Intervention de Didier Sicard, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) de 1999 à 2008, ancien chef de médecine interne de l’hôpital Cochin à Paris, lors du colloque « La politique de Recherche, enjeu pour l’avenir » du jeudi 26 novembre 2020
Mon point de vue est celui d’un médecin à la retraite dont la vision critique se rapprochera de ce que nous avons entendu pendant la première table ronde qui m’a paru assez unanime.
La recherche, comme la médecine ou l’éducation, entretient une étrange relation avec le politique. Protestation et soumission. Protestation devant les innombrables absurdités de fonctionnement liées à l’hypercentralisation des décisions, mais soumission excessive et acceptation facile des contraintes normatives. La recherche qui change le monde est rarement une activité programmée, comme par exemple les vaccins sollicités à la fois par les scientifiques et les politiques. Il y a en effet deux types de recherche : l’une plutôt dirigée sur l’innovation, c’est-à-dire l’amélioration des processus existants ou l’adaptation à un besoin exprimé. C’est une recherche compétitive drainant la majorité des chercheurs, avec une finalité importante de brevetabilité (5G, recherche spatiale, OGM, processus d’intelligence artificielle, recherche d’un nouveau gène pathologique, etc.).
L’autre recherche est plutôt dirigée sur la découverte. Or cette dernière ne peut être programmée alors qu’elle est au cœur du processus de recherche de l’humain : les travaux de Pasteur, de Watson et Crick, de Fleming, de l’électrophorèse des protéines, de la PCR, de l’IRM, des ciseaux moléculaires… ne sont jamais programmés.
La découverte est ainsi une rupture de pensée, une ouverture d’un nouveau champ à l’initiative de chercheurs libres qui s’intéressent par exemple au concept de finitude de la terre. Le politique peut programmer l’innovation en recourant à des appels à projets. Il ne peut programmer par essence une découverte fruit du « hasard et de la nécessité » comme disait Monod, venant le plus souvent de chercheurs jeunes. Peu à peu le contrôle étatique sur le financement de la recherche, même délégué au jugement de chercheurs appelés pairs, établit des chemins balisés sensibles à l’air du temps et aux acteurs économiques qui financent une majorité des projets selon des critères affichés de retour sur investissement. L’exemple de la bourse qui a bondi de 7 % en 24 heures après l’annonce d’un succès vaccinal en témoigne de façon caricaturale.
Je me pencherai sur la relation entre politique et découverte.
Tout part généralement d’une idée à côté, plus ou moins bien reçue dans le cercle étroit des chercheurs. Comment savoir si cette idée est nouvelle et peut être géniale ?
En pouvant l’accueillir en dehors des circuits officiels, des échelons à parcourir, et surtout en lui donnant les moyens d’un développement initial même modeste sous la forme d’un financement d’Etat, car l’économie privée n’est pas dans son rôle de financement. Une demande d’évaluation à court terme ou à moyen terme selon les études permet de continuer et d’encourager la recherche en fonction des résultats. Le point de départ peut être un séminaire de chercheurs réfléchissant ensemble aux questions à résoudre plutôt que de répondre à des appels à projets extérieurs à la communauté de chercheurs. C’est ainsi que la recherche pastorienne a fonctionné par couches successives de financements accompagnant les recherches en cours. Les financements suivaient rapidement les évaluations.
Cette situation est à l’opposé du palimpseste administratif aussi épuisant que consommateur de temps qui devrait être consacré à la recherche. Partir de l’observation avant de penser, réfléchir, accumuler des données pour avoir de nouvelles idées, bénéficier du regard de chercheurs d’autres disciplines sont les maîtres mots de cette recherche.
Mais le désastre français du non-usage des données de santé, la création de structures au détriment de fonctions, le principe de précaution, ne sont pas étrangers à l’abondance des crises sanitaires françaises toujours découvertes avec retard : chlordécone, amiante, hormone de croissance, médiator, sang contaminé, distilbène, Dépakine, pollution au diesel, etc. Dans un pays qui a une aussi forte capacité mathématique, cette non-convergence des capacités de statistiques, des données, cette indifférence au grand nombre sont frappantes. Nous avons le matériau unique au monde de données, par exemple de santé, nous n’en faisons rien et au moment où nous pourrions en faire quelque chose nous les confions à Microsoft en catastrophe parce que nous ne sommes pas capables de les analyser.
Fédérer les disciplines, favoriser les travaux inter et transdisciplinaires, encouragerait de nouvelles carrières de jeunes chercheurs actuellement abandonnés voire contraints au chômage en l’absence d’accueil. Les CNU travaillent en tuyaux, et ne supportent pas les interdisciplines toujours considérées comme dilettantes. Président d’une bourse franco-américaine médicale depuis 15 ans, je suis frappé par le caractère monolithique des projets scientifiques sensibles aux travaux à la mode et n’incluant quasiment jamais de projets de sciences sociales ou humaines, absurdité dont on commence seulement maintenant à prendre conscience. La transdisciplinarité c’est aussi travailler en symbiose avec les biologistes médicaux, les vétérinaires, les chercheurs de l’INRA, les ethnologues, les éthologues, les géographes, etc.
Un exemple, que signifie la barrière d’espèce pour un virus ? Pourquoi l’immunité naturelle bloque-t-elle tel ou tel virus ? Le recours aux paléovirologues serait nécessaire.
Enfin, il faudrait favoriser l’échange entre équipes. Un projet fédératif devrait avoir la priorité à partir de l’idée d’un centre qui rassemblerait autour de lui la puissance de feu de dix laboratoires. C’est plutôt le contraire en France où, par exemple, la recherche de différences génomiques du SRAS Covid 2 est éclatée dans plusieurs laboratoires à l’opposé des autres pays qui fédèrent cette recherche à un niveau national. Je rêverais qu’à côté du CNRS, de l’INSERM et de l’INRAE, entités remarquables, il y ait place pour des instituts comme Max Planck à Berlin, John Hopkins à Baltimore, des « villes recherche ».
En un mot une recherche qui laisse de la liberté, qui encourage à l’interdisciplinarité vers laquelle les chercheurs ne se tournent pas spontanément. Encourager les sciences humaines et sociales. Laisser, à côté d’une recherche planifiée, la place pour une recherche ouverte que l’État ne pilote pas mais finance. Aucune loi, quelle qu’elle soit, ne résoudra ces questions. Le rôle de l’État dans la recherche est beaucoup plus celui de la formation initiale scolaire, de l’encouragement à une meilleure culture scientifique du personnel politique et des citoyens grâce aux outils de communication contemporains. Ce n’est pas à l’État d’orienter la recherche, son rôle est de donner les moyens en amont !
Yves Bréchet
Merci, Monsieur le professeur Sicard, pour ce message très fort mais, si l’État peut espérer éventuellement contribuer à organiser l’innovation, il ne faut surtout pas s’imaginer qu’il pourra organiser la découverte. C’est pour moi un point très fort et il me semble que je ne contredirai pas vos propos en disant que toute loi de programmation doit pouvoir permettre à quelqu’un comme Jules Hoffmann de se poser la question de l’immunologie des insectes à un moment où absolument personne ne voit le moindre intérêt à cette question.
L’exposé suivant s’enchaîne très naturellement avec ce que vous venez de dire. Mme Virginie Tournay, directrice de recherche CNRS au Cevipof et membre du conseil scientifique de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques se pose de longue date la question de la culture scientifique.
Comment cette science de plus en plus spécialisée peut-elle demeurer une culture ?
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Le cahier imprimé du colloque « La politique de Recherche, enjeu pour l’avenir » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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