Note de lecture du livre de Jean-Michel Naulot, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, membre du collège de l’Autorité des Marchés financiers de 2003 à 2013, « Crise financière. Pourquoi les gouvernements ne font rien » (Seuil ; 2013), par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica.
Jean-Michel Naulot propose un décryptage complet de la crise financière internationale qui a éclaté en 2007, ainsi que de l’ensemble des mécanismes déviants qu’il a pu observer lorsqu’il était membre du collège de l’AMF. Il constate que les principaux foyers de crise demeurent, en raison de l’immobilisme des responsables politiques, de l’opacité du système et du manque d’information.
Un tableau d’ensemble des dysfonctionnements économiques et financiers sur le plan international.
Au début du livre, au lieu de se plier à une énième analyse de toutes les crises et micro crises financières qui ont marqué les quarante dernières années, l’auteur s’efforce plutôt de souligner les grandes étapes qui ont mené au marasme financier actuel. Son point de départ : la suspension de la convertibilité du dollar en or, l’effondrement du système de Bretton Woods en août 1971 et l’abandon des disciplines qu’il imposait. Cette « implosion du système monétaire international fit entrer le monde dans l’ère des déficits non maîtrises et des changes variables, c’est-à-dire dans l’instabilité permanente » [page 31]. A ce « péché originel » succéda la libéralisation progressive des marchés et une déréglementation accélérée des mécanismes financiers internationaux. Jean-Michel Naulot revient notamment sur le développement industriel des produits dérivés dans les années 70 et 80, en précisant que leur nocivité provient bien de la perversion de leur utilisation à des fins spéculatives, alors qu’ils pourraient être d’efficaces produits de couverture. Peut-être est-ce du côté des hedge funds qu’il faut se tourner pour apprécier la place qu’occupe la spéculation dans le système financier : « la progression de leur encours est spectaculaire, de 40 milliards de dollars en 1990 à 200 milliards en 1995, 500 milliards en 2000, 1900 milliards en 2007, et 2250 milliards fin 2012 ». Et dire que le mot hedge signifie littéralement couverture… On a là l’émanation d’un libéralisme poussé à l’extrême, mais en fait éloigné de l’idée libérale, qui peut aussi intégrer une notion d’ordre pour organiser la liberté des échanges.
Exemple typique, l’auteur consacre tout un chapitre aux Etats-Unis, qui combinent d’un côté « une dette publique et privée très élevée, une absence d’épargne, un déficit commercial, un déficit des paiements courants énormes »… et de l’autre « une vaste sphère financière, alimentée par la banque centrale depuis vingt-cinq ans, peu réglementée » [page 131]. Il s’agit là d’un cocktail très dangereux et qui trahit l’extrême fragilité de la puissance américaine. Tout comme l’euro, au lieu de faire converger les économies de la zone, n’a finalement réussi qu’à creuser davantage les écarts de compétitivité et renforcer les inégalités. Ainsi, l’auteur reprend les nombreuses analyses que Jean-Pierre Chevènement, Jean-Michel Quatrepoint ou Jean-Luc Gréau ont pu développer au cours des nombreux colloques de la Fondation Res Publica consacrés à l’euro. Toutefois, Jean-Michel Naulot ne retient que deux chemins pour sortir de la crise de la monnaie unique : ou l’éclatement de l’euro et le retour aux monnaies nationales, ou bien un « fédéralisme accepté et validé par les citoyens » [page 193] Il ajoute, pour le moins dubitatif : « l’Histoire dira si ce pari fou du fédéralisme est gagnable. Aucun signe tangible n’en est donné pour le moment, ni dans un effort de relance par les pays les moins endettés, ni dans la politique fiscale, ni dans la politique sociale, ni dans la politique énergétique, ni dans la politique étrangère, s’il est même possible d’utiliser ce terme à propos de l’Europe, ni surtout dans les opinions exprimées par les citoyens ». Il n’évoque que très rapidement la monnaie commune (page 187) : « rien n’interdirait non plus de conserver l’euro pour les échanges extérieurs comme le proposaient autrefois Edouard Balladur et John Major ». Sans trop y croire semble-t-il… Or, l’idée de monnaie commune est également une possibilité, voire une opportunité pour remettre un peu de viscosité au sein des économies européennes, respecter les particularités économiques et sociales de chacun des pays tout en conservant une architecture monétaire commune.
Quelles solutions pour « maîtriser la spéculation et mieux distribuer le crédit » ?
« L’urgence est de réduire la bulle spéculative » [page 276], et pour y répondre, Jean-Michel Naulot préconise tout d’abord un dispositif de veille, de surveillance et d’alerte face aux risques financiers, et à ce sujet, pour être réellement efficaces, les instances de régulation européenne, à savoir l’ESMA, l’EBA, et l’EIOPA, doivent être renforcées, l’auteur estimant même qu’elles doivent être supranationales, pour éviter que le régulateur national ne soit tenté de « défendre la compétitivité de sa place ». On voit cependant mal comment le Royaume-Uni pourrait accepter de confier à des instances supranationales la surveillance des activités financières de la City… Concernant les dérivés de crédit sur lesquels les risques sont considérés comme trop importants, il propose une mesure de bon sens : interdire le produit plutôt que de tenter d’adapter la règle à chaque innovation !
« Mais au-delà des remèdes purement financiers, c’est probablement d’une réforme de la démocratie représentative que le monde occidental a besoin » [page 276], il s’agit là d’une piste originale. Jean-Michel Naulot critique en effet une forme de dépendance – plutôt ouverte aux Etats-Unis, plutôt inconsciente en Europe – acceptée par les gouvernements à l’égard des lobbies et des puissances d’argents qui préfèrent laisser vivre les risques systémiques plutôt que d’accepter le contrôle. L’enjeu pour les gouvernements est de mettre l’intérêt collectif au-dessus des intérêts privés de ces acteurs. Les citoyens sont également invités « à prendre le relais des politiques et à s’approprier le débat sur la finance » [page 277], un domaine moins complexe qu’il n’y parait. C’est d’ailleurs une des nombreuses réussites de ce livre : la démythification d’un monde – pas si impénétrable que cela – de la finance qui porte en lui une catastrophe programmée.
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