Débat final

Débat animé par Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res publica, au colloque « La réforme bancaire : pomme de discorde ? » du 23 juin 2014.

Olivier Guersent
Je voudrais revenir sur plusieurs points.

Remettons les choses dans le contexte. Aujourd’hui on focalise sur les banques mais les risques de demain sont probablement sur les marchés de systèmes bancaires parallèles dont certains d’entre vous ont parlé.

Karine Berger n’a pas raison de dire que cette réglementation est facultative pour le Royaume-Uni. Selon le projet, si des États membres ont imposé par la loi, de manière structurelle, ce que nous permettons aux superviseurs de faire lorsqu’un certain nombre de critères sont remplis et si ces mesures sont d’effet équivalent, on ne va pas les obliger à détricoter leurs mesures structurelles pour donner aux superviseurs le pouvoir de le faire. Cela postule donc, pour que le Royaume-Uni bénéficie d’une exemption, que l’on vérifie – quand on en connaîtra le détail – que le système qu’il mettra en place produira des effets équivalents à la réglementation que nous proposons. Sinon, ils ne pourront pas s’en prévaloir et seront soumis à cette réglementation. D’ailleurs les Britanniques ne se réjouissent pas de cette soi-disant exemption parce qu’ils voient bien qu’elle les oblige à durcir substantiellement leur réglementation Vickers par rapport à ce qu’ils avaient l’intention de faire. Si le système reste en l’état il ne donne pas un blanc-seing au système britannique qui devra, du moins dans les textes d’application, être suffisamment précis et rigoureux pour arriver au même résultat que ce que nous prescrivons dans notre réglementation. Sinon il n’y aura pas d’exemption.

Plusieurs intervenants déplorent qu’il faille attendre 8 ans et doutent qu’à cette échéance les sommes réunies soient suffisantes. M. Pollin a précisé les questions de pondération du capital. Notre réglementation sur la restructuration et le redressement des banques n’entre pas dans ces considérations. Nous avons choisi de prendre une mesure simple qui est de 8 % du total du passif. Une banque doit être capable d’éponger avec des fonds propres, avec des dettes subordonnées ou pas, 8 % du total de son passif en pertes. La Commission européenne, qui a dû traiter au titre des aides d’État tous les cas d’injection d’argent public (plus de 100, y compris la Royal Bank of Scotland que les Britanniques ont dû nationaliser), dispose d’une banque de données assez solide. En l’appliquant rétroactivement, avec toutes les précautions méthodologiques, on s’aperçoit que si ce système avait été mis en place au moment où la crise bancaire s’est déclenchée, nous serions intervenus avec de l’argent public dans moins de 10 cas (au lieu de 100) et d’une manière beaucoup moins massive. Les effets de déstabilisation de nos dettes publiques et de nos déficits publics en eussent été infiniment moindres.

Il faut mettre les choses en perspective. Faire éponger une partie des pertes par les actionnaires et les créanciers est normal dans un système capitaliste : qui a prêté de l’argent à une entreprise qui fait faillite perd son argent. L’essentiel, c’est de le savoir. Nous vous disons donc clairement que ces prêts ne sont pas garantis. Si cette entreprise bancaire est en difficulté ce papier perdra tout ou partie de sa valeur.

L’intention est de mettre le contribuable en dernière ligne, ce qui ne veut pas dire qu’il n’interviendra pas. Il est même souhaitable qu’il intervienne, si toutes ces digues successives ne suffisent pas, dans les cas où il est préférable de sauver et de restructurer une banque plutôt que de la laisser faire faillite car les coûts pour l’ensemble de l’économie sont plus faibles.

Cela relativise la question du Fonds. Le Fonds n’est pas destiné à financer l’ensemble des coûts de résolution, sinon, comme vous le signalez, il est massivement sous-dimensionné. Il n’est évidemment pas dimensionné pour faire face à une crise systémique… Il faudrait pour cela un fonds de 5 000 milliards d’euros. Il n’y aurait aucun sens à prélever 5 000 milliards d’euros sur l’économie ! Que ferait-on de ces fonds une fois prélevés ? Les placerait-on sur les marchés ? La réalité c’est qu’aucun fonds d’une taille raisonnable ne peut faire face à une crise systémique.

On fait face à une crise systémique avec un ensemble d’instruments, avec une meilleure régulation, avec une meilleure supervision, en intervenant sur la gouvernance des établissements financiers : à cette fin, nous avons fait passer plusieurs législations, des incitations, sur les bonus, sur tout ce qui touche à la gouvernance interne de ces structures, sur le renforcement du pouvoir des superviseurs, sur le renforcement de leurs compétences, de leur coordination.

On obtient un système financier plus solide en jouant sur une multitude de facteurs. Il n’y a ni baguette magique ni formule unique.

Sur la question des fonds propres, j’ai dit dans mon intervention liminaire qu’en réalité la raison pour laquelle nous avions dû faire un mouvement massif de re-régulation, c’est qu’on avait massivement dérégulé dans les 40 ans précédents. Nous étions arrivés à des niveaux de fonds propres des banques proprement ridicules.

On peut penser ce qu’on veut du niveau actuel, ou de ce à quoi Robert Ophèle faisait référence, des titres subordonnés pouvant absorber des pertes, on peut se demander s’il faut des coussins supplémentaires pour les très grandes banques… Mais il importe de savoir qu’on ne raisonne pas sur des systèmes statiques, on raisonne en dynamique. En dynamique, passer d’un état 1 à un état 2 a un coût. Or, depuis 4 ans, pour rendre les banques plus sûres, nous avons dû empiler sur elles des contraintes et des coûts qu’il faut leur laisser un peu de temps pour absorber. C’est la raison pour laquelle le Fonds de résolution monte en puissance sur 8 ans.
La même chose s’applique d’ailleurs à la liquidité. J’étais à l’origine d’une législation européenne qui interdisait d’abord les opérations sur CDS souverains sans besoin de couverture, ensuite les opérations à découvert sur CDS souverains, excellente décision mais qui n’a pas connu tout le succès espéré au Parlement européen… De la même manière nous avions proposé l’obligation de mettre de la liquidité en garantie à tout moment lorsqu’on faisait du trading automatisé. Cela rendait le trading automatisé par algorithmes beaucoup plus cher : de nombreuses opérations basées sur des allers et retours sur des actions (plusieurs centaines de milliers d’allers et retours par seconde), pourtant parfaitement artificielles, devenaient trop chères, les coûts dépassant les gains. On nous a opposé que ces opérations apportent de la liquidité au marché, tout comme les CDS d’ailleurs… C’est vrai mais il y a 10 ans les marchés étaient liquides et rien de tout cela n’existait ! On ne peut pour autant les supprimer d’un trait de plume. C’est ce que j’appelle la problématique du junkie : on vit très bien sans héroïne mais si on commence à en prendre il est difficile d’arrêter.

Dans toutes ces affaires de capitalisation, de liquidité, se posent des questions de transition, de dynamique. Raisonner en système statique nous amènerait à nous représenter un monde beaucoup plus simple que celui dans lequel nous vivons et à prendre des décisions dont les conséquences seraient massives : couper ou restreindre excessivement les moteurs de financement bancaire nous entraînerait tous dans de graves difficultés (nous n’aurions peut-être plus 75 % de satisfaction des demandes de crédit en France…).

Enfin, à la place où je suis, je ne raisonne pas seulement sur la France : en Grèce, le taux de satisfaction des demandes de crédit est de 25 % ! Nous faisons face à une fragmentation terrible des marchés financiers en Europe. L’une des raisons d’être de l’union bancaire est d’essayer de mettre fin progressivement à cette fragmentation de sorte qu’une PME grecque qui serait par hypothèse aussi performante, productive, compétitive, tournée vers l’export que la même PME en France puisse avoir les mêmes chances d’avoir accès au financement.

Karine Berger
Comme M. Guersent je pense qu’il faut lutter contre la fragmentation de l’Union Européenne et particulièrement de la zone euro. Cela passe par une législation européenne identique pour tous. Ce qu’on demande à la Commission européenne c’est de ne pas laisser la possibilité à chaque pays de s’adapter ou pas à la règle commune. C’est la raison pour laquelle je critique le droit d’option laissé aux Britanniques. John Vickers  dit vouloir « protéger les agneaux plutôt que mettre les loups en cage ». C’est pourquoi je dis à M. Pollin que la régulation britannique n’est pas une régulation : quand vous laissez les loups vaquer à leurs occupations tandis que vous essayez de mettre les moutons dans un enclos vous n’avez pas exactement obtenu le résultat que vous cherchiez, l’objectif de la régulation est de mettre les loups dans l’enclos et pas les moutons. De ce point de vue, il faut mettre tous les loups dans le même enclos au niveau de l’Union Européenne.

Dominique Garabiol
Je dirai à Karine Berger que Robert Ophèle a parfaitement décrit le problème propre du système bancaire français par rapport à l’harmonisation européenne et internationale qui est lié à l’histoire du financement de l’économie en France. Depuis 1914-18 nous souffrons d’un manque d’épargne à long terme que nous avons pallié pendant 50 ans par des institutions publiques. Nous avons créé ces institutions pour financer le long terme. À partir des années 60, nous sommes entrés dans un processus de bancarisation massive de la population qui a permis l’émergence de ce schéma de transformation passant depuis les années 80 par les assurances-vie. Je rappelle que l’assurance-vie a été fiscalement avantagée pour prévenir la fuite des capitaux après 81. C’était une réponse à un problème de fuite des capitaux.

Je retiens que Karine Berger se satisfait de Bâle III. Mais, pour résoudre le problème que Robert Ophèle a pointé, Bâle III entraîne fatalement une émergence de la titrisation ou une révision de la fiscalité de l’épargne pour réintermédier l’épargne des Français. On ne peut pas ignorer la structure fiscale de l’épargne qui joue un grand rôle dans la vulnérabilité du système français par rapport aux règles internationales et européennes parce qu’elle accroît la dépendance du système bancaire par rapport aux marchés. Je voudrais savoir si des réflexions sont menées sur ce point.

Le nœud reste les crises systémiques. C’est très bien de mettre en place des règles communes au niveau européen dans le souci de l’équité concurrentielle mais le problème auquel nous avons été confrontés est celui des crises systémiques. Le fonds de résolution traite des problèmes marginaux qui ne méritent pas l’emphase qui a accompagné cette conclusion de la directive et du règlement européen.

Mais je m’inquiète du fait qu’aucun des intervenants n’a mis en cause la politique monétaire. À partir du moment où la politique monétaire est permissive de façon extrême sur la création du crédit, dès lors qu’il n’y a aucun canal d’orientation des crédits entre l’économie réelle et les activités des marchés, les activités de marché sont un trou noir de liquidité apportée par la banque centrale. En effet, les activités de marché dégagent une rentabilité unitaire très faible et les profits constatés depuis des années sur les activités de marché sont liés à une croissance extensive. Les activités de marché ont besoin systématiquement de terrains de jeu supplémentaires. D’où l’intérêt des banques et du marché pour les matières premières, dont Olivier Guersent a parlé. Ce fut ensuite le marché du carbone avec des fiascos tout aussi considérables.

Tant que l’expansion du crédit reste ce qu’elle est et que les banques centrales n’instaurent pas d’instrument d’orientation de la création monétaire vers l’économie réelle, comment peut-on prévenir une crise systémique ?

La solution ne réside pas dans les montants des fonds propres des banques qui ne peuvent aboutir qu’au déversement des crédits sur le shadow banking que j’ai évoqué en introduction. Si on continue de créer du crédit à ce rythme en contingentant les activités bancaires, fatalement la création de crédit se fera par des institutions extérieures au système financier officiel bancaire.

Jean-Pierre Chevènement
Donc il n’y a pas vraiment de solution ?

Dans la salle
Vous vous êtes focalisés sur Bâle III. Or à aucun moment je n’ai entendu un des intervenants parler du prudentiel en matière d’assurance. L’activité bancaire ne se limite pas à la banque.

M. Pollin a parlé du modèle optimal et M. Ophèle a parlé de la nationalisation de la banque britannique. Je sais qu’il y a quelques années un débat a porté sur la recherche de ce modèle optimal. Peut-être vais-je être provocateur en vous posant cette question : ne pensez-vous pas que le modèle optimal, en sortant de toute considération d’ordre idéologique, ne revient pas vers une renationalisation de la banque universelle ?

Jean-Michel Naulot
Une réflexion générale : les choses vont trop lentement. Il y a 7 ans presque jour pour jour (mi-juillet) démarrait la crise financière. À l’été 2007, on découvrait que les salles de trading des banques du monde entier (aux États-Unis, en Europe…) étaient pleines de subprimes. Et on se pose encore la question de savoir si le règlement européen est le bon texte sur l’interdiction des activités spéculatives des banques ! Bravo en tout cas à Olivier Guersent d’avoir pris cette initiative ! Les Américains eux-mêmes le font… Il est vrai que les textes américains ont perdu dans leur version définitive une grande partie de leur portée mais sur le principe nous devrions tous être d’accord.

J’avais une question pour Karine Berger : il a été dit tout à l’heure que les montants de dérivés des 4 grandes banques françaises atteignaient 90 000 milliards d’euros à fin 2013 (45 fois le PIB français, 20 % de l’encours mondial, ce qui est absolument considérable).

À propos des matières premières, dont parlaient M. Chevènement et M. Guersent, je précise que selon un rapport de la CNUCED les dérivés de matières premières représentent 25 à 30 fois les transactions réelles.

La loi bancaire française ne traite pas du tout ce problème. Pour en avoir été praticien, je considère que les dérivés comportent de très bonnes choses mais aussi de très grands dangers. Warren Buffett, qui s’y connaît, disait que c’étaient des armes de destruction massive.

Aujourd’hui, Mme Berger, que faisons-nous ? Cette situation (le fait d’avoir 20 % de l’encours mondial) est-elle ou non satisfaisante  pour les banques françaises ?

J’ai une autre question pour Robert Ophèle. Dominique Garabiol a fait allusion aux déclarations de M. Mark Carney, gouverneur de la Banque d’Angleterre et président du Conseil de stabilité financière, annonçant qu’il s’apprête à ouvrir des limites de financement pour le shadow banking.

Cela ne concerne pas seulement les organismes de marché (ce qui est souhaitable et même indispensable) mais également les brokers dealers américains, les Goldman Sachs, et probablement les gros hedge funds. N’est-ce pas revenir au problème de l’aléa moral, cette fois-ci pour le shadow banking et non pas seulement pour les grandes banques ?

Enfin, Jean-Paul Pollin demande une séparation très stricte et défend la loi Vickers. Mais la loi Vickers ne règle absolument pas le problème du risque systémique. Ce n’est pas parce qu’on sépare les activités qu’on règle le problème du risque systémique. Ce qu’il faut, c’est annuler ce risque. Une bonne manière de l’annuler est de commencer par faire ce que propose la Commission sur l’interdiction des activités spéculatives des banques.

Karine Berger
Le fait que les banques françaises détiennent 20 % des dérivés mondiaux est-il un problème ? Préfèreriez-vous qu’ils soient détenus par les Britanniques, les Américains ?

Vous focalisez sur la question française, ce n’est pas le sujet. Le sujet c’est l’uniformisation des réglementations. Où en sommes-nous ? Nous n’avons pas à ce stade de texte européen adopté sur la séparation bancaire structurelle. J’ouvre les paris sur le fait que la nouvelle Commission européenne n’aura pas mis en première ligne cette question. De plus, les Américains considèrent qu’ils ont fait le boulot… et depuis 6 mois gagnent beaucoup d’argent sur les marchés de dérivés. Puisque M. Naulot est un ancien du secteur, je l’invite à aller voir les profits déclarés depuis 6 mois par certaines banques américaines sur les marchés de dérivés. Nous courons à la catastrophe, non de notre fait mais du leur. Les chiffres sont là. La loi américaine est totalement inopérante. La politique monétaire américaine, c’est du crédit à robinets ouverts et cet argent se déverse aujourd’hui dans les banques d’affaires américaines. Et rien ne vient vraiment du côté des banques d’affaires européennes. Si BNP Paribas va mal, ce n’est pas à cause des 9 milliards d’amende qui vont d’ailleurs faire plus mal au fisc français qu’à BNP Paribas (c’est ainsi que Trésor français voit les choses). Cette banque va très mal parce qu’il n’y a plus d’intérêt pour beaucoup d’opérateurs financiers à faire du trading avec les banques européennes. Ils ont les banques américaines et elles se portent très bien en ce moment.

Robert Ophèle
Je suis tout à fait d’accord avec ce qui vient d’être dit. Ce que décrit Jean-Michel Naulot n’est pas la situation d’aujourd’hui. Aujourd’hui les opérations de dérivés doivent passer par une chambre de compensation, faute de quoi il faut remettre des garanties. La charge en fonds propres a été recalculée de façon massive. Aussi ma crainte n’est-elle pas que les banques françaises fassent trop de dérivés mais qu’elles n’en fassent pas assez : aujourd’hui, quand on veut faire un financement très long, on est obligé de mobiliser des dérivés pour gérer les risques de taux et autres risques associés à un financement de projet long terme. Si les charges en capital sont trop fortes sur ces opérations de dérivés, le système bancaire y renoncera parce que c’est trop cher.

Le terme « dérivés «  est un terme générique qui couvre tellement de choses différentes qu’il faut s’en méfier. Ce qui est mis en place permet effectivement d’encadrer les choses. Ma crainte est plutôt que les BFI françaises perdent du tonus. Pour donner un exemple, les deux premiers SVT (Spécialistes en Valeurs du Trésor) en France, c’est BNP Paribas et Société Générale… Heureusement qu’ils sont là…

Karine Berger
Ce sont ceux qui achètent la dette de la France…

Robert Ophèle
… ceux qui l’achètent et la vendent et qui permettent de la placer. Le fait d’avoir des banques nationales qui permettent de couvrir à bon compte la dette de la France est plutôt une bonne chose et les arsenaux de dérivés y contribuent un peu.

La politique monétaire a été mise en cause plusieurs fois : c’est une explication trop facile. Aujourd’hui, l’excédent de liquidité dans le système de la zone euro n’est pas énorme par rapport à l’excédent de liquidité qu’on trouve ailleurs (d’aucuns le regrettent). Ces excédents de liquidité sont d’ailleurs très pénalisés par une rémunération négative. Ce n’est pas cet excédent de liquidité à rémunération négative qui actionne des mouvements de dérivés extraordinairement importants.

La question est peut-être : pourquoi ne fait-on pas une politique de refinancement plus ciblée sur les besoins réels de l’économie ? C’est précisément ce qui vient d’être annoncé avec le financement à moyen terme programmé à l’automne, assis sur les crédits des banques aux entreprises et aux ménages (hors habitat). Nous avons là quelque chose qui est vraiment ciblé sur le financement direct de l’économie. Attendons de voir comment tout cela va prospérer.

À propos du shadow banking, si on parle des OPCVM (organismes de placement collectif en valeurs mobilières), ils ne sont pas « shadow ». Les OPCVM sont très suivis.

Karine Berger
Je vous interromps : tout ce qui permet un effet levier et n’est pas dans le système bancaire est du shadow banking. Donc toute titrisation qui ne permettrait pas au final de connaître le vrai prix de ce qu’il y a dans l’objet et qui a effectivement un effet levier potentiel – ce qu’on a vu en 2008 – est du shadow banking. Je ne suis pas certaine que l’Union Européenne ne soit pas tentée par le shadow banking actuellement. Les États-Unis ont mis le sujet sur la table, c’est clair au moins…

Robert Ophèle
La tentation existe et il faut y résister.

Jean-Paul Pollin
Il y a un problème entre la réglementation de l’assurance et celle de la banque. On relève des contradictions. Désormais les assurances ne peuvent plus jouer ce rôle de recyclage en achetant comme il faut de la dette émise par la banque.

Étonnamment, on n’a pas parlé ce soir, comme c’est souvent le cas, de la comptabilité en valeur de marché qui est selon moi une absurdité totale (point de vue que je défends sans le moindre succès depuis le début des années 90). Les intermédiaires financiers n’ont pas à mimer les marchés.

Je réaffirme que la séparation permettrait de réduire en partie le risque systémique.

Dans l’histoire les crises marquantes sont les crises bancaires. Les crises de marchés, finalement, ne laissent pas autant de traces. Le krach de 1987 avait été assez impressionnant et chacun redoutait une chute importante de l’activité économique. Or les conjonctures de la fin des années 80 ont été particulièrement brillantes. L’éclatement de la bulle internet n’a pas laissé autant de traces qu’on le prévoyait. En revanche, cette crise est grave, très grave, parce que le système a été touché au cœur et le cœur est l’intermédiation bancaire. Il faut avant tout préserver des facéties des marchés ce cœur du système financier. La séparation des activités n’empêchera pas les phénomènes de contagion entre banques de marchés mais l’impact sur le cœur du système sera pour une bonne part évité.

Jean-Michel Naulot
Si je puis me permettre, vous protégez les déposants mais pas le contribuable.

Jean-Paul Pollin
C’est une autre affaire. Mais, encore une fois, les banques de marché seront effectivement contrôlées. Le plus important est de mettre à l’abri le système bancaire. Par ailleurs, il est vrai que le contribuable peut aussi, dans ces conditions, être mis à contribution, sauf si on prend les mesures de renforcement des fonds propres nécessaires. Et, à vrai dire, renforceriez-vous les fonds propres sur les activités de marché, l’impact que cela pourrait avoir sur le coût des opérations de marché ne me chagrinerait pas le moins du monde.

Jean-Pierre Chevènement
Déposants ou contribuables… ce sont deux variétés de moutons.

Jean-Paul Pollin
La question n’est pas les déposants… mais le crédit ! La crise est grave lorsque le crédit s’assèche. C’est ce qu’il faut éviter.

Dans la salle
Vous avez parlé, M. Ophèle, de l’asymétrie de l’information et vous avez évoqué brièvement la gouvernance.

N’est-il pas possible d’influer sur la gouvernance des banques elles-mêmes en introduisant dans les conseils d’administration des représentants de la « société civile » ou des formes de « lanceurs d’alertes » qui puissent de l’intérieur et en continu tenter de prévenir les dérives que l’on a pu rencontrer ?

Dans la salle
Je voudrais en savoir davantage sur la réforme Debré de 1966 [1] et sur les mesures prises par Delors au début des années 80. On avait parlé de l’investissement à long terme, de favoriser le développement industriel…

Dans la salle
À qui s’appliquent exactement la loi française et la réglementation européenne ?

Olivier Guersent
On a beaucoup parlé de réglementations différentes. D’une manière générale, les règles européennes s’appliquent partout. Les directives nécessitent d’être transposées par une loi française et les règlements s’appliquent directement. Dans le cas spécifique du projet de règlement sur les structures bancaires, il s’appliquerait, dans l’état actuel, aux 28 plus grandes banques européennes. Les autres banques resteraient sous le coup de leur loi bancaire nationale.

Jean-Pierre Chevènement
La présence d’administrateurs venant d’horizons divers aux conseils d’administration n’a d’intérêt que s’il y a une réglementation dont ils puissent surveiller l’application. Sinon, c’est très largement fictif.

Jean-Paul Pollin
La déréglementation bancaire en France date du milieu des années 80 (86-87). J’ai entendu diverses versions. Le gouvernement de la Banque de France, constatant qu’on avait, en vain, tout essayé contre les banques, voyait une solution dans l’introduction de la concurrence. D’autres invoquaient le souci de mieux placer la dette publique : la déréglementation permettrait à l’État de se financer, à meilleur coût, sur le marché. S’ajoutait à ces raisons un effet de mode car cette déréglementation avait été précédée par la déréglementation américaine. Cette réforme avait été menée par M. Bérégovoy. Non seulement elle émanait d’un gouvernement de gauche mais elle avait été faite avec une naïveté tout à fait confondante (qui permet de s’interroger sur le faible niveau de connaissances en économie de notre haute fonction publique, y compris celle de l’administration des finances). Si on devait me demander quel est le problème de fond de l’économie, je dirais qu’à ce moment-là on a branché un système financier à l’anglo-saxonne sur un système économique et social avec lequel il est incompatible (dans la typologie des systèmes financiers, Bruegel – Brussels European and Global Economic Laboratory – classe le système financier français du côté anglo-saxon). C’est une contradiction absolument majeure qui pourrait expliquer bien des choses.

La seule période dans l’histoire qui n’ait pas connu de crise financière va de la fin de la Seconde guerre mondiale aux années 70, une période durant laquelle le système financier était extraordinairement réglementé. Par exemple, pour ouvrir des succursales, on devait demander la permission et les banques étaient effectivement séparées entre banques d’affaires et banques de dépôt. C’est ce système qui a été mis en cause dans les années 60.

J’aimerais qu’on me démontre que ce système qui n’a pas connu de crise a nui au financement de l’économie…

Jean-Pierre Chevènement

J’exprime une certaine nostalgie pour cette époque bénie que vous nous décrivez.

M. Ophèle ne semble pas la partager.

Robert Ophèle
La gouvernance est une question très sensible qui connaît actuellement beaucoup d’évolutions. Aujourd’hui, on ne peut pas être à la fois président et directeur général d’une banque, ces fonctions doivent être séparées. Le président n’est pas dirigeant effectif, il se consacre à l’animation du conseil dans son rôle de surveillance. Cette séparation des fonctions est parfois mal comprise, en particulier dans les groupes mutualistes où les gens sont élus et considèrent que l’élection est une onction qui confère le pouvoir. Nous mettons donc en place des procédures non pour les récuser mais pour les accompagner dans la prise de conscience de la complexité du métier. Les conseils doivent être structurés de manière extrêmement forte avec des comités, en particulier un comité d’audit, comité des risques qui doit rapporter de façon indépendante au conseil. C’est extrêmement important parce qu’il doit être le contre-pouvoir qui, avec des administrateurs indépendants, permet de « challenger » les opérationnels de la direction. Cette organisation de la gouvernance est en train de se mettre en place parce que la directive CRD IV vient d’être déclinée, transposée en droit français. Je reçois tous les jours des lettres de réclamation de gens qui considèrent que nous l’appliquons trop brutalement, bien que nous le fassions de manière progressive. C’est un changement de culture dans nos institutions, banque comme assurance. Le même type de réforme est prévu avec les fonctions-clés dans Solvency II.

Le monde change, nous sommes dans une période de transition. Cette transition va prendre un peu de temps, j’en ai peur. Mais la France n’est pas en retard.

Olivier Guersent
Dans le cadre de CRD IV, Michel Barnier a souhaité ajouter un contrôle des actionnaires, parce qu’il a la faiblesse de croire qu’ils sont les propriétaires de l’entreprise. Beaucoup de matières ne peuvent donc plus être capturées par le conseil d’administration. Le conseil d’administration doit obtenir l’aval des actionnaires, notamment sur la politique de rémunération et sur les 20 plus hautes rémunérations de la banque, ce qui n’a pas manqué de déclencher des protestations : c’est une catastrophe ! C’est totalement injustifié !…

La question de la gouvernance est très importante parce que la crise que nous avons connue, outre tous les déterminants que nous avons cités, est d’abord une faillite de la gouvernance interne des banques, ensuite une faillite de la supervision et enfin une faillite du cadre réglementaire qui n’était pas adapté…

Jean-Pierre Chevènement
… un cadre réglementaire qui n’existait quasiment plus !

Olivier Guersent
… qui avait été sérieusement affaibli.

Dans la salle
J’aurais voulu entendre l’avis des différents invités sur la loi de séparation bancaire telle qu’elle a été adoptée en France.

Jean-Paul Pollin
La réponse est simple : cette loi ne sépare rien, si ce n’est moins de 2% des activités bancaires, comme cela a été reconnu explicitement par les banquiers eux-mêmes. Cela me permet de dire que ce qui a été décrit comme l’impuissance de la réforme Volcker tiendrait au fait que la tenue de marché ne fait pas partie du cloisonnement. Or en réalité, comme l’a dit très bien M. Guersent, le trading pour compte propre ne pèse rien par rapport à la réalité des positions de tenue de marché.

Jean-Pierre Chevènement
La solution était dans la manière de poser le problème…
Merci à Dominique Garabiol qui a pris la responsabilité d’organiser ce colloque, merci à tous les intervenants, très brillants, qui nous ont tous apporté une expérience très enrichissante.

[1] « Michel Debré déploie, au cours des 29 mois qu’il passe au ministère des finances (8 janvier 1966 – 30 mai 1968), une grande ardeur réformatrice. Dans le domaine de la banque, de l’épargne et du marché financier les mesures de modernisation sont particulièrement nombreuses avec la loi du 16 juin 1966 sur l’exercice de la profession bancaire (introduisant une « déspécialisation »), celle du 28 décembre 1966 sur l’usure, le décret du 9 janvier 1967 qui institue le système des réserves obligatoires mais surtout avec les ordonnances du 28 septembre 1967 qui créent la Commission des opérations de bourse (COB), les groupements d’intérêt économique (GIE) et les sociétés immobilières pour le commerce et l’industrie (SICOMI). » Source : http://www.economie.gouv.fr/caef/michel-debre

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