Une vue d’ensemble sur les relations commerciales internationales

La Fondation Res Publica publie chaque année une courte étude [1] visant à analyser les grandes évolutions des relations commerciales internationales à partir de l’année 2001. La présente synthèse concerne l’année 2017. Les données utilisées proviennent du site du Centre du commerce international, une agence conjointe de l’Organisation mondiale du commerce et de l’Organisation des Nations unies (https://www.trademap.org/).

De façon générale, on constate que les volumes échangés en euros sont toujours en augmentation (15 539 milliards d’euros de biens échangés en 2018, contre 6 834 en 2001). Il n’y a donc pas de « démondialisation » à ce niveau-là, ce qui n’empêche évidemment pas que les critiques à l’encontre du libre-échange soient de plus en plus fortes.

I- Une Europe de plus en plus fracturée

A/ Une Allemagne au solde commercial très largement excédentaire…

Si l’on excepte le bref recul consécutif à la crise des subprimes (2008) ainsi qu’en 2017, l’excédent commercial de l’Allemagne n’a cessé de croître depuis cette date. Il a été multiplié par 2,5 depuis 2001, au point de s’élever aujourd’hui à 244,8 milliards d’euros.

Ce solde se structure essentiellement autour de deux secteurs clés : l’industrie automobile et les ventes de machines industrielles, de moteurs et d’engins. Les ventes d’automobiles dégagent un montant représentant 48% des excédents commerciaux allemands, alors même que les ventes d’automobiles ne représentent que 18% des exportations allemandes, ce qui atteste de la valeur ajoutée très forte de ce secteur. Le secteur des machines industrielles, des moteurs et des engins représente pour sa part 18% des exportations allemandes et permet à l’Allemagne de réaliser 39% de ses excédents commerciaux. Il est ainsi intéressant de remarquer que 87% des excédents allemands se font sur ces deux catégories. Un des seuls points noirs de l’industrie allemande reste la brutale dégradation de son solde commerciale avec la Chine sur les machines, appareils et matériels électriques depuis 2001 (-17 milliards d’euros en 2017). Depuis 2004, l’industrie pharmaceutique allemande surpasse toujours davantage celle de la France (solde de 26,8 milliards pour l’Allemagne en 2017, contre 7,3 milliards pour la France).

Au cours des seize dernières années, le secteur aéronautique allemand s’est largement développé, comme le montre l’évolution du solde allemand. Tandis que les importations sont restées relativement stables depuis 2001 (autour de 15 milliards d’euros), les exportations allemandes ont bondi depuis 2010, passant de 23 à 36,9 milliards d’euros en 2017). Au cours de l’année 2016, l’Allemagne a même présenté pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale un excédent commercial supérieur à celui de la France sur les produits aéronautiques (respectivement 22,2 milliards contre 17,7 milliards d’euros), mais les courbes se sont inversées en 2017 et la France a repris de l’avance dans le domaine.

Enfin, le solde énergétique allemand est largement déficitaire par rapport aux autres puissances européennes (-61,3 milliards d’euros en 2017), même si les importations de pétrole tendent à diminuer depuis 2012 en raison de la baisse du prix du baril, de la montée en puissance des énergies vertes et du recours accru au charbon et au lignite. L’année 2017 marque cependant une augmentation importante des importations de charbon en Allemagne (augmentation de 20%).

Comme l’expliquent Coralie Delaume et David Cayla dans leur ouvrage La fin de l’Union européenne, on peut dégager trois facteurs de la prospérité allemande et de son redressement au cours des seize dernières années : « la constitution d’un hinterland permise par l’intégration des pays d’Europe centrale et orientale à son espace industriel », « les bénéfices exorbitants que l’Allemagne tire de son appartenance au Marché unique » et enfin l’appartenance de l’Allemagne à l’Euro. Ce dernier point est absolument fondamental car le fait que l’euro soit légèrement sous-évalué compte-tenu de la structure de l’économie allemande lui a permis de booster ses exportations dans un contexte où les partenaires commerciaux allemands en Europe ne pouvaient pas dévaluer leur monnaie. En outre, la monnaie unique permet à l’Allemagne de dégager des excédents beaucoup plus forts que ses voisins européens et d’investir ensuite son épargne sans crainte dans le reste de l’Europe.

On remarque enfin que la portion de l’excédent commercial allemand réalisée grâce à ses échanges avec le reste de l’UE (160,3 milliards en 2017) a beaucoup diminué en proportion depuis 2001. Ainsi, les excédents commerciaux allemands avec l’UE représentaient en 2008 environ 88% du total des excédents allemands. Ils n’en représentent plus que 65% aujourd’hui, ce qui montre bien que l’intérêt économique de l’Allemagne pour l’Union européenne a diminué. Par exemple, la France n’est dorénavant plus que le quatrième partenaire commercial allemand et l’Allemagne commerce de plus en plus avec les Etats-Unis ou la Chine.

B/ … au détriment des autres pays européens

Le dynamisme commercial et le niveau colossal des excédents de l’Allemagne ne sont néanmoins absolument pas généralisables à l’échelle de l’Europe toute entière. Pour qu’un pays exporte autant, il est nécessaire que d’autres pays importent. Par conséquent, les excédents dégagés par l’Allemagne créent bien souvent des déficits ailleurs en Europe.

Le déficit commercial de la France n’a par exemple pas cessé de s’accroître, passant entre 2001 et 2017 de 4,7 à 78,6 milliards d’euros (soit une multiplication par 17 en 16 ans). De même, le déficit commercial britannique est très important puisqu’il s’élève à 174 milliards d’euros en 2017, c’est-à-dire presque le double de ce qu’il représentait en 2001 (88,4 milliards d’euros). L’Espagne, pour sa part, est également déficitaire (-27,7 milliards d’euros), même si son déficit s’est légèrement réduit depuis 2001. Parmi les autres grandes puissances européennes, seule l’Italie s’en tire relativement bien avec un excédent commercial en très nette augmentation depuis 2001 au point d’atteindre aujourd’hui 45,7 milliards d’euros. Cette situation s’explique notamment par la nette amélioration de sa facture énergétique globale depuis 2011 (déficit divisé par deux) et par une croissance des excédents commerciaux italiens sur les produits agroalimentaires (10,4 milliards d’euros en 2017).

Néanmoins, les relatifs progrès de l’Italie en matière commerciale depuis 2001 ne suffisent pas à dissimuler l’aggravation des fractures en Europe entre une Allemagne très excédentaire et une Europe de l’Ouest et du Sud qui souffrent et se désindustrialisent. La situation de ces pays a beaucoup à voir avec l’entrée dans l’euro qui ne convient absolument pas comme monnaie unique à des pays aux situations économiques très différentes. Ainsi, il apparaît que l’euro est sous-évalué par rapport aux performances économiques et aux besoins allemands – ce qui lui permet de booster ses exportations – et surévalué pour les pays d’Europe de l’Ouest et du Sud, ce qui a largement contribué à la destruction de leurs appareils productifs, d’où leur stagnation voire leur déclin au niveau commercial par rapport à l’Allemagne. Dans son étude « External Sector Report » de 2017, le Fonds monétaire international a par exemple calculé que l’euro était sous-évalué d’environ 18% pour l’Allemagne et qu’il était surévalué de 6,8% pour la France. Le graphique ci-dessous rend bien compte de l’explosion de l’écart entre le solde commercial allemand et ceux de l’Italie, de l’Espagne et de la France, que l’on peut largement expliquer par l’existence de l’euro comme monnaie unique, l’entrée dans l’UE des PECO qui forment dorénavant une sorte d’hinterland allemand, et enfin par la compétitivité allemande permise par un faible coût du travail et par une grande flexibilité du marché de l’emploi.

C/ Une France en perte de poids et de plus en plus prise en étau entre les trois grands exportateurs

Si l’on étudie plus précisément la situation de la France, on se rend rapidement compte de la gravité de celle-ci dans la mesure où la France est confrontée à un processus de désindustrialisation très avancé, et a perdu énormément de son poids dans le commerce mondial.

Comme indiqué ci-dessus, le déficit commercial français a explosé depuis 2001. Tandis que les exportations et les importations françaises étaient quasiment identiques à cette date, les importations ont depuis explosé (542,7 milliards d’euros en 2017) et les exportations ont stagné puis n’ont augmenté que légèrement (463,3 milliards d’euros en 2017). Le déficit structurel français reflète bien une tendance lourde à la désindustrialisation qui s’accompagne d’une délocalisation de l’appareil productif de la France vers des pays où la main d’œuvre est à moindre coût : en Asie essentiellement, mais également dans certains pays d’Europe (Espagne, Roumanie, Slovaquie, etc.).

La dégradation du solde du secteur manufacturier est la caractéristique principale qui ressort de l’étude des chiffres du commerce extérieur français. Ce trait fondamental s’observe au travers de deux comptes produits : les produits de l’industrie automobile et les produits et équipements industriels.

L’industrie automobile a connu sa première année déficitaire en 2007 (-1,7 milliards d’euros) et n’a cessé de voir ce déficit s’accroître depuis (-12,6 milliards d’euros en 2017), comme l’illustre le graphique ci-dessous.

Bien que la France demeure l’un des leaders mondiaux dans les ventes de voitures en volume, celles-ci concernent essentiellement des produits de moyenne gamme, à l’inverse par exemple de l’Allemagne qui exporte largement des produits automobiles haut de gamme. Le résultat est sans appel : en 2017, l’Allemagne exporte à hauteur de 228,6 milliards d’euros et dégage un excédent de 118,3 milliards tandis que les exportations françaises s’élèvent seulement à 44,9 milliards d’euros pour des importations records à 57,6 milliards s’euros. Alors que la France a délocalisé une part importante de son industrie automobile, l’Allemagne est parvenue à maintenir sur son sol l’assemblage et la fabrication de produits automobiles à haute valeur ajoutée. Cette situation déficitaire dans le secteur automobile semble être particulièrement spécifique à la France dans la mesure où l’Espagne et l’Italie conservent toutes deux un équilibre relatif (excédent de 10,2 milliards d’euros pour la première et léger déficit de 4,3 milliards pour la seconde en 2017).

La France accuse par ailleurs un déficit commercial dans le domaine des machines industrielles (18,6 milliards d’euros), d’autant plus inquiétant qu’il a doublé entre 2016 et 2017.

Au niveau énergétique, la France demeure déficitaire (-39,7 milliards d’euros). L’excédent de l’énergie électrique (1,27 milliards) procuré par le dynamisme de la filière nucléaire ne compense pas le solde déficitaire sur le pétrole (-29,6 milliards) et sur le gaz (-9,1 milliards), tous deux en augmentation.
Bien que l’industrie agroalimentaire française reste excédentaire (9,5 milliards d’euros en 2017), la France est depuis 2016 déficitaire sur les matières premières agricoles, ce qui parachève un rapide déclin amorcé en 2012.

Rare motif de satisfaction, la France reste l’un des pays leaders dans les domaines pharmaceutique (avec un excédent commercial de 7,3 milliards d’euros en 2017) et aéronautique (avec un excédent record de 24 milliards d’euros en 2017), une situation stable depuis 2001.

Une étude de la ventilation géographique du commerce international français en 2017 nous montre que la France est largement excédentaire avec le Royaume-Uni (4,8 milliards d’euros par an en 2017, un chiffre néanmoins en chute libre depuis le Brexit), mais très largement déficitaire avec la plupart des grandes puissances économiques mondiales : la Chine (-34,14 milliards d’euros), l’Allemagne (-19,4 milliards d’euros), l’Italie (-7,1 milliards d’euros), le Japon (-3,9 milliards d’euros), etc.

II- La lutte commerciale à l’échelle mondiale

A/ Une domination américaine de plus en plus vacillante

Bien que les Etats-Unis restent la première puissance économique mondiale si l’on prend comme indicateur de référence le PIB en volume, ils sont confrontés de façon inéluctable à l’érosion de leur leadership.

Le commerce extérieur américain est marqué depuis des décennies par un déficit commercial colossal. La contraction généralisée du commerce international consécutive à la crise des subprimes avait contribué à le résorber, mais il s’est depuis accentué pour atteindre en 2017 la somme de 763,6 milliards d’euros. Ainsi, depuis 2001, le déficit s’est accru d’environ 52% (de 500,8 à 763,6 milliards d’euros).

Si l’on étudie les chiffres de plus près, on remarque que le montant des exportations américaines en 2017 est très proche de celui des exportations allemandes (1369 milliards contre 1283 milliards), alors même que la population américaine représente presque le quadruple de celle de l’Allemagne. Cela révèle l’ampleur du problème américain.

L’un des traits caractéristiques de la balance commerciale américaine réside dans l’importance du solde manufacturier. Ainsi, le déficit constaté dans le domaine des textiles confectionnés (108,2 milliards d’euros en 2017) est représentatif des échanges inégaux entre les Etats-Unis et les pays Asiatiques, au premier rang desquels la Chine.

Les Etats-Unis enregistrent également des déficits commerciaux très importants dans les secteurs automobiles (145,6 milliards d’euros en 2017, un record) et pharmaceutique (45,4 milliards d’euros en 2017, un autre record). Ces déficits dans des secteurs clés rendent compte de la désindustrialisation qui a touché les Etats-Unis et de nombreux autres pays occidentaux depuis la révolution néo-libérale.

Le secteur aéronautique des Etats-Unis reste quant à lui très performant, avec un excédent commercial de 88,7 milliards d’euros en 2017 (soit environ 3,5 fois plus qu’en 2001).

Au niveau énergétique, les Etats-Unis ont réduit le déficit de leur facture énergétique depuis les gains progressifs réalisés par les entreprises américaines dans le secteur du gaz de schiste et en raison de la volonté politique d’exploiter les gisements de gaz américain. Ainsi en 2015, et ce pour la première fois depuis 1957, les Etats-Unis affichent un solde commercial excédentaire sur le gaz, et cette tendance continue de s’accentuer (9,6 milliards d’euros d’excédents sur le gaz en 2017). Par conséquent, le déficit énergétique américain ne s’élève plus qu’à 58 milliards d’euros en 2017 alors qu’il représentait 289 milliards d’euros en 2008, soit une division par 5 en 9 ans.

Si l’on étudie la ventilation géographique du commerce extérieur américain, alors on remarque que depuis 2015, la Chine est devenue le premier partenaire commercial des Etats-Unis, devant le Canada. Pourtant, cette relation semble très largement inégalitaire si l’on considère que les Etats-Unis ont un déficit commercial de 350,3 milliards d’euros avec la Chine en 2017, ce qui équivaut à un record absolu au regard de l’histoire des relations entre ces deux puissances. Ces chiffres découlent principalement de trois tendances : désindustrialisation américaine, industrialisation massive de la Chine et ultra-domination chinoise dans le secteur textile qui aboutit au déversement des produits chinois sur le marché américain.

Le solde des machines industrielles illustre parfaitement ces trois points : depuis 2001, les importations américaines n’ont cessé de croître (de 15,3 milliards à 99,4 milliards d’euros en 2017), tandis que les exportations vers la Chine stagnent autour de 10 milliards d’euros depuis 2010. Le résultat logique est celui d’un excédent chinois sur les Etats-Unis d’un montant de 88 milliards d’euros en 2017, dans un domaine particulièrement clé.

Les Etats-Unis sont également largement déficitaires avec l’Union européenne (déficit commercial de 142,3 milliards d’euros en 2017), et notamment l’Allemagne (déficit commercial de 48,9 milliards d’euros en 2017).

L’industrialisation chinoise fait donc écho à la désindustrialisation américaine et révèle l’ampleur du phénomène de délocalisation de l’appareil productif et du tissu industriel américain vers l’Asie.

B/ La montée de la Chine

La balance commerciale chinoise est très largement excédentaire sur la période 2001-2017, comme l’atteste le graphique ci-dessous. L’excédent commercial chinois s’élève ainsi à 381,3 milliards d’euros en 2017, contre 25,1 milliards d’euros en 2001. On peut toutefois remarquer que, pour la première fois depuis la crise des subprimes, l’excédent commercial chinois tend à diminuer depuis 2015, année au cours de laquelle il s’élevait à 535 milliards d’euros. Cela s’explique notamment par l’augmentation du déficit dans le domaine pharmaceutique et par la permanence d’un déficit dans le domaine énergétique.

La caractéristique principale des chiffres du commerce extérieur chinois est son excédent manufacturier. Sans surprise, la Chine dégage un large excédent sur les textiles non confectionnés (32,9 milliards d’euros) mais aussi et surtout sur les textiles confectionnés (209,9 milliards d’euros). Le secteur textile contribue ainsi pour plus de moitié à l’excédent commercial total.

L’économie chinoise demeure déficitaire dans le secteur des produits automobiles (-10,5 milliards d’euros), et encore avantage dans le secteur aéronautique (-19,9 milliards d’euros). L’important excédent sur les machines industrielles (18,8 milliards d’euros) confirme que Xi Jinping a poursuivi les efforts d’industrialisation entamés par Deng Xiaoping, mais que l’industrie aéronautique chinoise n’est pas encore au niveau des industries européenne ou américaine. Enfin, la Chine est excédentaire sur les produits agroalimentaires (+7,1 milliards d’euros), ce qui souligne la présence encore importante du secteur primaire, bien que les montants apparaissent dérisoires une fois rapportés à l’excédent total (1,86%).

On note enfin l’explosion du déficit commercial chinois dans le domaine énergétique. Celui-ci a fortement augmenté depuis 2001, passant de 1 à 187,7 milliards d’euros en 2017, et ce malgré une baisse continue entre 2012 et 2016 grâce aux investissements massifs dans les énergies renouvelables et à l’essoufflement de la croissance chinoise. Le solde commercial chinois s’est aggravé en 2017 concernant le gaz, le pétrole, et le charbon, ce qui explique les mauvais chiffres pour cette année. L’économie chinoise reste largement dépendante de ces deux dernières matières premières.

C/ Une Russie forte diplomatiquement mais relativement faible économiquement

En dépit de son influence diplomatique retrouvée, notamment depuis le troisième mandat de Vladimir Poutine, et de ses capacités militaires remarquables, la Russie reste relativement faible économiquement. Son PIB en volume n’est que le onzième mondial, entre le Canada et la Corée du Sud.

Au niveau commercial, le pays demeure excédentaire (11,5 milliards d’euros en 2017), ce qui représente presque le double de son solde commercial de 2001, c’est-à-dire au sortir de la « décennie d’humiliations » des années 1990. Néanmoins, cette croissance des excédents commerciaux russes depuis 2001 ne doit pas occulter la stagnation de ceux-ci entre 2011 et 2014, et surtout leur effondrement (baisse de 70%) entre 2014 et 2016 en raison des sanctions occidentales à la suite du retour de la Crimée à la Russie. Pour la première fois depuis les sanctions, l’excédent commercial russe a augmenté en 2017 (hausse de 25%).

Une large partie de ces excédents sont rendus possible par l’excellente balance énergétique globale de la Russie (+15,2 milliards en 2017), ainsi que grâce au commerce des métaux (2,1 milliards d’excédents en 2017).

Toutefois, l’industrie russe paraît encore très fragile et peu diversifiée, et le pays est largement déficitaire dans des secteurs comme le textile, les produits automobiles (-1,5 milliard d’euros en 2017), les produits pharmaceutiques (-8,9 milliards d’euros en 2017), l’aéronautique ainsi que les machines industrielles (-3,2 milliards d’euros en 2017) et électriques (-1,9 milliards d’euros en 2017).

III- Comparaison des économies européenne, chinoise et américaine

Il apparaît pertinent de comparer l’état des trois plus grandes entités économiques au monde que sont l’Union européenne, les Etats-Unis et la Chine. Les exportations européennes s’élèvent à 1 922,6 milliards d’euros [2] tandis que la Chine a dépassé les Etats-Unis (1 369,1 milliards d’euros) à partir de 2006 pour arriver au niveau actuel de 2 010,9 milliards d’euros.

Cependant, l’étude du solde commercial révèle une toute autre réalité : l’excédent chinois dont nous avons parlé précédemment (381,3 milliards d’euros) est près de quatre fois supérieur à l’excédent commercial de l’Union européenne (90,6 milliards d’euros), et très loin de l’abyssal déficit américain (-763,6 milliards d’euros).

Les soldes manufacturiers illustrent les évolutions des rapports de puissance entre les Etats-Unis, l’UE et la Chine. La Chine culmine à 32,9 milliards d’euros d’excédent pour les textiles non confectionnés quand l’UE et les Etats-Unis stagnent quasiment à 0 (respectivement 0,23 et 5,3 milliards d’euros).

L’étude des soldes des machines industrielles renforce ce que nous avons vu précédemment : la Chine a depuis 2012 dépassé l’UE en termes d’excédent pour culminer à 188,6 milliards d’euros, contre 121,8 milliards pour celle-ci et 130,5 milliards d’euros de déficit pour les américains.

Les soldes des produits automobiles et pharmaceutiques montrent une UE largement excédentaire (107,9 et 78,9 milliards d’euros), une Chine légèrement déficitaire, et des Etats-Unis qui creusent leur déficit, de plus en plus vite depuis la crise des subprimes.

Néanmoins, ceux-ci dominent le secteur aéronautique, avec 88,7 milliards d’euros d’excédent contre un modeste montant de 39,6 milliards d’euros pour l’Europe et un déficit de 19,9 milliards d’euros pour la Chine.

Si les trois économies sont dépendantes au pétrole, il est intéressant de rappeler l’émancipation progressive des Etats-Unis grâce au gaz et au pétrole de schiste (de -19,7 milliards d’euros en 2001 à +9,5 milliards d’euros en 2017) qui est allée de concert avec l’augmentation de la dépendance chinoise (de -1,3 milliards à -27,6 milliards d’euros sur la même période), tandis que l’UE redresse la barre depuis 2012 (-141,2 milliards d’euros) et ne dégage plus qu’un déficit de 69,7 milliards d’euros.

IV- Comparaison des évolutions enregistrées par les pays européens au regard des tendances américaines et chinoises

L’analyse des soldes commerciaux totaux révèle une tendance déjà bien ancrée : la croissance de la Chine, le déficit record des Etats-Unis, et le relatif équilibre de l’Union européenne largement dû à la surpuissance de l’Allemagne et à ses 244,8 milliards d’euros d’excédents (ce dernier chiffre représente en effet 270% des excédents commerciaux de l’Union européenne).

Les soldes automobiles éclairent quant à eux notre analyse précédente : le déficit chinois observé lors de l’étude du commerce bilatéral sino-européen s’explique principalement, comme on pouvait s’y attendre, par l’excédent allemand dans le domaine. Ainsi, la courbe allemande atteint 118,3 milliards d’euros en 2017, elle suit presque parfaitement la courbe européenne, qui atteint quant à elle 107,9 milliards d’euros. Cela s’explique par le dynamisme de l’industrie automobile haut de gamme allemande, qui fait grimper le montant des exportations en valeur. La France, dans le milieu de gamme, fait figure de mauvaise élève (-12,6 milliards d’euros) mais reste loin du déficit américain (-145,6 milliards d’euros).

A contrario, les Etats-Unis dominent de façon remarquable dans le secteur aéronautique tandis que la Chine est à la peine, comme le montrent les chiffres ci-dessus, et que l’UE, longtemps portée par la France, voit apparaître un deuxième pilier : l’Allemagne. Celle-ci est même désormais en passe de dépasser la France, avec un excédent de 21,6 milliards contre 23,9 milliards d’euros pour l’industrie aéronautique française. Enfin, soulignons la place de l’Italie dans le secteur des machines industrielles : celle-ci, avec par exemple un excédent de 48,8 milliards d’euros en 2017, contribue de façon quasiment constante à l’excédent européen. Ce dernier, qui reste inférieur à l’excédent chinois, se chiffre à 121,8 milliards d’euros. Les Etats-Unis restent loin derrière, avec un déficit de 130,5 milliards d’euros.

Il apparaît donc que la France risque d’être écrasée dans le choc des trois titans (Etats Unis, Chine, Allemagne). Les Etats-Unis entendent mener une stratégie de rééquilibrage depuis l’élection de Donald Trump, ce qui explique la baisse du dollar par rapport à l’euro pour que les Etats-Unis puissent regagner en compétitivité sur l’Allemagne et sur l’Europe en général, ainsi que les mesures protectionnistes adoptées par Donald Trump, notamment à l’encontre de la Chine. Beaucoup d’analystes parlent dorénavant d’une « guerre commerciale », un terme qui vise souvent à dissimuler les causes profondes et les objectifs de la politique économique du nouveau Président américain. La hausse de l’euro depuis 2014 risque de dégrader encore plus une compétitivité française déjà faible, comme nous l’avons vu au début de cette note.

Dans le même temps, le yuan s’est beaucoup déprécié, au point d’atteindre fin juillet 2018 sa valeur la plus basse depuis un an. La réévaluation globale de l’euro depuis l’élection de Donald Trump, même si la monnaie unique a atteint en août 2018 son niveau le plus bas face au dollar depuis un an, devrait donc encore creuser l’écart des pays européens avec la Chine et les rendre plus déficitaires. Cela est vrai particulièrement pour la France dont le premier déficit commercial bilatéral est vis-à-vis de la Chine (34,14 milliards d’euros) avant celui qu’elle enregistre par rapport à l’Allemagne qui est pourtant son premier partenaire commercial.

Ainsi, du point de vue du commerce international, le rééquilibrage du monde risque de se faire au détriment de l’Europe, et en son sein, aux dépens de la France.

[1] Cette étude a été réalisée avec la contribution de Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica, Nathan Crespy, et Joachim Imad.

[2] On ne compte ici que le commerce de pays européens à destination de pays non-européens, ce qui exclut donc le commerce intra-européen qui représente 62,9% du commerce total.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Please enter a valid email address.
Please check the required field.
Something went wrong. Please check your entries and try again.