La relation Royaume-Uni – Union Européenne, état des lieux
Intervention de Mme Pauline Schnapper, professeur à l’Université Sorbonne Nouvelle, auteur de « Le Royaume-Uni doit-il sortir de l’Union européenne ? » (La Documentation française 2014), au colloque « Le Royaume-Uni et l’Europe », lundi 8 décembre 2014.
Je laisserai les questions d’actualité aux autres intervenants pour revenir en quelques minutes sur les facteurs qui expliquent la mauvaise réputation du Royaume-Uni dans l’Union Européenne où il est perçu, en particulier en France, comme un partenaire difficile qui n’a finalement jamais été européen et n’a qu’une idée : sortir de l’Union Européenne dès qu’il le pourra. Je tenterai d’expliquer les origines de cette réputation et surtout de la nuancer et de la comprendre.
L’image du Royaume-Uni dans notre pays est celle d’un État membre entré tardivement dans la construction européenne (seize ans après la création de la CEE), souvent réticent devant les projets d’intégration, à commencer par la monnaie unique mais aussi à propos de Schengen, de la Politique agricole commune, du budget etc. Avant que le résultat de cette situation soit analysé, je voudrais revenir sur les facteurs structurels qui expliquent que le Royaume-Uni ait été un partenaire un peu différent des États membres fondateurs de la CEE.
L’idée selon laquelle l’insularité britannique expliquerait que le Royaume-Uni n’a jamais été et ne sera jamais un pays européen me semble à écarter tout de suite. Le meilleur contre-exemple est l’Irlande pour laquelle, en dépit de son insularité, l’intégration de l’Europe a posé beaucoup moins de problèmes que pour le Royaume-Uni. Le Royaume-Uni est une île mais il n’a jamais été insulaire, il ne s’est jamais détourné du continent européen, il s’est toujours intéressé à ce qui s’y passait, aux menaces qui pouvaient en venir, mais aussi aux échanges avec ce continent. Donc je ne crois pas que le problème vienne de là.
En revanche, plus importants sont les choix qui, au cours des deux ou trois derniers siècles, ont été faits du point de vue de l’identité britannique et de la façon dont le Royaume-Uni a voulu organiser, définir sa place en Europe et dans le monde. En effet, dès le XVIIème siècle, le Royaume-Uni s’est construit et s’est défini en opposition au continent européen, du double point de vue de la religion, protestante par opposition au catholicisme du sud de l’Europe, et de la constitution, celle d’une démocratie parlementaire à une époque où l’Europe était dominée par des monarchies plus ou moins absolues.
Le Royaume-Uni s’est défini comme différent et cette construction, cette identité, est restée très forte jusqu’au XXème siècle.
S’est ajouté à cette opposition au continent ce que Churchill a appelé « le choix du grand large », choix de l’empire, choix du commerce avec le monde entier et choix du libéralisme économique qui n’était pas forcément partagé sur le continent.
Un autre facteur est lié à celui-là : l’expérience de la Seconde guerre mondiale, vécue de manière très différente sur le continent et au Royaume-Uni. Contrairement aux pays continentaux, le Royaume-Uni est sorti victorieux de la guerre et, surtout, muni de la fameuse « relation spéciale » avec les États-Unis qui, pour des raisons parfaitement compréhensibles, a été la priorité absolue de la diplomatie britannique après 1945. Ce choix de la « relation spéciale », fondé tant sur des raisons stratégiques, dans le contexte de la Guerre froide, que sur des choix économiques et politiques, a fait que l’intégration dans une Europe vaincue, affaiblie et soupçonnée de protectionnisme, n’est pas allée de soi.
Ces facteurs expliquent en bonne partie l’entrée tardive du Royaume-Uni, pour des raisons de pragmatisme économique plutôt que pour des raisons d’idéalisme politique. Il ne faut pas oublier non plus les deux vetos du Général de Gaulle, en 1963 et 1967, qui ont différé l’entrée du Royaume-Uni dans la CEE. Celle-ci a été contemporaine de la grande crise économique des années 1970 et, me semble-t-il, depuis cette époque, l’Europe n’est pas associée outre-Manche à l’idée de prospérité. L’Europe a été un choix par défaut, à un moment de déclin économique. Cela explique en partie le fait que l’Europe n’a jamais été aussi populaire au Royaume-Uni que dans d’autres pays membres, même dans les périodes fastes comme les années 1980.
Pour autant, si elle me semble partiellement juste, la réputation britannique est à nuancer. N’oublions pas que depuis quarante ans le Royaume-Uni a contribué, à divers titres, à la construction de l’Europe. Entre autres, le Royaume-Uni a apporté sa tradition politique et économique libérale à la construction de l’Europe et elle a posé beaucoup de bonnes questions à ses partenaires. J’en citerai une seule : L’Europe a-t-elle raison de consacrer 40 % de son budget à la protection de l’agriculture européenne ? Ne devrait-elle pas plutôt utiliser ses ressources limitées pour des projets d’avenir (la recherche, les universités, les technologies etc.) ? C’est une des nombreuses questions soulevées par le Royaume-Uni qui me semblent être utiles pour le débat européen.
Une autre est devenue cruciale depuis quelques années : celle de la dimension démocratique de la construction européenne. Depuis le départ, le Royaume-Uni pose la question de la possibilité même d’établir à l’échelle européenne une véritable démocratie supranationale dans laquelle les peuples européens puissent se projeter. Même si on peut ne pas partager les réponses assez largement négatives que donne le Royaume-Uni à cette question – qu’il a été le premier à poser – celle-ci est devenue cruciale, comme en témoigne l’anti-européanisme grandissant parmi les opinions publiques en Europe.
Marie-Françoise Bechtel
Je vous remercie pour cette synthèse, remarquablement rapide et éclairée, des différents éléments – que vous avez d’ailleurs hiérarchisés – qui font du Royaume-Uni ce que vous avez très bien appelé un partenaire « différent ».
Vous avez évoqué l’apport de la tradition politique et économique libérale qui, elle-même, recèle beaucoup de questions. Vous avez aussi posé la question de la manière dont le Royaume-Uni « secoue le cocotier » en ce qui concerne les grands financements européens. Mais la question de l’agriculture, un immense défi pour le monde de demain, ne devrait pas être sous-estimée.
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