Marie-Françoise Bechtel: « La Constitution n’est pas un programme de gouvernement »
Une tribune de Marie-Françoise Bechtel, vice-présidente de la Fondation Res Publica et ancienne vice-présidente de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, parue dans Le Monde, le 1er mars 2021.
Il est vrai que d’autres réformes accrochées à ce train laissaient davantage place à l’interrogation : la réforme du parquet, un serpent de mer, la « proximité territoriale » qui confond centralisation et bureaucratie (le vrai mal). Quant à l’engagement écologique, sa place est-elle bien dans la Constitution, du moins sous cette forme ?
Cet ensemble hétérogène pointe surtout une question fondamentale : lorsqu’une révision est envisagée, ne faut-il pas d’abord s’assurer qu’elle est bien au niveau du texte constitutionnel ? Nous ne parlons pas ici seulement de son niveau juridique mais aussi bien de sa capacité symbolique à surplomber le débat public, auquel il ne peut se réduire.
Car il est deux façons de porter outrage au texte constitutionnel : l’une, de défigurer les institutions autour desquelles est bâtie sa logique, l’autre d’affadir sa langue en lui faisant perdre sa consistance et par là son autorité.
Equilibre des pouvoirs et droits fondamentaux
Si l’on met à part les « permissions » constitutionnelles accordées pour l’intégration du droit de l’Union européenne, quelles sont les occasions dans lesquelles une révision est conforme à la vocation du texte fondamental ? Elles sont au nombre de deux.
D’abord, bien entendu, lorsque la révision porte soit sur l’équilibre des pouvoirs, soit sur les règles essentielles de fonctionnement des institutions. Dans la première catégorie, outre la tempétueuse révision de 1962 instituant l’élection du président de la République au suffrage universel, figure l’adoption du quinquennat. Quoi que l’on puisse penser de cette dernière, il est indéniable qu’elle a sa place légitime dans la Constitution. Dans la deuxième catégorie, figure notamment le train de réformes de 2008 voulues par Nicolas Sarkozy, comme la question prioritaire de constitutionnalité [QPC], qui porte sur l’intangibilité de la loi promulguée, ou bien le rééquilibrage des pouvoirs du gouvernement et du Parlement dans le processus législatif.
Rares ont été les autres réformes portant directement sur l’équilibre des pouvoirs : on ne comptera pour telle l’« organisation décentralisée de la République » voulue par Jean-Pierre Raffarin en 2003. On n’y inclura pas davantage l’irresponsabilité pénale du chef de l’Etat voulue par Jacques Chirac en 2007 et qui résultait déjà de la tradition. Plus proche du fonctionnement des pouvoirs institués était la réforme décidant de la « session unique » (1995) du Parlement qui a d’ailleurs eu pour effet de modifier profondément le statut réel du parlementaire.
En second lieu, figurent dans les révisions constitutionnelles a priori légitimes les réformes portant sur des droits fondamentaux : même s’il n’est pas dans la tradition française d’énumérer ceux-ci en tête de la Constitution comme le font les Constitutions allemande, espagnole ou grecque entre autres. Notre texte constitutionnel contient un certain nombre de principes fondamentaux dont à l’origine – mais c’est une longue histoire – les citoyens ne pouvaient en principe directement se réclamer. La Constitution a parfois été révisée depuis 1958 pour en inclure de nouveaux, généralement sans portée directe : ainsi l’égalité femmes-hommes (1999).
Cet appel à la loi pour donner forme et consistance au principe restait encore dans les clous du rapport entre le constituant, le législateur et l’exécutif. Une forte distorsion est née lorsque le Conseil constitutionnel a décidé de donner une application directe à la Charte de l’environnement intégrée en 2005. Il en résulte que des principes proclamés dans le texte constitutionnel seraient directement applicables sans laisser au législateur aucun choix quant aux moyens de les mettre en œuvre ni surtout quant à la portée exacte à leur donner.
Distance nécessaire
Aujourd’hui, de par ce choix du Conseil constitutionnel, le ver est dans le fruit. D’une part, tout gouvernement voulant montrer qu’il agit en ce domaine, électoralement très sensible, se condamne au gré de la formulation choisie (préserver l’environnement ? le garantir ? veiller à ? s’assurer que…) à un « toujours plus » qui ne sera jamais suffisant pour le regard sourcilleux d’un juge qui risque de mettre quelque empressement à imposer ses diktats.
D’autre part, la Constitution se trouve défigurée dans ce qu’elle a de plus identifiant. Elle n’est pas faite pour des injonctions programmatiques. La Constitution est une forme, le moule si l’on veut de l’action publique, mais sûrement pas un programme de gouvernement.
Il faut prendre garde à la responsabilité que l’on endosse de dénaturer ainsi la vocation normale de la Constitution.
Une issue existait au demeurant : ajouter dans le Préambule de la Constitution, parmi les « principes particulièrement nécessaires à notre temps » inventés par le Conseil national de la Résistance, l’affirmation que la préservation de l’environnement vient compléter ces principes. En hissant ainsi la préoccupation environnementale au rang de l’horizon nécessaire d’une action politique menée pour le bien du peuple français, on lui donnait noblesse et reconnaissance. Cela aurait eu de l’allure…
C’est en tout cas aux gouvernements procédant du suffrage de voir ce qu’ils veulent faire de cette proclamation. Et c’est au peuple français, non aux juges, de dire, par la voie électorale, comment ils approuvent ou désapprouvent la mise en œuvre d’un tel principe. Sans quoi le texte constitutionnel ne gardera pas cette distance nécessaire avec nos désirs, nos combats, parfois nos pressions qui en fait le garant d’une démocratie républicaine.
Source : Le Monde
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