Intervention de Sir Peter Ricketts, Ambassadeur de Grande-Bretagne en France, au colloque « Le Royaume-Uni et l’Europe », lundi 8 décembre 2014.
Monsieur l’ambassadeur, je ne sais si toutes ces questions sont pour vous en forme d’interrogation mais je vous donne bien volontiers la parole pour que vous nous disiez quelle vision votre pays a aujourd’hui de l’Europe et de sa place en Europe.
Sir Peter Ricketts
Merci Madame le député.
Je vous remercie, Monsieur le président, d’avoir organisé une soirée de discussion et de réflexion sur mon modeste pays.
Quel plaisir de parler le dernier dans un colloque quand tout a été dit … mais pas encore par tout le monde !
Ceci m’amènera à revenir sur beaucoup des points évoqués par les participants.
Avant d’aborder la question de l’Union Européenne, je crois utile de prendre le temps de revenir sur les relations franco-britanniques telles qu’elles existent indépendamment du contexte européen.
En tant qu’ambassadeur, je peux témoigner de l’importance des relations commerciales, exportations, investissements entre les deux pays. Les investissements français au Royaume-Uni sont énormes. Les engagements, l’intégration économique entre les deux pays ne font que croître, par exemple dans le nucléaire civil. Seuls en Europe, la France et le Royaume-Uni sont en faveur d’un renouvellement de leurs parcs nucléaires. Ce chantier nous engage pour quarante ou cinquante ans avec EDF-Areva qui va renouveler le parc nucléaire britannique.
Nous nous retrouvons aussi sur presque tous les grands sujets en matière de politique étrangère. Comme cela a été dit, en Europe, seules la France et la Grande-Bretagne ont une vision mondiale, un rôle mondial, comme au Conseil de sécurité de l’ONU où nous siégeons ensemble. Les autres pays européens ont des visions régionales, sauf peut-être dans le domaine commercial.
Je ne partage pas votre point de vue (s’adressant à Vivien Pertusot) sur la politique de défense britannique. En particulier, je démens absolument vos propos concernant une énorme et brutale réduction de notre budget de défense, un sujet que je connais un peu pour avoir été secrétaire général de notre Livre blanc en 2010. En fait, notre budget est resté à peu près stable en termes de cash sur les cinq ans du gouvernement Cameron. Nous continuons à dépenser plus que la France et nos forces armées sont au même niveau de capacité que les forces françaises, avec lesquelles elles travaillent d’ailleurs très bien. C’est une conséquence très bénéfique de l’accord de Lancaster House du 2 novembre 2010 [1] qui fait de nos deux forces armées des partenaires privilégiés, que ce soit dans le domaine des opérations ou dans celui des équipements. Nous avons combattu ensemble en Libye et, pour notre part, je sais que nous sommes tout à fait prêts à utiliser les nouvelles forces conjointes que nous sommes en train de mettre en place.
Tout ceci montre qu’indépendamment de l’Union Européenne, nos deux pays coopèrent dans de nombreux domaines : j’aurais pu citer aussi la lutte contre le terrorisme ou la gestion de la migration extra-européenne.
Parlons maintenant de la vision, plus positive qu’on ne le dit, qu’a le Royaume-Uni de l’Union Européenne.
Comme l’ont fait remarquer plusieurs intervenants, nous sommes tous un peu « prisonniers » de nos histoires spécifiques. Nos expériences pendant la Deuxième Guerre mondiale étaient différentes et cela est reflété dans nos approches différentes de l’intégration européenne. Aussi ne pouvions-nous nous reconnaître dans l’idée d’intégration européenne économique construite par Monnet, Schuman et les autres sur les décombres de la Deuxième Guerre. Nous n’étions pas au rendez-vous à la création du Marché commun. Le reproche à l’endroit du Royaume-Uni qui aurait rejoint l’organisation européenne un peu tardivement peut paraître ironique, venant d’une participante française (Mme Schnapper) qui ne peut ignorer que deux vetos ont quelque peu entravé notre marche vers l’Union Européenne…
Nous avons donc intégré ce club quinze ans après sa naissance, quand les règles étaient déjà établies.
Pour nous, l’enjeu du projet européen n’a jamais été la paix et la sécurité, garanties selon nous par l’OTAN, la présence américaine sur le sol européen. Nous avons intégré l’Union Européenne pour des raisons économiques, commerciales. Il ne s’agissait pas pour nous d’un projet politique. Et nous sommes restés à peu près fidèles à cette aspiration originelle du marché commun – maintenant marché unique – qui était le facteur fédérateur, la base de ce club que nous avons rejoint.
Les choses ont beaucoup changé. Aujourd’hui, nous sommes confrontés chez nous à énormément de scepticisme, voire d’opposition à tout projet européen. Cette évolution de l’opinion a été identifiée et analysée par Charles Grant et d’autres intervenants.
C’est la raison pour laquelle nous pensons qu’il faut réformer l’Union Européenne.
Les deux grands partis politiques du mainstream britannique sont en faveur du maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne réformée. Les sondages révèlent que deux Britanniques sur trois y sont aussi favorables.
Reste à définir cette réforme.
Philip Hammond, notre ministre des Affaires étrangères, en visite à Paris la semaine dernière, et Lord Livingston, notre ministre pour le Commerce extérieur, ont tous deux eu l’occasion de dévoiler la vision positive qu’a le Royaume-Uni d’une Union Européenne réformée.
Je tenterai de la résumer en quelques mots.
Tout d’abord, nous ne cherchons pas un exceptionnalisme britannique mais des réformes dans l’intérêt de tous les pays membres de l’Union Européenne.
Vue de Londres, actuellement, l’Eurozone n’apparaît pas en bonne santé économique, que ce soit en termes de croissance, en termes de chômage ou en termes de dette. Dans l’intérêt commun, notre Europe a besoin d’être réformée dans beaucoup de domaines et nous avons des propositions à faire.
Nous soutenons l’intégration de l’Eurozone que, comme tous les pays de l’Eurozone, nous jugeons nécessaire. Vous avez pris le pari de créer une monnaie ensemble, bonne chance ! Mais la stabilité de l’Eurozone exige davantage d’intégration. Les Britanniques n’y feront pas obstacle. Toutefois cela doit aller de pair avec les intérêts des « outs ». Nous sommes un pays « out », nous n’avons pas l’intention d’intégrer l’Eurozone. Mais nos intérêts dans le marché unique doivent être protégés. L’Eurozone et le marché unique doivent fonctionner dans l’intérêt des pays membres de l’Eurozone et de ceux qui n’en sont pas. C’est possible, l’accord sur l’Union bancaire nous en a fourni une preuve récente en articulant les intérêts de la Banque centrale européenne avec ceux des banques centrales qui, comme la Banque d’Angleterre, sont en dehors de l’Eurozone. Il est possible d’aller plus loin dans l’intégration de l’Eurozone tout en renforçant le marché unique avec le Royaume-Uni (partie du marché unique mais pas de l’Eurozone), créant ainsi une architecture européenne en cercles concentriques qui nous paraît être la clé permettant de coordonner les intérêts combinés des différents pays.
Cela suppose un vrai marché unique qui constitue la base de l’Union Européenne. Ce n’est pas encore le cas : alors que les services représentent 70 % de notre PIB, ils ne constituent que 20 % du commerce intra-Union Européenne.
Il y a énormément de gisements de croissance : compléter le marché unique des services, compléter le marché unique digital… Le e-commerce est en pleine expansion. Il représente 8 % de notre PIB mais reste embryonnaire en termes d’activité intra-européenne. La réglementation du e-commerce doit évoluer pour faciliter les échanges numériques entre nos pays. Nous avons besoin de simplification : réglementer moins mais réglementer mieux. Il y a là un terrain où la France et le Royaume-Uni peuvent travailler ensemble. Un vice-président de la nouvelle Commission, M. Timmermans, est en charge de ces questions, c’est très bon signe.
Nous avons des propositions à apporter, venant surtout de notre monde des affaires : un « Business Taskforce » a émis quelques propositions [2] relativement simples avec l’appui du MEDEF et des patrons français. Appliquons-les, surtout pour les PME.
Les démarches administratives doivent être allégées. La création d’entreprise doit être facilitée par une réglementation bien adaptée. Il ne s’agit pas, en simplifiant, de détricoter tous les acquis sociaux, mais il ne faut pas étouffer nos sociétés, nos PME, avec une réglementation inadaptée au monde moderne.
Nous pourrions stimuler notre croissance par des accords de libre-échange. Vous avez dit, M. Pertusot, que nous sommes « friands d’accords de libre-échange ». J’espère que nous ne sommes pas les seuls. C’est un gisement de croissance pour nos économies et tous nos pays ont besoin de croissance. Complétons les accords de libre-échange avec le Japon, avec le Canada et surtout avec les États-Unis.
Nos économies sont tournées vers le monde, nous dépendons tous de nos exportations. Nous devons donc nous battre pour arriver à un TTIP qui ouvre le marché américain, harmonisant les normes afin que nos entreprises conquièrent des parts de marché aux États-Unis et augmentent leurs bénéfices. Le TTIP, que la Commission européenne n’a peut-être pas très bien présenté, suscite des peurs irrationnelles. Il y a des réponses à ces mensonges, comme aux mensonges sur les OGM ou sur les poulets nettoyés au chlore ! Le TTIP est un des gisements de croissance les plus importants qui s’offrent à nous. Il faut donc l’aborder avec confiance.
Nous devons bien sûr renforcer le contrôle des parlements nationaux sur la qualité de la réglementation venant de Bruxelles. Imposons la subsidiarité qui, inscrite dans les traités, n’est pas actée ! Les parlements nationaux peuvent être très utiles pour s’assurer que ce principe est appliqué.
J’ai présenté le projet britannique pour une Europe plus flexible, qui traite plus équitablement ses différents membres, permettant à ceux qui le veulent d’aller vers l’intégration tout en protégeant les intérêts des pays qui n’intégreront pas l’Eurozone. Ce projet est soutenu par les deux grands partis au Royaume-Uni.
En revanche, sur la question de l’immigration, les partis ont des positions différentes. Ce sera un objet de débat lors de l’élection législative qui va se tenir au mois de mai prochain. Dans son récent discours, M. Cameron a affirmé : « La Grande-Bretagne est ce qu’elle est grâce à l’immigration ». C’est très intéressant. Il a ajouté que la Grande-Bretagne appuie le principe de libre circulation des travailleurs (propos peu repris dans la presse française), une liberté qui ne peut pas être sans qualification.
Beaucoup de règles fondamentales de l’Union Européenne ne sont pas appliquées dans leur intégralité. Je pense au Pacte de stabilité, récemment remis en question par certains pays.
À partir de 2004, beaucoup de pays, y compris la France, ont appliqué des mesures transitoires sur la circulation des travailleurs venant des nouveaux pays membres de l’Union Européenne. Pour huit des dix nouveaux entrants, la France a appliqué des mesures transitoires pendant cinq ans (sept ans pour la Roumanie et la Bulgarie). Nous Britanniques n’avons opposé aucune restriction à la libre circulation des travailleurs de l’Union Européenne venant des pays membres entrés en 2004. Nous avons accueilli 1,5 millions de migrants, en termes nets (soit plus de 2 millions en termes bruts) dans la période suivant 2004. Bien sûr, comme le disait justement Charles Grant, beaucoup venaient pour travailler, participer, payer les impôts. Mais l’arrivée massive de migrants venant pour la plupart des autres pays de l’Union Européenne a beaucoup choqué l’opinion publique. La pression exercée sur les hôpitaux, sur le logement, sur les allocations sociales et dans maints domaines explique la réticence de l’opinion publique face à l’immigration. C’est pourquoi M. Cameron a annoncé que s’il est élu Premier ministre, il mettra en œuvre des mesures pour durcir l’accès aux allocations et éviter qu’y accèdent abusivement des personnes qui n’ont jamais travaillé chez nous (nous avons en effet un système d’allocations sociales plus universel que contributif). Ces mesures pourraient répondre aux craintes du public sur cette question d’accès aux allocations sociales, surtout par les nombreux immigrés en recherche d’emploi.
C’est un débat qui touche tous nos pays. L’opinion publique, française comme britannique, s’interroge sur les questions liées à l’immigration.
Notre projet pour l’Union Européenne vise une Europe plus flexible, plus ouverte, qui traite ses membres de façon plus juste, une Europe davantage contrôlée par les parlements nationaux afin de permettre à l’Union Européenne de retrouver la croissance et la création d’emplois. M. Cameron, qui est plus politique que moi, pense que si l’Union Européenne peut être réformée en ce sens, dans l’intérêt de tous les pays membres, le peuple britannique répondra favorablement au référendum annoncé sur le maintien du Royaume-Uni dans l’Union Européenne réformée. Je l’espère.
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[1] Accords de Lancaster House : traités signés lors du Sommet franco-britannique de Londres le 2 novembre 2010 :
– Traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes
– Traité de coopération en matière de défense et de sécurité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord
[2] Simplification de la charge administrative européenne : rapport du groupe de chefs d’entreprises britanniques.
30 recommandations prioritaires et principes clés du groupe de chefs d’entreprises britanniques pour éliminer les freins à la croissance et économiser des milliards de Livres Sterling.
(Prime Minister’s Office, 10 Downing Street et Department for Business, Innovation & Skills First 15 octobre 2013 et 24 février 2014).
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