Les conditions de la réindustrialisation et d’une croissance éco-responsable

Intervention de Louis Gallois, ancien dirigeant de la SNCF et d’Airbus, président de la Fabrique de l’industrie, lors du colloque « Comment penser la reconquête de notre indépendance industrielle et technologique ? » du mardi 13 avril 2021

Je vais essayer de ne pas répéter ce qu’ont dit mes prédécesseurs avec lesquels je suis assez largement d’accord.

La question de l’endettement ayant été soulevée je commencerai par rappeler un point essentiel. L’endettement de l’État a une caractéristique particulière, c’est qu’il est renouvelable. Mais il faut pour qu’il soit renouvelé que la crédibilité soit assurée. Et cette crédibilité est assurée dès lors que le service de la dette est inférieur à la croissance nominale de l’économie (croissance réelle plus inflation). Tant que le service de la dette est inférieur à cette croissance nominale la dette n’est pas un problème pour un pays. Quand l’endettement sert à stimuler la croissance, il assure les moyens de son remboursement, de son service. Dès lors que la croissance est suffisante on peut emprunter. Larry Summers l’a dit pour les États-Unis. C’est quelque chose qu’il faut avoir à l’esprit. Il ne faut pas avoir peur de l’endettement de l’État. Il faudrait avoir peur de l’endettement de l’État si cet endettement était gaspillé et s’il n’alimentait pas la croissance. Les investissements d’EDF dont parlait Jean-Michel Quatrepoint participent directement à la croissance du pays.

Je ne vais pas définir la totalité d’une politique industrielle mais je tenterai de donner quelques-unes de ses conditions.

Premier constat, la réindustrialisation sera technologique. La France n’est pas un pays qui puisse s’orienter vers des industries de main d’œuvre. Elle ne peut s’orienter que vers des industries à contenu technologique. La transition vers une « économie éco-responsable » où tous les produits incorporent de plus en plus de technologie va supposer des investissements de recherche considérables. Bref, la technologie va devenir absolument clé. Or on constate que la recherche française est sur une pente glissante : tous les indicateurs sont à l’orange ou au rouge. Dans tous les classements la France est en train de perdre du terrain. C’est un signal d’alarme. La recherche privée, accomplie à 80 % par l’industrie, se tient bien grâce notamment au crédit d’impôt recherche (CIR). Lorsqu’on regarde les entreprises une par une on constate qu’elles investissent dans la recherche autant, sinon plus, que leurs homologues allemandes. Là où le bât blesse, c’est la recherche publique, passée de 1,3 % du PIB en 1995 à 0,8 % en 2018, soit une perte de 10 milliards d’investissements par an. L’objectif de passer des 2,2 % du PIB consacrés aujourd’hui à la recherche (publique plus privée) aux 3 % que lui dédient l’Allemagne ou les États-Unis (je ne parle pas de la Corée du Sud qui consacre 4,5 % de son PIB à la recherche) me paraît être une condition absolument centrale de la réindustrialisation. Cela représenterait 20 milliards de plus. Or la loi de programmation qui a été votée prévoit 5 milliards de plus dans cinq ans [1]. Je pense qu’il faut aller beaucoup plus vite. C’est pour moi un point tout à fait clé.

Parmi les priorités on a cité les ordinateurs quantiques, l’intelligence artificielle. On peut parler des microprocesseurs, de la microélectronique, de tout ce qui concerne les « biotech », la santé, l’agroalimentaire, qui nécessitent beaucoup de recherche. Au-delà d’un échec, ce qui s’est passé sur les vaccins est pour nous une humiliation. Nous ne sommes pas capables de produire un vaccin français !

Parmi les principaux axes prioritaires de recherche, je citerai encore tout ce qui concerne l’énergie : l’hydrogène, le stockage de l’énergie, la quatrième génération de centrales nucléaires, les petits réacteurs de 300 mégawatts, et bien sûr le numérique, etc.

Deuxième certitude, la réindustrialisation sera « éco-responsable », ce qui implique la décarbonation progressive de l’industrie. Celle-ci doit se faire dans des conditions acceptables par l’industrie, ce qui suppose une évolution du prix de CO2 compatible avec une évolution technologique réaliste de nos industries lourdes (sidérurgie, cimenteries, etc.) et, parallèlement, un ajustement aux frontières, lequel fait actuellement l’objet d’une négociation à Bruxelles. Négociation techniquement extrêmement complexe car il s’agit de compenser à l’entrée et à la sortie le fait qu’il y a un certain prix du CO2 en Europe. À cette bataille technique complexe s’ajoute une bataille politique. En effet, selon le schéma retenu, on avantage telle industrie ou telle autre, tel ou tel pays. Il faut aussi prévoir une bataille à l’OMC où les bien-pensants vont nous attaquer sur ce qu’ils désigneront comme une barrière protectionniste. Reste à savoir quelle est la capacité de résistance de l’Europe à ces pressions.

Troisième évidence, déjà largement traitée, la réindustrialisation sera électrique. La substitution des énergies fossiles va entraîner la croissance de la consommation d’électricité. Le développement du numérique suppose de la production électrique. L’énergie est donc le support de la croissance. La consommation d’énergie électrique doit croître, à la fois pour des raisons environnementales et pour des raisons de croissance.

Les énergies renouvelables actuelles, intermittentes, ne peuvent pas être la solution unique du fait même qu’elles sont intermittentes. Nous avons besoin d’énergies pilotables. La capacité de la France à développer son parc hydro-électrique est limitée. Le nucléaire doit donc rester le pilier de la politique énergétique française. Nous devrons pour cela retrouver la compétence que nous avons perdue, ce dont témoignent les difficultés que nous rencontrons pour mettre en œuvre l’EPR ! Je rappelle à ce sujet que deux EPR fonctionnent parfaitement en Chine. Les Chinois ont d’ailleurs retardé la mise en œuvre de leurs EPR pour ne pas prendre trop d’avance sur la mise en service de Flamanville, ce qui aurait donné le sentiment qu’ils voulaient nous faire la leçon.

Il existe des solutions nouvelles : la « quatrième génération ». Je regrette énormément la suspension d’ASTRID [2]. En effet, les réacteurs à neutrons rapides présentent d’immenses avantages en termes d’indépendance énergétique car ils ont besoin de beaucoup moins d’uranium importé que les réacteurs actuels. D’autre part, ils « mangent » une partie des déchets, notamment les déchets à radioactivité forte et longue. Ce sont donc des investissements absolument décisifs.

Enfin il est indispensable d’obtenir l’inclusion du nucléaire dans la « taxonomie verte » [3] de l’Union européenne faute de quoi nous aurons des difficultés pour financer notre industrie nucléaire. La bataille se passe en Europe qui doit fixer la règle. Les huit pays qui ont des centrales nucléaires sont avec nous. Les Allemands ont fait un choix inverse. Pour des raisons politiques ils ne veulent pas reconnaître que l’énergie nucléaire, peu émettrice de CO2 est, de fait, une énergie « verte ». Cette taxonomie est un sujet majeur de désaccord avec les Allemands.

Nicolas Dufourcq

Selon Pascal Canfin, un consensus semble s’être formé au Parlement européen sur l’idée que le nucléaire doit être, comme le gaz naturel, classé dans la catégorie des « technologies de transition ».

Louis Gallois

Comme le gaz naturel… C’est la position allemande ! Les Allemands, qui ont besoin d’une énergie pilotable, vont dépendre du gaz naturel. Ce n’est pas pour rien d’ailleurs qu’ils sont relativement silencieux sur Nord Stream 2.

Un tel compromis serait extrêmement dommageable car classer le nucléaire comme énergie de transition aurait comme conséquence de bloquer de fait le renouvellement de notre parc nucléaire et de limiter les investissements à ceux strictement nécessaires pour assurer la prolongation du parc actuel.

François Lenglet a dit beaucoup de choses sur le rôle de l’Europe. On ne peut pas faire comme si l’Europe n’existait pas. La réglementation environnementale est fixée au niveau européen, tout comme les règles de la concurrence, les aides d’État, les règles du commerce extérieur. Il s’agit de savoir ce qu’on en fait.

Une évolution de la position allemande sur l’industrie a entraîné une évolution de la Commission. Mme Vestager nous a expliqué qu’elle était amenée à revoir la politique de la concurrence qu’il faut désormais regarder plutôt au niveau mondial. On a vu les « projets d’intérêt commun ». L’investissement de batteries électriques de PSA [4] en France et en Allemagne est subventionné à hauteur de 1,3 milliard d’euros, ce que la Commission de Bruxelles a accepté. La notion d’« industrie stratégique » est reconnue. Il y a donc quelques progrès.

Mais le problème fondamental, déjà évoqué, est que l’Europe n’a pas conscience de ce qu’est une politique de souveraineté. Comme l’a très bien dit François Lenglet, l’Europe ne se reconnaît pas de frontières. C’est un de ses problèmes ontologiques : elle s’est bâtie sans frontières et ne peut pas arriver à reconnaître des frontières.

De manière plus prosaïque, on observe que des politiques de régionalisation se développent. Les Chinois sont en train de réintégrer leurs chaînes de valeur. Les Américains expriment la volonté de réintégrer les leurs. L’Europe est-elle capable d’avoir une politique de réintégration des chaînes de valeur ? Dans l’industrie automobile c’est absolument décisif, on l’a dit à propos des batteries.

Jean-Pierre Chevènement

Il faudrait éviter que cette réintégration se fasse au bénéfice des seuls pays à bas coûts, tels les PECO, excluant des pays comme le nôtre.

Louis Gallois

Certes, l’Europe n’est pas très homogène. Des pays comme la Tchéquie, la Bulgarie, la Roumanie, ont des coûts nettement inférieurs aux nôtres. Toutefois cette régionalisation des chaînes de valeur est un préalable. Sinon, ce sera « vert » et chinois, comme l’a dit François Lenglet !

Je dois ajouter que le fonctionnement de l’Europe est d’une lourdeur invraisemblable. Le plan de relance européen, décidé en juillet 2020 pour faire face à la crise que nous traversons, ne sera pas engagé avant plusieurs mois !

Jean-Pierre Chevènement

Le Président allemand va-t-il ratifier le texte de loi portant sur le plan de relance européen, passant outre à l’interdiction de la Cour de Karlsruhe ? En effet, ce texte a été voté à une large majorité par le Bundestag et le Bundesrat mais le tribunal de Karlsruhe a demandé que la loi ne soit pas promulguée dans l’attente d’une décision sur un recours posant un certain nombre de conditions.

Louis Gallois

J’en viens à la mobilisation en France comme condition de la réindustrialisation. On a évoqué deux types de mobilisation :

La mobilisation des industriels.

Je remercie Nicolas Dufourcq et Alexandre Saubot des choses très justes qu’ils ont dites sur le sujet. On ne fait rien sans les personnes qui sont aux manettes dont le « moral » est absolument décisif. Il ne faut donc pas minorer ce qui peut être fait pour mobiliser les industriels. On voit des mobilisations locales (Vendée, Bassin d’Oyonnax etc.). Elles sont porteuses d’espoir quand on voit comment certains territoires savent créer des écosystèmes attractifs pour l’investissement industriel. L’État peut les soutenir – j’en dirai un mot dans un instant. Mais il faut aussi des mobilisations nationales. Le Conseil national de l’industrie a beaucoup œuvré dans ce domaine et il faut reconnaître qu’il a fait un travail de cohésion encourageant… qui toutefois ne fonctionne pas partout. La filière automobile n’est pas la plus intégrée qu’on puisse imaginer : nos deux constructeurs automobiles français ne se parlent pas (ou peu), ce qui ne facilite pas beaucoup les choses !

Mais je crois que le travail accompli, aussi bien par la BPI que par le Conseil national de l’industrie, va dans le bon sens.

La mobilisation de l’État.

Comment mettre l’État en ordre de bataille ? Que devrait être un vrai ministère de l’Industrie ? Jean-Michel Quatrepoint en a dit un mot.
C’est un ministère de pleine autorité en charge de l’Industrie et de l’Energie. Il ne reste que deux pays en Europe, la Suède et la France, où le ministère de l’Environnement est également le ministère de l’Énergie. Dans tous les autres pays, où il y avait eu un mouvement dans ce sens, l’Energie est de nouveau séparée de l’Environnement. C’est une rupture qu’il faut faire. Il faut ramener l’Energie dans le ministère de l’Industrie.

Il faut aussi y rattacher la Recherche technologique, c’est-à-dire les grands organismes de recherche technologique, le CEA, l’Inria (Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique) ou le CNES (Centre national d’études spatiales).
J’avais défendu corps et âme, face à Arnaud Montebourg, l’indépendance du Programme d’investissements d’avenir (PIA) [5] vis-à-vis du ministère de l’Industrie. Je pense désormais que le PIA doit être rattaché au ministère de l’Industrie parce que c’est là que se trouve l’argent, le nerf de la guerre.

Il faut des ministères qui s’équipent. Deux ministères sont équipés : le ministère de la Défense, avec la Direction générale de l’Armement (DGA), et le ministère des Transports, avec la Direction générale de l’Aviation civile (DGAC) qui est tout à fait opérationnelle.

Les autres ministères ne sont pas équipés, tel le ministère du Logement qui n’a aucune préoccupation industrielle alors que l’on ne cesse, par exemple, de parler de la filière bois française. Alors que nous avons l’un des premiers massifs forestiers européens (16,9 millions d’hectares, soit 31 % du territoire), dont 67 % de feuillus, qui a beaucoup crû par rapport au début du XXe siècle et qui continue à se développer (+ 0,7% par an), notre filière bois, pour des raisons multiples, est lamentable ! Si l’on veut qu’il y ait un chef de file le ministère de l’Agriculture et le ministère du Logement doivent se mobiliser.

On pourrait parler du ministère de la Santé. Alors que les achats des hôpitaux s’élèvent à plus de 18 milliards d’euros par an il n’y a à ma connaissance aucune cellule industrielle au ministère de la Santé ! La politique d’achats publics du ministère de la Santé ne fait l’objet d’aucune réflexion en termes industriels. Je n’ignore pas que nous sommes dans le carcan des règles européennes concernant les achats publics mais je sais comment chacun agit et je pense que nous avons besoin d’avoir une véritable politique d’achats publics, notamment au ministère de la Santé.

Nous devons aussi réfléchir à des opérateurs publics. Une initiative sur la Santé a été lancée, avec l’équivalent de la BARDA (Biomedical Advanced Research and Development Authority) [6]. Avec la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency) [7] au ministère de la Défense et la BARDA au ministère de la Santé, les États-Unis ont en effet ce type d’agence. Ces deux exemples sont intéressants parce que ces institutions se situent à la frontière entre la recherche, la technologie et le développement des industries résultant de ces technologies.

Nicolas Dufourcq

Bpifrance organisait ce matin une conférence de presse pour proposer la création d’une agence d’innovation (Health Tech).

Louis Gallois

Je pense que cela va tout à fait dans le bon sens à condition de donner à cette agence la dimension suffisante. C’est cela qui permettra de stimuler l’innovation de rupture.

Je suggère que l’on donne un rôle accru à la DGA. Israël montre à quel point la dépense de défense peut être créatrice d’écosystèmes technologiques extrêmement puissants dans beaucoup de domaines. Le CEA, qui a lancé Minatec (acronyme de micro et nano technologie) à Grenoble, a une vraie capacité de faire la jonction entre la recherche et l’industrie, comme le CNES dans le domaine spatial.

Et bien sûr Bpifrance joue un rôle essentiel dans l’écosystème de l’innovation. Nicolas Dufourcq a réussi à placer Bpifrance au centre du développement des Start up en France, participant à susciter un dynamisme qui nous place au deuxième rang en Europe pour la création de Start up. Mais il faudra aller au-delà.

Je ne suis pas au bout de ma réflexion sur cette importante notion d’opérateur public.

Nous devons mettre en place des instruments qui permettent de définir directement une politique de souveraineté. Souveraineté qui sera toujours partielle, il ne faut pas se faire d’illusions. La souveraineté se définit comme la création d’un rapport de force qui permette de parler d’égal à égal. Nous ne ferons pas toute la recherche du monde mais si nous voulons parler d’égal à égal, nous devons être à un certain niveau.

Les Gracques [8] (chez qui je vais rarement chercher mon inspiration) ont eu l’idée de cartographier les industries de souveraineté. Mise à jour très régulièrement, cette cartographie permettrait de définir notre souveraineté et les domaines où elle doit s’exprimer en rendant les choses très concrètes, très visuelles.

Il faut une réglementation sur la protection des entreprises françaises lorsqu’elles font l’objet d’achats externes non désirés. Sur ce point des progrès ont été faits, d’abord avec le décret Montebourg de 2014. Et Bruno Le Maire a annoncé en avril 2020 que ce décret permettant à l’État de bloquer les investissements étrangers dans certaines entreprises stratégiques allait être renforcé et élargi aux biotechnologies. Il est tout à fait important que nous ayons les outils stratégiques – désormais admis par l’Europe – qui nous permettent éventuellement de bloquer des acquisitions qui apparaîtraient contraires à l’intérêt national.

Il faut un fonds souverain d’intervention au capital. Ce fonds souverain est tout trouvé : ce sont les moyens de l’Agence des participations de l’État (APE) [9] et ceux de la BPI. Et je pense qu’il faut confier ce fonds souverain à la BPI, plus capable que l’APE de gérer avec agilité ce fonds souverain qui permet des interventions dans les entreprises lorsque c’est nécessaire (cela a quand même permis de sauver PSA !).

Il faut une planification qui assure la cohérence et la continuité de l’effort. Dès lors que l’on considère que la réindustrialisation est « la » priorité nationale l’effort du pays doit être inscrit dans la cohérence et dans la continuité. Ma source d’inspiration est la Corée du Sud que je connais relativement bien pour y être allé souvent (j’ai présidé France-Corée pendant des années). J’ai pu voir ce que ce pays était capable de faire en économie ouverte. J’ai vu comment les Coréens, constatant en 2000 qu’ils avaient du retard sur l’informatique et sur l’électronique, ont lancé leur programme « Cyber », faisant de la Corée, vingt ans plus tard, le pays le plus connecté du monde ! Avec deux opérateurs majeurs, Samsung et LG, ce pays est à la pointe sur l’ensemble de la filière électronique.

Cette capacité à planifier l’effort de l’État dans la durée (il ne s’agit pas de planifier l’action des industriels) est absolument essentielle. Maintenant que nous avons un Haut-commissaire au Plan nous sommes rassurés sur ce point.

Je pense qu’il faut une définition démocratique des priorités. Le Parlement est là pour ça. Je suggère même que l’on crée, à l’Assemblée nationale comme au Sénat une commission permanente sur le plan de réindustrialisation du pays. C’est une affaire de très longue durée sur laquelle il me paraît important que des parlementaires puissent se concentrer.

Une fois définies, les priorités doivent être déclinées en objectifs à 5 ans et à 10 ans et mobiliser les moyens publics à travers des lois de programmation dont je ne donnerai pas une liste exhaustive. Ces lois de programmation porteraient notamment sur la recherche et la technologie, sur l’énergie, sur les compétences, sujet dont on a peu parlé mais qui est essentiel et sur un certain nombre de programmes technologiques industriels majeurs dont l’intelligence artificielle et tout ce qui concerne le numérique.

Je pense qu’il faut aussi une loi de programmation – dont je n’ai pas encore bien défini les contours – sur la manière de rendre nos écosystèmes territoriaux attractifs. Nous devons en effet être capables d’attirer les investissements des entreprises françaises et étrangères, ce qui suppose un effort dans la durée. Cela exige d’abord la mobilisation des énergies locales. Cela nécessite aussi des infrastructures. Une partie du territoire français n’a toujours pas le très haut débit, les zones blanches téléphoniques sont encore importantes, plus que dans beaucoup de pays en voie de développement ! Nos retards en matière d’infrastructures paralysent le développement de l’industrie sur un certain nombre de territoires. Il en est de même des services publics dont les entreprises et leurs personnels ont besoin.

Je propose que ce plan fasse l’objet d’un Conseil du Plan, comme il y a un Conseil de Défense, présidé par le président de la République, dont le secrétariat serait assuré par le Haut-commissaire au Plan de telle manière que les priorités qui seraient attachées à cet objectif de réindustrialisation soient considérées au plus haut niveau politique de manière permanente.

Je propose enfin un système inspiré de ce que font les Allemands. Toute loi présentée au parlement ferait l’objet d’un examen par un comité de « vieux sages » (vieux pour être totalement indépendants) qui émettrait un avis sur la cohérence de cette loi avec l’objectif de réindustrialisation du pays. Cet avis, qui ne lierait personne, serait rendu public avant que le dossier ne soit présenté devant le Parlement. Celui-ci resterait complètement souverain mais disposerait de cet avis sur la cohérence du projet concerné avec les objectifs que s’est fixés la nation en matière de réindustrialisation.

Il s’agit de se mettre en ordre de bataille pour établir le rapport de force nécessaire dans le pays. Nous sommes en effet un pays qui n’a pas de tradition industrielle forte. Le grand salon, en France, est le salon de l’agriculture ; en Allemagne c’est la foire de Hanovre, le plus grand salon de technologie industrielle au monde. C’est assez symbolique de ce que sont la France et l’Allemagne. Je n’ai rien contre le Salon de l’agriculture mais c’est une image du pays qui ne stimule pas l’ardeur industrielle des jeunes Français. Il faut que nous ramenions les jeunes Français des grandes écoles, des universités, des instituts de technologie vers l’industrie.

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[1] Voir « La politique de Recherche, enjeu pour l’avenir », colloque organisé par la Fondation Res Publica le 26 novembre 2020. (NDLR)
[2] ASTRID (Advanced Sodium Technological Reactor for Industrial Demonstration) est un projet de prototype de réacteur nucléaire français de quatrième génération (réacteur rapide refroidi au sodium) porté par le CEA dans les années 2010. À la suite de contraintes budgétaires, le CEA abandonne le projet en 2019 et le reporte « dans la deuxième moitié du siècle ». (NDLR)
[3] Lancée par la Commission européenne en 2018, l’idée de créer une « taxonomie verte » pour les activités économiques vise à définir un seuil d’émissions de CO2 en-deçà duquel telle ou telle entreprise sera considérée comme « verte ». En juin 2020, le Parlement européen a adopté un règlement définissant cette taxonomie, lequel devrait entrer en vigueur partiellement, à la fin de l’année 2021puis totalement, fin 2022. Ce texte doit permettre aux investisseurs de savoir si leurs placements entrent en conformité avec les objectifs définis dans le Pacte vert pour l’Europe — à savoir la neutralité climatique à horizon 2050 — et dans l’accord de Paris — à savoir la limitation du réchauffement de la planète à moins de 1,5 degré Celsius en 2100 par rapport aux niveaux préindustriels. Pour que les organismes financiers aient accès à ces informations, les entreprises seront dès la fin de l’année 2022 forcées de publier les informations concernant leur bilan carbone sur leurs sites. (NDLR)
[4] La France, en partenariat avec l’Allemagne, s’est engagée à accompagner le financement des travaux de recherche, de développement et d’innovation des entreprises Saft et PSA concernant de nouvelles générations de batteries lithium-ion ainsi que leur premier déploiement industriel avec une usine dans chacun des deux pays. La Commission européenne a validé le projet d’intérêt européen commun. (NDLR)
[5] Le Programme d’investissements d’avenir (PIA), piloté par le Secrétariat général pour l’investissement (SGPI), a été mis en place par l’État pour financer des investissements innovants et prometteurs sur le territoire, afin de permettre à la France d’augmenter son potentiel de croissance et d’emplois. De l’émergence d’une idée jusqu’à la diffusion sur le marché d’un produit ou service nouveau, le PIA intervient sur tout le cycle de vie de l’innovation et fait le lien entre la recherche publique et le monde de l’entreprise. (NDLR)
[6] La Biomedical Advanced Research and Development Authority (BARDA), au sein du Bureau du Sous-Secrétaire à la préparation et à l’intervention au département de la Santé et des Services sociaux des États-Unis, fournit une approche intégrée et systématique de la mise au point des vaccins, médicaments, thérapies et outils diagnostiques nécessaires aux urgences médicales de santé publique (accidents, incidents et attaques chimiques, biologiques, radiologiques et nucléaires (CBRN), grippe pandémique et maladies infectieuses émergentes). En collaboration avec ses partenaires de l’industrie, BARDA promeut le développement avancé de contre-mesures médicales pour protéger les Américains et répondre aux menaces pour la sécurité sanitaire du XXIe siècle. (NDLR)
[7] Jusqu’à aujourd’hui, la Defense Advanced Research Projects Agency, agence du département de la Défense des États-Unis chargée de la recherche et développement des nouvelles technologies destinées à un usage militaire, a été à l’origine du développement de nombreuses technologies qui ont eu des conséquences considérables dans le monde entier dont les réseaux informatiques et le NLS qui a été à la fois le premier système hypertexte et un précurseur important des interfaces graphiques devenues omniprésentes de nos jours. (NDLR)
[8] Les Gracques est « un groupe de réflexion et de pression » qui souhaite une rénovation de la gauche française autour de valeurs sociales-libérales. (NDLR)
[9] L’Agence des participations de l’État (APE), placée sous la tutelle du ministre de l’Économie et des Finances, incarne l’État actionnaire, investisseur en fonds propres dans des entreprises jugées stratégiques par l’État, pour stabiliser leur capital ou les accompagner dans leur développement ou leur transformation. L’agence exerce, en veillant aux intérêts patrimoniaux de l’État, la mission de l’État actionnaire dans les entreprises et organismes contrôlés ou détenus, majoritairement ou non, directement ou indirectement, par l’État. (NDLR)

Le cahier imprimé du colloque « Comment penser la reconquête de notre indépendance industrielle et technologique? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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