Une dynamique servie par la stratégie économique et la diplomatie

Intervention de Philippe Humbert, Consultant en entreprise et analyste politique, au colloque « Où va l’Inde? » du 6 juin 2016.

Quelle est la dynamique politique actuellement en Inde ?

Après quarante-cinq ans de monopartisme (Parti du Congrès gouvernant seul), l’Inde a connu une vingtaine d’années de bipartisme, le Congrès et le B.J.P. en alternance au pouvoir.

Une nouvelle période monopartiste dominée par le B.J.P. s’ouvre-t-elle ?
Le mode de scrutin à l’anglaise, uninominal majoritaire à un tour, favorise le monopartisme en donnant une prime au parti qui domine. C’est une des clés du succès électoral du B.J.P. comme cela l’avait été pour le Congrès.

La promesse électorale du B.J.P. en 2014 tenait en deux mots : développement économique et gouvernance (lutte anti-corruption et capacité de prendre des décisions).

Sur le plan du développement économique, il obtient de bons résultats. Toutefois l’Inde pourrait – devrait – faire plus que 7,5 % de croissance.

En matière de gouvernance, la grande corruption a été combattue. En tout cas, on en parle moins par rapport aux scandales qui avaient terni le dernier mandat du Congrès.

Le B.J.P. rencontre toutefois des obstacles : s’il contrôle la Chambre basse, il n’a pas la majorité au Sénat car il n’a pas gagné suffisamment d’élections d’États pour modifier le rapport des forces. C’est un frein pour la mise en œuvre de réformes, en particulier la réforme sur l’acquisition des terres et surtout la Good & Service Tax (GST), sorte de TVA. En effet l’Inde n’est pas encore un marché unique en matière de taxes indirectes.

Une forte dynamique est enclenchée, servie par le mode de scrutin et par un politicien extrêmement habile. Le Congrès est très affaibli. Les partis régionaux ne sont pas aptes à former des coalitions à l’échelle nationale. Va-t-on pour autant vers une période longue de domination du B.J.P. ?

Quelle est la stratégie économique de Narendra Modi ?

Pendant sa campagne, Narendra Modi s’était engagé à mettre en œuvre une stratégie économique de production et non plus de redistribution. Il promettait en particulier à l’électeur indien les biens réels essentiels : l’eau, l’électricité et les routes. Pour ce faire, il a mis en place des moyens budgétaires importants. Dans un premier temps, il avait essayé de raboter des grands programmes de redistribution en faveur des couches pauvres, mais il vient de les réactiver car fournir les biens n’a pas un rendement politique immédiat dans la population.

Il faut prendre au sérieux la stratégie indienne en matière d’énergie renouvelable. En février 2015, à Delhi, Narendra Modi a lancé un programme d’énergies renouvelables (solaire, éolienne, géothermique etc.) de 175 gigawatts d’ici 2022 (1 gigawatt = une centrale nucléaire). Il a aussi annoncé la formation d’un consortium international des pays solaires, devenu « Alliance Solaire Internationale » qui regroupe 121 pays. Ce projet a été officialisé à Paris, lors de la COP 21, le 30 novembre 2015, par François Hollande, le Premier ministre indien et le Secrétaire général des Nations Unies, puis confirmé à l’ONU à New York, le 22 avril 2016 au moment de l’ouverture du registre des signatures de l’Accord de Paris. Ces programmes connaissent un bon départ. Le programme indien d’énergies renouvelables avance à une allure accélérée, faisant de l’Inde un des premiers marchés d’énergies renouvelables au monde. Fin 2014, 4 gigawatts de capacité solaire étaient installés. En 2017 il y en aura 20. L’objectif est d’arriver à 100 en 2022. Cette dynamique remarquable repose sur une très bonne méthodologie et une mobilisation des investisseurs indiens et mondiaux. Les résultats sont là. Quand on fera le bilan de l’action économique de Narendra Modi, il sera crédité du succès de sa politique énergétique, notamment dans les énergies renouvelables.

On pourrait évoquer les succès d’autres programmes, peut-être moins spectaculaires, tels que l’eau, les routes ou autres investissements d’infrastructures.

J’ajoute que le sujet de discorde sur le solaire avec les États-Unis ne porte pas sur le subventionnement mais sur le contenu local. Les États-Unis ont attaqué l’Inde, lui contestant le droit d’imposer des fournitures locales aussi importantes pour réaliser les programmes d’énergies renouvelables. Mais je crois que les choses sont en train de s’arranger à l’amiable d’une manière bilatérale.

La stratégie économique de l’Inde aujourd’hui est donc une stratégie de production, de fourniture de biens, l’idée étant que, répondant mieux aux besoins de la population, cela fidélisera l’électorat indien sans tuer les grands programmes de redistribution : on voit même dans le budget de 2016-2017 que les dotations budgétaires pour les grands programmes de redistribution du Parti du Congrès sont plutôt dopées. Effectivement, les échecs électoraux au Bihar et à Delhi ont montré que la « percolation » entre la croissance économique et les couches les plus basses de la population prend du temps. Il faut donc continuer à alimenter la machine de redistribution.

Quelle action diplomatique ?

La clé de l’action diplomatique de Narendra Modi est un pragmatisme total au nom de la diplomatie économique. Il demande aux pays développés des transferts de technologies et des investissements directs. Là se résume son discours. Il a commencé par le Japon. Ensuite il est allé en Australie puis en Corée et en Europe. Il s’est rendu plusieurs fois en Chine et aux États-Unis.

La clé de cette diplomatie, oubliant le non-alignement, est donc l’utilisation du levier politique pour attirer les activités et accélérer la croissance de l’économie indienne.

L’Inde s’est placée intelligemment à l’intersection de plusieurs grands problèmes multilatéraux :
1. Le nucléaire civil, avec l’accord avec les États-Unis et la communauté nucléaire civile il y a quelques années. L’un des sujets qui sera traité lors de son voyage aux États-Unis concerne les exportations de Westinghouse pour les centrales nucléaires indiennes.
2. Le terrorisme. L’Inde s’est investie dans la lutte contre le terrorisme, pas uniquement à cause du Pakistan, mais en raison des risques d’infiltrations terroristes venant du Moyen-Orient sur son territoire (sa population comporte 180 millions de musulmans).
3. Le climat. D’une manière assez habile, l’Inde a réalisé une performance étonnante à la COP 21 en arrivant avec un programme massif d’énergies renouvelables et en prenant la tête de cette alliance des pays solaires, en dépit de la nature encore floue de ce mouvement. Elle a donc abordé la COP 21 d’une manière extrêmement positive et non en position d’accusée ou de destructeur d’accord comme cela avait été le cas à Copenhague. Sa contribution a été parfaitement accueillie, faisant oublier le fait que l’Inde, contrairement à la Chine et à d’autres pays, ne s’est pas engagée sur un pic d’émissions.

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Le cahier imprimé du colloque « Où va l’Inde? » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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