Intervention de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, lors du colloque « États-Unis : Crise de la démocratie et avenir du leadership américain » du mardi 9 mars 2021
Messieurs,
Chers amis,
Je suis heureux d’accueillir les intervenants qui ont répondu à l’invitation de la Fondation Res Publica pour débattre sur le thème : « Crise de la démocratie et avenir du « leadership » américain ».
Mme Nardon, qui nous fera l’honneur de commencer, est responsable du programme Amérique du Nord de l’Ifri et auteur de l’ouvrage Les États-Unis de Trump en 100 questions (Tallandier, 2018), dont l’actualité demeure.
Nous entendrons ensuite M. le professeur Kaspi, qui nous a déjà guidés à plusieurs reprises dans nos colloques sur les voies d’une réflexion approfondie sur la société américaine [1]. Le professeur Kaspi est un historien bien connu, spécialiste des États-Unis, auteur, entre autres, des ouvrages Les Américains (2 tomes, rééd. 2014, Points) et Les Présidents américains, en collaboration avec Hélène Harter (Tallandier, 2012).
Lui succédera Renaud Girard, grand reporter, spécialiste de la politique étrangère au Figaro, qui a notamment écrit Quelle diplomatie pour la France ? Prendre les réalités telles qu’elles sont (éd. du Cerf, 2017)
Enfin la conclusion appartiendra à Hubert Védrine, ancien ministre des Affaires étrangères de 1997 à 2002, dont le Dictionnaire amoureux de la géopolitique vient de paraître aux éditions Plon-Fayard.
La crise de la démocratie est une crise mondiale mais elle est particulièrement évidente aux États-Unis. On ne peut pas ne pas la relier à la crise de la globalisation mais aussi à d’autres phénomènes. Je pense à cette interpellation d’Arbatov, conseiller diplomatique de Gorbatchev, en 1989 : « Nous allons vous rendre le pire des services, nous allons vous priver d’ennemi ! ». Une certaine désorientation des pays occidentaux se manifeste en Europe comme aux États-Unis. En France, avec les Gilets jaunes, en Allemagne avec l’AfD, en Grande-Bretagne avec le Brexit, en Espagne avec la Catalogne, en Italie avec la Ligue du Nord et le mouvement Cinq étoiles… Je pourrais développer très longuement.
Mme Nardon nous parlera des évolutions démographiques et sociologiques des États-Unis. Elle traitera aussi des évolutions politiques du Parti démocrate, de ce qu’il est en train de devenir, du Parti républicain, de Trump et du trumpisme. Elle décrira ce que l’on peut apercevoir de la politique économique, monétaire, sociale et énergétique du Président Biden. Les Démocrates vont-ils prendre en compte les problèmes posés par les classes laborieuses quelque peu délaissées à l’époque de la candidature de Mme Clinton ? Quand je dis « classes laborieuses », je ne parle pas seulement des classes ouvrières mais aussi des classes moyennes dont l’économiste Branko Milanović a montré qu’elles avaient particulièrement souffert aux États-Unis et en Europe depuis une quarantaine d’années [2].
M. Kaspi, quant à lui, évaluera les fractures et les tensions de la société américaine. Cette crise de la démocratie est-elle seulement la crise des réseaux sociaux qui interviennent dans l’émergence de phénomènes comme QAnon, de la culture « woke », de la Cancel culture ? Les réseaux sociaux jouent un rôle manifeste mais ne cachent-ils pas quelque chose de plus puissant encore ? En effet, si les tensions sont exaspérées par tous ces mouvements que nous voyons proliférer, ceux-ci ne créent pas la crise qui a d’autres racines, plus profondes. Je demanderai à M. Kaspi s’il veut bien éclairer notre réflexion sur ce sujet et nous dire quel rapport il établit entre la crise de la démocratie américaine et la crise de la démocratie dans le monde. J’ai évoqué tout à l’heure la crise de la globalisation qui se traduit par la montée des inégalités et la paupérisation d’un certain nombre de couches sociales. Tout cela mérite d’être creusé. Quant à la pandémie, elle a sa dynamique propre mais je suggère de l’aborder par les conséquences qu’elle peut avoir dans les domaines économique, social et politique.
Renaud Girard nous parlera de la politique étrangère de M. Biden. On ne pourra pas éviter de parler des rapports entre les États-Unis et la Chine. Mais je crois que l’un des centres d’intérêt privilégiés de Renaud Girard est le Moyen-Orient. Tandis que les États-Unis reviennent dans le JCPOA (accord de dénucléarisation de l’Iran), l’Iran réclame la fin des sanctions. Cette affaire-là peut-elle être correctement emmanchée ? Comment se traduit-elle dans les équilibres du Moyen-Orient ? On a quand même noté l’attitude de M. Trump vis-à-vis de Mohammed ben Salmane, prince héritier d’Arabie saoudite à l’occasion de l’assassinat de M. Khashoggi. Il y a aussi l’affaire du Yémen qui est à l’arrière-plan. Renaud Girard ne manquera pas de nous parler des aspects militaires. L’une des grandes questions qui me paraissent se poser aujourd’hui est de savoir si les États-Unis disposent encore – et jusqu’où ? – de moyens de coercition militaires. Bien entendu ils ont un énorme budget militaire (700 milliards de dollars), ils ont une arme nucléaire qu’ils raffinent avec la production de Mininukes (têtes nucléaires de faible puissance) mais qu’est-ce que cela signifie concrètement du point de vue de leurs capacités d’intervention ? Ce qui est frappant, si on se place sur la longue durée, c’est le retrait des États-Unis de l’Asie du Sud-Est d’abord et ensuite du monde arabo-musulman (l’Irak et maintenant l’Afghanistan, la Syrie). Comment l’aspect militaire inter-réagit-il avec les aspects de politique étrangère ?
Puis je me tournerai vers Hubert Védrine pour lui parler de la crise de la démocratie dans le monde. Comment l’interprète-t-il ? Quel avenir voit-il à la politique étrangère américaine, à l’hégémonie américaine dans le monde ? Cette hégémonie est-elle menacée ? Ou les États-Unis peuvent-ils reprendre le dessus ? Quelle est la place pour l’Europe dans la rivalité sino-américaine ? Comment pouvons-nous tirer notre épingle du jeu ? Est-ce encore possible ?
Je me tourne d’abord vers Mme Nardon.
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[1] Le professeur Kaspi est intervenu lors de plusieurs colloques organisés par la Fondation Res Publica :
– « Où va la société américaine ? », le 4 décembre 2006
– « La France et l’Europe dans les tenailles du G2 ? », le 18 janvier 2010
– « États-Unis, horizon 2017 » le 18 avril 2016
– « Où vont les États-Unis ? », le 29 janvier (NDLR)
[2] Branko Milanovic, Inégalités mondiales. Le destin des classes moyennes, les ultra-riches et l’égalité des chances, trad. B. Mylondo, La Découverte, février. 2019. (NDLR)
Le cahier imprimé du colloque « États-Unis : Crise de la démocratie et avenir du leadership américain » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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