Débat final lors du colloque « Iran, Etats-Unis, où la crise au Moyen-Orient nous conduit-elle ? » du mercredi 5 février 2020.

Régis Debray

J’aimerais vous demander votre avis sur la façon dont la France a salué les récents efforts du Président américain dans la région, semblant approuver l’initiative absolument ahurissante, ubuesque, de l’accord imposé par Donald Trump à la Palestine, sans consultation des Palestiniens. On n’a jamais vu une telle violation des principes les plus élémentaires de la vie internationale.

Jean-Pierre Chevènement parlait de principes, je m’étonne de l’absence totale de dignité de la France dans cette affaire.

Dans la salle

Vous avez évoqué les motivations de ce qui se passe dans la région : le lobby saoudien, l’Iran, le lobby israélien aux États-Unis. Il semble que les intérêts économiques et l’accès aux ressources motivent tous les acteurs de la région, y compris les Russes. On le voit aujourd’hui avec l’axe qui se construit entre l’Égypte, Israël et Chypre par rapport aux ressources gazières alors que la Turquie, qui se trouve un peu écartée de ce jeu, se cherche une excuse supplémentaire pour intervenir en Libye.

Depuis quelques années, je ne comprends plus la politique étrangère française. Où est l’intérêt de la France dans ces problèmes ? L’intervention en Libye a été catastrophique et nous continuons à faire les mêmes erreurs. C’est le cas en Syrie où on a essayé de vendre à l’opinion publique française et européenne que nous allions exporter un modèle de liberté. Mais à quelles forces, dans ce pays, le « dictateur » est-il confronté ?

Dans la salle

Il semble y avoir consensus sur le fait que la France doit disposer d’une certaine indépendance et ne plus être alignée sur les États-Unis.

Le projet gaullien reprenait un peu l’idée qu’exprimait Charles Maurras en 1910 dans Kiel et Tanger, 1895-1905. La République française devant l’Europe. La France doit être le chef de file des nations moyennes, une petite puissance face aux grandes puissances. Or le monde arabo-musulman, au Proche-Orient, est constitué de puissances moyennes. L’Iran lui-même est une puissance moyenne à l’échelle globale.

Avons-nous aujourd’hui la capacité de dire non aux États-Unis ? Le Président Macron a récemment mis en cause « l’État profond », après le rapprochement avec la Russie judicieusement encouragé par Jean-Pierre Chevènement. Quid de la French-American Foundation et de la colonisation numérique avec les GAFAM, sans oublier l’extraterritorialité du droit américain ?

Face à cette forme de colonisation monétaire, économique et numérique, la France a-t-elle la capacité de dire non ?

Jean-Pierre Chevènement

À propos de la puissance des groupes d’intérêts et de ceux qui soutiennent inconditionnellement la politique du gouvernement de Benyamin Netanyahou, je rappellerai que je suis partisan d’une politique à deux États depuis 1972. Elle était inscrite dans le programme socialiste que j’avais fait adopter. C’était déjà très difficile à l’époque, cela ne s’est pas arrangé depuis. Mais, comme l’a très bien dit Pierre Conesa, il y a aux États-Unis un lobby encore plus puissant que l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee), c’est celui des chrétiens évangéliques qui pèse sur la politique américaine au moins autant que le lobby pro-Netanyahou que j’appellerai « likoudnik » (j’essaie d’employer des mots justes qui permettent d’éviter tout ce qui pourrait donner lieu à une dérive qu’on déplorerait mais qu’on aurait soi-même initiée).

L’intérêt de la France… qui en parle depuis une bonne trentaine d’années ?

On a substitué au paradigme de l’intérêt national celui de la construction de l’Europe. On parle de l’Europe, « notre avenir », on ne parle plus guère de la France, notre patrie, renvoyée un peu dans les limbes du passé.

Ceci a un prix. Quand on abandonne la nation et l’État, on récolte à long terme l’incivisme. C’est ce que nous voyons aujourd’hui dans des domaines qui n’ont rien à voir avec les questions de politique étrangère que nous avons traitées ce soir. On voit par exemple des fonctionnaires de l’État refuser de surveiller des épreuves du Bac, ce qui est totalement contraire à leur statut. C’est inédit ! C’est l’aboutissement de la philosophie qui s’est imposée depuis plus de cinquante ans selon laquelle « il est interdit d’interdire ». Nous récoltons les fruits de ce qui a été semé par l’inconscience d’un certain nombre de dirigeants et d’intellectuels médiatiques. On a laissé prospérer cette gangrène.

L’intérêt national de la France… il serait peut-être temps de s’y référer. C’est difficile.

À l’échelle du monde, les États-Unis ont établi le fait que le dollar est la monnaie mondiale. Quiconque veut réaliser une opération en dollar tombe sous le coup des sommations du DOJ (Department Of Justice) américain, en application du droit extraterritorial américain. Les géants du numérique sont tous américains.

Dans le domaine de la défense, le budget américain est de 750 milliards de dollars alors que le nôtre dépasse un peu la quarantaine. Mais quand j’entends dire qu’on ne peut rien au Sahel sans les Américains, je pense qu’il y a un problème. Nous pourrions trouver des solutions logistiques avec l’Ukraine et la Russie qui louent volontiers leurs avions Antonov. Nous pourrions aussi nous doter de drones français. À d’autres époques, nous avons construit des sous-marins nucléaires, il n’est quand même pas plus difficile de faire un drone qu’un sous-marin nucléaire ! S’il y avait une volonté politique, cela finirait par se faire.

Certes les marges sont étroites. Mais, à d’autres périodes de notre existence en tant que nation, les marges étaient encore plus étroites. En 1940, elles étaient vraiment infimes. Pourtant la volonté, la persévérance, la ténacité ont fini par l’emporter et nous existions encore comme nation relativement indépendante, il y a une trentaine ou une quarantaine d’années. Aujourd’hui je n’en suis plus sûr, mais je pense que nous pourrions le redevenir en faisant en sorte que notre indépendance ne soit pas tournée contre l’Europe, bien au contraire, il s’agit de participer à long terme à la construction d’une Europe européenne, mais cela se fait à partir de bases sur lesquelles nous avons des moyens d’action.

Vous avez parlé des ressources gazières. Évidemment, il y a le droit de la mer… Je pense que l’accord entre la Grèce et Israël a plus de chances de se réaliser que le projet turc pour la raison que les Turcs n’ont pas beaucoup d’alliés en Méditerranée.

Je ne suis pas « anti-turc », je tiens à le préciser. Je suis sidéré de voir la légèreté avec laquelle on s’exprime sur le problème kurde, comme s’il était possible de constituer un Kurdistan indépendant à l’échelle du Moyen-Orient ! Voilà presque trente ans que j’entends cela, même au sein des gouvernements auxquels je participais. En 1988, Bernard Kouchner soutenait cette thèse. On voit où elle nous a conduits. Vouloir créer un État kurde indépendant alors qu’il y a 15 millions de Kurdes en Turquie est une aberration. Il faudrait le dire. Je vois des pétitions signées par un tas de gens au demeurant très estimables. Se rendent-ils comptent qu’ils ouvrent la voie à une guerre de trente ou quarante ans ? L’intérêt de la France est de dire les choses telles qu’elles sont et de faire savoir que nous ne sommes pas pour un État kurde indépendant. Cela permettrait aussi de retrouver des relations plus normales avec la Turquie, un pays difficile que Jean-Claude Cousseran connaît bien. Et bien entendu de prôner des solutions d’autonomie culturelle pour les Kurdes dans les différents États où ils sont présents.

Renaud Girard

Il ne faut pas exagérer le calcul économique des Occidentaux qui voudraient profiter du Moyen-Orient. Il y a une motivation beaucoup plus importante et plus violente que le greed, que la recherche du profit, c’est l’idéologie. C’est à tort qu’on a cru que les Américains étaient allés en Irak en 2003 pour s’emparer du pétrole (pétrole que les Américains achetaient à Saddam Hussein). Mais la force de l’idéologie néoconservatrice était extrêmement prégnante aux États-Unis : On allait installer la démocratie, par contagion, dans tous les pays du Moyen-Orient ! On allait changer les régimes. ! L’exceptionnalisme américain allait réussir et éradiquer la corruption du Moyen-Orient ! Et on aurait la paix avec Israël parce qu’Emmanuel Kant nous a appris que les démocraties ne se faisaient pas la guerre [1]…

Je crois qu’on exagère l’importance des intérêts économiques dans la politique internationale.

Dans la salle

Je pensais assister à une conférence sur l’Iran. Mais peu de choses ont été dites sur l’Iran. Je sais pour l’avoir déjà entendu que François Nicoullaud est un très grand spécialiste de ce pays, qu’il a une culture profonde de l’Iran. Il pourra peut-être témoigner que le plus grand spécialiste français du chiisme, celui qui a fait redécouvrir le chiisme même aux Iraniens, était le Français Henry Corbin.

François Nicoullaud

Cela a un peu évolué depuis !

Dans la salle

Cela a certes évolué depuis, mais je pense que si on veut bien comprendre la nature du régime, il faut cesser de le diaboliser systématiquement, essayer de comprendre la culture de l’autre et ne pas le présenter forcément comme un fanatique. Ali Khamenei, par exemple, n’est pas un élu mais il est au pouvoir depuis 35 ou 40 ans, il est extrêmement intelligent, excessivement rusé, il parle un persan d’une qualité assez incroyable. Il faut respecter les autres dirigeants.

Je m’inscris dans la démarche de Jean-Pierre Chevènement, une démarche de respect, de connaissance profonde de l’autre.

Ma question est la suivante : quel est le rapport profond des élites françaises avec les élites iraniennes ? Ce soir j’ai l’impression qu’il n’y en a pas.

Jean-Pierre Chevènement

J’ai au contraire souhaité élargir le débat en posant la question de la nature du régime iranien, un régime religieux, et de ce qu’est la conception des fins qui l’imprègne de façon à rentrer mieux dans la tête des Iraniens qui ne pensent pas tous de la même manière. La pluralité d’interprétations des mêmes textes est un point important dans l’islam chiite, ce qui, curieusement, le rapproche de l’interprétation qui est la base du Talmud chez les juifs. La tradition sunnite hanbalite, qu’a rappelée Pierre Conesa, et la pratique du chiisme duodécimain sont très différentes.

Ce débat ne pouvait pas aller trop loin en raison des interférences entre l’Orient et l’Occident, nombreuses en Iran. En effet, ce pays, situé entre l’Europe et l’Inde, est un lieu de confluences et d’influences et la pensée chiite est imprégnée de l’influence des idées néo-platoniciennes, des idées françaises. Des hommes comme René Guénon (1886-1951) sont lus et appréciés par les élites chiites en Iran. Vous avez cité Henry Corbin (1903-1978) qui avait succédé à Louis Massignon comme directeur d’études « Islamisme et religions de l’Arabie » à l’École Pratique des Hautes Études où exercent aujourd’hui encore Christian Jambet et des gens tout à fait remarquables qui comptent parmi les meilleurs spécialistes de cette question. J’ai personnellement connu Jacques Berque qui fut titulaire de la chaire d’Histoire sociale de l’islam contemporain au Collège de France de 1956 à 1981. D’aucuns déplorent le déclin de l’orientalisme en France mais je pense que cette curiosité réciproque de la France et de l’Iran existe toujours.

Il faut éviter les poncifs qui ne font qu’attiser les ressentiments. On ne peut parler de mépris et d’ignorance entre Français et Iraniens. Il y aurait certainement attirance au contraire. Quand on connaît l’Iran et les lieux culturels que le Président Trump a promis de détruire, on ne peut que penser qu’il s’agirait d’une hérésie monstrueuse car ils font partie du patrimoine de l’humanité. Les Français sont souvent très intéressés et nombreux à visiter ces sites.

Je ne répondrai pas dans le détail aux questions qui seraient des procès d’intention faits à la Fondation Res Publica qui n’est l’émanation d’aucune force politique. Fondation reconnue d’intérêt public et indépendante de tout parti, chacun s’y exprime dans l’intention de toucher d’un peu plus près la vérité, animé par le souci de l’objectivité, non par un souci de prosélytisme.

Dans la salle

François Nicoullaud a dit que les entreprises occidentales ne voulaient pas travailler avec l’Iran. Pourtant l’Iran offre un marché immense aux entreprises américaines. Pourquoi ne voudraient-elles pas aller dans ce pays ?

Les États-Unis ont la bombe atomique. On voit d’ailleurs ce qu’ils en ont fait. Israël, le Pakistan ont la bombe atomique. Pourquoi pas l’Iran ? Pourquoi certains pays ont-ils le droit d’avoir la bombe atomique et pas l’Iran ? Vous avez très bien dit que ce pays n’a pas agressé d’autres pays depuis très longtemps.

Dans la salle

Renaud Girard parlait à propos de l’intervention française en Libye d’un plantage du « en même temps ». Je suis curieuse de connaître l’opinion des autres intervenants sur cette intervention française de 2017 [2].

Dans la salle

Ma question concerne le détroit d’Ormuz. Si j’ai bien compris, ce détroit, qui était protégé par les Américains, serait désormais défendu par une alliance Iran, Chine et Russie ?

Renaud Girard

C’est en mer d’Oman qu’ont eu lieu ces manœuvres navales, non loin du détroit d’Ormuz. C’est un signe. Aujourd’hui ne sont présentes dans le Golfe persique que les marines occidentales, principalement la Cinquième flotte américaine, et la marine iranienne. Mais c’est la première fois que des manœuvres entre Russes, Iraniens et Chinois, qui sont des rivaux des Américains, ont lieu si près des bases que possèdent les Américains à Oman, au Qatar… dans tout le Golfe persique. C’est un signal qui dit clairement : « nous allons défendre nos intérêts économiques grâce à nos forces armées ». D’autant que les Chinois disposent désormais d’une base militaire permanente à Djibouti, à 2 000 kilomètres au Sud-Ouest du détroit d’Ormuz, symbole d’un changement de posture stratégique.

François Nicoullaud

Un mot sur l’intérêt réciproque des élites.

Du côté français, cela a été dit par Jean-Pierre Chevènement, il y a toujours eu un grand intérêt, un grand respect, une grande curiosité pour l’Iran depuis les XVIIème et XVIIIème siècles. Chacun connaît le roman épistolaire de Montesquieu, les Lettres persanes (1721) mais les exemples sont nombreux. Les Français ont joué un rôle vraiment très important dans l’archéologie, dans la recherche sur les textes religieux, sur le chiisme, etc. On ne peut pas dire que nous nous soyons désintéressés de l’Iran. Les iranologues français sont d’excellente qualité.

Mais objectivement nous avons un problème aujourd’hui, c’est que le système iranien n’aime pas que l’on soit trop curieux et que l’on s’intéresse trop à l’Iran. Je rappelle que deux universitaires français, Fariba Adelkhah et Roland Marchal, y sont emprisonnés, on ne sait pas très bien pourquoi. À vrai dire, toute personne qui s’intéresse un peu trop à l’Iran est soupçonnée d’espionnage. L’intérêt pour l’Iran n’est donc pas forcément encouragé par la partie iranienne, même si en Iran il y a des élites qui aiment profondément la France, qui la connaissent très bien et aimeraient que les liens soient moins distendus.

Les entreprises américaines, objectivement, ne sont pas présentes en Iran. Quand l’accord nucléaire de Vienne a été conclu en 2015, les entreprises européennes ont eu le droit de revenir en Iran, mais pas les entreprises américaines. La raison en est que les lois américaines sont difficilement modifiables. Toute politique de sanctions punit le sanctionneur à un moment ou à un autre. Boeing, par exemple, ne vend pas d’avions à l’Iran alors qu’il aimerait beaucoup en vendre. Airbus n’en vend d’ailleurs pas plus. Les Américains ne gagnent de l’argent en Iran que dans les domaines qui, en principe, ne sont pas soumis à sanctions : les produits agro-alimentaires et tout ce qui est médical, santé et hygiène. Il arrive même qu’on observe des flux assez importants, de céréales par exemple. Les Américains ont renoncé, à une certaine époque, aux marchés d’exploration pétrolière et gazière qui ont alors été emportés par des compagnies européennes. Si Total a très bien travaillé en Iran – et a été très apprécié par les Iraniens – c’est parce que Conoco, qui en fait avait emporté le marché, n’a pas pu intervenir.

Pourquoi l’Iran n’a-t-il pas la bombe ?

La première raison est juridique : il n’a pas la bombe parce qu’il a pris l’engagement irrévocable de ne pas avoir la bombe. Le Shah a sans doute regretté d’avoir signé un peu vite le Traité de non-prolifération nucléaire, mais l’Iran l’a signé alors que ni le Pakistan, ni Israël, ni l’Inde ne l’ont signé. Je reconnais que cette réponse n’est pas la plus satisfaisante.

Si l’Iran n’a pas la bombe, c’est aussi parce qu’il n’a pas de vrai motif de détenir cette arme. Personne, même Israël, n’envisage de faire disparaître l’Iran de la carte. Les constructions d’arsenaux nucléaires sont liées à des oppositions par couples : États-Unis/URSS, Chine/Inde, Pakistan/Inde, etc. Israël s’est construit un arsenal nucléaire à une époque où il était objectivement menacé par le monde arabe. La situation a changé mais l’arsenal nucléaire est toujours là. Mais même Israël aujourd’hui n’a pas l’intention de raser l’Iran, sauf à être lui-même frappé par une bombe atomique. L’Iran avait une raison de se doter de l’arme nucléaire lorsque Saddam Hussein voulait acquérir la bombe. Si l’Iran a eu à un moment l’ambition active de produire la bombe c’était en pensant à Saddam, pas à Israël.

Pierre Conesa

Je viens de finir un travail sur les radicalismes religieux dans lequel j’embrasse à la fois les néo-évangéliques américains, les juifs radicaux, les salafistes et, derniers arrivés sur le marché, les hindouistes et les bouddhistes. Je note d’ailleurs que la notion de massacre prend parfois des proportions beaucoup plus importantes chez les bouddhistes, réputés pacifistes par nature, que dans d’autres espaces de crises.

Ces radicalismes religieux sont tous construits sur le même système : victimisation donc idée de vengeance.

Contrairement à ce que l’on peut penser, le lobby juif, l’AIPAC (American Israel Public Affairs Committee) est sur une position beaucoup plus libérale que les néo-évangélistes américains qui sont sur des postulats théologiques : la constitution du Grand Israël sera le moment où arrivera le Messie, avec l’ambiguïté que j’évoquais.

Ce phénomène des radicalismes présente une caractéristique en politique internationale c’est son rapport avec les diasporas. La première conséquence des mondialisations est en effet la dispersion de ces populations qui aujourd’hui vivent hors de leur aire culturelle. On constate que ces diasporas jouent souvent le rôle d’écho, voire d’amplification, de ces radicalismes religieux. Par exemple, beaucoup de juifs pieds-noirs qui n’avaient pas été touchés par la Shoah sont devenus likoudniks en arrivant en France pour se prétendre aussi juifs que les autres juifs qui avaient souffert dans les camps. C’est pourquoi ils soutiennent Israël jusqu’au bout. On observe aujourd’hui le même phénomène chez les communautés musulmanes où toute critique de l’islam vous vaut d’être taxé d’islamophobie. De même, la diaspora indienne d’Angleterre considère les critiques adressées au gouvernement BJP (Bharatiya Janata Party, Parti indien du peuple) comme une manifestation d’hindouphobie. Je pourrais multiplier les occurrences où ces diasporas jouent le rôle de cristallisation de la problématique : il faut systématiquement défendre la position du pays parce que l’autre ne peut qu’être dans des postures de dénigrement de l’identité. D’où, d’ailleurs, le terrorisme endogène. Depuis que Daech a disparu, la plupart des attentats terroristes sont nés dans le territoire français ou dans les pays occidentaux, comme en Angleterre récemment, impliquant des gens qui n’ont jamais vécu dans leur pays d’origine.

Ma dernière remarque portera sur la fabrication de l’ennemi, mon sujet favori.

En ce moment, l’ennemi c’est la Chine. Les manœuvres dans la mer d’Oman sont dues au fait que le pétrole du Moyen-Orient ne va plus en Occident mais en Asie. Quand les Chinois s’emploient à leur tour à protéger leurs routes d’approvisionnement, s’agit-il un acte agressif ou d’un acte normal de régulation de la vie internationale ? Pour avoir travaillé dans les milieux stratégiques, je peux vous donner la réponse.

Il en est de même avec la Russie : en Grande-Bretagne, Skripal, ancien du FSB, est victime d’une tentative d’assassinat par un agent neurotoxique. Sanction ! Blocage des comptes des oligarques, etc. En Arabie saoudite, Jamal Khashoggi est assassiné et découpé en morceaux dans des conditions effroyables. On explique que cela partait peut-être d’une bonne intention…

Comme vous le savez les Chinois écoutent tout le monde… J’avais cru comprendre que c’était la NSA qui écoutait Angela Merkel… mais ce n’est pas pareil, c’est un allié.

On voit que dans la fabrication de l’ennemi le discours américain est resté extrêmement prégnant. Il serait bon que nous puissions arriver à penser autrement.

Jean-Pierre Chevènement

Sur la Libye, Renaud Girard a exprimé un jugement qui est largement partagé, en tout cas par moi… C’était effectivement une grave erreur de la part de Nicolas Sarkozy, Président de la République à l’époque, d’avoir outrepassé la résolution 1973 du Conseil de sécurité de l’ONU.

Merci à vous tous. Merci aux intervenants.

—–

[1] Dans son Projet de paix perpétuelle (1795), Emmanuel Kant considérait que les démocraties ne pouvaient se lancer dans des guerres.
[2] En marge du sommet Union européenne-Union africaine d’Abidjan, le président français Emmanuel Macron avait annoncé le 29 novembre 2017 la mise en place d’une « task force » chargée de venir en aide aux migrants clandestins coincés en Libye et de combattre les réseaux de passeurs.

Le cahier imprimé du colloque « Iran, Etats-Unis, où la crise au Moyen-Orient nous conduit-elle ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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