Un préfet donc un État affaiblis

Intervention de Nicole Klein, préfète de région honoraire, lors du colloque « La République et ses régions » du mardi 6 décembre 2022.

Merci beaucoup de m’avoir conviée à ce colloque.

La régionalisation n’est pas vraiment mon sujet mais je vais essayer d’y apporter la vision de la préfète, d’où je parle. J’ai été en effet préfète de la région Picardie, qui n’existe plus, de la région Normandie et de la région Pays de la Loire. J’ai aussi été directrice générale de l’ARS d’Aquitaine, un établissement public (on sort la santé de la compétence des préfets). Aujourd’hui je donne un cours à la Catho de Lille et à Sciences Po Paris où je traite « L’État dans tous ses états », ce qui inclut notamment la crise sanitaire et la crise terroriste.

J’aimerais pouvoir répondre aux précédents orateurs que l’État va bien. Mais l’État n’a pas l’air d’aller très bien.

Premier constat dramatique : le préfet créé par Napoléon en 1800 n’existe plus. Le Gouvernement a décidé et appliqué dans les textes la suppression du corps préfectoral. On ne parle plus de préfet mais « d’autorité préfectorale ». Donc, plus de préfets : vous avez devant vous un monument historique, à double titre d’ailleurs, puisqu’il a aussi supprimé l’ENA.

On m’a demandé de parler des territoires. Souhaitant commencer par un point positif, je dirai que de même qu’il y a France Talent, France Travail (qui va remplacer Pôle emploi), France compétences, France Brevets (dont la Cour des comptes a demandé la suppression ce 5 décembre 2022), France Services prend le relais des maisons de services au public (MSAP).

Ma vision du territoire date de 2019, ce qui n’est pas si ancien.

D’abord il faut savoir que les moyens matériels et humains de l’État pour résister aux régionalismes ont fortement baissé. Je prendrai des exemples vécus. Quand j’étais secrétaire générale à Nantes, en 2000, j’avais 515 personnes sous mon autorité. Quand je suis revenue en 2017 comme préfète de région je n’en avais plus que 400. Plus de 100 personnes en moins en 17 ans !

En effet, aujourd’hui, dans les préfectures, on ne reçoit plus que les étrangers. C’est un sujet extrêmement important qui explique la sensibilité du grand public à la question. Il n’y a plus de guichet en préfecture, on ne vient plus y chercher son permis de conduire, sa carte grise ou sa carte d’identité. N’y sont reçus que les étrangers quand ils arrivent à obtenir un créneau pour être reçus. Désormais, quand le citoyen passe devant la préfecture, surtout dans une grande ville, il ne voit que des migrants qui viennent demander l’asile, ce qui amplifie ce phénomène plus qu’il ne le mérite.

Ce sont les mairies qui délivrent les passeports, et comme elles ne sont pas dotées des moyens suffisants, on peut attendre très longtemps son passeport et parfois devoir renoncer à un voyage à l’étranger.

Récemment, on a annoncé un renforcement des moyens humains, surtout à l’accueil, et le rétablissement de cinq sous-préfectures en métropole (Château-Gontier-sur-Mayenne, Clamecy, Montdidier, Nantua, Rochechouart) et une en Guyane. Mais un sous-préfet sans moyens ne peut pas faire grand-chose. Personne ne dit combien il y aura d’agents dans ces très petites sous-préfectures. On a dématérialisé les procédures, ce qui pose des problèmes aux nombreuses personnes qui ne maîtrisent pas ces outils, même si on utilise des jeunes du service civique pour aider les citoyens à se familiariser avec ces nouvelles technologies.

Alors, on a mutualisé. On a créé des secrétariats généraux communs départementaux en unifiant les moyens et les services départementaux. Mais cette mutualisation ne rend pas les services plus efficaces parce que, en les globalisant, on élimine la finesse.

On déplore donc sur le territoire un État fortement affaibli.

Que sont devenus les préfets ? On peut constater un rajeunissement. Mais après tout Lucien Bonaparte avait vingt-cinq ans quand il était ministre de l’Intérieur de Napoléon ! Cela peut donc très bien se passer. Mais on a aujourd’hui des préfets très jeunes qui ne peuvent occuper la fonction de préfet que pendant neuf ans. Ensuite, devenus administrateurs de l’État, ils vont faire autre chose. Cela signifie que l’on renonce à la professionnalisation de ce qui est quand même un métier. Le choix de faire des préfets des hauts fonctionnaires comme les autres est discutable car ce n’est certainement pas un métier comme les autres. Et ce métier se voit très affaibli, tout comme la possibilité de répondre aux questions et défis qui sont soumis aux préfets.

Quand j’étais secrétaire générale à Nantes, en 2000, le préfet avait fait un recours contre le vote par le conseil général de Loire-Atlantique du souhait d’adhérer à la région Bretagne. Le préfet avait donc reçu comme consigne de faire un recours contre la décision du président du conseil départemental qui était à l’époque socialiste. Cette décision a été retoquée par le tribunal administratif.

Quand j’étais préfète de région à Nantes le premier gouvernement de la présidence de Macron avait décidé la suppression des emplois aidés. Je m’apprêtais donc à appliquer cette décision dans les écoles Diwan comme partout quand mon collègue de la région Bretagne m’en dissuada car il n’était pas envisageable d’appliquer cette décision nationale en Bretagne où les écoles Diwan sont beaucoup plus nombreuses ! Il ne faut pas oublier que Mme Lebranchu est bretonne et que sa manière de voir la régionalisation était très inspirée par la Bretagne. Les écoles Diwan ont donc continué à avoir des emplois aidés.

En 2000 mon appartement se trouvait juste devant la statue de Louis XVI (les chouans étaient venus jusqu’à Nantes). J’avais assisté à la répression d’une manifestation en faveur de la Bretagne, plutôt d’extrême-droite, sachant que les nombreuses manifestations organisées à Nantes sont plutôt d’extrême-gauche (sauf quand elles sont bretonnes bretonnantes). Aujourd’hui Madame Johanna Rolland, maire de Nantes, socialiste, a déployé un drapeau de la Bretagne sur la façade de la mairie de Nantes, à côté du drapeau bleu-blanc-rouge. Le préfet ne lui a certainement pas écrit pour lui faire remarquer que ce n’était pas tout à fait républicain. Sur ces sujets, l’État, affaibli, tolère aujourd’hui des choses qu’il ne tolérait pas il y a quelques années. L’une des raisons en est que les préfets sont cantonnés depuis plusieurs années à des missions d’ordre public (les Gilets jaunes, le covid…). Désormais leur mission consiste à signer des arrêtés pour interdire aux gens de se réunir et de danser dans les bals populaires (là où ils existent encore). Cantonné aux seules fonctions régaliennes et de répression le préfet n’a guère le loisir de s’occuper de missions d’aménagement du territoire, de cohésion sociale… Tous ces sujets sont hors-champ. Or c’est sur ces sujets que les régionalistes mobilisent.

Marie-Françoise Bechtel

Merci beaucoup.

Votre discours a été bref mais bien frappé.

Je vais maintenant passer la parole à Alain Richard, ancien maire à Saint-Ouen-l’Aumône où il fut l’un des premiers à instaurer le budget global, ce qui était très novateur à l’époque. Député, ministre de la Défense, aujourd’hui sénateur et conseiller d’État, il est donc au moins cinq fois qualifié pour vous dire comment il voit l’évolution des choses.

Je ne sais pas s’il est d’accord avec le diagnostic que nous avons porté sur les précédentes étapes de la décentralisation. Mais comment voit-il aujourd’hui les nouvelles tendances à la décentralisation telles que Benjamin Morel les a décrites ? Y voit-il une dangerosité particulière ? Y voit-il un fil, fût-il négatif, vers l’avenir ?

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Le cahier imprimé de la table ronde « La République et ses régions » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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