Conclusion de Richard Ferrand, député, président du groupe LREM, lors du colloque « Le moment républicain en France » du 11 décembre 2017.
Monsieur le ministre,
Mesdames,
Messieurs,
Permettez-moi d’abord de vous dire que c’est à la fois un grand bonheur et un grand honneur d’être parmi vous. Nous partageons les idées de liberté, de fraternité et cette promesse d’égalité que porte l’idée même de la République.
Permettez-moi aussi de saluer Bernard Cazeneuve dont j’ai pu partager les actes qu’il a posés, qui ont démontré la force de la République dans des temps extrêmement troublés. Je voudrais également dire que je partage beaucoup de ses mots, parce qu’il a toujours su être ferme sans diviser, être efficace sans jamais tomber dans la surenchère politique. C’est de ce type d’attitude, je crois, dont notre République a besoin.
Je vais évoquer « La République en Marche », puisque c’est à ce titre que vous m’avez invité. « En Marche » a été à ses débuts un mouvement à vocation essentiellement électorale qui a dû en même temps construire une campagne et une pensée, en tout cas en poser les premiers jalons. Il a essayé de poser un diagnostic sur ce qui paraissait ne pas aller bien dans notre République pour proposer quelques pistes. Au moment de qualifier ce mouvement, nous avons décidé ce nom : « La République en Marche », non pour nous arroger le monopole de la République mais parce que nous avions eu le sentiment, ces derniers mois, que notre République à défaut d’être endormie, n’avait pas su se réactualiser, renouveler sa pensée ou ce que j’appellerai trivialement son offre politique.
Depuis quelques décennies, nous avons dû constater les uns et les autres qu’un certain nombre d’échecs collectifs avaient conduit à la déperdition du sens de la citoyenneté. L’absence de renouvellement de la matrice républicaine, dans beaucoup d’esprits, reléguait au rang de nos nostalgies une République, patrimoine glorieux de notre pays, qui s’était peu à peu déconnectée des défis d’aujourd’hui et de demain…
Tous les partis politiques français se réclament de la République. Il n’y a plus guère de mouvements qui prétendent vouloir la renverser.
Simultanément, nous avons l’occasion de vivre, cela a été rappelé, le doute qui progressivement pèse sur les élus. Un fossé se creuserait un peu plus chaque jour entre les élus et leurs mandants : la République serait incarnée par une caste sourde et malentendante dont les décisions ne répondraient plus aux aspirations portées par les citoyens.
Évidemment, le chômage de masse, les crises économiques successives, les fractures sociales et territoriales qui se sont creusées au fil des ans, ont progressivement désarmé les décideurs publics à moins que ceux-ci n’aient eux-mêmes renoncé à affronter des défis qu’ils ne savaient pas réellement aborder.
Ceci a produit dans un certain nombre de territoires de notre pays un sentiment d’abandon qui a contribué à la prospérité électorale de partis extrémistes. Ce sentiment d’abandon, terreau de mouvements que nous avons eu à subir, a contribué aussi à nourrir les vagues terroristes.
À cela s’est ajouté, me semble-t-il, un grand décalage dans l’expression politique de ces dernières décennies : le sens était rarement indiqué, la portée concrète des actes rarement expliquée. Les uns et les autres s’efforçaient d’expliquer ou de débattre sur des choix politiques de plus en plus technocratiques ou technicisés accessibles aux seuls initiés. De là vient sans doute un déficit de politique qui ne permet plus que le sens et la portée des actions entreprises, pas plus que leur impact réel sur les existences de nos concitoyens, soient correctement perçus.
Des discours incompréhensibles, des actes dont la portée est mal évaluée, le développement d’une novlangue assez surprenante (songez par exemple que les plans de licenciement sont baptisés « plans de sauvegarde de l’emploi »), amènent naturellement à douter des élites du pays et par conséquent de la République elle-même.
L’idée que la République ne signifiait plus grand-chose s’est répandue dans un certain nombre de villes ou de territoires ruraux qui se sentaient déclassés, discriminés ou en tout cas incompris. La lassitude a gagné un certain nombre de quartiers, les discours qui parlent de lendemains plus heureux sonnent creux, et au fond l’idée vient que seules des solutions sommaires et rapides seraient efficaces pour rétablir le lien de confiance. De mon point de vue, ce discours « républicain », porté par les hommes et les femmes politiques qui sonnent creux, est un des enjeux de ce moment républicain.
Nous ne pouvons plus brandir la République comme un talisman qui par sa seule évocation viendrait résoudre l’ensemble des problèmes de nos territoires. Il ne suffit plus de dire que la République ne vous abandonne pas ou que la République revient.
Désormais seules les actions comptent, et le temps est compté.
Pis encore, le concept de République a été galvaudé, un peu comme la laïcité : il sert de masque à ceux qui veulent diviser et jeter l’opprobre sur une partie de nos compatriotes. Ils s’enveloppent dans un drap de respectabilité pour proférer leurs idées nauséabondes ou pour désigner certains de nos compatriotes comme responsables des maux de la République.
Comment ne pas voir une tragique ironie dans le républicanisme affirmé presque chaque jour par le Front National ? Comment ne pas s’interroger sur les revendications d’indépendance territoriale faites au nom de la République et de son modèle démocratique ? La République qui se proclame indivisible devient le référentiel de ceux qui veulent son délitement. À ce stade de confusion, et tandis que certains citoyens sont « assignés à résidence », il est urgent de trouver les nouvelles réponses républicaines qu’exige notre temps.
C’est pour toutes ces raisons qu’un moment républicain, plus républicain que jamais, est indispensable.
Nous voulons croire, à tort ou à raison, que ce moment a commencé avec la recomposition politique qui se déroule sous nos yeux. La réponse que nous essayons d’apporter à cette volonté de renouvellement que nous avons ressentie est surtout le renouvellement de pratiques, avec plus de participation, plus d’écoute, plus de prise en compte de ce que les citoyens peuvent exprimer. Il s’agit là d’un signal, d’un appel, pour que le logiciel politique puisse être refondé et que chacun comprenne que la pensée politique, la pensée républicaine doit être renouvelée. Elle doit d’abord être à nouveau audible, comme projection de valeurs, mais sa portée concrète doit aussi pouvoir être perçue. Par conséquent, les nouveaux défis de notre époque doivent être au cœur de cette pensée nouvelle ou réactualisée de la République.
Nous avons touché ces dernières années les limites de la social-démocratie qui, un peu partout en Europe, s’est trouvée dépassée ou en difficulté pour se renouveler alors que les fondements mêmes sur lesquels elle s’est construite ne sont plus aussi clairs qu’à l’origine. La redistribution ne fonctionne plus comme pendant les trente Glorieuses, la captation de la valeur ajoutée n’est plus répartie de la même manière, les métiers ont évolué comme les carrières, comme les modes de vie.
Il nous semble aujourd’hui impérieux de revisiter, réinterroger un certain nombre de concepts sur lesquels s’étaient construits précisément par le passé les grands clivages politiques. Dire qu’il faut passer de la protection des statuts à la protection des personnes est une manière de réinterroger ce qui fonde notre pacte social actuel, non pas pour le battre en brèche, non pas pour complaire à l’idéologie libérale, mais tout simplement parce que l’absence de réflexion sur ce qui ne fonctionne plus suscite l’hostilité.
Ce que nous portons c’est évidemment ce partage des valeurs républicaines : l’émancipation de tous, l’égalité, la solidarité, les libertés, mais aussi l’idée que la République est par essence progressiste. Et c’est parce que je crois à cette nécessité de refondation que j’ai été un des premiers députés à rejoindre celui qui est devenu Président de la République.
Nous devons travailler à une renaissance républicaine qui est indissociable d’une renaissance française. Je me sens aussi un « vieux croyant », mais je sens bien qu’il va falloir travailler sur la liturgie et sur la pratique de la République à laquelle nous sommes attachés.
Comment ne pas saisir l’opportunité de cette tribune pour évoquer l’enjeu de l’éducation, le souci de remettre la culture au cœur de l’action publique dont elle a disparu depuis quelques décennies. Réinvestir massivement le champ de l’éducation et de la culture est sans doute le premier des devoirs de tout républicain. Si nous voulons nourrir des horizons nouveaux aux jeunes générations qui se sentent éloignées de tout espoir, nous avons le devoir, par l’éducation, par la culture, d’aider à recréer ces mobilités géographiques, professionnelles, intellectuelles qui vont redonner vie à des lieux qui sont aujourd’hui un peu exclus de la République.
Faute de temps je ne parlerai malheureusement pas d’Europe.
Je veux simplement conclure en disant ma conviction profonde que nous avons besoin d’une France toujours plus ancrée dans des valeurs républicaines renouvelées qui aient une portée et un sens pratique face aux défis du siècle. « En même temps » – pardon d’y céder – nous avons besoin d’une Europe toujours plus européenne, c’est-à-dire solidaire, qui construise dans la réalité les rêves qui avaient inspiré ses pères fondateurs.
Voilà ce que je pouvais verser à ce débat auquel je vous remercie de m’avoir convié.
Jean-Pierre Chevènement
Merci, Richard Ferrand.
Merci à tous les intervenants, merci à vous tous, d’avoir fait de ce colloque ce que je crois être une très belle réussite.
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Le cahier imprimé du colloque « Le moment républicain en France ? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.
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