagés demeurent limités.  

Dans le sillage de ces ambitions, plusieurs publications récentes traitent des vertus possibles de la planification en matière écologique. La présente note vise à nourrir le débat abordant la réactivation dont devrait faire l’objet la planification indicative pour faire face aux exigences de la transition écologique (I) et les modalités selon lesquelles un tel outil pourrait être utile (II).

Les caractéristiques de la transition écologique justifient la réactivation d’une forme de planification 

La planification d’après-guerre constitue un précédent utile en ce qu’elle a permis de démultiplier l’efficacité de l’action de l’Etat dans un contexte de contraintes spécifiques

La planification mise en œuvre dans le cadre de la reconstruction, qui différait largement de la planification impérative de type soviétique, dont les rigidités ont conduit à une inefficacité complète, a pu apparaître comme un instrument efficace. Son utilisation dans l’économie mixte d’après-guerre a nourri le développement industriel des Trente glorieuses à travers deux avantages relevés par Pierre Massé : d’une part, elle a permis l’unité de l’action de l’Etat et des personnes publiques qui, par effet d’entrainement, s’est répercutée sur l’ensemble des agents économiques. D’autre part, elle a permis d’« orienter correctement les décisions des entreprises lorsqu’elles ont [eu] à faire face à un avenir lointain et incertain6 », en d’autres termes, d’ancrer les anticipations des agents économiques, qui disposaient, grâce au plan, d’une plus grande visibilité.

Ces acquis ont permis de contrevenir à une situation où le signal-prix du marché était déformé par la rareté des ressources, ne permettant pas une allocation efficace du fait de leurs caractéristiques spécifiques. Le signal-prix peut en effet entrainer un rationnement socialement sous-optimal, avec un niveau de production insuffisant pour certains biens. Il peut également connaître une forte volatilité, renforçant l’incertitude des agents, ce qui nuit à la stabilité et à l’ancrage des anticipations. La planification indicative, combinée avec d’autres outils complémentaires (blocage des prix, nationalisations…) a, dans cette situation, permis d’assurer la continuité de la production de biens essentiels. Les avantages d’une telle planification se sont également présentés à l’occasion de la Première Guerre mondiale, où, plus sectorielle, elle avait permis à la France de doubler sa production d’acier7. Or, c’est à un chantier de cette envergure que s’apparente la transition écologique telle qu’elle doit être envisagée lorsque l’on considère les engagements pris en matière de neutralité des émissions de CO2. 

En matière de transition écologique, la planification permettrait une mise en cohérence des interventions publiques

Le réchauffement climatique constitue ce que Nicholas Stern a qualifié de « plus grande défaillance de marché que le monde ait jamais connue8 ». S’il peut s’analyser au regard de la théorie standard des externalités et des biens publics, il diffère des autres défaillances de marché du fait de ses causes et de ses conséquences systémiques, nécessitant un engagement spécifique de la puissance publique. 

La théorie économique a identifié un certain nombre d’interventions étatiques permettant de limiter le changement climatique et de mener la transition énergétique. La taxation s’avère être un outil nécessaire pour orienter les comportements des agents économiques de façon optimale, notamment en matière de consommation courante pour les ménages et les entreprises. En parallèle de la taxe, des mesures de command-and-control, essentiellement réglementaires, constituent un complément utile du fait de leur plus grande acceptabilité sociale. Enfin, l’accroissement de l’investissement public est un levier d’intervention majeur. Ces trois politiques économiques verraient leur efficacité d’ensemble renforcée par une mise en cohérence à travers la planification indicative.

Cette planification pourrait ainsi accompagner la taxation du carbone, avec l’objectif ambitieux d’atteindre, à terme, la valeur tutélaire de 775€ la tonne équivalent CO2 en 20509. Elle permettrait de garantir la progressivité de cette taxation tout en lui donnant une lisibilité indispensable pour les investisseurs publics et privés, ainsi que pour l’orientation de la consommation des ménages.

La planification garantirait les mêmes bénéfices concernant les mesures réglementaires, en assurant d’abord la lisibilité des dispositifs mis en œuvre à travers l’intégration du long terme. Elle garantirait, en outre, le respect de l’échéancement de telles mesures. L’interdiction de la vente de véhicules thermiques neufs constitue une illustration de la nécessité à recourir à la réglementation, en même temps qu’un exemple de défaillance des pouvoirs publics qui ont dans un premier temps procédé, en France, à l’interdiction en 204010, avant d’avancer vers une interdiction, au niveau européen, dès 203511.

A l’image de la planification d’après-guerre, la planification écologique permettrait enfin de garantir à l’avance des montants d’investissements publics, les besoins en la matière ayant été estimés à 70 milliards d’euros en 203012. La nécessité d’investissements publics substantiels tient notamment aux différences qui séparent les investissements verts des investissements bruns : les coûts fixes importants des investissements bénéfiques limitent en effet leur rendement à court-terme, justifiant intervention publique pour inciter l’investissement privé ou pour s’y substituer directement. Dans les deux cas, une logique de planification indicative apparait adéquate compte tenu de leur temporalité et de la nécessité d’ancrer les anticipations des investisseurs.

Outre l’intérêt d’une planification de l’usage de chacun de ces outils – nécessaire compte tenu de la multiplicité des acteurs impliqués – celle-ci permettrait de renouer avec l’unité d’action des agents économiques publics et privés, exigence pour mettre en œuvre la transformation économique majeure qu’exige transition écologique. 

La planification pourrait également limiter les risques afférents à la transition écologique

La transition induit des risques, qui tiennent d’abord aux rigidités de la production et à la disponibilité limitée des ressources nécessaires pour la mener. A titre d’exemple, les besoins en métaux et minéraux critiques (convoqués dans la production de l’énergie décarbonée, des panneaux solaires aux batteries de véhicules électriques) vont entrainer une hausse massive de la demande qui devra être multipliée par six d’ici 2040 pour atteindre la neutralité carbone au niveau mondial13. Combinée aux rigidités de l’offre – les acteurs, qui devraient mener des investissements importants, demeurent guidés par le signal-prix du présent et non par la demande future –, cette augmentation de la demande pourrait entrainer une hausse prolongée du cours de ces métaux et des difficultés d’approvisionnement, causant un retard susceptible de ralentir la transition énergétique comme l’a relevé le FMI14. L’absence de planification à même d’ancrer les anticipations des industriels handicape donc la transition du fait d’une production insuffisamment anticipée, car guidée par un signal-prix de court-terme.

Un second risque tient à l’acceptabilité sociale. Le recours à l’outil fiscal s’avère particulièrement sensible politiquement, comme la crise des Gilets jaunes l’a montré. Cette faible acceptabilité résulte notamment de ce que la taxation du carbone, en l’espèce celle du carburant – dont la consommation n’est pas corrélée aux revenus – affecte prioritairement les ménages les plus modestes. Cette distribution de l’effort apparaît d’autant plus injuste que l’empreinte carbone des ménages est pourtant croissante en fonction des revenus15. Concrètement, la taxation fait apparaitre un effet dégressif : les ménages du premier décile présentant un taux d’effort de 1% contre 0,3% pour le dernier décile dans le cas d’une hausse de la composante carbone de 44,6 à 86,2 euros la tonne16. Cette difficulté supplémentaire renforce la nécessité d’une planification permettant aux ménages et aux entreprises d’anticiper le recours à la taxation dans le futur, et à l’Etat de prévoir les politiques redistributives à même d’en lisser les effets. Une telle anticipation leur permettra d’échelonner leur consommation et leurs investissements, ou de disposer d’une visibilité permettant de les orienter vers des biens ou services plus neutres en carbone. 

Pour atteindre ses objectifs, la planification devra être effective et mobiliser tous les outils de la puissance publique

Le champ d’application de la planification devra être suffisamment large pour couvrir l’ensemble de l’activité économique

Centrés sur la décarbonation à travers une approche sectorielle, les différents documents de projection existants ne permettent pas de couvrir l’ensemble des secteurs impliqués dans la transition écologique. Surtout, ils font l’impasse sur la fragmentation des chaînes de valeur, qui pourrait fragiliser la production de biens indispensables à la transition du fait des dépendances qu’elles suscitent. A titre d’exemple, si les obligations européennes incitent les constructeurs automobiles à se tourner vers l’électrique, les entreprises concernées ne sont pas assurées d’un approvisionnement suffisant en matériaux critiques. Il importe donc d’établir un inventaire des besoins en biens, services, et ressources humaines de l’ensemble des activités économiques pour les intégrer à une planification globale. Pour poursuivre avec l’exemple des métaux et minerais critiques, cela impliquerait d’établir une stratégie en matière d’approvisionnement étrangers (la création en novembre 2022 de l’Observatoire français des ressources minérales y vise), d’assurer le développement de mines en France par des appels à projets, de permettre la réalisation de ces projets par une simplification du droit environnemental et minier, d’assurer la création et la souveraineté de filière de recyclage de ces métaux… Cette approche pourrait être appliquée à l’ensemble des secteurs clés de la transition grâce à l’approche globalisante de la planification.  

Cette planification nationale devra faire l’objet d’une articulation avec les documents européens, dans la mesure où leurs objectifs se traduisent par des obligations juridiques pour la France. Leur conformité aux objectifs fixés par la planification indicative devra être garantie, avec une attention particulière aux secteurs où des conflits d’objectifs ont pu survenir. L’on pense notamment à l’intégration d’objectifs de part de production d’électricité d’origine renouvelable par le droit européen ou à la stratégie « Farm to fork », dont l’ambition en matière de développement de l’agriculture biologique peut entrer en contradiction avec les objectifs climatiques nationaux du fait d’un plus faible rendement entrainant une concurrence d’usage des sols comme puits de carbone. 

Recommandation n°1 : Faire de la planification un outil englobant, dépassant la seule approche sectorielle et centrée sur le carbone pour intégrer l’ensemble des besoins nécessaires à la transition écologique et assurer leur cohérence.

Recommandation n°2 : Recentrer les objectifs européens en matière climatique pour les rendre compatibles avec la planification nationale.

La planification devra disposer d’une autorité suffisante pour assurer son respect systématique par tous les acteurs 

L’objectif de mise en cohérence des interventions de l’Etat suppose que la planification ait une autorité suffisante pour garantir son respect à la fois par les acteurs publics et privés. Dès lors, les différents dispositifs existants (Stratégie nationale pour le climat, Plan national d’adaptation au changement climatique…) devront être rationalisés et intégrés à un document unique pour gagner en lisibilité. 

Le succès de cette planification reposera par ailleurs sur une montée en gamme des capacités de prospective de l’Etat, avec la nécessité d’une actualisation fine des constats et des objectifs poursuivis. Cet office pourrait être assuré grâce au renforcement du rôle de France Stratégie. A l’avenir, cet organisme pourrait muter pour devenir l’animateur d’un véritable réseau prospectif élargissant son champ d’action au-delà du seul champ économique, ainsi que le proposait récemment le Conseil d’Etat17

A rebours d’une approche restrictive et en dépit des limites qu’elle pourrait fixer à la consommation, ces prévisions devront s’accompagner d’un discours qui rende les objectifs de la planification désirables. C’est ce qu’aspire à élaborer le Shift Project dans son Plan de transformation de l’économie française18. A ce titre, les documents de projection de l’Ademe comme « Transitions 205019 », qui dessinent des scénarios de production et de consommation à moyen terme, mais également de vie au sens large (notamment en proposant des récits fictionnalisés) devraient connaître une meilleure publicité. 

Recommandation n°3 : Élaborer, à l’issue de la procédure de co-construction et l’adoption d’objectifs pluriannuels par le Parlement, un document unique de planification permettant de regrouper l’ensemble des secteurs et des objectifs stratégiques à la transition écologique.


Recommandation n°4 : Donner au secrétariat général de la planification écologique un rôle de pilotage de la planification, sous l’autorité du Premier ministre.


Recommandation n°5 : Faire de France Stratégie l’autorité de conseil et de contrôle de l’exécution de la planification écologique et de la maîtrise de ses risques.

En dehors du document de planification en lui-même, ses modalités d’élaboration conditionneront sa réussite

La méthode qui présidera à l’élaboration de la planification écologique conditionnera son acceptation par l’ensemble des acteurs privés et publics, et en définitive, son succès. Pierre Massé voyait dans l’élaboration collective du plan sa première source de légitimité et donc d’efficacité : « Le concert réalisé dans l’élaboration du Plan tend spontanément à se prolonger par un concert dans l’exécution. Si les forces vives du pays sont associées au projet, elles s’associent plus volontiers à l’action20 ».

Cette qualité est d’autant plus d’actualité dans une période de défiance, et face à une situation susceptible de modifier en profondeur les comportements économiques des particuliers. Entreprises, organisations syndicales et professionnelles devront donc être les piliers de la planification écologique, garantissant une légitimité aux yeux des premiers acteurs concernés. La participation de la population devra également être recherchée, ce qui suppose une appropriation du dispositif par les citoyens, sans quoi cette consultation atteindrait les limites expérimentées à l’occasion de la Convention citoyenne pour le climat. 

Cette légitimité devra être parachevée par le vote du document final au parlement. Nécessairement pluriannuel, il pourrait se fonder sur l’exemple des lois de programmation des finances publiques et succéder à ce que France Stratégie a qualifié de « LOLF des soutenabilités », soit « une loi organique pour assurer la pérennité de cette organisation au-delà des échéances électorales et changements de majorité et déterminerait également les grands principes de l’action publique au regard de l’objectif de construire des politiques publiques de long terme, systémiques et légitimes21». Par la suite, la planification devra disposer d’une centralité institutionnelle à même de lui assurer une visibilité suffisante et qui la distingue des autres dispositifs. L’hypothèse d’un portage par le secrétariat général à la planification écologique, dont la création attend d’être suivie d’effets, devra ainsi être envisagée. 

Recommandation n°6 : S’assurer que la planification offre un cadre de concertation adapté aux besoins actuels et respectueux des partenaires sociaux.


Recommandation n°7 : Inscrire la planification dans un cadre légal pluriannuel par le vote d’une loi de programmation.

Pour trouver toute son efficacité, la planification devra enfin reposer sur un renforcement des moyens d’action directs de l’Etat 

La capacité de l’Etat à s’appuyer sur des politiques d’intervention directes a été un moteur du plan d’après-guerre. Si l’Etat est aujourd’hui en partie dépossédé de tels instruments, la planification devra passer par une réactivation au moins partielle de ces outils.

Le pouvoir normatif dont dispose la puissance publique à travers la loi et le règlement constitue un outil essentiel à l’effectivité de la planification. Pour rendre ses objectifs atteignables, une simplification du droit s’imposerait, notamment en matière environnementale. Les textes relatifs à l’accélération de la production d’énergies renouvelables22 d’une part et du nucléaire23 d’autre part, récemment adoptés par le Parlement, s’inscrivent dans cette perspective en réduisant les délais de développement d’infrastructures énergétiques.  

La possibilité pour l’Etat de s’appuyer sur ses entreprises publiques justifie le maintien de celles-ci dans son périmètre voire, pour les secteurs les plus stratégiques, leur nationalisation. Les coûts fixes particulièrement élevés des infrastructures d’importance en matière écologique légitiment le recours à des capitaux publics. L’intervention publique se justifie par ailleurs par les externalités positives de tels investissements. A ce titre, la montée de l’Etat à 100% du capital d’EDF est par exemple susceptible de renforcer les marges de manœuvres de la puissance publique. 

Dans un contexte de contraintes sur les finances publiques, la planification est susceptible, en accroissant la lisibilité et l’échelonnement des dépenses environnementales, d’ancrer davantage les anticipations des agents sur les dépenses publiques et d’assurer leur soutenabilité à long terme. La proposition de distinguer les dépenses d’investissement des autres dépenses dans le calcul des déficits autorisés par le cadre européen des finances publiques24 pourrait ainsi être plus facilement mise en œuvre grâce à leur présentation claire par le document de planification. Cette inscription pluriannuelle des investissements verts dans un document engageant permettra plus largement d’assurer le maintien de montants suffisants quelles que soient les tensions qui pourraient peser sur les finances publiques, empêchant également de faire de ces dépenses des variables d’ajustement budgétaires. 

Recommandation n°8 : Recourir davantage au pouvoir normatif afin de simplifier le cadre juridique dans l’ensemble des secteurs clés de la transition énergétique.


Recommandation n°9 : Conforter les entreprises publiques énergétiques, en particulier EDF, en leur assurant une stabilité statutaire et la limitation de l’ouverture à la concurrence en matière de production électrique, secteur où les coûts fixes sont élevés (hydroélectricité, nucléaire).


Recommandation n°10 : Planifier parallèlement les dépenses nécessaires en matière d’investissement public dans les programmations pluriannuelles et dissocier les investissements verts des dépenses encadrées par le droit européen.

Conclusion

Le changement climatique engendrera des incertitudes considérables auxquelles la planification répondra en bâtissant, à travers la concertation et en engageant de façon coordonnée des moyens suffisants, une économie en phase avec les besoins futurs. Le renforcement de l’Etat apparaît donc nécessaire pour mener ce vaste chantier. 

Ainsi conçue, la planification écologique apparaît comme la condition même de la projection dans l’avenir.


1 Pierre Massé, Le Plan ou l’anti-hasard, Gallimard, Paris, 1965. Page 32.

2 Décret n° 2022-990 du 7 juillet 2022 relatif au secrétariat général à la planification écologique.

3 Crée par le décret n° 2022-990 du 7 juillet 2022, le SGPE est notamment chargé de « coordonne[r] l’élaboration des stratégies nationales en matière de climat, d’énergie, de biodiversité et d’économie circulaire ».

4 Décret n° 2020-1101 du 1er septembre 2020 instituant un haut-commissaire au plan.

5 Barasz, Johanna et Garner, Hélène (coord.). « Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique », France Stratégie, 2022.

6 Massé, Pierre. Le Plan ou l’anti-hasard, Gallimard, Paris, 1965. Page 167.

7 Porte, Rémy. La mobilisation industrielle, « premier front » de la Grande Guerre ? 14-18 Éditions, Paris, 2005, p. 76.

8 Stern, Nicholas. « Stern Review: The Economics of Climate Change », HM Treasury, London. 2006.

9 Quinet, Alain. « La valeur de l’action pour le climat. Une valeur tutélaire du carbone pour évaluer les investissements et les politiques publiques », France Stratégie, 2019.

10 Loi n° 2019-1428 du 24 décembre 2019 d’orientation des mobilités.

11 Proposition de règlement du Parlement européen et du conseil modifiant le règlement (UE) 2019/631 en ce qui concerne le renforcement des normes de performance en matière d’émissions de CO2 pour les voitures particulières neuves et les véhicules utilitaires légers neufs conformément à l’ambition accrue de l’Union en matière de climat. Juillet 2021.

12 Pisani-Ferry, Jean et Mahfouz, Selma. « L’action climatique : un enjeu macroéconomique », France Stratégie, 2022.

13 AIE. «The Role of Critical Minerals in Energy Transition », 2021.

14 Boer et al. « Energy transition metal », Working papers, FMI, 2021

15 Un ménage du premier décile a une empreinte carbone de 15 tonnes équivalent CO2 contre 40 pour un ménage du dernier décile, selon l’ADEME (« La fiscalité carbone aux frontières : ses impacts redistributifs sur le revenu des ménages français », 2020).

16 Bureau et al. « Une taxe juste, pas juste une taxe. », CAE, 2019.

17 Conseil d’Etat, « La prise en compte du risque dans la décision publique : pour une action publique plus audacieuse », Étude, 2018.

18 Shift Project, Plan de transformation de l’économie française, Odile Jacob, 2022.

19 ADEME, « Transitions 2050 », 2021.

20 Massé, Pierre. Le Plan ou l’anti-hasard, Gallimard, Paris, 1965, p.161. 

21 Barasz Johanna, Garner Hélène (coord.). « Soutenabilités ! Orchestrer et planifier l’action publique », France Stratégie, 2022.

22 Projet de loi relatif à l’accélération de la production d’énergies renouvelables (ENER2223572L), adopté le 7 février 2023. 

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