Par M. Alain Dejammet, Président du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, au colloque « Refaire l’Europe ? Aperçu rétrospectif et esquisse d’une politique » du 2 décembre 2013

Alain Dejammet

J’imagine que chacun ici a ses convictions et compétences. Ce n’est donc pas à moi de présenter un tel sujet sur l’Union européenne.

Deux de nos invités vous sont déjà bien connus.

Vous savez les compétences de Jean-Michel Quatrepoint. Il a été directeur de la rédaction de La Tribune, d’Agefi, de La Lettre A. Aujourd’hui, son regard se porte beaucoup sur la Chine mais il est également un grand familier de Bruxelles, des problèmes, des questions, de toutes les interrogations qui sont soulevées à propos de l’Europe.

Vous connaissez aussi Gabriel Robin qui est déjà intervenu comme orateur à la Fondation Res Publica [1]. Il s’est aussi souvent exprimé depuis la salle pour mettre en difficulté certains experts. Longtemps directeur des Affaires politiques au ministère des Affaires étrangères, Gabriel Robin a également conseillé diplomatiquement le Président Giscard d’Estaing. Je ne suis pas sûr que ses avis aient été toujours bien écoutés. Il prit ensuite quelque distance avec les autorités de notre pays, mettant à profit ce temps d’oraison pour écrire un ouvrage assez aigu sur la diplomatie du Président Mitterrand [2]. Le Président avait, semble-t-il, apprécié à la fois le nom de l’éditeur (éditions de la Bièvre) (preuve de son humour ?), le ton, le contenu et la qualité de cet ouvrage. Celui-ci, en effet, était posé sur son bureau lorsqu’il convoqua Gabriel Robin pour le faire sortir de sa période de réflexion, assez loin du Quai d’Orsay, pour le nommer ambassadeur au poste tout à fait crucial de représentant permanent auprès de l’OTAN. Cet ambassadeur y ferrailla avec un talent unanimement respecté.

Vous connaissez peut-être un peu moins Pierre de Boissieu, le haut fonctionnaire français qui pourtant a été le plus mêlé aux affaires de la construction européenne depuis plus de trente ans. Ayant commencé sa carrière de diplomate en Allemagne, il partage avec Jean-Pierre Chevènement le fait assez rare de bien connaître ce pays et sa langue. Mais, très vite, il est tombé dans le bain européen. Directeur de cabinet du vice-président de la Commission, il acquit, de l’intérieur, une expérience de ce qui se passait à la Commission à Bruxelles. Ce fut ensuite depuis le poste de chef du service de la coopération économique au Quai d’Orsay qu’il observa comment se dénouait la négociation de l’Acte unique, en 1984. En tant que directeur des Affaires économiques et financières, il fut l’une des rares personnes, avec Élisabeth Guigou et Hubert Védrine, à être associé de très près au travail mené par le Président Mitterrand lors de la négociation du Traité de Maastricht. Après avoir quitté ses fonctions de directeur des Affaires économiques et financières au Quai d’Orsay, Pierre de Boissieu fut nommé représentant permanent de la France auprès des Communautés européennes à Bruxelles, ce qui lui a permis, entre parenthèses, de réparer ce qu’il avait sans doute vécu comme un affront à Maastricht : en effet, les directeurs politiques venant des États-nations étaient parvenus à sauvegarder quelques restes de leur rôle en obtenant que fût introduite dans le traité de Maastricht une disposition prévoyant un comité politique – animé par ces directeurs politiques – lesquels avaient coutume de disputer avec le comité des représentants permanents. Mais le traité d’Amsterdam – Pierre de Boissieu ne devait pas être très éloigné des négociateurs français – a supprimé ce comité politique. À l’issue de ce long séjour comme représentant permanent de la France auprès des Communautés européennes – et qui dit représentant permanent ne signifie pas eurocrate absolu – Pierre de Boissieu a occupé pendant dix ans le poste de secrétaire général du Conseil de l’Union européenne. Il vient de quitter ses fonctions. Il a donc accumulé une expérience considérable. Son incontestable connaissance de ces sujets n’exclut pas une certaine acidité dans le jugement qu’il peut porter sur les affaires européennes. Il en fait preuve dans les réflexions qu’il communique à ceux qui occupent encore des postes de responsabilité. Pierre de Boissieu a aussi le mérite d’avoir son franc-parler. Il en avait fait preuve lorsque le ministre français des Affaires étrangères avait été amené à démissionner le secrétaire général du ministère, François Scheer, et son propre directeur de cabinet, Bernard Kessedjian, à la suite de l’accueil en France, peut-être hâtif, d’un dirigeant palestinien très controversé [3]. Mais cette démission forcée avait laissé des traces et quelques fonctionnaires du ministère avaient jugé utile d’en parler à leur ministre et d’exprimer honnêtement leur désapprobation. Pierre de Boissieu avait été l’un des porte-parole les plus francs, les plus décidés, de cette petite cohorte, ce qui n’avait d’ailleurs fait que renforcer l’estime que Roland Dumas avait pour ce grand négociateur des questions européennes.

Donc ce sont trois hommes tout à fait libres, ayant beaucoup d’expérience, beaucoup de jugement, des convictions sans doute différentes, qui vont débattre de ce sujet sous la conduite de Jean-Pierre Chevènement. Pierre de Boissieu va exposer ses vues assez longuement. Il aura affaire ensuite à deux discutants qui auront probablement une approche tout à fait différente, Jean-Michel Quatrepoint pour la partie économique, et Gabriel Robin pour la partie politique.

Jean-Pierre Chevènement

Merci. Comme nous l’avions fait pour M. Brochand il y a quelques mois [4], nous allons donner à M. de Boissieu tout le temps qu’il voudra pour exposer sa réflexion sur l’état de ce qu’on appelle la « construction européenne » et sur ses perspectives.
Nous vous écoutons, Monsieur l’ambassadeur.

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[1] M. Gabriel Robin, Ambassadeur de France, est intervenu notamment lors du séminaire « La France et ses stratèges », tenu le 22 mars 2010.
[2] Gabriel Robin, « La diplomatie de Mitterrand, Ou le triomphe des apparences 1981-1985 », éd. de la Bièvre, octobre 1985.
[3] M. Alain Dejammet fait allusion à l’affaire Habache (1992), du nom de cet arabe chrétien palestinien, membre du FPLP, soigné en France à la suite d’une attaque cérébrale. Israël avait protesté contre l’accueil d’un « chef terroriste aussi cruel ». Le tollé provoqué avait amené Roland Dumas, ministre des Affaires étrangères, à sacrifier le Secrétaire général du Quai d’Orsay, François Scheer, et plusieurs autres hauts fonctionnaires, dont Bernard Kessedjian.
[4] Le 21 janvier 2013, lors du colloque « Occident et mondialisation » organisé par le Fondation Res Publica, M. Pierre Brochand, ambassadeur de France, Directeur Général de la DGSE de 2002 à 2008 avait fait un exposé sur « L’Occident et la globalisation » auquel avait répondu Régis Debray, écrivain, philosophe, fondateur et directeur de la revue « Médium » en développant le thème « Occident, diagnostic ».

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Le cahier imprimé du colloque « Refaire l’Europe ? Aperçu rétrospectif et esquisse d’une politique » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation.

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