Restaurer la légitimité de l’État. Image et représentation de l’État auprès des Français

Intervention de Benjamin Morel, maître de conférences à l’Université Paris II, auteur de Le Sénat et sa légitimité (Dalloz, 2018), membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, lors du séminaire « Le retour de l’État, pour quoi faire ? » du mardi 06 octobre 2020.

Merci Monsieur le Président.

Vous notiez en introduction de nos débats que nous assistions à un retour de balancier en faveur de l’État. C’est sans doute vrai, pour ce qui est de l’action publique. Concernant les représentations collectives, je crains de paraître aujourd’hui plus Cassandre. Il existe actuellement une crise entre les Français et leur État. Dans ses cours au Collège de France, Émile Durkheim dit : « Plus l’État est fort, plus il libère l’individu. » Cette phrase est d’une banalité sans nom pour un républicain de la fin du XIXe siècle. Aujourd’hui, elle sonne à l’oreille de nombre de nos compatriotes comme un oxymore. L’État ne peut être qu’oppressif, et, s’il l’est, ce n’est que pour nous protéger d’un monde dangereux ; ce à quoi il ne parviendrait même plus. Il suffit d’ouvrir les chaînes d’informations en continu ou les réseaux sociaux pour se voir infliger la longue liste des échecs de l’État. Lors de la crise de la Covid, nous avons assisté à une forme de statophobie médiatique, tutoyant souvent l’absurde. Mais si ces discours sont tenus, c’est qu’ils fleurissent sur un terreau favorable. Les enquêtes d’opinion montrent une défiance des Français vis-à-vis de l’État. Dernier exemple relevé, un sondage pour la Tribune des 18 et 19 juin 2020 : 73% des Français jugent que la crise modifie la manière défavorablement dont ils évaluent son action.

Comprendre la crise de l’État, ce n’est pas seulement comprendre comment ce dernier dysfonctionne, au regard de la science administrative. Comprendre la crise de l’État, c’est comprendre comment sa légitimité est aujourd’hui fragilisée dans le corps social. C’est l’objectif de cette intervention : saisir la crise de l’État par le bas. Car si l’État est rejeté par principe, aucune réforme ne le sauvera. Si l’État devient un objet désirable, toutes les réformes deviennent possibles.
Le Peuple français est un peuple politique. Cela signifie qu’il veut pouvoir faire collectivement des choix et orienter son destin. Comme le notait bien Arendt, la domination sans partage de la liberté des modernes est à la fois une capitulation du sens du politique, mais aussi de la liberté du Peuple, et donc de l’individu qui renonce à influer sur son devenir. Il nous faut donc être parfois un peu des anciens. Il nous faut croire en la capacité du politique de changer le monde pour ne pas subir docilement ses mutations. L’État est à cet égard perçu non comme une fin, mais comme un outil. L’État est l’instrument que se donne le Peuple pour agir sur son destin et sur lui-même comme corps social. Or, aujourd’hui, la légitimité de cette fonction semble abîmée. D’abord, car l’État n’est plus identifié, il est un objet flou dont le lien avec le Peuple et le souverain est mal compris. Ensuite, parce que l’État est perçu, à tort ou à raison, comme impotent.

On assiste donc, tout d’abord, à une désidentification de l’État. L’État n’est plus vu par nombre de nos concitoyens comme une entité stable dont ils peuvent saisir les contours. Les figures de l’institution ont cessé de marquer la société. Cela semble provenir de trois séries de facteurs entraînant une conséquence délétère ; le tout accroissant sensiblement l’ampleur de la crise de légitimité.

Le premier facteur est une extériorisation de l’État. Je ne crois guère dans la notion de société civile. Elle a une aura médiatique, idéologique et politique, mais peu de consistance scientifique. En revanche, il existe des acteurs, ou des entrepreneurs, se revendiquant de la société civile. Ceux-ci visent à capter une part de représentation légitime au nom d’un intérêt sectoriel. Ils s’instituent alors en rival de l’État dans son activité de représentation. Ces acteurs font valoir qu’ils sont plus légitimes que les autorités politiques à dessein de représenter tel ou tel segment de la société. Leur réussite, ces dernières années, vient du fait qu’ils sont parvenus à gagner ce pari. Une bonne partie de nos concitoyens, peut-être la majorité, se sent mieux représentée par telle association ou tel mouvement, que par les organes de l’État. L’idée d’une représentation multiple du citoyen, à plusieurs niveaux et selon plusieurs modalités, est une belle idée sous la plume des philosophes ou des auteurs de rapports sur la démocratie. Elle n’a que peu de consistance pratique. Le citoyen peut se projeter alternativement dans plusieurs acteurs, mais sur un sujet donné, quand deux d’entre eux, se réclamant de lui, entrent en dialogue, il en choisit un. Dès lors que ces entrepreneurs de la société civile sont parvenus à se faire des représentants plus légitimes que l’État dans leur champ, l’État devient quelque chose d’extérieur. Il est cette altérité avec laquelle il faut négocier, de qui il faut obtenir, à qui il faut arracher. L’État n’est plus la continuité de l’individu, il n’est plus que ce qui le contraint. On peut alors penser un renouveau de la représentativité par des réformes institutionnelles. Ce n’est toutefois pas là le plus essentiel, ni sans doute le plus efficace. Entre l’individu et l’État, il y a quelque chose qui manque, un élément d’unité et d’identité subjective qu’est la nation. Ce n’est pas un hasard si les acteurs de la société civile les plus actifs et les plus efficaces sont des entrepreneurs identitaires. L’identité collective permet à l’individu de se projeter dans les instruments que le corps politique se donne. Or l’identité collective portant l’État demeure l’identité nationale. Pour se sentir représenté par l’un, il faut se sentir part de l’autre. Retrouver le sens de la nation, c’est retrouver le lien avec l’État.

Le second facteur tient dans une relégation symbolique de l’État. L’État a cessé d’être autre, par rapport aux diverses institutions sociales. Ses symboles et cérémonies se sont normalisés, son autorité a été ainsi arasée. On a beaucoup parlé de la paupérisation de l’État apparu aux Français comme un témoignage de sa faillite dans la crise du coronavirus. La situation de l’hôpital public aurait notamment, selon Jérôme Fourquet, rompu le sentiment de puissance et de grandeur de l’État que pouvaient avoir les Français. C’est sans doute vrai, mais le constat me semble plus ancien, structurel, et vient d’une désacralisation de l’État par lui-même. Le meilleur exemple en est l’architecture. On a fait des études aux États-Unis sur les Palais de Justice. Un Palais de Justice néo-classique, avec son fronton et ses colonnes corinthiennes, n’a pas du tout le même effet sur le citoyen, l’administré et le justiciable qu’un bloc de béton. Le premier incarne une continuité historique de l’État. Il semble être là de tout temps et survivra à l’individu. Il incarne aussi une singularité de l’État, seul lui habite ce type de bâtiment. Il est un pouvoir autre, atemporel et structurel. À l’inverse le bloc de béton induit la normalité de l’État et son caractère conjoncturel. Le Palais de justice est un immeuble parmi d’autres. L’État est un acteur social parmi les acteurs sociaux. Quand vous déménagez le Palais de Justice des dorures et de la centralité de l’île de la Cité, au Périphérique, vous affaiblissez l’État, vous rompez son autorité symbolique. Vous le désacralisez. Le constat est le même pour les ministères, les mairies, etc.

Le troisième facteur est lié à l’opacité de l’État. Pour que l’État soit perçu, encore faut-il qu’il soit reconnu. Une enquête récente est à ce titre parlante. Dans un sondage CSA pour le Sénat de juin 2020, les compétences de l’État sont claires pour uniquement 48% des Français, contre 43% pour celles du département. Avec une réforme territoriale tous les deux ans et un champ d’action sans cesse transformé, ce n’est pas étonnant. L’action du département n’est connue que d’une minorité de citoyens. Celle de l’État à peine plus. C’est un problème. Pour beaucoup de Français, identifier ce qu’est l’État et ce qu’il fait n’a rien d’une évidence.

Cela est lié à la multiplicité des acteurs intervenant dans l’action publique. Cela a été évoqué, la montée en puissance de l’Union européenne est un angle d’analyse. Évidemment, la décentralisation en est un autre. Le trouble dans les compétences entre collectivités et État semble inextricable. Notons d’ailleurs, puisque Marie-Françoise Bechtel m’y invite, que les deux lois de différenciation annoncées par le Gouvernement risquent de particulièrement assombrir ce tableau. En enclenchant un mouvement vers une collection de collectivités à statut particulier, sur le modèle Corse, elles institutionnalisent des entrepreneurs identitaires, non seulement rivaux de l’État, mais construisant leur légitimité contre lui. En créant une géométrie variable des compétences, elles obscurcissent encore un peu plus l’action étatique. En rompant l’unité de la loi, elles brisent le sentiment d’égalité et d’efficacité nécessaire à l’adhésion des populations. À défaut de mobilisation sur ce sujet, le colloque qui est le nôtre aujourd’hui apparaîtra exotique aux lecteurs de ses actes dans trente ans, tant ce que nous appelons alors État en sortira abîmé. Là aussi, je suis Cassandre, mais vous savez que la malédiction de Cassandre n’était pas le pessimisme. C’était de voir l’avenir sans être cru par personne.

L’opacité de l’État est également liée aux transformations et à l’instabilité de l’État lui-même. La fluidité de ses structures, la profusion des sigles ne lui donne pas de forme stable et institutionnalisée dans les esprits. Prenons un exemple récent. Devant la crise de la Covid, Angela Merkel immédiatement s’appuie sur l’Institut Pasteur d’outre-Rhin, l’Institut Robert Koch. L’institut a pignon sur rue, il est connu, respecté, sa légitimité n’est pas à construire. Que ce soit l’opposition ou les puissants ministres-présidents des Länder, personne ne peut venir discuter le fondement scientifique des décisions de l’exécutif. Celles-ci donnent lieu certes à des consultations, mais pas à de la codécision. Après la loi du 26 mars, contournant le Bundesrat, et la formation d’un « cabinet corona », les choix sont faits de manière discrétionnaire par Angela Merkel et ses ministres de l’Intérieur et de la Santé. En France, l’exécutif attend un mois avant de s’appuyer sur une structure officielle. Cela laisse le temps à des personnalités comme Didier Raoult d’entamer une irrésistible ascension médiatique. Alors, plutôt que d’aller chercher parmi l’ensemble des acteurs une institution déjà stable, reconnue et légitime, on crée ex nihilo un nouvel organe, le Conseil scientifique. Ainsi impose-t-on un impétrant qui doit construire sa légitimité dans un paysage déjà très chargé… six mois plus tard, cela conduit Marseille à créer son propre comité scientifique. Si l’État veut être reconnu et légitime, ses structures doivent être stables, ses organes identifiés. Ils doivent inscrire leur légitimité dans le temps et leurs images dans les esprits.

Ces trois facteurs entraînent une conséquence fâcheuse, la personnalisation de l’État. Que reste-t-il de l’État dans l’esprit des Français ? Il n’en demeure que celui qui le représente, en d’autres termes, son chef, le président de la République. On assiste alors à une personnalisation de l’État. Or c’est là extrêmement dangereux. C’est justement contre ce phénomène que s’est construit l’institution étatique. George Burdeau écrivait : « Les hommes ont inventé l’État pour ne pas obéir aux hommes. » Il est ce qui rend acceptable le pouvoir en le décorrélant de l’individu qui l’exerce. Le pouvoir de l’autre est toujours ressenti comme inique, absurde. Le pouvoir de l’État permet à la fois de neutraliser ce sentiment et d’ancrer la fiction d’un pouvoir de moi sur moi-même, via l’institution. Si l’État n’est plus que la personne qui l’incarne, alors s’opposer à Emmanuel Macron, c’est s’opposer à l’État ; s’opposer à l’État, c’est s’opposer à Emmanuel Macron. Lors de la crise, l’opposition et les élus locaux qui attaquaient la gestion de l’État, attaquaient d’abord le président de la République. L’État n’est alors qu’une métonymie de la majorité en place et devient tout aussi fragile qu’elle. Il est mis en jeu dans le combat politique, non comme concept, mais comme acteur. Restaurer la légitimité de l’État implique donc de le réidentifier, de le resacraliser, de le stabiliser : en bref, de le réinstitutionnaliser dans l’esprit des Français.

On assiste ensuite à la montée d’un sentiment d’impotence de l’État. Cette idée peut choquer quand l’on connaît son poids en France. Elle est pourtant très diffuse dans les enquêtes et il faut alors comprendre de quel État et de quel discours sur l’État il est question.
L’État est vu comme impotent, mais est en même temps profondément désiré. Il convient de s’intéresser à une autre crise récente, celle des gilets jaunes. La crise des gilets jaunes commence par une crise du pouvoir d’achat. J’ai besoin que l’État remplisse mon frigidaire. Les revendications originelles sont purement matérialistes, économiques, sociales ; vitales. Seulement, voilà, l’État me dit qu’il ne peut pas. Les gilets jaunes sont dans les enquêtes à la fois très étatistes (ils sont les plus opposés notamment à l’Union européenne et à la décentralisation) et assez rousseauistes. Chacun a mis sa petite part de souveraineté dans l’État, donc j’attends que l’État défende ce qui me semble relever du minimum vital pour chacun. Si l’État me dit non, alors c’est que l’État dysfonctionne et je reprends mon consentement. Il convient alors de restaurer le pouvoir du peuple sur l’État et de l’État sur le réel. C’est alors, dans un second temps, qu’apparaît la thématique du référendum d’initiative citoyenne. Ce dernier est une façon, non de se substituer à l’État, mais d’en reprendre le contrôle pour l’obliger à agir. Car si l’impotence de l’État est constatée, elle est regrettée. Il y a aujourd’hui une demande d’État. Selon le dernier baromètre CEVIPOF d’avril 2020, 74% des Français jugent que c’est à l’État français, et pas à l’Union européenne, de contrôler les frontières nationales. Dans une enquête Opinion Way pour le Printemps de l’économie en avril 2020, l’État est reconnu comme l’autorité légitime pour mener la plupart des grandes politiques publiques. Concernant la santé, 57% jugent qu’elle devrait être gérée par l’État, 11% au niveau local, 32% au niveau international. Concernant l’éducation, 61% l’attribuent à l’État, 13% au niveau local, 26% au niveau international. Il en va de même pour l’emploi ; 54% pour l’État contre 19% au local et 27% à l’international. Ces chiffres sont encore plus nets parmi les classes populaires.

Mais de quel État parle-t-on ? L’État social est bien entendu nécessaire, mais ce n’est pas lui qui est principalement attendu. L’État social n’est vu que comme un palliatif dans une société perçue comme trop inégalitaire. La distribution d’aides sociales, pour légitime qu’elle soit, n’est pas une manière de prendre en main son destin et de s’y projeter. L’État attendu est un État qui projette l’individu et le peuple dans un sentiment de puissance et une capacité à faire des choix. C’est un État à la fois régulateur, acteur et pourvoyeur de biens communs. L’hôpital est perçu comme un bien commun, il est ce que collectivement la nation met au service de chacun et dont la qualité pourra représenter son orgueil. Le minimum vieillesse n’est pas perçu comme un bien commun, il n’est que le palliatif d’une société que l’État a échoué à rendre moins inégalitaire et dont il doit panser les plaies. Les deux sont nécessaires, mais n’induisent pas le même rapport à l’État. Or cet État instrument d’action souffre, aujourd’hui, d’une double dévitalisation.

La première dévitalisation est celle de l’action publique. Elle est d’abord induite par le discours politique porté à la fois par le néolibéralisme et le culte de l’autogestion, comme vous le rappeliez bien, Monsieur le Président. Cela est aussi le produit du discours de l’État sur lui-même. Nous sommes passés d’un discours de réforme par l’État à un discours de réforme de l’État. D’un monde où l’État était l’instrument de la transformation à une époque où il doit en être le principal objet. Les derniers plans n’avaient plus pour objet d’orienter l’économie par l’État, mais de transformer l’État. L’instrument est devenu le problème… Or, pour un peuple qui juge que l’État est l’outil lui permettant d’agir sur son destin, un tel discours est pour le moins déstabilisant. Il n’est pas pour rien dans le spleen français. Comment changer son destin quand l’instrument de ce changement est pointé comme un problème en soi ? La dévitalisation de l’action publique vient aussi de l’affaiblissement des moyens matériels et humains de certains secteurs de l’État. Celle-ci crée une distance entre le citoyen et l’agent qui, in fine, est toujours celui qui face à lui incarne l’État. La fonction publique d’État a décru entre 1996 et 2017 de 1,7% alors que la fonction publique territoriale s’est envolée de 55,6%. Derrière ces chiffres, il y a des enseignants, des juges, des policiers… ces derniers profondément impactés par la RGPP. L’atrophie des administrations déconcentrées de l’État, notamment au niveau départemental, représente un problème aujourd’hui reconnu. L’agent n’est pas seulement distant, il est aussi impotent. Le processus de managérialisation conduit en effet à faire prévaloir la norme sur l’homme incarnant l’institution. Pris dans un magma normatif tatillon et inextricable l’agent n’est que celui qui applique, sans pouvoir adapter son action pour accroître la cohérence et l’efficacité de l’action publique. L’État qu’il incarne apparaît alors aux Français comme enchaîné par lui-même et incapable d’entrer dans une interaction constructive avec eux.

La seconde dévitalisation est celle de la loi. Cette dernière est l’instrument de l’instrument. Si l’État est l’instrument du peuple, la loi est l’instrument de l’État. La crise de la loi donne ainsi l’impression d’un État ne pouvant agir sur le réel. Cette crise, qui a bien été pensée dans son dernier ouvrage par Denis Baranger, n’est pas d’abord une question d’inflation législative. La complexité des actions et des champs d’intervention du législateur conduit à un tel phénomène dans l’ensemble des nations occidentales. Elle est d’abord liée à un affaiblissement symbolique de la loi. C’est d’abord le fait, déjà bien évoqué par Jean-Éric Schoettl, d’une relégation dans la hiérarchie des normes et d’une loi en procès. C’est également le produit d’une rupture du sens utilitariste de la loi, benthamien, qui en faisait un outil efficace d’ingénierie sociale. La loi est un instrument magique qui, une fois votée, est réputée changer le réel. Or son objet est souvent soit hors sujet, soit inatteignable. La loi contre les chiens méchants sous Nicolas Sarkozy devait régler la question de la perfidie canine. Le problème par ailleurs est que souvent les solutions ne sont pas législatives. Elles peuvent être budgétaires, impliquer une mobilisation sociale profonde ou échapper à l’échelon national. La loi n’est alors pas une façon de changer le réel, mais de s’en donner temporairement l’illusion. Le constat que la loi n’a rien changé et que dans deux ans sera votée une nouvelle loi, sur le même sujet, rompt la foi en la loi. Le citoyen, qui croyait en cette baguette magique de l’État, n’y reconnaît plus qu’une tige en plastique vendue dans un magasin de farces et attrapes.

Gouverner, c’est gouverner l’imagination ; gouverner, c’est gouverner les représentations. Reconstruire le lien entre les Français et l’État, c’est reconstruire l’image d’un État qui leur appartient et c’est reconstruire l’image d’un État qui peut. En un mot, c’est reconstruire la légitimité de l’État. C’est là que Cassandre s’égaye quelque peu. Il y a aujourd’hui, une forte demande d’État. Elle n’est peut-être pas toujours formulée ainsi, mais les enquêtes évoquées montrent qu’elle existe. Pourvoir à cette demande n’est pas qu’affaire de réforme administrative, c’est également et peut-être surtout affaire de symboles et de représentation. Non acquise à un rôle renouvelé de l’État, l’opinion sera largement imperméable à une grande partie de ses réformes. Elle les ignora, autant qu’elle ignore aujourd’hui ce qu’est l’État et ce qu’il fait. Attaché à l’État, le Peuple se l’appropriera et sera à la fois le meilleur soutien et le meilleur gardien de ces réformes. La bataille pour l’État est d’abord une bataille culturelle, et elle est vitale. Il faut prendre garde à ne pas laisser se développer le procès contre l’État que nous vivons ces derniers mois. En France, l’État a construit la nation et l’affaiblissement de l’un est intimement corrélé à celui de l’autre. Derrière l’attaque contre l’État, c’est la nation qui unit et la République qui libère qui sont fragilisées.

Merci, Monsieur le Président. Ce beau combat, qui est le combat de ce soir, apparaît nécessaire.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, Benjamin Morel.

Vous nous avez rendu quelques raisons d’espérer, particulièrement quand vous avez montré que les Français, quand on les interroge, attendent de l’État – pas de la collectivité locale et pas non plus du niveau européen – qu’il résolve un certain nombre de problèmes.
J’aimerais m’arrêter sur l’idée selon laquelle refaire l’État c’est forcément prendre appui sur la nation, base de ce que vous avez appelé la légitimité. La légitimité est nécessaire si on veut refaire l’État mais elle ne viendra que de la nation. Ensuite on pourra peut-être revoir la chose européenne, réarticuler les niveaux de collectivités. Mais le lieu de la renaissance, que vous nous avez aidés à identifier, c’est la nation. Et vous avez parlé à juste titre du besoin de resacralisation de l’autorité. Par où cela passerait-il sinon par-là ?

Peut-être allons-nous entendre d’autres points de vue s’exprimer.

Je donne la parole à M. Thomas Branthôme.

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Le cahier imprimé du séminaire « Le retour de l’État, pour quoi faire ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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