Introduction – Qu’y a-t-il dans le chaudron du Moyen-Orient ?

Intervention de Loïc Hennekinne, ambassadeur de France, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, lors du colloque « Qu’y a-t-il dans le chaudron du Moyen-Orient ? » du 12 février 2018.

Jean-Pierre Chevènement
Mesdames,
Messieurs,
Chers amis,

Je vous remercie d’être venus nombreux pour ce colloque organisé sous l’impulsion de Loïc Hennekinne, ambassadeur de France.
Nous accueillons ce soir des invités prestigieux : l’ambassadeur Nicoullaud, un très bon spécialiste de l’Iran ; Renaud Girard, expert éminent des questions de politique étrangère, l’une des grandes plumes, non seulement du Figaro mais de la presse française tout entière, qui mériterait l’attention de nos diplomates ; Pierre Conesa, dont le dernier livre s’intitule « Dr. Saoud et Mr Jihad. La diplomatie religieuse de l’Arabie saoudite » (Robert Laffont : 2016), l’un des grands spécialistes de l’Arabie saoudite et, d’une manière générale, du monde arabe et de la radicalisation du monde arabo-musulman.

Je donne tout de suite la parole à Loïc Hennekinne qui va présenter ce colloque.

Loïc Hennekinne
Il y a quatre ans, la Fondation Res publica organisait un colloque sur les guerres de religion en pays musulman [1]. Un an plus tard, nous nous intéressions au Moyen-Orient dans la politique étrangère des puissances [2]. Il nous a semblé utile de revenir sur le sujet du Moyen-Orient afin d’examiner les problèmes de rivalité religieuse mais également les hégémonies qui s’opposent et les problèmes ethniques. D’autant que le Moyen-Orient est depuis la Deuxième guerre mondiale la zone la plus belligène et anxiogène de la planète. En disant cela, je n’ignore pas ce qu’ont été les guerres de décolonisation en Algérie, en Indochine, ni la guerre au Vietnam, ni un certain nombre de guerres civiles sur le territoire africain. Mais le Moyen-Orient, depuis soixante-dix ans, concentre les conflits.

Les causes en sont anciennes.
Une des premières causes de cette situation remonte au 2 novembre 1917, lorsqu’un ministre des Affaires étrangères britannique, Lord Balfour, dans une lettre adressée au baron de Rothschild, membre éminent de la communauté juive en Angleterre, s’était engagé à ce qu’un « foyer national juif » soit créé en Palestine, à l’époque sous mandat britannique. Aucun Palestinien n’a oublié cette « déclaration Balfour ».

Quelques années plus tard, la non-ratification des traités négociés à Versailles à la fin de la Première guerre mondiale, notamment par la Turquie d’Atatürk, a contribué à créer un trouble dans la région. De la même manière, la politique des deux États mandataires, Royaume-Uni et France, qui ont découpé la région sans tenir toujours compte des ethnies qui occupaient ces zones, n’a pas facilité les choses.

Le problème nucléaire a été un autre élément de trouble au Moyen-Orient. À la fin de la IVème République la France a contribué à aider Israël à maîtriser l’arme nucléaire. Par la suite, dans les années 1974-1976, Valéry Giscard d’Estaing a voulu développer une coopération nucléaire avec l’Irak [3] et avec l’Iran [4]. Finalement, au bout de quelques années, les engagements des uns et des autres n’ayant pas été exécutés, cette coopération a échoué. En Irak, cela s’est traduit par la destruction d’Osirak [5] en 1981. En ce qui concerne l’Iran, le fait que, ces dernières années, la France monte en première ligne pour mettre en cause la volonté de l’Iran d’accéder au nucléaire civil est pour le moins paradoxal. On voit qu’il y a eu un jeu compliqué des puissances.

Une série de guerres ont suivi la création de l’État d’Israël :
Après la guerre d’indépendance en 1948-49, une guerre fut provoquée par Londres et Paris au moment de la nationalisation du canal de Suez [6] quand on a cru pouvoir se débarrasser de Nasser en Égypte.
La guerre des Six jours en juin 1967 ; la guerre du Kippour en octobre 1973 ; l’invasion du sud Liban par Israël en 2012.
D’autres guerres très lourdes ont fait énormément de pertes tout au long des années 80 jusqu’en 1988 :
La guerre entre l’Irak et l’Iran (1980-1988, entre 0,5 et 1 million de morts) ; la guerre du Golfe (1989-90), provoquée par l’invasion du Koweït par l’Irak, à laquelle la France avait décidé de participer en dépit de certaines réticences (je me souviens du président Mitterrand, rentré de Latché à Paris au lendemain de l’invasion, me disant : « Ça se terminera par une guerre et nous y participerons »). Il y eut ensuite l’invasion de l’Irak par les troupes américaines en 2003.

Enfin, en Syrie, depuis mars 2012, une guerre dont on ne voit pas la fin. On apprenait il y a deux jours l’intrusion d’Israël en Syrie pour bombarder, semble-t-il, des forces iraniennes. Ceci montre qu’on peut craindre à tout moment l’étincelle qui fera éclater un nouveau conflit.

Pour étudier cette situation, nous avons fait appel à de grands spécialistes.

Renaud Girard – dont les lecteurs du Figaro apprécient chaque mardi l’éditorial consacré à l’actualité internationale – interviendra sur les aspects religieux des ressorts politiques de la situation actuelle. Après de brillantes études à Normale sup et à l’ENA, dont il est sorti en 1983, il s’est découvert une vocation de journaliste. Entré dès 1984 au Figaro, il a été grand reporter sur tous les terrains de guerre à travers le monde. Chroniqueur international depuis 2013, il est très apprécié pour la profondeur et la rigueur de ses analyses hebdomadaires, en particulier par ceux qui ne sont pas inconditionnellement favorables à l’alignement sur l’OTAN ni aux thèses des néo-conservateurs. On lui doit plusieurs ouvrages dont « Que reste-t-il de l’Occident ? » [7] co-écrit avec Régis Debray, en 2014, et je vous recommande : « Quelle diplomatie pour la France ? » [8] sorti l’année dernière.

—–

[1] « Guerres de religion dans le monde musulman ? », colloque organisé par la Fondation Res Publica le 31 mars 2014, avec la participation de Henry Laurens, membre du Collège de France, chaire Histoire contemporaine du monde arabe, Ahmad Salamatian, intellectuel et ancien parlementaire iranien, ancien secrétaire d’État aux Affaires étrangères (Iran), Flavien Bourrat, spécialiste du monde arabe, ancien chef du bureau Maghreb Proche Moyen Orient à la Délégation aux Affaires Stratégiques du ministère de la Défense et le professeur Abdou Filali-Ansary, représentant de l’Aga Khan.
[2] « Le Moyen-Orient dans la politique étrangère des puissances », colloque organisé par la Fondation Res Publica le 29 juin 2015, avec la participation de Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques énergétiques, directeur de la revue Pétrole et gaz arabes, Bertrand Badie, professeur de Relations Internationales à Sciences Po, François Nicoullaud, ancien ambassadeur en Iran, et Flavien Bourrat, spécialiste du monde arabe, ancien chef du bureau Maghreb Proche Orient à la Délégation aux Affaires Stratégiques du ministère de la Défense.
[3] En 1975, Saddam Hussein visite le centre de Cadarache avec Jacques Chirac, Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing. Le 18 novembre de la même année un accord de coopération nucléaire franco-irakien est signé à Bagdad. Le texte précise qu’il s’agit d’une utilisation pacifique du nucléaire.
[4] En Juin 1974, lors d’un voyage officiel du Chah à Paris. Le Président Giscard d’Estaing et le souverain iranien annoncent que leurs pays s’engagent dans une vaste coopération nucléaire. La France vend des centrales et divers équipements à l’Iran. En décembre de la même année, lors d’un voyage officiel de Jacques Chirac en Iran, le Premier ministre français et son homologue iranien, Hoveyda, signent l’accord Eurodif (consortium européen d’enrichissement de l’uranium bâti à Pierrelatte).
[5] La centrale nucléaire irakienne Osirak de Tammuz (banlieue de Bagdad), avait été fournie par la France à l’Irak en vertu d’un accord de coopération nucléaire.
[6] La nationalisation de la Compagnie du Canal de Suez par Nasser le 26 juillet 1956 rapprocha la France et la Grande-Bretagne qui, bien que traditionnellement rivales au Moyen-Orient, entreprirent trois mois plus tard une expédition contre l’Égypte.
[7] Que reste-t-il de l’Occident ? Renaud Girard et Régis Debray (éd. Grasset, petite collection blanche, octobre 2014).
[8] Quelle diplomatie pour la France ? Renaud Girard (éd. Du Cerf, collection Actualité, mars 2017).

Le cahier imprimé du colloque « Qu’y a-t-il du chaudron du Moyen-Orient ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Veuillez saisir une adresse email valide.
Veuillez vérifier le champ obligatoire.
Quelque chose a mal tourné. Veuillez vérifier vos entrées et réessayez.