Le français en France, cadre légal

Intervention de Stéphane Martin, directeur général de l’Autorité de régulation professionnelle de la publicité, au colloque « Quel avenir pour la francophonie? » du 12 décembre 2016.

Des textes majeurs dessinent l’histoire de la politique du français depuis bientôt 600 ans.
Il faut remonter à François Ier pour trouver, avec l’ordonnance de Villers–Cotterêts (1539), le plus ancien texte législatif pour partie encore en vigueur en France, ses articles 110 et 111 concernant l’usage de la langue française dans les actes officiels n’ayant jamais été abrogés.

Lors de la Révolution, en 1794, le décret du 2 Thermidor (20 juillet) visera les « patois locaux ».
Avant la Loi Toubon, concernant le secteur où j’interviens (l’autorité de régulation de la publicité), la loi (Pierre) Bas – (Marc) Lauriol du 31 décembre 1975, stipule notamment que « Dans […] la publicité écrite ou parlée, […] l’emploi de la langue française est obligatoire. »

En 1992, la révision constitutionnelle consacre le français comme langue de la République (article 2).

Enfin, la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, dite « Loi Toubon », renforce les dispositions de l’usage public du français, et marque la volonté de maintenir le français comme élément de cohésion sociale et moyen de communication globale.

Cette loi a imposé l’utilisation obligatoire, mais non exclusive, du français dans certains contextes :
Article 2
« Dans la désignation, l’offre, la présentation, le mode d’emploi ou d’utilisation, la description de l’étendue et des conditions de garantie d’un bien, d’un produit ou d’un service, ainsi que dans les factures et quittances, l’emploi de la langue française est obligatoire. Les mêmes dispositions s’appliquent à toute publicité écrite, parlée ou audiovisuelle. Les dispositions du présent article ne sont pas applicables à la dénomination des produits typiques et spécialités d’appellation étrangère connus du plus large public. La législation sur les marques ne fait pas obstacle à l’application des premier et troisième alinéas du présent article aux mentions et messages enregistrés avec la marque. »

Ainsi, toutes les publicités, qu’elles soient écrites, parlées ou visuelles doivent être comprises par le public français et dès lors être accompagnées d’une traduction française quand des termes étrangers sont utilisés. Cette règle, bien sûr, ne s’applique pas seulement à l’anglais.

Cette loi est l’instrument juridique d’une politique interministérielle dont la coordination et l’animation incombent au ministère chargé de la Culture, par sa Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLFLF) qui dresse annuellement un rapport au Parlement auquel l’ARPP contribue sur la première partie : « assurer la présence du français dans la vie sociale ».

Ce rapport annuel précise notamment le nombre d’avis télévisés avant diffusion rendus par l’ARPP (environ 21 000 par an) ayant suscité des demandes de modification sur la base de la non traduction (Loi TOUBON), mais également sur les conditions de lisibilité (Recommandation ARPP Mentions et renvois).

Cette loi n’est pas toujours comprise. D’aucuns pensent qu’elle s’inspire de l’exemple québécois. Or la loi Toubon est beaucoup moins contraignante que la loi québécoise en ce sens qu’elle n’interdit nullement l’utilisation des langues étrangères, comme le rappelle subtilement la circulaire de mars 1996 qui explicite la loi Toubon et en précise les modalités d’application.

Deux défis à relever :
– celui de la consolidation du lien social : la maîtrise de la langue est un rempart contre l’exclusion et la discrimination.
– celui de l’adaptation de la langue à l’évolution rapide de notre environnement : la globalisation économique et la révolution numérique génèrent autant de nouveaux mots que de nouvelles manières d’écrire et de parler. En effet la « grammaire » d’Internet est d’origine anglo-saxonne.

Pour pouvoir construire un futur pour l’humanité il faut permettre la plus grande diversité dans nos langues et cultures, comme dans tous les autres composantes des activités humaines.
La langue est le gage de notre culture et de notre compétitivité. Le français s’insère parmi le milliard de locuteurs des langues romanes (cf. Revue Hermès, Dominique Wolton [1]).

Le décret n° 2015-341 du 25 mars 2015 modifiant le décret n° 96-602 du 3 juillet 1996 relatif à l’enrichissement de la langue française, est venu simplifier et moderniser le dispositif d’enrichissement de la langue française en modifiant, notamment, la composition et la dénomination de la commission générale de terminologie et de néologie, qui devient la commission d’enrichissement de la langue française, et en substituant des groupes d’experts aux commissions spécialisées de terminologie et de néologie créées dans chaque département ministériel, auxquelles l’ARPP participe depuis de nombreuses années.

L’ARPP ayant manifesté le souhait de continuer à participer régulièrement à ce travail d’enrichissement de la langue française, intègre le collège d’experts auprès du ministère de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique, dans le domaine de l’économie et des finances, au sein d’un groupe restreint de 32 membres, et intègre également le collège d’experts dans le domaine de la Culture et de la Communication, auprès du Ministère de la Culture et de la Communication.

L’ensemble de la profession, réunie au sein de l’ARPP, est sensibilisée à ces enjeux, et notamment par :
– notre analyse systématique des avis télévisés, qui contribue à la défense et à l’illustration de la langue française,
– les bilans que l’ARPP a réalisés à deux reprises en partenariat avec la DGLFLF en 2009 et en 2013 [2].

L’activité pédagogique est essentielle à l’effectivité de la démarche déontologique.

Aux côtés des bilans, les autres actions de pédagogie de l’ARPP résident dans :
– les avis du Jury de déontologie publicitaire [3] (les plaintes reçues par cette instance mise en place par les professionnels, gratuite donc économe du point de vue des finances publiques, révèlent une sensibilité particulière aux publicités émanant de marques françaises, telles les publicités de marques automobiles faisant usage de l’allemand),
– les interventions après diffusion de l’ARPP dans le cadre des auto-saisines.

Les enjeux de défense et d’illustration de la langue française apparaissent singulièrement enrichis : il ne s’agit pas seulement de s’assurer du respect de la langue par les médias audiovisuels mais de s’appuyer sur leur rôle structurant pour promouvoir celle-ci.

Cette diversité qui nous réunit autour de la langue française, illustre le caractère vivant de notre langue, enrichie par ses plus de 230 millions de locuteurs à travers le monde, ce qui conduit à saluer le rôle essentiel tenu notamment par TV5 Monde, France 24 et RFI.

Depuis l’adoption en 2005 de la Convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, le paysage culturel mondial a considérablement évolué.
Montée en puissance de « géants du web », explosion des réseaux sociaux, révolution numérique bouleversant les modes de production et de diffusion des biens culturels…

Un des principes directeurs de la Convention était de favoriser l’accès équitable à un large éventail d’expressions culturelles provenant du monde entier et visait à atteindre un échange équilibré des biens et services culturels dans le monde. Dix ans après l’adoption de la Convention, 80 % des contenus en ligne sont en anglais, chinois, espagnol, japonais, portugais, allemand, arabe, français (4 %), russe et coréen.
Le Rapport de l’UNESCO observait en 2015 : « Bien que les plateformes fournissent une large gamme d’offres culturelles, le fait que celles-ci contrôlent non seulement les ventes, mais aussi la communication et les algorithmes de recommandations, pose problème ».

Enfin, en Europe, il existe très peu d’interdictions relatives à l’emploi d’une langue étrangère dans la publicité ; l’Allemagne, la Belgique, les Pays-Bas, la Suède, le Portugal, la Roumanie ou encore la Turquie n’en possèdent pas. Mais en Hongrie et en Slovaquie par exemple, la loi prévoit que toute publicité doit être en langue nationale et que si une langue étrangère est présente, les conditions de présentation doivent permettre une parfaite intelligibilité.

Jean-Pierre Chevènement
Merci, M. Stéphane Martin. Vous nous avez rassurés car j’avais l’impression que la loi Toubon n’était pas appliquée. M. Dejammet et d’autres personnes présentes dans la salle s’étaient alarmés de voir fleurir dans certains quartiers de Paris des publicités rédigées entièrement en anglais.

Alain Dejammet
C’était effectivement un éclairage nécessaire parce que nous avons peut-être une mauvaise connaissance de la loi Toubon.

Il me semble toutefois que la Loi Toubon dispose que les services publics (et les organismes privés qui ont une mission de service public) doivent assurer la traduction dans deux langues pour éviter la prééminence de l’anglais. Or on a beaucoup d’exemples de textes en français traduits dans une seule langue étrangère. J’y vois au moins un défaut d’exécution de la Loi Toubon qui me paraît traduire un état d’esprit plus général : l’asservissement progressif à l’emploi de la langue anglaise. Il suffit de voir les affiches publicitaires placardées dans le métro et sur les autobus pour s’en convaincre. La RATP, en tant que service public, ne pourrait-elle appeler au respect de la Loi Toubon ? En effet, à mon sens, celle-ci n’est pas véritablement respectée.

Jean-Pierre Chevènement
On a souvent l’impression que les lois ne sont pas vraiment respectées. Par exemple, Mme Fioraso avait introduit la possibilité de dispenser en anglais des pourcentages extrêmement modestes (de l’ordre de 2 % à 3 %) des enseignements universitaires, de préférence en master ou à des niveaux très élevés. Or j’apprends que 60 % des enseignements dispensés par Sciences Po le sont en anglais, pourcentage confirmé par les différents professeurs que j’ai interrogés. Au-delà de Sciences Po, beaucoup d’universités ont pris le pli d’enseigner en anglais. La loi permet-elle de telles dérives ?

Défendons-nous bien notre langue ? Les avis semblent contrastés. Mais j’ai quand même l’impression que nous pourrions faire beaucoup mieux en France même.

Jérôme Clément
J’anime – en français – un séminaire sur les politiques culturelles à Sciences Po. Mais on a demandé à Jean-Paul Cluzel d’assurer en anglais le cours de politique culturelle (Cultural Policy and Management) ! Or s’il y a vraiment un sujet sur lequel on peut avoir des choses à dire en tant que Français, c’est sur la politique culturelle ! Frédéric Mion, l’actuel directeur de Sciences Po, à qui je disais mon effarement, m’a répondu : « Sciences Po est devenue énorme et accueille de nombreux étudiants étrangers dont la langue de communication est l’anglais ».

Je pense qu’il y a là un problème de volonté politique et générale. Il est incompréhensible de voir un représentant éminent du Conseil d’État comme Frédéric Mion, qui dirige Sciences Po, se prêter à cette mode du tout anglais au point de dispenser en anglais un cours sur les politiques culturelles !

Jean-Pierre Chevènement
Ce doit être une application de ce qu’on appelle « l’exception culturelle »… le cours consacré à la culture dispensé en anglais par un Français ! Il me semble nécessaire de rappeler à l’ordre ces responsables. Je m’étonne d’ailleurs que cela n’ait pas été fait.

L’approche par M. Stéphane Martin avait pour but de poser une question pédagogique. Jérôme Clément y a répondu par une illustration tout à fait éloquente. Je vais maintenant donner la parole à M. Xavier Michel qui a représenté l’OIF auprès de l’Union européenne. Il va esquisser un bilan de la francophonie et avancer quelques propositions.

——–
[1] Hermès 75. Langues romanes : un milliard de locuteurs, sous la direction de Michaël Oustinoff et Louis-Jean Calvet.
[2] www.arpp.org/actualite/bilan-2013-publicite-et-langue-francaise/
[3] www.jdp-pub.org

Le cahier imprimé du colloque « Quel avenir pour la francophonie? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

S'inscire à notre lettre d'informations

Recevez nos invitations aux colloques et nos publications.

Please enter a valid email address.
Please check the required field.
Something went wrong. Please check your entries and try again.