Les nouveaux clivages à l’heure de la mondialisation

Intervention de David Djaïz, normalien, ancien élève de l’ENA, auteur de Slow Démocratie (Allary, 2019) et La guerre civile n’aura pas lieu (Éditions du Cerf, 2017), membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Quelle recomposition du paysage politique pour la France ? » du mardi 3 décembre 2019.

Dans un colloque sur la recomposition politique en France tout le monde s’attend à ce que l’on parle de la gauche et de la droite et à ce que l’on évoque le paysage politique français. Au risque de vous surprendre – en espérant ne pas vous décevoir – dans mon propos, de gauche et de droite il ne sera guère question et de la France très peu. J’espère que cela s’éclairera à la fin.

Je partirai de la théorie des clivages partisans, élaborée par deux grands maîtres de la science politique, deux des plus grands esprits du XXème siècle, à mon sens trop peu étudiés en France, Lipset et Rokkan [1], politistes mais surtout historiens du temps long qui s’intéressent à la formation des clivages politiques dans les démocraties libérales depuis la fin du XIXème siècle.

Les sociétés démocratiques, à partir du moment où elles sont reconnues comme telles, ne sont pas des sociétés trifonctionnelles, séparées en ordres ou en castes comme c’était le cas sous l’Ancien régime. Elles sont partagées selon des lignes de faille fonctionnelles d’une part, territoriales et culturelles d’autre part, qui déterminent in fine une structuration partisane ou politique autour de positionnements sur l’échiquier en vue de la conquête du pouvoir.

L’histoire de la démocratie européenne depuis la fin du XVIIIème siècle qui vit son émergence dans la Révolution française, jusqu’aux années 1960, fin des Trente Glorieuses, est l’histoire d’un long processus de nationalisation.

Processus de nationalisation qui s’est fait d’abord sur le terrain économique. On l’oublie souvent mais la nation française, par exemple, a été construite par un apparatus administratif qui, comme Karl Polanyi le rappelle dans son excellent livre La grande transformation [2], consistait avant toute chose à établir des voies de communication et à relier des places de marchés locales. Cet apparatus administratif est donc indissociable d’une forme de nationalisation économique. En effet, avant les processus de nationalisation qui apparaissent au XVIème siècle, le marché ce sont des places locales. Ces places locales peuvent être reliées entre elles à travers les foires ou les compagnies marchandes, auquel cas nous avons un marché inter-villes ou inter-cités. Mais l’ouverture d’un véritable marché national qui suppose des infrastructures de transport, un abaissement des droits de douane intérieurs (tel l’octroi) et un certain nombre d’investissements ne peut qu’être l’œuvre d’un appareil d’État, d’une administration. La nationalisation économique est donc indissociable, dans l’histoire de France en particulier, de la nationalisation administrative.

La nationalisation politique intervient plus tard, avec la monarchie mais surtout la Révolution française qui introduit la République puis, péniblement, au XIXème siècle, la démocratie. Ce processus de nationalisation va prendre un tournant social car l’économie et la politique ne font pas toujours bon ménage et les forces centrifuges et inégalitaires du capitalisme au XIXème siècle provoquent sur la société, notamment dans la condition ouvrière, des dégâts absolument insupportables, en contradiction flagrante avec les principes de liberté et d’égalité politiques qui avaient été proclamés lors de la Révolution française et inscrits au frontispice des édifices publics. On va donc édifier, à partir de la fin du
XIXème siècle, ce qu’on appelle l’État social, lui aussi dans une perspective nationale.

Ce processus de nationalisation, commun à tous les pays européens, va générer quatre types de clivages politiques selon Lipset et Rokkan. On verra que dans ces quatre types de clivages, celui qu’on appelle journalistiquement, dans le commentariat, le clivage gauche-droite, n’apparaît pas.

Le clivage le plus ancien est celui qui oppose le centre à la périphérie. Dès le XVIème siècle, une opposition très forte se dessine entre une élite en voie de nationalisation, composée pour l’essentiel de la bourgeoisie ascendante, et des résistances qui émanent des folklores et des cultures locales, des féodalités. Ce clivage est antérieur à l’avènement de la démocratie puisqu’on voit bien que la Fronde, par exemple, peut être interprétée à l’aune de ce clivage Centre/Périphérie.

Le deuxième clivage, selon Lipset et Rokkan, va opposer des États, des appareils administratifs en voie de sécularisation et les privilèges corporatistes que continuent à détenir les Églises (ce processus de nationalisation commence au moment de la Réforme et de la contre-Réforme).

Pour Lipset et Rokkan, le troisième clivage est une opposition Urbain/Rural. En réalité, c’est une opposition économique (que l’on lit très bien dans l’économie politique classique du XVIIIème siècle et du début du XIXème siècle, chez Ricardo par exemple) entre la vieille aristocratie foncière, terrienne, propriétaire des terres agricoles et la nouvelle bourgeoisie industrielle, la nouvelle aristocratie financière, dont parle aussi Karl Marx dans Les luttes de classes en France (1850), et qui va se manifester par exemple au moment des batailles parlementaires autour de l’abolition des Corn laws. Faut-il truquer ou subventionner les prix agricoles ou au contraire laisser libre cours ? Ce débat va déchirer les propriétaires terriens, la vieille aristocratie foncière, que l’on trouve en Angleterre, en France et même en Prusse, et la bourgeoisie industrielle ascendante.

Le quatrième clivage, celui qui nous est le plus familier mais qui est le plus récent dans ce processus de nationalisation, selon Lipset et Rokkan – et je le fais mien – est l’opposition Travail/Propriété. Cette opposition ne se diffuse dans le champ politique partisan qu’à partir de la révolution de 1917. Dans l’histoire longue de la nationalisation et de la démocratisation – deux processus relativement indissociables, comme le disait Alexandre Devecchio – c’est vraiment le clivage le plus récent.

Les systèmes partisans se sont très largement configurés autour de ces quatre clivages. En France, sous la Troisième République, de Gambetta à Daladier, on a un bloc dominant, que j’appellerai le bloc jacobin. Ce bloc jacobin est composé d’une élite nationale plutôt centralisatrice, soutenue par la fonction publique d’État (tels les « Hussards noirs de la République ») ; il est plutôt laïque, comme on le voit avec les lois du père Combes et avec les débats sur la question de la séparation des Églises et de l’État qui vont agiter la Troisième République ; il est plutôt composé d’une bourgeoisie urbaine (petite bourgeoisie, artisans et commerçants enrichis) ; le quatrième clivage a un peu perturbé la structuration partisane dans les années 1920, aboutissant au Congrès de Tours qui vit la scission entre les communistes, qui veulent la révolution, et ce qui allait devenir par la suite la SFIO et le Parti socialiste emmenés par des gens comme Léon Blum.

Ces clivages structurants permettent de comprendre le paysage politique. Liés à un processus fondamental qui intervient dans toutes les sociétés européennes entre le XVIIIème siècle et la fin des Trente Glorieuses, ils expliquent la distribution partisane différente d’une nation à l’autre : la contre-Réforme dans certaines nations, la Réforme dans d’autres, n’auront pas la même incidence sur le clivage Églises/État. De même dans certaines nations où l’industrialisation est plus timide, les partis agrariens vont rester extrêmement forts. Mais cela reste la grille explicative absolument essentielle durant cette époque.

J’introduis maintenant une deuxième distinction (j’espère ne pas être trop spéculatif).

Les quatre clivages se répartissent en deux types de clivages :

Un premier clivage sur le changement lui-même qui inclut le clivage qui porte sur le processus de nationalisation lui-même, le clivage Centre/Périphérie, et le clivage entre aristocratie foncière et bourgeoisie ascendante (Rural/Urbain) qui porte sur la consolidation d’un capitalisme industriel très lié à la nation.

Les deux autres clivages ont plutôt trait aux modalités ou au rythme du changement : le clivage État/Églises vise à déterminer qui va contrôler ce changement. En effet, on aurait pu avoir un processus de nationalisation entièrement contrôlé par l’Église, comme ce fut le cas dans certains pays. Le clivage prolétaires/capitalistes est aussi selon moi plutôt un clivage qui porte sur la modalité que sur le changement lui-même, c’est-à-dire un clivage qui porte sur la modalité du partage de la valeur capitaliste.

Nous vivons depuis la fin des Trente Glorieuses un changement très profond. Telle est la thèse que je voudrais soutenir, m’appuyant à la fois sur les travaux de Lipset et Rokkan et ceux de Hanspeter Kriesi, autre très grand politiste, et de Pierre Martin, un spécialiste de ces questions qui enseigne à Grenoble.
Pour le comprendre, il faut comparer le paysage partisan durant les Trente Glorieuses à ce que le paysage politique est en train de devenir.

Les Trente Glorieuses voient une hégémonie du bloc social-démocrate qui communie dans le capitalisme démocratique. On parle à cette époque de club ou de cartel de partis de gouvernement. Le bloc central se retrouve partout en Europe, composé des forces social-démocrates, des forces chrétiennes démocrates (plus faibles en France que dans d’autres pays européens, fortes dans des pays comme l’Italie) et d’une droite libérale conservatrice relativement modérée. Le débat public se déroule entre ces trois forces sur des choses un peu paramétriques pour déterminer les modalités du partage de la valeur, etc. à l’extrême-gauche, le Parti communiste continue d’afficher un horizon révolutionnaire et ne participe pas à ce jeu tout en y occupant une place. Une petite extrême-droite survit, néo-nazie ou agrarienne selon les contextes nationaux.

Arrive la fin des années 1960 et la fin des Trente Glorieuses qui trouve son origine dans le sentiment d’une surchauffe sociale très prégnant dans les élites politiques, intellectuelles, administratives, l’année 1968 constituant un point de bascule. Ces élites prennent conscience que la démocratie devient ingouvernable (toute une littérature germe dans les années 1970 sur l’ingouvernabilité de la démocratie). Je mentionne dans mon livre le rapport commis par Crozier, Huntington et Watanuki [3], trois des plus grands sociologues de l’époque, qui constatent que les sociétés sont devenues ingouvernables. La très forte demande à laquelle les gouvernements n’arrivent plus à répondre entraîne une surchauffe, une surcharge. À cette surchauffe sociale s’ajoute une surchauffe économique : l’essoufflement des gains de productivité freine les hausses de salaires et enraye l’économie keynésienne autocentrée des Trente Glorieuses. Enfin, la désindexation du dollar sur l’or décidée par Nixon en 1971 et la mesure de rétorsion de l’augmentation des prix du pétrole de 1973 dégradent considérablement les marges des entreprises. On se retrouve dans un phénomène de détérioration des profits des entreprises et, au niveau macro-économique, de stagflation : la croissance s’arrête ou ne progresse plus aussi vite que durant les Trente Glorieuses et il y a de l’inflation parce qu’on est dans un système de changes flottants et de grand désordre monétaire. Cette époque voit une crise d’hégémonie du capitalisme démocratique et la fin du long cycle de nationalisation qui avait distribué les clivages partisans. Je précise que le clivage gauche-droite ne fait pas partie des clivages partisans. Le clivage gauche-droite est une représentation simplifiée et journalistique de la réalité pour présenter un phénomène macro-structurel de bien plus grande ampleur.

Cette crise du capitalisme démocratique va prendre plusieurs figures. En fait c’est un capitalisme démocratique social et territorialisé. Il est démocratique parce qu’il s’encastre dans des armatures démocratiques ; il est social parce qu’il y a du dialogue social autour du partage de la valeur ; il est territorialisé parce qu’il est quand même très lié à des nations (ce n’est pas pour rien qu’on parle d’économie keynésienne nation-centrée).

Dans les années 1970, ce capitalisme continue d’exister mais il mute, il se « dé-démocratise », il se désocialise, puisque les syndicats sont littéralement brisés ou mis sous contrainte (quand Reagan arrive au pouvoir, face à une grande grève qui paralyse le transport aérien, il s’empresse de faire remplacer les aiguilleurs du ciel par des militaires, ce qui est une façon d’intimer aux syndicats, l’ordre de se taire), et il se déterritorialise (je n’ai pas besoin de vous raconter l’histoire de l’intégration financière par exemple à partir des années 1980).

Voilà pourquoi je soutiens que nous sommes en présence d’une mutation systémique aussi importante que celle qui s’est lentement engagée depuis la Réforme et la contre-Réforme et, a fortiori, depuis la Révolution française et la révolution industrielle. Réforme, révolution politique et révolution économique vont de pair, c’est ce qu’on a appelé le processus de nationalisation. Un autre processus de même ampleur s’enclenche, le processus de mondialisation, ou ce que Pierre Martin appelle quant à lui « la révolution mondiale ».

Un changement de paradigme systémique affecte forcément la distribution du paysage politique.

Comment la théorie des clivages peut-elle fonctionner dans un contexte de mondialisation qui est un fait social total au moins aussi important que la nationalisation ?

Face au changement un clivage se produit entre les partisans de la mondialisation libérale (ceux qui l’acceptent et ceux qui l’encouragent) et les partisans de l’autarcie qui souhaiteraient retrouver un univers analogue à celui qui existait dans les Trente Glorieuses. Dans la réalité il subsiste peu de partisans de l’autarcie dans les sociétés européennes ou occidentales car, de gré ou de force, tout le monde s’est converti à la mondialisation économique.

En Grande-Bretagne, par exemple, le premier ministre James Callaghan, qui tente en 1976 une politique de relance keynésienne comparable à ce qui se pratiquait durant les Trente Glorieuses, se retrouve face à une situation économique incontrôlable, au point de devoir faire appel au FMI qui lui impose un programme d’ajustement structurel très dur. En France, la gauche de François Mitterrand, arrivée au pouvoir en 1981 sur une équation économique à peu près similaire à celle de Callaghan en 1976, choisit, deux ans plus tard, le tournant de la rigueur et de la désinflation compétitive, entrant de plain-pied dans la mondialisation. Ce clivage n’est donc pas très opératoire pour comprendre la recomposition politique.

En revanche, les clivages liés au rythme et aux modalités pourraient être opérants :

On a vu se dessiner dans les années 1990 un clivage relatif au rythme de la mondialisation entre ceux que j’appellerai les altermondialistes, favorables à une autre mondialisation, à d’autres règles du jeu, à d’autres principes de distribution, même s’ils ne contestent pas, en soi, le phénomène de mondialisation, et les néolibéraux qui, au contraire, souhaitent doter la mondialisation des politiques publiques et des armatures institutionnelles qui la confortent, l’accélèrent, la consolident.

Sur les modalités de cette mondialisation, je crois discerner un clivage entre identitarisme, résistance des identités nationales folklorisées, et universalisme, étant entendu qu’universalisme ne signifie pas dénationalisation.

Cela nous amène à quelques réflexions sur la situation de la France.

Il me semble que la gauche de gouvernement s’est fracassée sur la question de la mondialisation parce qu’elle a été incapable d’imprimer une pensée originale et structurante sur cette question, soit qu’elle ait été dans des schémas qui relevaient des Trente Glorieuses et de l’économie autocentrée, soit qu’elle ait été au contraire dans une pure logique d’acquiescement et d’accompagnement au néolibéralisme, comme l’a souligné Jean-Yves Autexier. Mon sentiment est que les forces qui étaient centrales sur l’échiquier politique durant les Trente Glorieuses ne sont plus pertinentes aujourd’hui pour faire face aux clivages dessinés par le processus que nous traversons, ni même pour y rentrer. Ce n’est pas un hasard si la social-démocratie est en voie d’effondrement partout en Europe, comme des dominos. Même si l’on observe quelques résurgences et quelques résistances ici et là c’est quand même une tendance lourde. La droite traditionnelle, la droite gaulliste sociale, est elle-même effondrée.

Jérôme Fourquet disait que la traduction électorale des dynamiques se fait parfois à retardement, c’est exactement ce qui se passe en France s’agissant de la gauche et de la droite :

à partir de 1983, la gauche change complètement ses fondamentaux mais conserve son électorat par effet d’hystérèse (un peu comme dans les dessins animés une voiture, avec la force d’entropie, continue à voler au-dessus du précipice quelques secondes avant de s’écraser).

Il est arrivé à peu près la même chose à la droite en 1995 quand Jacques Chirac, qui avait fait campagne sur les fondamentaux (fracture sociale, gaullisme social), nomme Alain Juppé à Matignon et engage des réformes technocratiques de « mise aux normes » de la France aux standards de la mondialisation. Cela s’est terminé comme on sait, dans une période hivernale où il y a eu beaucoup de grèves. La droite s’est donc elle aussi effondrée.

L’année 2017 a fonctionné comme un révélateur de ces effondrements qui ont mis plus de temps à arriver que la réalité des rapports de force.

Comment le paysage politique va-t-il se réorganiser à partir de là ?

J’ai le sentiment qu’à l’échelle de l’Occident nous sommes en présence d’une tripartition du paysage politique.

Un bloc central que j’appelle libéral-mondialisateur, qui représente environ un tiers de l’électorat, est composé de gens très diplômés et regroupe aussi bien des électeurs ou des anciens électeurs de la droite marchande que des partisans de ce que Thomas Piketty appelle la « gauche brahmane ». Il y a un écart de revenus entre la droite marchande et la gauche brahmane, en revanche il y a un même niveau de diplômes et la variable du diplôme est plus explicative que la variable du revenu. Ce bloc élitaire, qui a un certain coefficient d’optimisme, constitue un bloc centriste mondialisateur.

Un bloc de droite identitaire, national-populiste, ne conteste pas les fondamentaux de la mondialisation libérale sur le plan économique mais les rejette sur le plan culturel : on observe dans ses rangs un rejet très fort des variables culturelles que sont le multiculturalisme, l’immigration… En revanche, je ne discerne pas de rejet structurant du capitalisme mondialisé. Par exemple, Viktor Orbán célèbre dans ses discours la libre concurrence, la liberté de circulation des capitaux, se réjouit d’accueillir des sous-traitants de l’industrie automobile allemande mais c’est sur les variables culturelles qu’il est le plus hostile à l’ordre libéral européen. C’est un point qui pourrait être discuté mais qui me semble assez significatif.

Sur la gauche de l’échiquier, une gauche que je dirai éco-socialiste, encore à l’état de débris ou de fœtus, accepte le volet culturel de la mondialisation, le multiculturalisme, l’immigration, la diversité, etc. En revanche, elle est beaucoup plus hostile aux logiques du capitalisme financier, donc à son volet économique, et elle est beaucoup plus diplômée que ne le sont les soutiens de la droite identitaire.

Cela dessine, conformément aux analyses de Jérôme Fourquet, une fragmentation du paysage politique qui est pour moi source d’inquiétude parce qu’elle n’est pas de nature à permettre la reconstitution d’un véritable « bloc historique » au sens où l’entendait Gramsci, c’est-à-dire un bloc constitué de classes sociales très différentes. En face d’un bloc élitaire en voie de consolidation, même s’il reste fragile à ce jour, le bloc populaire reste extrêmement divisé sur des questions fondamentales comme l’immigration ou la redistribution (une partie des classes populaires sont fondamentalement hostiles à tout progrès de la redistribution). La situation de ce point de vue est extrêmement angoissante.

Je suis pour ma part persuadé qu’il faut travailler à la constitution d’un bloc républicain qui constitue une alliance de classes entre des professions intellectuelles supérieures et des classes populaires. Mais, compte tenu de la réalité des rapports de force et de la reconversion partisane qui est à l’œuvre, ceci me semble difficile.

Jean-Pierre Chevènement

Merci, David Djaïz, de cette avalanche de concepts qui ne permettent pas quand même de définir trois blocs. Le bloc constitué de « débris » n’est pas vraiment un bloc. Les deux autres sont des blocs assez typés que l’on sent présents. Ce n’est pas seulement l’effet de cette disposition de notre constitution qui veut que ne peuvent être présents au second tour que ceux arrivés en tête au premier tour. Je crois qu’il y a un phénomène beaucoup plus profond de décomposition.

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[1] Party Systems and Voter Alignments, Stein Rokkan et Seymour M. Lipset, Free Press, 1967. (En français l’introduction de ce volume, passage incontournable pour tout étudiant dans le champ de la science politique : Structures de clivages, systèmes de partis et alignement des électeurs : une introduction, Coll. UB lire Fondamentaux, Université de Bruxelles, 17 septembre 2008).
[2] The Great Transformation, Karl Polanyi, 1944. Traduction française : La Grande Transformation : aux origines politiques et économiques de notre temps, trad. Catherine Malamoud et Maurice Angeno, préface de Louis Dumont, Bibliothèque des sciences humaines, Gallimard, 1983.
[3] The Crisis of Democracy: On the Governability of Democracies, rapport écrit en 1975 par Michel Crozier, Samuel P. Huntington, et Joji Watanuki pour la Trilatérale (édité la même année par le New York University Press).

Le cahier imprimé du colloque « Quelle recomposition du paysage politique pour la France ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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