Election présidentielle : une réforme inopportune

Une tribune de Jean-Michel Naulot, Membre du conseil scientifique de la fondation Res Publica, parue dans Libération le 17 février 2016. Une proposition de loi qui vise la «modernisation» des règles d’accession à l’Elysée et remet en cause notamment l’égalité des temps de parole doit être discutée ce mercredi au Sénat. Un texte qui semble aller à l’encontre de son but : le renouvellement de la classe politique.

A un an de l’élection présidentielle, le gouvernement multiplie les propositions de réformes institutionnelles. Etat d’urgence, déchéance de nationalité et modification du code pénal occupent le devant de la scène. La modification de la Constitution est malheureusement devenue une pratique courante pour donner le sentiment que l’on agit avec détermination. Mais un autre texte doit retenir l’attention.

Quelques jours avant Noël, une Assemblée nationale quasiment vide a été saisie en séance de nuit d’une proposition de loi du groupe socialiste sur la «modernisation des règles applicables à l’élection présidentielle». Le texte, dont le rapporteur était Jean-Jacques Urvoas, désormais ministre de la Justice, doit arriver aujourd’hui en discussion au Sénat. On aimerait croire cette réforme dépourvue de toute considération tactique. Ce n’est malheureusement pas le cas. En dehors d’un toilettage réglementaire nécessaire, l’objectif est d’éviter, notamment à gauche, la multiplication des candidatures. Dans un rapport sur «La politique et l’argent», Philippe Séguin avait autrefois exprimé une préoccupation exactement inverse : il faut veiller, disait-il, à ne pas avantager à l’excès les grands partis en place et favoriser l’émergence de courants de pensée nouveaux. Comme il avait raison ! Compte tenu des bouleversements en cours aux quatre coins de l’Europe, la présence de ces courants de pensée est plus que jamais nécessaire, à droite comme à gauche, sauf à provoquer une nouvelle aggravation de la crise institutionnelle.

Une première disposition de la proposition de loi pourrait être discutée à l’infini : la publicité intégrale des parrainages des candidats (article 3). Faut-il privilégier le secret des parrainages qui garantit une vraie liberté d’opinion ou bien la transparence qui fait honneur à la vie politique ? Derrière ce noble débat, ceux qui connaissent le fonctionnement des grands partis savent que le véritable enjeu est ailleurs. Rendre public tous les parrainages, c’est mettre entre les mains de ces partis deux armes de dissuasion à l’égard de ceux qui seraient tentés de parrainer des candidats de division : le refus d’investiture pour de prochaines élections, l’arrêt des subventions pour les maires indisciplinés.

Le professeur de droit constitutionnel Guy Carcassonne, que Jean-Jacques Urvoas aime citer, s’était prononcé contre la publicité des parrainages au cours d’un débat à l’initiative du Conseil constitutionnel, le 22 février 2013 : «Je ne suis pas sûr qu’il y ait lieu à changer la publicité des parrainages par rapport au système existant.» Il ajoutait : «Je suis très sensible […] à éviter tout ce qui pourrait ressembler à un pré-premier tour d’une manière ou d’une autre. A cet égard, transformer la quête aux signatures […] en une course de performance, où chaque candidat aura à cœur de montrer qu’il a le plus de soutiens à cette occasion, me paraît profondément malsain. Parce que cela ne correspond ni à l’objet, ni à la règle, ni à la logique même de l’élection présidentielle.»

Guy Carcassonne ne croyait pas si bien dire : la «course de performance» est instituée par le nouveau texte avec la publication des parrainages par le Conseil constitutionnel au moins deux fois par semaine. Mais il y a plus grave. L’équité remplacerait l’égalité pour les temps de parole dans les médias audiovisuels pendant la période dite «intermédiaire» (article 4), c’est-à-dire pendant les trois semaines qui précèdent l’ouverture de la campagne officielle, une période où la campagne est la plus intense puisqu’elle suit la publication de la liste des candidats. L’égalité des temps de parole ne serait assurée que pendant les quinze derniers jours de la campagne, c’est-à-dire pendant la période où la campagne est pour ainsi dire déjà terminée, puisque les candidats craignent par-dessus tout de faire une faute qui leur serait fatale dans la dernière ligne droite.

Ici aussi, on avance de nobles arguments : le grand nombre de candidats au premier tour empêcherait l’organisation de débats, puisque l’on doit respecter l’égalité des temps de parole. Mais le remède proposé serait pire que le mal. Compte tenu de l’intense pression médiatique, les candidats ne disposant pas d’une solide représentation parlementaire passeraient vite à la trappe. Croire que ce problème ne concernerait que les «petits candidats» serait une erreur. Il concerne tous les candidats, de droite comme de gauche, peu connus ou mieux connus. Le critère de l’égalité est en effet le seul qui soit objectif, incontestable, alors que l’équité peut donner lieu à toutes sortes d’interprétations, par exemple lorsqu’un président sortant dispose d’une large majorité parlementaire et se représente… Cette réforme pourrait ainsi avoir des conséquences inattendues sur la santé de notre vie démocratique.

Ne peut-on vraiment, une fois tous les cinq ans, faire respecter une période de cinq semaines où les dirigeants politiques sont traités à égalité, où les dirigeants en place ne peuvent s’inviter librement, ad libitum, sur les plateaux des grandes chaînes de télévision ? L’élection présidentielle doit être ouverte à tous et à bonne distance des partis politiques. C’est comme cela que l’a voulue le général de Gaulle, qui ne s’est jamais plaint d’être en concurrence avec un inconnu nommé Marcel Barbu !

Nos concitoyens souffrent depuis une dizaine d’années qu’on les prive littéralement de leur vote, en ne respectant pas le résultat d’un référendum, en ne tirant aucune leçon de multiples scrutins, en n’apportant pour seule réponse qu’un slogan : «Nous ne changerons pas de cap !» Et voilà que l’on pourrait maintenant chercher à biaiser le premier tour de la présidentielle ! A vouloir malicieusement être «moderne», on risque de ne plus être démocrate. Confrontés à une crise qui ne cesse de s’aggraver, en France et en Europe, nos concitoyens aspirent au renouvellement des hommes et du débat. Cette réforme est au mieux inopportune.

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Jean-Michel Naulot est l’auteur de Crise financière : pourquoi les gouvernements ne font rien (Seuil, 2013).

Source : Liberation

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