Tour de table

Tour de table conduit par M. Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, au colloque « L’Afrique. Table ronde autour d’Erik Orsenna » du 20 avril 2015.

Jean de Gliniasty [1]
Malheureusement je suis entièrement d’accord avec toi.

En ce qui concerne la démographie, tu as raison de parler d’une complicité implicite des élites. J’ai été très marqué par un entretien que j’avais eu avec Alpha Oumar Konare (Président du Mali de 1992 à 2002) quand il était président de la Commission de l’Union africaine (entre 2003 et 2009) : il considérait que la démographie était non seulement une chance mais une arme pour son pays. Ce professeur d’histoire, ancien président du Mali, homme raisonnable, affirmait que tous ces enfants étaient la force future qui allait nous obliger à les développer. « Et si vous ne nous développez pas, l’argent, on ira le chercher chez vous ! », ajoutait-il.

J’ai occupé pendant trois ans le poste de directeur d’Afrique, après avoir été directeur du Développement et de la coopération scientifique, technique et éducative. J’étais arrivé à la conclusion très simple que, parmi les nombreux facteurs de développement, deux sont fondamentaux. Le premier est un État auquel les gens adhèrent, c’est-à-dire un projet collectif qui plaide pour le patriotisme, une identité. Le deuxième, à l’autre bout de l’échelle, est l’éducation des filles. À partir du moment où les filles sont éduquées, la démographie change, la mentalité change et on a une chance de se développer. C’est le seul facteur commun que j’ai pu trouver dans les problématiques de développement de l’ensemble des questions africaines.

Il y a un pays dont on parle très peu et dont dépendent pourtant l’avenir de l’influence française, l’avenir du développement, c’est la République Démocratique du Congo. Or ce pays a été délaissé même si, sur le plan politique, on a pu agir à un moment donné pour essayer d’assurer sa stabilité. Je suis frappé par la performance de l’ex-Zaïre en termes de taux d’alphabétisation (66,8%, contre 49,7 % au Sénégal). J’imagine que c’est dû au quadrillage des bons pères belges. Mais cela ne va pas durer parce que chaque fois que les évangélistes arrivent dans un village, ils construisent d’abord un temple puis une école de langue anglaise. Mais s’il y a une priorité à donner à notre effort d’accompagnement du développement, c’est bien la République Démocratique du Congo.

Comme tu l’as dit, entendre une conversation en français, sorti du cœur de Dakar, relève de l’exploit. Mais tous les jeunes formés en français à l’université (par des professeurs français), qui ont eu la tête farcie d’idéologie anticoloniale, sont devenus tiers-mondistes, altermondialistes, et, il faut le dire, profondément anti-français. Un changement joue un peu en notre faveur, c’est qu’aujourd’hui ce n’est plus leur problème. Le capitalisme a noyé tout cela dans une espèce d’idéologie du développement, incarné pour eux par les États-Unis et maintenant leur problème c’est d’aller étudier le business aux States. Je ne crois pas que beaucoup d’entre eux iront se former en Chine. Ce qui est sûr, c’est que la plupart des élites qui veulent faire des affaires et se forment aux États-Unis en reviennent avec, vis-à-vis de la France, une distance qui, au moins, n’est plus l’hostilité qu’on pouvait constater dans les départements de sciences humaines lorsque régnait une mentalité postcoloniale associant une grande proximité et un très grand esprit critique et une grande amertume.

Les élites d’Amérique latine viennent souvent en France et la population latino-américaine réserve sa rancœur aux Américains parce qu’ils bloquent l’immigration. En Afrique, l’hostilité envers la France et l’Europe est entretenue par le fait que les gens ne peuvent pas aller librement travailler et vivre en Europe.

Erik Orsenna
Tu sembles défendre le théorème selon lequel moins on est francophone plus on aime la France !

Il y a incontestablement une génération montante, de plus en plus nombreuse et bien formée, d’entrepreneurs partout en Afrique où se déploie une activité immense (je conseille à ceux qui disent que l’Africain ne travaille pas d’aller voir sur place). Le problème est le passage de l’informel à la véritable entreprise qui génère des recettes fiscales, donc de l’État. Les potentiels inouïs ouvrent une possibilité de développement qui est malheureusement très peu suivie par les entreprises françaises qui ne sont pas là. Habituées à bénéficier d’une « chasse gardée », elles n’affrontent pas la concurrence, même face aux entreprises italiennes… qui, elles, construisent les barrages en Éthiopie. Certes il y a une histoire commune mais ce n’est pas le souvenir des campagnes italiennes d’Hugo Pratt [2] en Éthiopie qui explique que les Italiens ont eu ce contrat. Dans ce domaine, à part Bolloré et quelques autres entreprises, la France est très peu présente. Dans le domaine de l’eau, la Compagnie nationale du Rhône se tourne vers l’Amérique latine, l’Asie (Laos, Vietnam), mais elle n’a pas un seul contrat avec l’Afrique malgré son savoir-faire en matière de lutte contre les inondations, d’irrigation, de transport… Autrefois, un transport important empruntait le fleuve Sénégal, aujourd’hui plus aucune chaloupe ne passe sur ce fleuve.

C’est une génération d’entrepreneurs qui, aujourd’hui, se forme en Afrique comme un peu partout dans le monde. Le paradoxe douloureux est qu’ils savent qu’ils ont besoin d’un État mais comme ils ne peuvent pas se développer avec la caricature d’État qu’ils ont en face d’eux, ils essaient d’agir en dehors de l’État. Tout cela bouillonne et j’ai une confiance absolue dans ce dont va accoucher ce grand désordre, dans un délai qu’il est difficile de déterminer. La période de cette génération va être extrêmement secouée, justement pour des questions de rythme de transition, notamment démographique, de formation etc. Mais penser que nous Français avons un tel rayonnement, un tel passé qu’il suffit de laisser faire pour que tous ces gens soient francophones, chérissent la France et signent des contrats avec nous… est un rêve qui n’a absolument rien à voir avec la réalité. Il faut se battre pour avoir des contrats parce que les autres ne sont pas plus mauvais.

Stéphane Gompertz [3]
Je partage globalement ton analyse ainsi que les remarques que Jean de Gliniasty vient de faire.

Je voudrais soulever quelques points.

Tout d’abord j’ai été évidemment ravi de t’entendre parler comme tu l’as fait de l’Éthiopie, un pays que je connais un peu. J’ajouterai deux facteurs aux raisons qui expliquent le développement de l’Éthiopie.

Le premier, c’est que l’éducation y est très répandue, même si les conditions ne sont pas parfaites. Nous avons visité beaucoup d’écoles dans des coins reculés. Elles accueillent 60, 80 élèves, parfois 100, mais il y en a absolument partout. Je me souviens avoir vu, au bord du lac Turkana près de la frontière kényane, une école faite de branchages pour être démontée quand les nomades partent avec leurs troupeaux et qui accompagne les Dassanetchs lors de leurs pérégrinations. Quand j’étais là-bas on disait que le pourcentage d’enfants scolarisés dans le primaire était d’environ 80 %, ce qui à l’échelle africaine n’est quand même pas mauvais.

Le deuxième facteur est la faible corruption, en comparaison avec d’autres pays d’Afrique.

Il y a peut-être une troisième raison, qui va me permettre d’enchaîner sur le deuxième point, c’est que l’Éthiopie est pauvre en matières premières, même si elle a un peu d’or et du café. Tu as parlé du « ventre mou » des pays d’Afrique centrale, je crois qu’une des principales causes des problèmes qu’ils traversent est justement leur richesse en matières premières. C’est vrai pour la RDC, c’est vrai pour la RCA. Feu le Premier ministre éthiopien, Meles Zenawi, disait : « Pour un pays en développement, avoir du pétrole dans le meilleur des cas n’a pas d’effet, dans le pire des cas c’est une catastrophe ». Cela pourrait aussi s’appliquer aux métaux, au coltan (colombite-tantalite), au manganèse et naturellement aux diamants. Le Sud-Soudan n’aurait probablement pas eu de guerre avec le Soudan s’il n’avait pas eu de pétrole, pour son malheur.

Je suis totalement d’accord avec ce que tu as dit de l’intervention en Libye. Intervenir pour des raisons militaires, pour sauver Benghazi, est une chose, contribuer à la chute de Kadhafi en est une autre. Ce fut une erreur majeure. J’étais à Addis-Abeba à l’époque et les Africains nous mettaient en garde : attention, vous allez à la catastrophe, vous allez semer la pagaille dans toute cette région ! Malheureusement ils avaient raison. L’un d’entre eux était Ramtane Lamamra qui était à l’époque commissaire Paix et Sécurité de l’Union africaine et qui maintenant est ministre des Affaires étrangères algérien. Quand j’étais allé en Libye pour la première fois, en 1981, l’attaché militaire français m’avait expliqué que Kadhafi avait davantage de chars que la France et l’Allemagne réunies, non seulement des chars mais aussi des lance-roquettes et toutes sortes d’armes. Maintenant, on sait où elles sont.

À propos de la francophonie, je crois que nous devrions faire un choix. Je partage ton analyse sur l’hypocrisie du discours que nous tenons. Si nous pensons qu’on peut encore faire du français une des langues véhiculaires parlées dans l’Afrique francophone il faut y mettre les moyens et cela coûte très cher. Je ne suis pas sûr que nous en ayons les moyens, je ne sais pas non plus si nous en avons la volonté. Ou alors il faut être cohérent et se résoudre à ce que le français soit une langue pratiquée par les élites, en Afrique francophone mais aussi en Afrique anglophone. En visitant l’Alliance française à Nairobi et à Kampala, j’ai été très frappé par l’intérêt des jeunes élites kényanes et ougandaises pour notre langue et pour notre culture. Il y a là un potentiel qu’on pourrait exploiter. Mais il faut se dire que cela concernerait une minorité de la population, les gens qui aiment notre culture ou les gens d’Afrique orientale anglophone qui veulent commercer avec l’Afrique francophone.

Ceci m’amène au dernier point, très important, que tu as soulevé : les jeunes et les femmes. Oui, bien sûr, il faut faire porter l’effort là-dessus. Il y a des jeunes entrepreneurs, il y a aussi des jeunes qui suscitent des mouvements formidables. Au Sénégal, que Jean de Gliniasty connaît bien, Fadel Barro a cofondé le mouvement « Y en a marre » au moment de la contestation contre Wade, qui voulait s’accrocher au pouvoir. J’ai reçu au ministère cet homme extraordinaire qui prétendait ne pas faire seulement de la contestation politique mais aussi de l’éducation de base. Il voulait créer ce qu’il appelait avec humour le NTS (Nouveau Type de Sénégalais). « Vous vous plaignez d’avoir des rues sales, prenez un balai et commencez à nettoyer devant votre porte ! » disait-il aux jeunes Sénégalais. C’est ce que font les Rwandais sur un mode beaucoup plus organisé : les jeunes sont mobilisés tous les quinze jours pour balayer les rues, moyennant quoi Kigali ressemble aux villes suisses. Donc il y a beaucoup de perspectives, beaucoup de potentiel chez ces jeunes et évidemment chez les femmes. Nous avons rencontré des femmes extraordinaires en Afrique, en Éthiopie, au Burundi et ailleurs. Il faut aider leurs mouvements, leurs ONG. Nous avons pour cela un très bel instrument, le Fonds social de développement, qui permet aux ambassades d’utiliser librement des crédits sans devoir d’abord demander l’autorisation à Paris. Naturellement les crédits sont assez réduits mais je crois que c’est une piste à suivre. Avec peu d’argent on peut faire des choses extraordinaires.

Erik Orsenna
Merci, cher Stéphane.

Je voudrais réagir sur trois points.

L’ambassadeur Warin et moi-même, à l’occasion de nos luttes communes, parlions souvent du théorème de la malédiction des matières premières qui se vérifie presque partout.

À l’époque où j’étais responsable de l’exercice « 5+5 », lien entre l’Europe du sud et l’Union du Maghreb arabe, j’allais tous les mois en Tunisie, en Algérie et au Maroc. J’y constatais que le dynamisme économique était inversement proportionnel à la détention de matières premières par les pays : la Tunisie, qui n’avait aucune matière première, devançait le Maroc qui en avait un peu et l’Algérie, qui en avait beaucoup, était dans une situation catastrophique.

Si je voulais faire mon petit Piketty, je travaillerais sur la rente.

Très peu de pays ont été capables de changer une rente en développement. En Europe, il y a la Norvège qui a des conditions démographiques particulières mais dont le fonds souverain est assez exemplaire. Il y a le Chili, où la nationalisation et la bonne gestion du cuivre, selon les années et les cours, rapporte au budget de l’État un, deux ou trois milliards de dollars.

Partout ailleurs c’est une catastrophe.

J’aime beaucoup la RDC, même si, à 10h30 du matin, je m’y suis fait enlever en plein centre de Kinshasa. J’ai passé trois heures très désagréables, avec des vrais faux flics, un flingue sur le ventre et une kalachnikov contre la tempe. Je n’ai jamais eu aussi peur de ma vie qu’à Goma au Kivu, un des endroits du monde les plus beaux que j’aie jamais vus… mais où il n’y a que des fous, tout simplement parce qu’il y a du coltan (colombite-tantalite) et de la cassitérite. Comme on ne peut pas traiter industriellement ces veines extrêmement fines, les exploitations sont forcément artisanales et des petits seigneurs de la guerre sont prêts aux pires abominations pour tenir les territoires et les mines. On imagine la RDC sans matières premières : la richesse, fruit de l’agriculture, serait dispersée et ce serait un paradis terrestre. Le potentiel de la RDC est au moins équivalent à celui du Brésil.

Cette question de la malédiction des matières premières est essentielle.

Nous aimons énormément le Qatar… mais quand on sait d’où viennent les financements de certains mouvements terroristes au cœur du Sahel, on frissonne un peu devant la capacité de nuisance de qui détient autant de gaz.

Ceci me permet de poser la question du « cocktail énergétique ». Quand on refuse de s’intéresser au gaz de schiste pour des prétextes environnementaux, quand on s’oppose au nucléaire jugé dangereux, on néglige le risque qu’il y a à dépendre pour nos énergies de personnages et de pays extrêmement peu recommandables. Toute source d’énergie est accompagnée à des risques. Une nation doit, non pas ignorer ces risques, mais les assumer et les gérer. La question des matières premières est ma marotte, je reviens sans arrêt sur ces questions et sans arrêt je me heurte à cette malédiction de la rente. Plus les matières premières abondent dans un pays, plus ses dirigeants sont riches et plus la population est pauvre. Je connais très peu de contre-exemples.

Comment changer la rente en développement ? C’est une question vitale.

La distinction lumineuse qu’établit Régis Debray entre la démocratie (un moyen) et la République (un but), m’apparaît de plus en plus pertinente. En dépit de mes convictions démocratiques, j’ai fini par me persuader que la démocratie sans République n’est rien. Ma réflexion m’amène à la conclusion qu’un dictateur n’est jamais là par hasard et que, bien souvent, ce dictateur est un moindre mal. C’est difficile à avouer pour qui a écrit le projet de discours de La Baule [4] … mais c’est le fruit d’une certaine expérience. Ceux qui aiment la démocratie devraient éprouver leurs convictions en observant ce qui se passe en Irak et en Libye sans dictateur. Si j’ose ces propos politiquement incorrects, c’est que le cadre de la Fondation Res Publica nous permet de nous exprimer librement.

Quand on est rentier de la grandeur, il est impossible de choisir : « La France » n’a pas besoin de choisir, la France, c’est la France. Cela s’illustre parfaitement dans ce que tu dis de la francophonie. Nous consacrons à l’éducation de base des moyens très insuffisants à endiguer l’effondrement du français langue véhiculaire mais qui nous manquent ensuite pour attribuer des bourses au niveau universitaire. Et les élites que nous aurions pu attirer désertent la France : Nous avons perdu sur les deux tableaux par incapacité de choix.
Il serait bon que la France se soigne de la pire des maladies, qui affecte en particulier – mais pas seulement – ma famille politique : le déni de réalité.

Alain Dejammet [5]
Anton Prohaska, qui a longtemps stationné au Mali où, en contact avec des diplomates français, il a réussi à obtenir la libération d’otages autrichiens, acceptera peut-être de nous apporter un regard venu de l’étranger.

Anton Prohaska [6]
J’ai en effet passé presque une année au Mali pendant ma mission de libération des otages. J’ai logé à l’ambassade de France où j’ai été très bien accueilli et où j’ai bénéficié d’une hospitalité généreuse et d’une coopération sans faille de la part de tous les services de l’ambassade, notamment de l’ambassadeur Michel Reveyrand de Menthon, qui est devenu un ami. Évidemment mes principaux interlocuteurs étaient des Maliens, avec en tête le Président du Mali et un cercle très restreint de ses proches à qui va aussi ma gratitude.

J’ai ensuite, jusqu’à ce jour, maintenu des contacts avec le Mali. Ces contacts furent intenses et réguliers jusqu’à l’élection du Président IBK (Ibrahim Boubacar Keita) en 2013. Ma dernière rencontre en tête-à-tête avec le Président ATT, à Koulouba, date du 19 mars 2012, deux jours avant la mutinerie de la garnison de Kati. Le Président m’avait fait part à cette occasion de son intention de convoquer une conférence pour régler les problèmes du nord avec les Touaregs et, pour la financer, de s’approcher de l’Émir du Qatar (Sheikh Hamad bin Khalifa al Thani) en raison de l’engagement du Qatar au nord. Pour ce faire il avait l’intention d’appeler le soir-même le Secrétaire Général de l’UIT (Union internationale des Télécommunications), le Malien Hamadoun Toure (SG de l’UIT de 2007 à 201), ami de l’Émir du Qatar. Le Président ATT et le Secrétaire Général de l’UIT avaient en commun de bien connaître le russe pour avoir séjourné dans l’ex-URSS : Amadou Toumani Touré y avait fait l’école d’artillerie et Hamadoun Toure, diplômé de l’Institut technique de ce qui était encore Leningrad, avait obtenu l’équivalent d’un doctorat à l’Université technique de Moscou.

De mon expérience, je pourrais tirer beaucoup de conclusions et d’enseignements qui déborderaient notre débat. Ici je voudrais simplement confirmer qu’à mon avis aussi le bouleversement qu’a vécu le Mali récemment est lié en très grande partie à la politique menée à l’égard de de la Libye. Le Président Amadou Toumani Touré l’avait prévu et n’avait eu de cesse, pendant des années de nous mettre en garde contre cette politique. « Le printemps arabe est notre hiver » avait-il coutume de dire.

Dans la lutte contre les trafiquants et djihadistes on a aussi mal compris le défi que pose à tout président du Mali l’immensité du territoire. On ne peut pas contrôler un espace plus grand que la France – je ne parle ici que du Nord du Mali – sans une présence militaire et administrative permanente, faute de laquelle l’élimination de quelques salafistes n’aura d’autre effet que médiatique mais ses conséquences potentielles seront lourdes pour une population démunie et, dans sa précarité, vulnérable aux tentations financières et autres des trafiquants. Or, si l’on veut s’incruster durablement, fût-ce symboliquement, le seul maintien de 5 000 soldats coûterait 1,5 millions de dollars par mois, charge financière impossible à supporter par le Mali. Le président malien se voyait donc contraint de choisir entre la lutte contre les trafiquants et la lutte contre les djihadistes, avec les piètres résultats que l’on sait, ce qui lui a valu – injustement – l’opprobre de la communauté internationale. Entretemps les djihadistes progressaient discrètement sous le masque de la charité. Les proches du président m’ont répété que les soi-disant ONG caritatives subventionnées par le Qatar constituaient un grave danger. Or personne n’a essayé d’agir.

Le rapport France-Mali a souffert du passé. Pendant mon séjour, mes interlocuteurs maliens me parlaient de relations très dures avec la France, historiquement parlant. Tout cela a été brillamment réparé par l’intervention du 11 janvier 2013 qui a gommé toute ombre qui aurait pu planer sur les relations entre le Mali et son sauveur. Je crois que c’est une chance qui se présente d’accepter les Maliens en tant que partenaires et de leur manifester notre solidarité.
L’élite malienne parle français, ce sont des francophones tout à fait passionnés et l’Institut culturel à Bamako est florissant… [7]

Jérôme Tubiana [8]
Je travaille davantage sur une partie de l’Afrique que vous connaissez peut-être un peu moins : le Tchad, le Soudan et la Corne de l’Afrique. J’ai été l’analyste principal pour la Corne de l’Afrique pour l’International Crisis Group basé à Addis Abeba.

Je voudrais nuancer ce que vous avez dit sur l’Éthiopie, notamment à propos du barrage. L’Éthiopie a pour caractéristique d’être gouvernée par un ancien groupe armé marxiste, converti très hâtivement au capitalisme. S’inspirant surtout de la Chine, ce régime veut conserver un parti quasi unique ou hégémonique peu à peu transformé en investisseur principal dans le pays, notamment à coups de grands projets comme ce barrage. Vous avez présenté comme une surprise et une bonne nouvelle le fait que l’Égypte et le Soudan ont donné leur accord à la construction de ce barrage. Je ne serai pas aussi optimiste que vous parce que c’est surtout un fait politique très opportun, lié à la faiblesse du Soudan et de l’Égypte et à la fragilité de leurs relations. Le Soudan est historiquement une dépendance de l’Égypte et ces deux pays s’étaient effectivement partagé les eaux du Nil en 1959 (rien pour l’Éthiopie, 10 % pour le Soudan et le reste pour l’Égypte [9]). Ces dernières années, les relations entre le Soudan et l’Égypte se sont refroidies et le Soudan a cherché à diversifier ses alliances dans la région, surtout vers le monde arabe, en se rapprochant d’ennemis de l’Égypte, en particulier le Qatar, l’Iran et l’Éthiopie. Le problème est essentiellement politique parce que même si l’Égypte l’accepte, ce barrage est devenu tant en Éthiopie qu’en Égypte un symbole de l’ultranationalisme. L’opposition radicale à tout partage du Nil en Égypte est probablement le seul point commun entre le régime Morsi et le régime actuel, c’est pourquoi je ne pense pas que cet accord durera. D’autre part, l’alliance politique Soudan-Éthiopie, autour du barrage notamment, ne va pas bénéficier aux populations des deux pays, même si elle peut contribuer à la stabilité régionale. L’Éthiopie ne va pas produire de l’électricité pour sa propre consommation mais pour l’exporter, essentiellement vers le Soudan, à prix cassé. En échange, le Soudan va vendre un peu du pétrole qui lui reste à l’Éthiopie, à prix cassé.

Le Soudan avait déjà un barrage très productif, juste en aval, qui servait à produire de l’électricité pour la population soudanaise. Le barrage soudanais va maintenant servir à irriguer de nouvelles terres, contribuant à l’accaparement des terres arables. Le Soudan s’est fait une spécialité de l’accaparement des terres, pas seulement par l’étranger mais par son élite même. L’élite arabisée de Khartoum a depuis toujours voulu faire du Soudan le grenier, non de l’Afrique mais des voisins du Moyen-Orient, à coup d’immenses propriétés foncières. C’est à mon avis un cas typique de la manière dont les élites peuvent continuer à survivre au détriment de leurs populations.

En travaillant sur le coton vous avez dû voir que la zone entre les deux Nil est depuis la colonisation britannique la plus grande ferme irriguée au monde, une ferme totalement industrielle où les terres appartiennent en partie à l’État et, pour l’essentiel, à quelques grands propriétaires du centre du pays. On retrouve de telles zones tout le long du Soudan, notamment autour de la frontière entre Nord et Sud-Soudan et dans toutes les zones de conflit au Soudan. Ce n’est pas un hasard : une partie des conflits concernent l’accaparement des terres. Les gens qui viennent travailler sur ces immenses propriétés sont eux-mêmes des déplacés du conflit, du Darfour en particulier. Les nouvelles terres irriguées se trouvent dans  l’État du « Nil bleu » (An Nil al Azraq), au Soudan, une zone qui a toujours été en conflit et où se déroule actuellement un conflit armé extrêmement violent.

Pour conclure je dirai que même s’il y a des différences dans la force de l’État dans cette région de la Corne de l’Afrique, il y a beaucoup de points communs avec le Sahel de l’ouest et, en fait, cette zone peut faire un peu figure de prolongement du Sahel, notamment le Darfour qui présente énormément de points communs avec le Sahel, notamment l’absence de transition démographique. Je dirai même qu’il y a une véritable compétition démographique instituée entre ethnies, par exemple en Éthiopie ou au Soudan. Le pays est tenu par des minorités ethniques et démographiques qui, pour éviter d’être dépassées démographiquement par les populations qu’elles oppriment, maintiennent une natalité très forte.

À propos de dictature et d’intervention, le Soudan a une particularité dont on parle peu : c’est probablement le seul pays d’Afrique où un gouvernement bombarde sa population depuis plus de cinquante ans avec des moyens aériens, des armes interdites, des armes chimiques etc… Je ne plaide pas en faveur d’une intervention mais le silence est quand même un peu gênant face à ce type de régime.

Erik Orsenna
Je reviens du Laos où sévit un régime marxiste issu du Pathet Lao et où la situation en termes d’hydroélectricité est très comparable. Les deux tiers du pays, sur les premiers contreforts de l’Himalaya, sont montagneux et les deux ressources de ce pays sont l’hydroélectricité et la drogue. L’électricité produite par les nombreux barrages sur le Mékong et ses affluents ne sert pas à développer le Laos mais elle est vendue à la Thaïlande qui d’ailleurs finance ces barrages. On retrouve là une situation de rente tout à fait équivalente à la rente pétrolière : une fois que les barrages auront été payés, c’est l’élite communiste hyper-corrompue issue du Pathet Lao, et pas du tout la population, qui va bénéficier de la rente. On est donc dans une situation analogue à celle que vous décrivez.

Le modèle de l’État capitaliste fonctionne assez bien en Chine et ailleurs dans le monde. Je veux témoigner d’une expérience beaucoup plus proche : Je faisais remarquer à mes amis communistes de Saint-Denis et de La Plaine-Saint-Denis que, sur leur territoire, les grues tournent, les équipements se multiplient et des sièges sociaux s’installent partout. La différence entre nous les communistes et vous les socialistes, me répondirent-ils, c’est que nous travaillons dans les entreprises alors que vous les socialistes, vous êtes fonctionnaires, enseignants, vous ne vous intéressez pas aux entreprises. Même si nous contestons la répartition des fruits et de la croissance de l’entreprise, nous aimons bien les entreprises parce que nous savons que s’il n’y a pas d’entreprises, nous n’avons pas d’emploi. C’est pourquoi à Saint-Denis il y a beaucoup plus d’entreprises que dans les municipalités tenues par les socialistes ! Cette remarque m’a vivement intéressé et m’a amené à soutenir la municipalité communiste de Saint-Denis, ce qui a renforcé la haine d’un certain nombre de socialistes à mon égard.

Francis Gutmann [10]

À partir de la Loi Defferre (1956), les entreprises se sont engagées en Afrique. J’ai personnellement connu une époque où les patrons des grandes entreprises se réunissaient chaque mois pour parler de l’Afrique. Il y a eu des grands projets, l’indépendance a pu en ralentir quelques-uns mais elle ne les a pas tous supprimés.

Le temps a passé, les générations ont changé. La nouvelle génération n’avait pas de « passé colonial » mais elle a vécu la naissance du Marché commun. Dès lors les chefs d’entreprises se sont tournés vers l’Europe et ont complètement négligé l’Afrique dont ils ignoraient tout sauf les coups d’État successifs relatés par le journal télévisé. Quant aux politiques publiques, elles se sont intéressées aux gouvernements, aux financements publics et aux droits de l’homme, absolument plus aux entreprises. (Il n’y avait malheureusement pas de communistes dans les politiques de développement !)

Ma deuxième remarque portera sur le défi énergétique. Je mets de côté le Soudan, l’Égypte et la Libye. C’est l’Ouest de l’Afrique qui a le pétrole et le gaz. On pourrait parfaitement par des gazoducs, des oléoducs et des centrales au gaz ou au fuel développer l’énergie dans cette région mais cela pose des problèmes de financement considérables qui ne peuvent se résoudre que par des financements internationaux.

Je suis d’accord avec ce que vous avez dit sur le pétrole de schiste, ou le gaz de schiste, et sur le nucléaire. Le recours au nucléaire suppose des besoins suffisants pour justifier la construction de centrales. Peut-on rassembler les besoins de différents pays pour parvenir à ce seuil nécessaire ? Je n’ai pas la réponse à cette question.

Je poserai une question : Rien ne peut se faire sans État et, si je poursuis votre raisonnement, auquel je souscris, rien ne peut se faire sans dictateur, mais alors comment fait-on des dictateurs ?

Erik Orsenna
Je propose une « ENA des dictateurs » qui, à l’inverse de notre ENA,  interdirait le compromis, obligeant à des choix. J’évoquerai à ce propos le « syndrome de Tulle » : on ne décide pas, on ne choisit pas, on compromet et le compromis entraîne des compromissions. Deux personnages politiques de très haut rang sont venus de la Corrèze et je pense qu’une influence géographique favorise la passion pour le compromis, donc pour l’impuissance.

Alain Dejammet
Entendant cela, je suis obligé de réagir. La Corrèze n’est pas du tout la terre des compromis mais celle de l’offre du « plaçou ». Ce que l’on appelle un « plaçou » en Corrèze est un emploi obtenu grâce à l’entregent de quelqu’un. Un apprenti dictateur qui veut devenir président de la République répand les « plaçous » (huissier à la présidence, appariteur dans une université…). On répand des « plaçous » et cela fonctionne très bien ainsi.

La rente, dans ce cas, sert, sinon au développement, en tout cas à l’entretien de la population. C’est très diffusé, cela peut se concilier avec la gentillesse, avec une forme de compromis mais l’idée forte est quand même le « plaçou ».

Erik Orsenna
Je reviendrai sur la distinction que fait Régis Debray entre démocratie et République. S’il n’y a pas de projet commun on n’arrive à rien. La démocratie a-t-elle la capacité à développer des projets communs ?

Deux maladies de la démocratie éclatent au grand jour en ce moment.

La première est le mensonge. Pour rassembler on ment et, évidemment, on crée de la déception. De déception en démagogie on en voit les conséquences en France.

Plus grave encore, la démocratie est, par nature, prise en tenaille par le court terme, d’autant plus qu’elle est sous le regard permanent de médias de plus en plus obsédés par le dernier scoop ou le dernier buzz. Il en faut de la vertu pour préférer une action qui aurait des résultats à long terme à une action immédiatement visible qui montrera à quel point cet homme politique est actif ! Peut-être l’incapacité à donner une vision claire et républicaine inscrite dans le temps est-elle inscrite dans les gènes mêmes de la démocratie en raison de la nécessité, à intervalles réguliers, d’assurer la réélection.

Il y a des contre-exemples. À Singapour, où le grand timonier, Lee Kuan Yew [11], vient de nous quitter dans la tristesse générale, on réfléchit toujours à trente ans. On travaille sur des maquettes de l’avenir de la ville, de l’avenir du développement etc. Il est vrai qu’il y a peu de démocratie à Singapour…
À l’extrême opposé je citerai la récente pantalonnade de la réforme territoriale en France : en dépit du fait qu’on n’a pas arrêté de changer d’avis de semaine en semaine, un Français sur deux est allé voter sans savoir ce que serait le département quinze jours plus tard. On fait comme si on voulait tuer la démocratie.

Autre contre-exemples, la Norvège, le Chili où il y a une sorte d’intérêt général…

Comment se mettre d’accord sur un projet commun à long terme dans une nation ? Peut-être Jean-Pierre Chevènement le sait-il.

Jean-Pierre Chevènement
Ta réflexion provocatrice m’amène à un simple rappel, c’est que Hobbes est venu avant Locke. Selon Hobbes l’État est nécessaire puisque le citoyen achète sa sécurité au prix de sa liberté, l’État lui assurant la sécurité. Locke (comme Montesquieu) pose le problème de la liberté et donc de la séparation des pouvoirs.

La question qui se pose doit être traitée historiquement. La bourgeoisie a construit son État, en Angleterre, en France, dans les conditions que nous savons. Cet État bourgeois n’est devenu tel qu’après une longue évolution. Il n’a pas succédé à une dictature, car la monarchie était tempérée par le ou les Parlement(s). On oublie qu’au temps très ancien du Haut Moyen-Âge le monarque procédait même de l’élection.

Quelle est en réalité la nature de l’État en Afrique ? Nous avons souvent affaire soit à des États rentiers, soit à des États successeurs de l’ancienne puissance colonisatrice. Nous avons voulu imposer la démocratie sous la forme de l’élection en oubliant que l’élection suppose aussi la formation du citoyen.

Vous avez présenté l’Éthiopie comme un pays nationaliste, où le sentiment de l’identité est très fort. Là est le vrai problème : comment créer des identités nationales africaines assez puissantes pour qu’un État se constitue ?

Nous devons admettre que ces pays ont aussi le droit à l’histoire. Nous-mêmes ne sommes pas devenus une nation facilement, il a fallu presque mille ans ! Il faudrait identifier les pays qui ont un certain sentiment d’identité nationale, ce qui, à mon avis, est une bonne chose.

Les dictateurs se forment « sur le tas ». Nous n’avons pas besoin d’intervenir dans ce genre d’affaires.

Je dirai même que moins on intervient dans la marche de l’Afrique, mieux ça vaut, tant cette dynamique nous dépasse. Il ne faut intervenir que de manière très ciblée, comme sur les questions d’éducation et de formation des enseignants. La Libye, où nous avons fait la même erreur que les Américains en Irak, est un contre-sens absolu, l’exemple parfait de ce qu’il ne fallait pas faire. Il y a des points sur lesquels on peut intervenir utilement, d’autres où il vaut mieux s’abstenir mais cela suppose une réflexion qui me paraît manquer. Je trouve qu’il y a une grande absence de vision dont témoigne l’enthousiasme avec lequel on se projette dans l’année 2050 où il y aurait 700 millions de locuteurs francophones. Ce n’est pas prendre du tout la mesure des choses accessibles.

Je ne suis pas partisan du laisser-faire et du laisser-aller mais je pense qu’il faut cibler les points d’intervention en sachant que la dynamique africaine nous dépasse et que la vraie question est de savoir comment l’Afrique va forger des identités résistantes qui pourront susciter des États de droit. Quelques pays manifestent un certain nationalisme. L’Algérie, par exemple, avec certains défauts, a une conscience très aigüe de son identité nationale. Ce n’est pas forcément une mauvaise chose, loin de là. Malheureusement, la liste des États qui n’ont aucune identité nationale constituée serait trop longue à établir.

Erik Orsenna
Les vraies nations ont en général un État digne de ce nom. C’est le cas du Maroc dont on sous-estime le rôle considérable dans le développement de l’Afrique. Il y a un lien très étonnant entre cet extrême Nord-ouest du continent et l’Afrique du sud. Des échanges de toutes sortes tissent des liens entre ces deux grands pays.

Un petit pays, le Ghana, continue à faire son petit bonhomme de chemin en dépit d’un voisinage un peu difficile. Certains pays dont le Botswana, au sud, réussissent à se développer.

Je reviens sur l’histoire du Mali, un pays que j’aime vraiment très profondément et dont je connais tous les responsables successifs. Comme il n’y a pas d’État à Bamako, on ne voit vraiment pas pourquoi on trouverait une solution dans le Nord-est du Mali. La question du Nord-est est la question des Touaregs, ce conglomérat de tribus diverses que les Français adorent.

Je me suis demandé pourquoi les Français adorent depuis toujours les Touaregs. J’ai trouvé une solution dans mon roman Mali, ô Mali : les Touaregs ayant le double avantage de n’être ni noirs ni arabes, le raciste français de base les trouve formidables. Il faut dire qu’ils ont toujours été des alliés.

Amadou Toumani Touré m’a expliqué de façon lumineuse que la société touarègue, extraordinairement féodale, comporte des nobles, des vassaux et des esclaves. D’autre part, dans le Nord-est du Mali, les Touaregs ne représentent que 15 % d’une population composée de Sonras, de Peuls et de bien d’autres. Selon le critère démocratique du nombre ils sont minoritaires alors même qu’ils règnent en féodaux sur toutes ces populations. Le critère démocratique ne serait donc pas efficient et il faut trouver des constructions assez compliquées. De plus, si les populations sont pauvres dans l’ensemble, les élites économiques touarègues sont extrêmement riches du fait des trafics dont j’ai parlé. Comment articuler cet univers-là ?

S’ajoute à cette question le casse-tête des « zones fluides » de la planète où il n’y a pas d’État.

Vous disiez que la situation nécessiterait 5 000 militaires stationnant en permanence mais ce serait très insuffisant, donc inutile, sur un territoire aussi vaste. D’autre part, comme nous voulons une guerre sans mort français, on demande aux Tchadiens de se faire tuer. C’est ce qui s’est passé dans la campagne soi-disant française de libération du Nord-est.

Jean-Pierre Chevènement
J’ai suivi de près cette affaire et je dirai que les Tchadiens ont été très courageux. Ils ont foncé à 100 km/h sur les djihadistes avec leurs pick up et, naturellement, ils ont essuyé des tirs. Les forces françaises procèdent très différemment (reconnaissances etc.) et, généralement, s’efforcent d’éliminer au préalable les djihadistes qui gêneraient leur progression. Je ne veux rien enlever aux mérites des Tchadiens mais ils ont quand même pris beaucoup de risques. La France a adapté son dispositif, maintenant appelé « Barkhane [12] », d’une manière qui me paraît infiniment plus sensée que ce qui était prévu dans le Livre blanc sur la sécurité de 2008. Simplement, avec 3 000 hommes, nous intervenons sur cette vaste zone où, depuis le Moyen-Âge africain, il y a toujours eu des trafics.

Erik Orsenna
Trafics qui, aujourd’hui, sont beaucoup plus rapides.

Il y a toujours eu des transitions mais ces transitions étaient lentes. Aujourd’hui l’effet rapidité s’observe partout. La communication y ajoute l’ubiquité. On attend des transitions rapides sans lesquelles les rapports démographiques s’inverseraient. Il en est de même dans le domaine climatique où les évolutions ont toujours été très lentes. Aujourd’hui on parle de transitions extrêmement rapides qui menacent les rivages par une montée annuelle du niveau des mers de deux ou trois centimètres. Mais ceci est un autre thème dont nous pourrions parler un autre jour.

J’incite les entrepreneurs avec qui j’ai des liens à aller en Afrique. Bien sûr il y a des risques, mais la croissance est là parce que les besoins sont là, les moyens sont là. S’il arrive que les entreprises qui s’y risquent enregistrent de lourdes pertes, l’Afrique leur permet la plupart du temps des croissances qu’elles ne pourraient pas espérer chez nous.

Patrick Quinqueton [13]
L’aspect très intéressant dans notre discussion est finalement ce passage de l’Afrique à des problématiques plus générales. Cela a quelque chose de relativement rassurant, même sur les sujets inquiétants.

Je voudrais réagir sur trois sujets.

La conscience d’État-nation ne se décrète pas et les découpages issus de la décolonisation ne la facilitent pas toujours. C’est souvent dans des périodes difficiles que cette conscience évolue. Je pense au Burkina Faso, un pays que je connais bien, qui s’est construit une identité dans une révolution aux aspects très variés, c’est le moins qu’on puisse dire. Ces évolutions sont importantes car je ne crois pas que le simple décalque de formules démocratiques puisse faire bouger quoi que ce soit.

Je serais tenté de nuancer un peu l’affirmation selon laquelle on ne parle pas français en Afrique. Quand je me promène dans des capitales d’Afrique de l’ouest j’entends des conversations où alternent des langues locales que je ne comprends pas et des expressions, voire des phrases entières en français. Le français s’intègre donc dans des réalités culturelles extrêmement différentes. Je ne suis pas sûr que, dans un tel contexte, il soit très simple d’avoir une vraie politique francophone, mais le français est présent.

On a évoqué à plusieurs reprises la place particulière des femmes. Là aussi je donnerai un exemple burkinabé qui me semble assez amusant mais très significatif d’une certaine réalité : le Burkina Faso, comme un certain nombre d’autres pays, dont la France, fête le 8 mars. Mais, au Burkina Faso, le 8 mars est un mélange de journée de la femme et de fête des mères, chose incongrue pour nous qui voyons là deux célébrations aux origines historiques extrêmement différentes [14]. Cet hommage aux femmes et aux mères est extrêmement important dans les pays africains les moins développés où les initiatives d’envergure viennent assez souvent des femmes.

Georges Courade [15]
Je voudrais réagir sur la vision extrêmement pessimiste d’Erik Orsenna et rappeler ce que j’avais dit lors du récent colloque de la Fondation Res Publica sur les densités en Afrique [16] : 8 hab./km2 en1950, 36 hab./km2 à l’heure actuelle. Ce n’est pas extraordinaire, mais cela ne signifie pas que les 700 millions d’hectares de terres arables identifiés par la Banque mondiale sont disponibles pour la grande agriculture par l’accaparement foncier. En Éthiopie, on a accaparé plus de 5 millions d’hectares alors que c’est le pays où la paysannerie (entre 11 et 12 millions de petits exploitants) est la plus importante d’Afrique.

Je rappelle que 25 % de la population africaine souffre actuellement de la faim. On ne pourra résoudre le problème de la faim en Afrique qu’en travaillant avec les 35 ou 40 millions de petites exploitations agricoles. L’exemple sud-africain montre s’il en est besoin la dérive à laquelle on peut assister. L’Afrique du sud a engagé une réforme agraire qu’elle n’a pas mise en place. Dans ce pays, 40 000 exploitations blanches fournissent l’essentiel de la production agricole. Près de 4 millions de micro exploitants sud-africains noirs ont été laissés pour compte.

Il faut aussi parler du foncier. Dans le Middle belt nigérian, beaucoup de conflits sont nés des problèmes que pose la superposition des droits fonciers sur ces terres relativement peu peuplées de la Bénoué ou du Niger.

Donc, sur la question alimentaire agricole, il faut vraiment s’interroger sur ce que proposent la Banque mondiale et les grandes sociétés qui veulent faire des très grands domaines qui n’auront pas une grande intensivité agricole (faibles rendements à l’hectare).

L’État, tel que nous le concevons, est très récent en Afrique. Mais il y a eu des États précoloniaux. Jean-François Bayart s’est opposé aux stéréotypes occidentaux en parlant de « la politique du ventre » [17]. L’Afrique a des États néo-patrimoniaux [18].

Je crois qu’il est important de bien situer la question de la formation des citoyens. Si on regarde notre propre histoire française, l’État c’est d’abord l’impôt, ensuite l’école où l’on apprend non seulement le français mais aussi la géographie. J’ai vécu quinze ans au Cameroun. Le taux de scolarisation du sud du Cameroun était de l’ordre de 90 % et tous les élèves savaient dessiner la carte du Cameroun (comme nos écoliers français ont su dessiner l’hexagone autrefois). Dans un grand pays comme la République Démocratique du Congo, on est surpris de voir qu’en dépit de la supposée impuissance de l’État les Congolais, les Zaïrois, se sentent Congolais.

Quand j’étais professeur à l’IEDES (Paris 1 – Panthéon-Sorbonne), j’avais des étudiants de toute la planète. Un jour j’ai demandé aux étudiants sur quoi reposait leur sentiment national : « Qu’est-ce qui fait que vous vous sentez brésilien, japonais… ? » Les réponses étaient intéressantes, par exemple, au Brésil, un pays neuf, le football est très important dans la construction du sentiment national. Au Japon par contre, les étudiants valorisaient une supposée homogénéité ethnoculturelle. C’est dire si l’État-nation est une construction mythique autant que politique jamais stabilisée dans la plupart des pays.

Ajoutons que l’Afrique n’est pas constituée de « pays neufs » comme le Brésil ou les États-Unis et que personne ne travaille sur une table rase. Ce sont des pays anciens, qui ont un très long passé, une histoire qui conditionne largement ce qui se passe aujourd’hui. L’ignorer conduit à bien des échecs dans les entreprises de développement. Au Nigéria, où j’ai travaillé, croyant sans doute faire une sorte de Brasilia, on a installé la capitale au centre du pays. Mais on n’a pas pour autant créé une dynamique, un projet, un « rêve », comme on dit aux États-Unis, qui permettrait aux Nigérians de se reconnaître.

Un des points-clés de la construction de l’État est donc l’école, au sens de l’instruction civique, de la connaissance du pays et de son histoire.

La République fédérale du Nigéria est constituée d’anciens États précoloniaux. On voit d’ailleurs Boko Haram tenter de retrouver la dynamique esclavagiste de l’ancien État du Bornou. L’Éthiopie enfin est un des plus vieux États de l’Afrique [19]. Le continent a connu des formes diverses d’État tout en ayant des modalités actuelles de sa construction assez peu lisibles pour nous par le glaive et les institutions régaliennes.

L’un des plus gros problèmes est de trouver du travail pour la jeunesse africaine. D’après les perspectives, en 2040, en Afrique subsaharienne, un milliard de jeunes chercheront un emploi ou une activité source de revenus. Où vont-ils le trouver, surtout si on fait de grands domaines agricoles ?

L’Afrique ne sera pas l’usine du monde. On n’y verra pas des usines Foxconn [20] avec 300 000 salariés. L’Afrique du sud elle-même n’a pas totalement cédé à la rente dont parle Erik Orsenna et redistribue un peu. On peut donc nuancer l’idée de la malédiction des matières premières.

Il faudra occuper ce milliard de jeunes, leur permettre d’avoir du travail et des revenus parce qu’ils n’auront pas la chance de pouvoir migrer massivement comme les Européens l’ont fait au XIXème siècle. S’il y a migrations, ce seront des migrations internes qui porteront sur 40 ou 50 millions de personnes. C’est pourquoi la question agricole et la question de l’école sont essentielles, cruciales.

Autre réaction sur la pratique de la langue française en Afrique. J’ai travaillé pendant très longtemps chez Karthala [21]. Je suis obligé de dire que la qualité de certains manuscrits africains était nettement supérieure à celle des manuscrits de Français qui nous parvenaient. Au Cameroun, où j’ai vécu longtemps, beaucoup de gens écrivent très bien le français.

On est souvent dans des situations plurilingues. À la différence des Français beaucoup d’Africains parlent relativement bien plusieurs langues, notamment dans les élites mais aussi dans ces classes moyennes qui se développent actuellement et qui vont peut-être constituer la base de cet État de type bourgeois dont parlait Jean-Pierre Chevènement. Même en Afrique du sud, où la police tire sur les travailleurs à Marikana, l’ANC a créé sa propre contestation avec une certaine forme de « lutte des classes ». à travers l’évolution de l’Afrique du sud et du Nigeria on voit se dessiner ce que pourrait être l’Afrique demain dans certaines zones.

Antoine Glaser [22]
J’ai été particulièrement intéressé par ce qui a été dit à propos des « zones fluides ». C’est extrêmement important même si les conditions sont extrêmement différentes entre le Nord du Nigéria, le Nord du Mali, le Nord de Centrafrique ou ailleurs.

Je pense aussi que le Nord du Cameroun a été pendant très longtemps abandonné et livré à Boko Haram. De même, à Bangui, François Bozizé ne connaissait que la capitale et personne ne s’intéressait au nord de la Centrafrique alors même que les miliciens janjawid soudanais  étaient déjà en train de descendre et de financer M. Djotodia. L’abandon, dans ces pays, entraîne l’éclatement des frontières. On voit comment Boko Haram a très facilement trouvé des relais, tant au Niger qu’au nord du Cameroun à travers la langue haoussa et l’ethnie Kanouri.

L’existence de ces zones fluides va diviser l’Afrique entre des zones de très fort développement et des zones complètement abandonnées.

Vous avez raison de souligner à quel point le business français, le patronat français, a pris l’habitude pendant les Trente Glorieuses de travailler sans fournir le moindre effort dans un univers hyper-protégé, un système totalement intégré tant sur la plan politique que militaire et financier. Aujourd’hui le monde a changé : les présidents africains, réunis lors d’un sommet organisé en février à Bercy, ont dit clairement que les liens de sympathie avec la France n’ont plus d’influence sur la signature des contrats qui désormais se fait exclusivement sur la base d’appels d’offres. J’ai été d’ailleurs surpris d’entendre le Président de la République annoncer qu’on allait encore donner de l’argent pour accompagner le business français [23] comme si on n’avait pas assez fait !

À propos de la Libye, il faut rappeler qu’il y avait un équilibre très précaire : Kadhafi faisait les fins de mois des présidents de la région et c’était le grand frère algérien qui assurait la sécurité. Et après avoir critiqué Amadou Toumani Touré qui soi-disant trafiquait, on n’a pas hésité à l’utiliser pour faire libérer nos otages.

Erik Orsenna
Il est vrai qu’on avait tout fait pour qu’il tisse des liens qu’on lui a ensuite reprochés. Je suis absolument d’accord avec vous, il y avait un équilibre plus que fragile.

Je dirai à M. Courade, qui parlait de mon pessimisme, que son optimisme me semble nettement tempéré !

Vous avez raison, la question de l’agriculture est absolument cruciale car un cercle vicieux terrible est lié à l’urbanisation. Des agriculteurs dispersés dans une vaste zone qui se révoltent n’inquiètent pas le pouvoir en place. Mais les révoltes urbaines causées par un riz trop cher menacent les gouvernements. C’est pourquoi, dans le contexte d’une urbanisation galopante, on veut offrir aux urbains une nourriture de moins en moins chère. Pour ce faire, ou bien on écrase les prix des agriculteurs locaux, ou bien on importe en masse de pays qui ont des rendements supérieurs, ce qui oblige les agriculteurs locaux à aller vivre en ville. Ils abandonnent les champs, ce qui renforce encore la tension dans les villes pour avoir des prix bas. Sur les 950 millions d’êtres humains qui ne mangent pas à leur faim, 800 millions sont des agriculteurs. La misère de la nourriture est une misère des agriculteurs. C’est pourquoi la question de l’agriculture est cruciale, d’autant plus que l’agriculture est une des activités qui demandent le plus de capital, dans les champs et dans toutes les infrastructures (chaînes de stockage, de logistique etc.).

La question de l’État est posée. Mais nous avons une vision quelque peu idyllique de nos États, me semble-t-il. Pendant longtemps on a dit : laissons-leur le temps d’avoir des États aussi efficaces que les nôtres. Mais pendant ce temps les nôtres, d’États, se dégradent ! Ils essayent donc d’avancer vers un but qui lui-même recule ! En cinquante ans la notion d’État en France s’est considérablement dégradée, tout comme la notion d’intérêt général qui n’a plus cours dans une France morcelée entre des corporatismes absolument insupportables.

Enfin je voudrais vous dire ma conviction profonde qu’en Afrique nous allons au-devant de troubles encore plus importants que ceux que nous connaissons. Nous en subirons les effets secondaires car nos destins sont liés : ils viendront et on ne pourra pas les arrêter. Vous avez parlé – dans votre grand optimisme – d’un milliard de jeunes sans emploi. Nous sommes évidemment confrontés à cette situation. Au Mali, la moitié de la population a moins de quinze ans et trois mois… Où sont les perspectives ? Quand ils étaient 3 ou 4 millions, ça allait… Mais que vont-ils faire quand ils seront 45 millions?

En résumé, il va y avoir un immense désordre pendant un certain temps. Les entreprises qui auront le courage d’accompagner ce désordre courront de grands risques mais pourront faire fortune car il arrivera un moment où l’Afrique sera un des pôles du développement mondial. Ce n’est pas pour tout de suite, ça va chahuter extrêmement fort, avec des turbulences très violentes mais la vitalité est là, elle n’est pas chez nous.

Je vous remercie.

Jean-Pierre Chevènement

Merci Erik, pour cet exposé passionnant et pour toutes les perspectives que tu as ouvertes. Merci aussi à tous les intervenants de nous avoir fait profiter de leur expérience.

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[1] Ambassadeur de France au Sénégal et en Gambie de 1999 à 2003 puis au Brésil de 2003 à 2006, M. Jean de Gliniasty est nommé directeur d’Afrique et de l’Océan indien en 2006 puis ambassadeur de France en Russie de 2009 à 2013.
[2] Cet auteur de Bande dessinée italien, né en 1927, a rejoint son père en Abyssinie (envahie par Mussolini) à l’âge de dix ans. Beaucoup plus tard il retournera en Éthiopie pour retrouver la tombe de son père. Ce pays inspirera certaines aventures de son héros, Corto Maltese, notamment la série des Ethiopiques (1972-1973), ou Éthiopie, la trace du Scorpion (2005).
[3] Ambassadeur en Éthiopie de 2004 à 2008, Stéphane Gompertz occupa le poste de directeur Afrique au Ministère des Affaires étrangères de 2010 à 2012 puis fut nommé ambassadeur de France en Autriche (2012-2014). Il est actuellement ambassadeur itinérant climat pour l’Afrique.
[4] Allocution prononcée par M. François Mitterrand, Président de la République à l’occasion de la séance solennelle d’ouverture de la 16ème Conférence des chefs d’État de France et d’Afrique à La Baule le 20 juin 1990.
Extrait : « …Il nous faut parler de démocratie. C’est un principe universel qui vient d’apparaître aux peuples de l’Europe centrale comme une évidence absolue au point qu’en l’espace de quelques semaines, les régimes, considérés comme les plus forts, ont été bouleversés…
… Il faut bien se dire que ce souffle fera le tour de la planète…
… Puis-je me permettre de vous dire que c’est la direction qu’il faut suivre. Je vous parle comme un citoyen du monde à d’autres citoyens du monde : c’est le chemin de la liberté sur lequel vous avancerez en même temps que vous avancerez sur le chemin du développement. On pourrait d’ailleurs inverser la formule : c’est en prenant la route du développement que vous serez engagés sur la route de la démocratie…
 »
[5] Ambassadeur de France, Président du conseil scientifique de la Fondation Res Publica.
[6] Diplomate autrichien, bon connaisseur du monde arabe, Anton Prohaska fut ambassadeur à Paris (de 2002 à 2007), à Berne et en Arabie Saoudite après avoir longuement servi à l’ONU auprès du Secrétaire général et s’être occupé du Proche et du Moyen-Orient au ministère autrichien des Affaires étrangères.
Peu après la revendication de l’enlèvement de deux touristes autrichiens par Al-Qaïda, en 2008, le gouvernement autrichien lui avait confié la conduite de la négociation. Anton Prohaska était donc en contact régulier avec le président malien Amadou Toumani Touré.
[7] L’auteur, autrichien qui dans sa jeunesse avait appris le russe, a remarqué que ses souvenirs de cette langue lui avaient été très utiles au Mali pour créer des complicités amicales. En effet, pendant le régime de Moussa Traore, le russe était enseigné au Mali, ou on trouve aujourd’hui des plombiers formés à Moscou. Le président ATT lui-même et quelques-uns de ses proches s’expriment mieux en russe qu’en anglais, le président ayant fait l’école d’artillerie en Russie, d’où aussi sa proposition de lui faire remettre pour son armée l’ancien matériel russe des pays de l’Est après leur intégration à l’OTAN, « matériel qui résiste au climat du Mali et au manque d’entretien. »
[8] Diplômé du Centre de formation des journalistes de Paris et docteur en Études africaines. Jérôme Tubiana a travaillé particulièrement sur les conflits et les crises humanitaires que connaît la Corne de l’Afrique : au Darfour et au Tchad pour Action contre la faim, Médecins Sans Frontières, 24 Hours for Darfur, l’Agence des États-Unis pour le développement. Il a aussi effectué des reportages au Sahara, au Proche-Orient, en Amérique latine et dans les régions polaires et publié de nombreux articles et photographies dans la presse française et étrangère. De ses séjours dans la région du Darfour, au Soudan, il a tiré un récit qui s’étend de 2004 à 2009, compilé dans son livre, « Chroniques du Darfour » (éditions Glénat).
[9] Le premier traité de partage des eaux du Nil fut signé en 1929 entre l’Égypte, formellement indépendante, et le Soudan représenté par Londres, puissance occupante. Cet accord fixait les droits de l’Égypte et du Soudan aux « droits acquis » des deux pays, soit 48 milliards et 4 milliards de mètres cubes d’eau par an. Après l’indépendance de leur pays en 1956, les Soudanais réussirent à imposer à l’Égypte, qui cherchait alors à construire le haut barrage d’Assouan, une révision de l’accord et le nouveau partage, signé en 1959, attribua 55,5 milliards de mètres cubes à l’Égypte et 18,5 au Soudan.
[10] Francis Gutmann a commencé sa carrière au Quai d’Orsay en 1951. En 1957, il entre dans le groupe Péchiney, en particulier pour FRIA, Compagnie internationale pour la production d’alumine en Guinée. À partir de 1963, il devient Secrétaire Général, puis Directeur de Péchiney. Membre pendant quinze ans du Comité Directeur de Péchiney, il assume successivement ou conjointement différentes responsabilités dont celles de directeur des Affaires Africaines, DRH du groupe et PDG de PC Ugine-Kuhlmann. En 1980, Francis GUTMANN est Directeur Général de la Croix Rouge Française. En octobre 1981, il revient au Quai d’Orsay en qualité de Secrétaire Général, fonction qu’il occupe jusqu’en juin 1985, ce qui le conduit, outre le rôle habituel du Secrétaire Général d’animation de l’ensemble de l’action diplomatique, à effectuer différentes missions « de crise » à l’étranger. Il est élevé à la dignité d’Ambassadeur de France en 1985. Nommé ambassadeur à Madrid au lendemain de la signature du Traité d’adhésion de l’Espagne à la CEE, il y reste jusqu’à sa nomination en septembre 1988 à la Présidence de Gaz de France, qu’il quitte en 1993 pour prendre celle de l’Institut Français du Pétrole jusqu’à fin 1995. À partir de 1996, il effectue des missions pour le Ministère des Affaires Étrangères. Envoyé par le Président de la République, il est médiateur pour le conflit des Iles Hanish entre l’Érythrée et le Yémen. Il préside le Conseil Scientifique de la Défense auprès du Ministre de la Défense de 1998 à 2013.
[11] Lee Kuan Yew, ex-Premier ministre de Singapour, principal artisan de la transformation de la cité-État en une économie florissante, est mort le 22 mars 2015.
[12] Lancée le 1er août, 2014, l’opération Barkhane, conduite par les armées françaises, repose sur une approche stratégique fondée sur une logique de partenariat avec les principaux pays de la bande sahélo-saharienne (BSS) : Mauritanie, Mali, Niger, Tchad et Burkina-Faso. La présence des forces françaises est maintenue au Mali comme au Tchad, mais les moyens présents dans ces pays sont désormais mutualisés et les zones d’engagement étendues à l’ensemble de la BSS.
Les missions de la force Barkhane (3 000 militaires, une vingtaine d’hélicoptères, 200 véhicules de logistique, 200 blindés, 6 avions de chasse, 3 drones et une dizaine d’avions de transport) consistent à appuyer les forces armées des pays partenaires de la BSS dans leurs actions de lutte contre les groupes armés terroristes et à contribuer à empêcher la reconstitution de sanctuaires terroristes dans la région.
[13] Conseiller d’État, administrateur et membre du conseil scientifique de la Fondation Res Publica
[14] La fête des mères, née en 1906 est inscrite au calendrier par le Maréchal Pétain en 1941. La date du 8 mars, décrétée journée internationale des femmes par Lénine en 1921, est officialisée par les Nations Unies en 1977 comme journée pour le droit des femmes.
[15] Directeur honoraire de recherches à l’Institut de recherche pour le développement (IRD), auteur de Les Afriques au défi du XXIe siècle (Belin, 2014) et L’Afrique des idées reçues (réédition en cours).
[16] M. Courade était intervenu au colloque « Que peut faire la France en Afrique subsaharienne ? » organisé par la Fondation Res Publica le 15 décembre 2014 
[17] L’État en Afrique : La politique du ventre, Jean-François Bayart, éd. Fayard,‎ octobre 2006.
[18] La caractéristique des États néo-patrimoniaux est le contrôle des ressources par le chef de l’État qui recourt aux techniques de l’allégeance et de la soumission. Une élite dirigeante jouit de privilèges exorbitants par rapport au reste de la société. L’État néo-patrimonial se caractérise par un phénomène de patrimonialisation et d’institutionnalisation. La confusion entre le domaine public et le domaine privé explique l’enchevêtrement entre le politique et l’économique.
[19] L’État éthiopien issu du royaume d’Aksoum est l’un des plus anciens de la planète, obligé pendant des siècles à assurer sa survie dans un environnement musulman.
[20] Foxconn Technology, principalement implanté en République populaire de Chine mais présent dans de nombreux autres sites et pays est le plus important fabricant mondial de matériel informatique. En raison des conditions de travail dans ses usines, des employés les surnomment « usines à suicide » qui, selon une étude universitaire chinoise « peuvent être comparées à des camps de concentration ».
[21] Maison d’édition fondée en 1980, à Paris, avec pour objectif la publication et la diffusion de textes sur les questions internationales en rapport avec les pays du Sud.
[22] Spécialiste de l’Afrique. Ancien directeur de la Lettre du Continent. Auteur de plusieurs ouvrages dont AfricaFrance. Quand les dirigeants africains deviennent les maitres du jeu (Fayard, 2014)
[23] Le 6 février 2015, à l’occasion du forum économique franco-africain à Bercy, le président français a annoncé la création d’« une banque de l’exportation » destinée à faciliter la conclusion de « grands contrats internationaux », notamment en Afrique. Il a également indiqué que l’engagement de la France à hauteur de 1 milliard d’euros pour les nouvelles technologies et pour la transition énergétique en Afrique était « non seulement confirmé mais s’ajouterait au milliard de dollars que la France a décidé d’apporter au Fonds vert » pour le climat.

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Le cahier imprimé du colloque « L’Afrique. Table ronde autour d’Erik Orsenna » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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