Introduction

Intervention de Jean-Michel Quatrepoint, journaliste économique, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, auteur de « Le choc des empires : États-Unis, Chine, Allemagne : qui dominera l’économie-monde ? » (Le débat Gallimard, 2014) , lors du colloque « La Chine dans le monde » du mardi 17 novembre 2020.

Jean-Pierre Chevènement

Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Bienvenue à tous.
Nous entendrons d’abord Jean-Michel Quatrepoint, économiste, concepteur et pilote de ce colloque dont l’intitulé, « La Chine dans le monde », aurait aussi bien être « La Chine, les États-Unis, quelle place pour l’Europe ? ».

S’exprimeront ensuite Antoine Bondaz, chargé de recherche à la Fondation pour la recherche stratégique, et Alice Ekman, sinologue éminente, responsable de la Chine et de l’Asie au European Union Institute for Security Studies (EUISS) et auteure de Rouge vif, l’idéal communiste chinois (éditions de l’Observatoire, 2020).

M. Huchet, président de l’Inalco, retenu par des obligations de dernière minute, ne peut être parmi nous. C’est M. Jean-François Di Meglio, président de l’Asia Centre, qui traitera des faiblesses internes et externes de la Chine.

Nous entendrons ensuite M. Emmanuel Dupuy, consultant dans le domaine de la Défense, de la Sécurité et de l’Armement, président de l’Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE) sur la Chine et les pays d’Asie centrale et sur la manière dont s’articulent les rapports entre la Chine et la Russie.

Jean-Michel Quatrepoint va ouvrir ce colloque.

Jean-Michel Quatrepoint

C’était il y a très exactement un an ! Les premiers cas d’une curieuse pneumonie apparaissent en cette fin novembre 2019. Dans une ville du centre de la Chine, bien connue des industriels français, Wuhan, la capitale de la province de Hubei. On n’en connaît toujours pas l’origine. Le pangolin et le marché aux animaux de Wuhan ont bon dos. Le virus s’est-il échappé accidentellement d’un des deux laboratoires – le P2 ou le P4 – spécialisés dans l’analyse des virus ? C’est fort possible. Cela dit, il ne faut pas pour autant tomber dans le délire complotiste ! Il n’y a pas eu, bien entendu, de volonté délibérée de la Chine de fabriquer un virus pour ensuite le diffuser. Ce virus n’est pas non plus d’origine américaine. Certains, en Chine, prétendent que ce sont des militaires américains, eux-mêmes infectés, qui l’auraient transmis à l’occasion des jeux paramilitaires qui se sont tenus à Wuhan à l’automne 2019. Comme quoi les théories du complot fleurissent partout. Reste qu’on aimerait bien que Pékin fasse toute la lumière sur ce qu’il s’est réellement passé à Wuhan.

Il est aujourd’hui avéré que les Chinois, au départ, ont caché une partie de la réalité. En particulier la dangerosité et l’ampleur de l’épidémie. Pour plusieurs raisons. Cela tient d’abord aux relations entre les autorités locales et le pouvoir central. Les premières ont toujours tendance à cacher les mauvaises nouvelles au second. Ensuite, il est certain que le Parti n’a pas voulu effrayer la population au moment où des centaines de millions de Chinois s’apprêtaient à voyager à l’occasion du Nouvel An chinois. Une époque fort importante pour l’activité économique, alors que la croissance commençait à piquer du nez. Enfin, la Chine était en pleine négociation d’un accord commercial avec les États-Unis. Donald Trump voulait, en effet, arriver à l’élection présidentielle avec en poche un accord, au moins provisoire. Pékin avait intérêt à faire traîner les choses en longueur car, plus on se rapprochait de l’échéance, plus Donald Trump serait enclin à des concessions. Un bras de fer s’était donc engagé.

Or les Chinois changent brutalement de stratégie à la fin de l’année 2019. Ils accélèrent les négociations avec les Américains pour parvenir, le 15 janvier, à un accord. Pourquoi ce changement de pied ? Certains observateurs pensent que la cause en est le coronavirus. Le 17 novembre, le premier patient est détecté à Wuhan. Le 8 décembre, des dizaines de cas de pneumonie atypique apparaissent. Le 3 janvier, la BBC parle d’un virus mystérieux. Les Chinois expliquent le lendemain que ce virus ne se transmet pas d’humain à humain. Mais l’épidémie galope. Si jamais les Américains découvrent que la situation est beaucoup plus grave que le prétend la version officielle, le gouvernement chinois se retrouvera en position de faiblesse. Et Donald Trump pourrait faire monter les enchères.

C’est pourquoi, selon cette théorie, il fallait, d’un côté, étouffer l’information et, de l’autre, accélérer la signature de l’accord commercial. Ce même 15 janvier, les Chinois annoncent qu’une transmission entre humains n’est pas à exclure et, le 22 janvier, Wuhan et la province de Hubei sont mises en quarantaine. Il est déjà bien tard. Des millions d’habitants de la province l’avaient quittée pour aller voir leur famille dans tout le pays à l’occasion du Nouvel an chinois. Plus d’un mois a été perdu. Un mois qui a permis au virus de se propager dans le monde entier.

Fin janvier, la reprise en main de l’information est totale. À commencer par les statistiques.

Le 1er février, le réseau social Tencent faisait état de 154 023 personnes contaminées et 24 589 morts. Le lendemain, la dépêche a disparu et Tencent explique que ces chiffres résultent d’un « bug » informatique. Seuls subsistent depuis les chiffres officiels.

Officiellement, aujourd’hui, la Chine n’aurait compté que 90 000 cas et 4 900 morts. Ce qui, à l’échelle d’un pays de 1,4 milliard d’habitants, ne représente rien. Ce n’est même pas l’épaisseur du trait. On ne met pas un tel pays à l’arrêt pour quelques milliers de morts. C’est là le second mensonge.

Cela dit, les dirigeants chinois ont vite rectifié le tir. Et adopté un ensemble de mesures qui allaient se révéler particulièrement efficaces. Avec un confinement à la carte, mais excessivement sévère : 14 000 points sanitaires ont été mis en place à travers le pays. Les écoles sont restées fermées pendant deux mois. Chaque Chinois a eu sur son téléphone une application et ses déplacements étaient fonction de sa situation sanitaire. Les autorités ont procédé à des tests massifs, ciblés. On a isolé dans des stades ou des hôtels les personnes infectées n’ayant pas de graves symptômes.

À l’époque, souvenons-nous, en février dernier, s’était développée en Occident une sorte de « schadenfreude ». Nous n’étions pas si mécontents de voir le géant chinois si arrogant tomber de son piédestal. Aujourd’hui, la « schadenfreude » a changé de camp. Car la Chine – et là, c’est un fait – a réussi à bloquer la pandémie.

Comment expliquer cette réussite ? Par la conjonction de plusieurs facteurs. L’utilisation massive du numérique pour tracer les malades et pister la maladie. La mobilisation de l’appareil d’État et de l’armée sous l’égide du Parti. Enfin, le sens de l’intérêt collectif, qui a fait que chaque Chinois respectait les règles et surtout les faisait respecter par ses voisins. En utilisant si besoin la délation. Pour comprendre cette acceptation du corps social à des mesures liberticides, il faut savoir que la Chine vit en étroite symbiose avec la science. Et les scientifiques figurent parmi les personnes les plus respectées. Ainsi, 97 % des Chinois sont prêts à se faire vacciner contre la Covid. Ils n’ont pas peur du vaccin.

C’est la science et la technologie qui ont permis à la Chine de rattraper très vite son retard. Et c’est la science et la technologie, notamment numérique, qui doivent permettre au pays de devenir la première puissance mondiale. Et Xi Jinping s’est indiscutablement appuyé, après les errements des premières semaines et les mensonges, sur les conseils des scientifiques. Aujourd’hui, Xi Jinping, le Parti et la Chine donnent l’impression d’être les grands gagnants de cette bataille contre la pandémie.

Lors des vacances d’octobre des centaines de millions de Chinois ont pu voyager à travers le pays. Sur le plan de la croissance, après un premier trimestre négatif (- 6,8 %), un effondrement inédit depuis un demi-siècle, le deuxième et surtout le troisième trimestre ont enregistré une croissance positive : + 4,9 % au troisième trimestre. La consommation intérieure est repartie. Tout comme les exportations, notamment dans le domaine de la santé.

Le Parti a renforcé son emprise sur le pays. Notamment, sur les entreprises du secteur privé. On l’a vu encore récemment avec la suspension de l’introduction en Bourse de la filiale financière d’Alibaba. Une suspension qui a sonné comme un avertissement au secteur privé. Et au tout puissant patron d’Alibaba, Jack Ma.
Il y a près d’un mois, lors du plénum du Parti, les grandes lignes du prochain plan quinquennal 2021-2025 ont été définies. Trois lignes directrices ont déjà été fixées :
– L’économie doit s’appuyer davantage sur son marché intérieur.
– Le pays doit serrer les boulons de l’endettement. D’où le coup de frein donné aux ambitions de Jack Ma de lancer son groupe sur le marché du crédit aux particuliers et aux entreprises.
– Enfin, la Chine doit ériger en priorité l’autosuffisance technologique. Une série de dispositions ont déjà été prises pour moins dépendre des importations. Actuellement, la Chine importe 80 % des composants électroniques dont elle a besoin, notamment des États-Unis. C’est son talon d’Achille dans le bras de fer engagé avec Washington. C’est notamment ce qui fragilise Huawei. Les Chinois vont donc mettre le paquet pour ne plus dépendre de ces composants.

Enfin, sur le plan diplomatique et géopolitique, Pékin a indiscutablement marqué un point en signant, ce dimanche 15 novembre 2020, le Partenariat régional économique global, un pacte commercial, qui lie les dix pays de l’ASEAN, avec la Chine, la Corée du Sud, le Japon, l’Australie et la Nouvelle Zélande. Cela faisait huit ans que les diplomates chinois négociaient un tel pacte, qui se voulait une réponse au Traité qu’Obama voulait mettre en place dans le Pacifique. Traité qui devait isoler la Chine. Donald Trump l’a abandonné, préférant les relations bilatérales.

En janvier, février, on n’aurait pas misé un yuan sur le Traité chinois. Tant l’hostilité à l’égard de Pékin était grande chez ses voisins et un peu partout dans le monde. Mais aujourd’hui la donne a changé. L’Europe est, bien sûr, inexistante dans cette région du monde et les États-Unis sont englués dans leur crise politique et sanitaire. Les voisins de la Chine sont des réalistes. Ils pratiquent la « Realpolitik ». Les uns ont besoin de vendre leurs produits à des Chinois qui vont consommer de plus en plus. Ils ont aussi besoin de leurs investissements, notamment dans les infrastructures. Les autres, comme les Japonais, ont besoin des usines chinoises pour alimenter les chaînes de valeur de leurs groupes industriels.

Cet accord de libre-échange, qui s’inscrit dans le cadre du projet des routes de la soie, est donc un vrai succès pour Pékin et une pierre dans le jardin du prochain président des États-Unis.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Jean-Michel Quatrepoint, de cet exposé tout à fait clair.

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Le cahier imprimé du séminaire « La Chine dans le monde » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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