La formation des enseignants et la revalorisation

Intervention de Pascal Jardin, Inspecteur général honoraire de l’Éducation Nationale, au colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » du 27 novembre 2017.

Même si cela a été un peu évoqué dans les interventions précédentes, il convient tout d’abord de rappeler que, en France, École et République sont liées de façon consubstantielle. Les fondements théoriques, philosophiques et idéologiques de notre système éducatif remontent à la première République (septembre 1792-mai 1804), chacun a en tête les « Mémoires sur l’Instruction Publique » de Condorcet présentés à l’Assemblée Législative en avril 1792 et le « Plan d’Éducation Nationale », souvent oublié, de Lepeletier de St Fargeau, exposé à la Convention en juillet 1793 par Robespierre [1], dans lequel il propose une éducation gratuite, laïque, obligatoire et identique pour tous les enfants. Aucun de ces deux projets ne sera adopté par la Convention, mais ils inspireront largement les lois Ferry de 1882-83 un siècle plus tard.

Dès sa naissance, l’École s’est vu assigner une fonction politique essentielle dans notre pays : asseoir et conforter la République par la transmission des savoirs et des connaissances en délivrant les individus des obscurantismes, des superstitions et des préjugés, religieux ou familiaux, afin qu’ils deviennent des citoyens éclairés par les lumières de la Raison et aptes à décider ensemble de la conduite de l’État et de la Nation. Dans la livraison de l’année 1883 de la Revue pédagogique fondée en 1878, on trouve cette phrase : « la République a fait l’École, l’École fera la République » ; dans son essai intitulé « L’Argent » publié dans les Cahiers de la quinzaine en 1913, Péguy, ancien élève de l’école primaire annexe de l’École normale d’Orléans dans les années 1880-1885, emploiera l’expression fameuse « les hussards noirs de la République » pour désigner ses maîtres à l’uniforme austère.

Ce lien si fort entre École et République est une singularité, une exception française. C’est parce que les maîtres de cette École républicaine toute neuve avaient une claire conscience de la mission politique que la Nation leur avait confiée : former des citoyens libres et égaux quelle que soit leur origine, que l’École a constitué un puissant vecteur d’intégration et de cohésion. Cette mission originelle de l’École est aussi la cause des polémiques entre pédagogues et républicains qui existent depuis toujours dans les discours et les débats sur l’École ; naturellement, cette tension se retrouve dans la conception que les uns et les autres se font de la formation des enseignants. Pour ma part, je pense qu’il s’agit là d’une fausse querelle sur laquelle je reviendrai un instant. C’est aussi, en dépit des slogans et des postures, que la mission de l’École semble moins claire aujourd’hui qu’elle ne l’était hier.

Il faut brièvement retracer les différentes étapes qui nous ont menés là où nous en sommes. À la vérité, la formation des enseignants a toujours fait débat et a été l’objet de multiples réformes jusqu’à nos jours. Dès l’origine, s’opère une distinction entre les enseignants de l’école primaire (les instituteurs) et ceux de l’enseignement secondaire (les professeurs) recrutés au niveau de la licence et titularisés après quelques années d’exercice, ou pour les professeurs de lycée, l’élite du corps, sur la base de l’agrégation.

La Loi Guizot du 28 juin 1833 crée les écoles normales de garçons, la première école normale de filles datant de 1838, mais déjà en 1849, le ministre de l’Instruction publique Alfred de Falloux fait état de nombreuses critiques considérant que cette « institution est essentiellement vicieuse et propage les idées démocratiques et socialisantes » [2] ; la loi du 15 mars 1850 qui porte son nom, laisse donc le choix aux conseils généraux de supprimer ou non les écoles normales. La Troisième République, à peine proclamée, va généraliser dans tous les départements, naturellement sur des bases totalement nouvelles et républicaines, une école normale de garçons et de filles, par la loi du 9 août 1879, défendue par Paul Bert qui sera ministre de l’Instruction publique et des cultes pendant quelques mois dans le gouvernement Gambetta en 1881-1882.

Le recrutement se fait après l’obtention du Brevet élémentaire et la formation dure trois ans, mais il ne faudrait pas surestimer la qualité des recrutements à l’époque, car beaucoup d’instituteurs ne passent pas par l’école normale et entrent dans la carrière sans formation particulière par la petite porte des suppléances et des remplacements, avant d’être titularisés après plusieurs années d’enseignement. Le gouvernement de Vichy va s’empresser de supprimer les écoles normales par la loi du 18 septembre 1940 défendue par Georges Ripert (ancien doyen de la faculté de droit de Paris), secrétaire d’État à l’Instruction publique et à la jeunesse ; ces établissements sont accusés d’avoir transmis des valeurs antinationales qui ont grandement contribué à la défaite de juin 1940 ; par cette mesure, on voit bien l’enjeu politique essentiel que constitue dans notre pays l’École et la formation des enseignants.

La Révolution nationale remplace d’un coup la République par l’État Français et les écoles normales par les Instituts de Formation Professionnelle mis en place dans chaque chef-lieu d’académie (IFP) ; certains éléments sont d’ailleurs repris d’un projet de réforme de la formation des enseignants élaboré par Jean Zay pendant le gouvernement du Front Populaire. Je n’en détaillerai pas ici les contenus, mais au sein même du régime et de ses soutiens, ces nouveaux instituts sont contestés. Marcel Déat, par exemple, va même jusqu’à demander la réouverture des écoles normales dans L’Œuvre du 5 mai 1942. Elles seront rétablies à la Libération : concours après la classe de 3ème, quatre ans d’études dont trois pour la formation générale et la préparation du baccalauréat, la quatrième année étant consacrée à la formation professionnelle, caractéristiques reprises des réformes du gouvernement de Vichy.

Le début des années cinquante voit la création du concours permettant d’obtenir le certificat d’aptitude au professorat de l’enseignement du second degré (CAPES), dont la première mouture qui comportait d’abord un stage pratique, puis une épreuve écrite théorique, sera modifiée par le décret du 22 janvier 1952 replaçant l’épreuve écrite théorique avant le stage pratique, forme actuelle. En 1977, le concours d’entrée à l’école normale après la classe de 3ème est supprimé ; il se passe désormais après le baccalauréat, suivi de deux années de professionnalisation. En 1979, sous le ministère de Christian Beullac, la formation après le concours est de trois ans, dont deux en université pour l’obtention d’un diplôme d’études universitaires générales (DEUG) enseignement du premier degré. Ce DEUG spécifique est supprimé en 1984 et en 1986 le concours se passe après le DEUG ou un diplôme équivalent, suivi de deux ans de formation à l’école normale.

Enfin, la loi d’orientation sur l’éducation du 10 juillet 1989, dite loi Jospin, supprime définitivement les écoles normales, les écoles normales nationales d’apprentissage (ENNA) et les centres pédagogiques régionaux (CPR) pour les remplacer par les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) rattachés à une ou plusieurs universités. Cette réforme majeure de la formation des maîtres clôt assez brutalement un siècle d’histoire de l’École républicaine en France. Pour la première fois, tous les enseignants du premier, du second degré et les personnels d’éducation sont recrutés après la licence ; les instituteurs, jusqu’ici classés en catégorie B de la fonction publique deviennent des professeurs des écoles et appartiennent désormais à la catégorie A, comme les professeurs certifiés, mais ils perdent leur droit au logement et à la retraite à 55 ans. Je ne détaille pas non plus les contenus. Le niveau de recrutement des enseignants est donc désormais à bac+5. Ces instituts feront l’objet de vives critiques tout au long de leur existence, (pédagogisme, place trop importante des sciences de l’éducation, contenus variables d’un établissement à l’autre…).

La loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’École, dite loi Fillon du 23 avril 2005 les intègre totalement à l’université ; en 2008, les lauréats des concours sont directement mis en poste, pour une « formation par compagnonnage » avec des tuteurs plus ou moins éloignés. En supprimant la notion de professeur stagiaire, cette réforme génère beaucoup d’économies, mais suscite un tollé général. La Cour des comptes s’en mêle dans son rapport de février 2012 « formation initiale et recrutement des enseignants » ; le Conseil d’État annule en juin 2012 la réforme de la « mastérisation ».
A leur tour, les IUFM sont supprimés par La loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’École de la République du 8 juillet 2013 qui leur substitue les écoles supérieures du professorat et de l’Éducation (ESPE), intégrées à un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel (32 ESPE).

Les ESPE forment à des diplômes de master professionnel « métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation » dans le cadre d’un cursus de deux années d’études après la licence. Les concours de recrutement des enseignants et des conseillers principaux d’éducation sont organisés au cours du deuxième semestre de la première année du master, les candidats doivent en outre maîtriser au moins une langue vivante étrangère au niveau B2 du Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues (CECRL) et être titulaire du certificat informatique de l’information et de la communication, niveau 2-enseignant.

Cependant, comme les IUFM, les ESPE s’attirent de nombreuses critiques. Tous les acteurs s’accordent à reconnaître l’impossibilité de dispenser une formation professionnelle pleinement satisfaisante. La première année est consacrée à la réussite du concours préparé et la seconde à la réussite du stage en responsabilité. La formation théorique est démesurée dans les maquettes validées par la Direction Générale de l’Enseignement supérieur et de l’Insertion Professionnelle (DGESIP), les contenus ne sont pas hiérarchisés. Le nombre et la variété des compétences à travailler et à maîtriser dans le tronc commun des formations est impressionnant, on peut en citer quelques-unes : les processus d’apprentissage, la prise en compte de la diversité des publics scolaires et en particulier des élèves en situation de handicap, les méthodes de la différenciation pédagogique, les processus d’orientation, la connaissance du socle commun et l’approche par compétences, l’enseignement des valeurs de la République (depuis les attentats), la lutte contre toutes les discriminations, l’égalité homme-femme, la prévention des violences scolaires, l’éducation à l’environnement, à la santé, à la sécurité routière, l’élaboration des parcours artistiques, etc…

Les enseignements disciplinaires et de spécialité sont censés permettre d’approfondir les caractéristiques propres aux métiers de l’éducation (didactique des disciplines, thématiques spécifiques à certaines fonctions comme conseiller principal d’éducation par exemple) ; les étudiants sont également initiés à la recherche avec rédaction de mémoires. En réalité, d’une part les compétences et les connaissances des étudiants sont trop inégales et trop diverses pour que la formation puisse être réellement individualisée, et d’autre part, les domaines sont beaucoup trop nombreux et ne cessent de s’accroître, notamment pour les professeurs des écoles qui sont des maîtres polyvalents. Mais comme les universités sont autonomes, il est très difficile de faire évoluer tout cela dans le cadre actuel. A peu de choses près, les ESPE souffrent des mêmes maux que les IUFM.

À titre d’information, on peut comparer les volumes horaires des diverses modalités de formation des enseignants au cours des dernières décennies : école normale, 1512 heures plus 16 semaines de stage ; IUFM, 624 heures plus les stages ; ESPE, horaire variable selon les établissements compris entre 700 et 800 heures, plus quatre à six semaines de stage en première année et en alternance en seconde année.

On voit que depuis une bonne quarantaine d’années, les réformes se succèdent sans parvenir à mettre en place une structure de formation pérenne et satisfaisante. Alors que faire ?

Quelques pistes de réflexion que l’on ne pourra ici qu’évoquer en passant :

– Avant de casser ou de supprimer, bien réfléchir et examiner ce qui peut être conserver de l’édifice précédent ;
– Remettre en place un schéma national de formation initiale des enseignants, avec des horaires et des modules contraignants pour tous les établissements qui en sont responsables ;
– Ne plus charger l’École de régler ou de compenser tous les dysfonctionnements de la société (toujours sa fonction politique) en alourdissant sans cesse les programmes scolaires en réaction aux innombrables revendications sociales et sociétales, ce qui rend sa tâche et la formation des enseignants impossibles ;
– Assurer une formation disciplinaire de haut niveau sans négliger la pédagogie et la didactique qui ne doivent pas être confondues avec le « pédagogisme » ; ce souci de la relation pédagogique comme forme de relation singulière, est très présent dès l’origine de l’École républicaine dans l’esprit de ses fondateurs, il suffit de se référer aux écrits de Jules Ferry ou de Ferdinand Buisson [3]. C’est pourquoi la querelle entre « pédagogues et Républicains » est artificielle et mériterait qu’on s’y attarde une autre fois, car la pédagogie est nécessaire pour que la mission d’intégration de l’École puisse être accomplie, surtout dans la société d’aujourd’hui quand 100 % d’une classe d’âge, plus diverse que jamais dans ses origines et ses conditions de vie, accèdent au collège ;
– Une formation déontologique rappelant la mission politique particulière de l’École dans notre pays, et le rôle des enseignants dans la défense et l’illustration des valeurs éthiques et des principes républicains ; les droits et les devoirs du fonctionnaire, et ce que cela veut dire que de servir l’État, c’est-à-dire le bien commun ;
– Repenser la formation continue avec l’utilisation des nouvelles technologies (à cet égard, le rapport Filâtre de novembre 2016 pourrait être utilement examiné, à condition que les moyens soient alloués).

Revalorisation et crise des vocations.

Précisons d’abord que cette crise des vocations n’est pas propre à la France. Beaucoup de pays déplorent le trop petit vivier de candidats, notamment en sciences et en mathématiques ; une publication de l’OCDE de décembre 2015 (Pisa in focus) indiquait que 5 % seulement des étudiants des pays de l’OCDE souhaitaient une carrière dans l’enseignement (3 % chez les garçons, 6 % chez les filles). Mais ce n’est pas seulement une question de salaire ; les métiers de l’enseignement ne sont pas particulièrement valorisés socialement, les éléments les plus brillants se tournent vers des carrières plus prestigieuses, mieux rémunérées, mieux valorisées (finances, commerce international, médias…). De fait, un pourcentage plus important d’étudiants se tournent vers le professorat quand les salaires sont plus élevés.

Par rapport aux autres pays européens à parité de pouvoir d’achat, quel que soit le moment de la carrière considéré, la rémunération des enseignants français se situe dans la moyenne basse, très inférieure à l’Allemagne, au Luxembourg, au Liechtenstein, à la Corée ou au Japon, mais toutefois supérieure à la Grèce, Hongrie, Tchéquie, Bulgarie, Roumanie…

Les données 2016 indiquent que, dans le premier degré, le nombre de candidats au concours de recrutement des professeurs des écoles (CRPE) est en augmentation de 7,5 %, mais augmente moins vite que le nombre de postes nécessaires, par ailleurs dans les académies de Créteil et Versailles, respectivement 400 et 200 postes sont restés vacants, couverts par les troisièmes concours et concours supplémentaires. Concernant le second degré, 14,6 % des postes offerts n’ont pas été pourvus, le déficit se trouve surtout en mathématiques, anglais et lettres modernes [4]. Il convient de noter aussi le très fort taux de féminisation dans l’enseignement primaire (90 %), un peu moindre dans le second degré (60 %).

Rajoutons avec quelque insistance que cette crise des vocations dans les métiers de l’enseignement est aussi liée à la dévalorisation et au dénigrement systématiques de l’École et plus largement des services publics à la française et de leurs agents (trop nombreux, trop coûteux, inefficaces, incompétents, Éducation nationale comparée à l’Armée Rouge, à un mammouth) et a contrario une exaltation sans nuances de l’efficience du secteur privé. L’idéologie ultra-néo-libérale est de ce point de vue mortifère, à tout le moins, elle n’est pas porteuse.

Quelques pistes peuvent être rapidement évoquées, sans pouvoir ici les dessiner plus nettement :
– Valoriser financièrement socialement et politiquement la mission des enseignants dans la République ;
– Restaurer leur autorité ? (c’est là un slogan qui revient souvent, mais n’est-ce pas une formule creuse dans une société individualiste de plus en plus « judiciarisée », et incivile quand la remontrance ou la sanction est parfois considérée comme une atteinte aux droits de la personne… ?) ;
– Redonner le goût de l’effort. La bienveillance sans l’exigence est une tromperie sociale ;
– Réfléchir à un dispositif comparable aux Instituts de préparation aux enseignements du second degré (IPES) créés en 1957 et supprimés en 1979 (salaire contre un engagement à servir dix ans dans la fonction publique ou remboursement).

Pour conclure, la formation et la revalorisation des enseignants est un sujet complexe, et qui ne peut être traité uniquement en considérant le système éducatif en soi, il faut replacer toutes ces problématiques dans le cadre plus large des évolutions économiques et idéologiques du moment.

L’École en France, est toujours au cœur de toutes les polémiques, son procès est instruit en permanence, tous les jours, (remédier aux inégalités sociales, et en ce moment, la lutte contre le harcèlement et les violences faites aux femmes, les rythmes scolaires, le retour de la semaine de quatre jours, etc…) ; une multitude de points de vue s’y affrontent, on lui demande tout et son contraire, dans un volume horaire qui, pour la scolarité élémentaire, a été réduit d’une année scolaire complète en 50 ans, mais pour laquelle on n’a cessé d’ajouter des champs disciplinaires en fonction des crises ou des groupes de pression dans un temps politique qui est celui des médias : réagir à chaud en permanence, l’émotion prime la réflexion ; il ne peut pas y avoir une bonne formation des maîtres quand la société ne sait pas dans quel genre de République elle veut vivre, quand le projet politique est flou, sans véritable cap, quand l’idée même de nation est rejetée par bien des représentants des « élites », quand l’enseignement de l’histoire est contesté, le récit national étant qualifié de « roman ».

Quel est l’ensemble dans lequel alors il faudrait intégrer, le quartier, la région, l’Europe ? On a le sentiment que la notion d’identité a pris le pas sur l’idée de citoyenneté ; dès lors quel message délivrer par l’École ? La bienveillance, la tolérance, le respect, le droit à la différence, et, récemment, la confiance : notions estimables et dont la plupart figurent dans le référentiel métier de l’enseignant, mais qui sont plutôt de l’ordre du prêche faute de projet politique puissant dans lequel elles pourraient s’enraciner, elles sont en somme hors-sol.

Mais derrière cette remise en cause permanente de l’École en France, il y a autre chose, la remise en cause de la République elle-même dont on voudrait qu’elle rentre de force dans les cadres et les modes de fonctionnement de l’Europe anglo-saxonne mondialisée. Le maître-mot de nos élites politico-médiatiques est l’autonomie : autonomie des régions (la réforme territoriale dont il y aurait tant à dire et même à redire), autonomie des grandes académies, des établissements scolaires, fin des écoles communales, recrutement local des enseignants, etc…, responsabilisation des acteurs. Vivent les forces centrifuges et tout ce qui peut affaiblir, amoindrir l’État (dans les milieux comme il faut et autorisés, on dit « amincir », c’est plus positif) ! Et de regarder toujours vers l’étranger, l’Allemagne surtout. Mais comme ces thuriféraires de l’autonomie ne parlent peut-être pas tous l’allemand, je voudrais attirer leur attention sur un numéro du magazine Der Spiegel du 5 juillet 2010 qui portait en couverture : « En finir avec le chaos scolaire en Allemagne. Un plaidoyer pour un système scolaire unifié » [5]. Notre École n’a jamais été uniforme, comme on se plait à le répéter partout, y compris en haut lieu, elle a toujours cherché à concilier, j’allais dire au-delà des errements politiques et idéologiques du moment, égalité et adaptation à une forme de diversité, dans un cadre national et le respect des valeurs et principes de la République.

Quelle École veut-on pour quelle République ? Je termine par là où j’avais commencé : le lien consubstantiel entre École et République. Le vrai péril pour notre École et sa capacité à relever le défi de l’intégration n’est pas l’excès de pédagogie, c’est bien plutôt cette volonté partagée par tant de gens influents d’en casser, ou tout au moins d’en modifier profondément les structures républicaines, dans une grande révolution conservatrice qui dès lors emporterait l’ensemble de la société dans son tourbillon. Comme le disait le personnage de Tancrède dans le Guépard de Giorgio di Lampedusa : « Il faut que tout change pour que rien ne change ».

Marie-Françoise Bechtel
Je vous remercie beaucoup.

Vous vous êtes penché sur la question qui est au centre de ce sujet extraordinairement ample : Comment faire en sorte que le maître, dont la mission le place au cœur de la République, distille l’idée républicaine qu’il a la charge de porter ? Il doit mener à bien cette mission à travers un certain respect des valeurs sociales, ce qui pose la question de son statut et celle de sa formation. Ce point est très important.

J’avais eu la même réaction que vous lorsque, dirigeant l’École nationale d’administration, je m’étais rendu compte que les élèves n’avaient pas de cours sur l’administration française. Ils ne savaient rien de ce grand corps auquel ils étaient sur le point d’appartenir et qui remonte très haut. J’avais donc introduit un cycle de conférences annuelles sur l’histoire de l’administration, chose qui m’était apparue indispensable. De la même manière, la première chose à enseigner aux enseignants, c’est qui ils sont, quelle est leur mission, d’où ils viennent. Il faut absolument qu’ils se réapproprient leur histoire, fût-ce même pour pouvoir porter un regard critique.

Il semble d’ailleurs qu’il y ait un vrai mouvement de retour vers les concours d’enseignants de la part de jeunes issus notamment d’écoles de commerce. Les enquêtes semblent montrer que ces trentenaires ou quadragénaires s’interrogent sur le sens de leur vie dans un système mondialisé. Ce peut être intéressant, notamment pour les disciplines scientifiques.

Pour arriver à ce que le maître investisse sa mission, nationale, républicaine, il faut, dès qu’il entre dans une ESPE (refondue, espérons-le), le conduire à se réapproprier son histoire. En effet, le maître doit avoir conscience qu’il n’est pas un simple agent de l’État, la Nation l’a investi d’une mission : il est en charge de l’avenir de la République.

Il existait autrefois un très bon système – dont j’ai bénéficié moi-même – qu’on appelait l’IPES. Grâce à ce concours, les étudiants étaient payés jusqu’au moment où ils passaient le CAPES voire l’agrégation. La généralisation d’un tel système ne serait-elle pas un élément intéressant de revalorisation de la position sociale et morale du maître ?

Pascal Jardin
Les IPES (instituts de préparation aux enseignements de second degré), créés en 1957, ont été supprimés en 1979. Effectivement, ils permettaient à des étudiants en fin de première année d’université de passer un concours, en fonction des disciplines (il y avait dans chaque académie un certain nombre de places en allemand, en anglais etc.). Ceux qui étaient reçus à ce concours étaient rémunérés, bien d’ailleurs, mais ils devaient dix ans au service de l’État, sinon ils devaient rembourser les sommes perçues.

Marie-Françoise Bechtel
Ce dispositif nous donnait, pendant toutes nos études, la liberté d’assister aux plus grands séminaires, Lacan, Lévi-Strauss, pour les philosophes par exemple. C’était un système formidable pour l’ouverture d’esprit du futur enseignant.

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[1] Louis-Michel Lepeletier de St Fargeau (1760-1793) qui avait voté la mort du roi avait en effet été assassiné le 20 janvier 1793 par un royaliste.
[2] Exposé introductif au projet de loi du 15 mars 1850, in « législation de l’instruction primaire en France de 1789 à nos jours », tome III ; Eugène Gérard, Delalain Frères, Paris 1893.
[3] Cf « Discours et opinions de Jules Ferry ». Armand Colin. Paris, 1896, et « Nouveau dictionnaire de pédagogie et d’instruction primaire », publié sous la direction de Ferdinand Buisson, Librairie Hachette, Paris, 1911.
[4] Repères et références statistiques 2017. Publication de la DEPP (MEN). P. 306 et suivantes.
[5] « Schluss mit dem Schul-Chaos. Ein Plädoyer für ein einheitliches Schulsystem » Der Spiegel, 5/7/2010.

Le cahier imprimé du colloque « L’Ecole au défi de l’intégration républicaine » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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