Faire réussir individuellement les élèves et collectivement notre pays

Par Daniel Bloch, ancien Président d’université, ancien Recteur, ancien Directeur des enseignements supérieurs.

L’éducation figurait au premier rang du programme du candidat François Hollande, avec notamment deux objectifs pour remettre à niveau notre pays : la réduction par deux, en cinq années, du taux de sorties sans diplôme et sans qualification et une augmentation significative du nombre de diplômés de l’enseignement supérieur. Alors que la proportion de jeunes atteignant ou dépassant le niveau d’un BTS ou d’un DUT (Bac +2) atteignait seulement 40 %, il s’agissait au terme de cinq années d’atteindre 50 %, avec un objectif à plus long terme, celui d’un taux de 50 % au niveau, plus élevé, de la Licence. Cette priorité pour l’éducation se traduisait, concrètement, par un engagement : la création de 60 000 emplois sur la durée du quinquennat, dont 55 000 pour l’enseignement scolaire et 5 000 pour l’enseignement supérieur. Cette promesse aujourd’hui se concrétise.

A ces créations d’emplois s’ajoutent des réformes significatives : une modification des rythmes scolaires, une scolarisation plus importante des enfants de deux ans à l’école maternelle, une priorité dans l’affectation des emplois crées au bénéfice de l’école primaire, une réduction des redoublements, une amélioration des moyens de remplacement, des créations d’emplois de personnels spécialisés, des dispositifs de formation des maîtres, et des emplois au niveau de l’enseignement supérieur pour assurer la réussite en licence.

Rien ne permet cependant d’affirmer aujourd’hui que, d’ici la fin du quinquennat, en dépit des emplois ainsi créés et des réformes engagées, les objectifs visés pourront être atteints – ou même seulement approchés – sans qu’au cours des prochaines années les priorités de l’action ministérielles soient davantage hiérarchisées, car toutes ces réformes n’ont pas la même efficacité.

Mieux prendre en compte la complexité du « système éducatif »

Au cours des dernières années, sous la précédente majorité, le taux de scolarisation des enfants de deux ans s’est effondré, le dispositif de formation initiale et continuée des enseignants a été mis à mal, des emplois ont été supprimés par dizaine de milliers. Au cours de la même période le niveau de nos élèves, mesuré à l’âge de 15 ans dans le cadre du dispositif PISA de l’OCDE, s’est détérioré.

Les dernières évaluations du niveau des élèves ont été conduites en 2009. Les précédentes l’avaient été en 2000, 2003 et 2006. Les élèves évalués à l’age de 15 ans, en 2000, avaient débuté leur scolarité, à l’âge de 3 ans, en 1988, et ceux ayant 15 ans en 2009 avaient entamé leur scolarité en 1997. Tout ces élèves ont donc effectué leurs études dans des périodes où la scolarisation des deux ans était encore significative, où il n’y avait pas eu de retraits d’emplois, et au cours desquelles fonctionnait un dispositif de formation des enseignants, les IUFM, créés en 1991. Ainsi l’éducation de ces élèves a pris place à des périodes où la droite et la gauche se sont succédées au gouvernement. On ajoutera qu’une grande partie des enseignants du premier degré était encore issue des anciennes Ecoles normales d’instituteurs. La dégradation des performances des élèves ne peut donc en aucune manière être attribuée aux mesures d’économie mises en œuvre par le gouvernement de François Fillon, et guère moins à la gauche qu’à la droite: il est ainsi irréaliste d’attendre de la seule «restauration » du dispositif tel qu’il fonctionnait avant le changement de majorité, en 2002, qu’elle permette à la France de se repositionner au niveau des meilleurs. Il s’agit par contre aujourd’hui à la fois de retrouver le sens du temps long, dans le cadre d’une approche « systémique » de l’Ecole, pour traiter des causes des difficultés rencontrées plutôt que de leurs symptômes.

Un premier exemple établissant cette nécessité d’une approche plus globale et plus « scientifique » à la fois est fourni par la question du redoublement, qu’il serait aujourd’hui question sinon d’interdire tout au moins de réduire fortement. Effectivement les pays mieux classés que le nôtre présentent des taux de redoublement sensiblement inférieurs. Cet absence de redoublement mesure la réussite du système éducatif, mais ne provoque pas, par elle-même, cette réussite. Ainsi, au cours des dix dernières années les taux de redoublement en France ont été réduits de moitié. Or ce sont précisément les plus mauvais élèves, et notamment ceux qui auraient redoublé et qui ne redoublent plus, qui ont provoqué l’essentiel de la dégradation des performances de notre pays.

On ajoutera qu’il est injuste de faire supporter la responsabilité du taux élevé de sorties sans qualification au seul Collège, confronté à l’arrivée en sixième de 25 % d’élèves en grandes difficultés, élèves qui ne disposent pas des compétences nécessaires pour mettre à profit les enseignements qui y sont dispensés. On ajoutera que dans le contexte d’un avenir marqué par l’incertitude, avec une espérance de vie qui s’accroît, comment comprendre que l’on demande à ces élèves en difficultés– et pratiquement seulement à eux, de se construire dès le collège un projet d’orientation scolaire et professionnel. Les autres, les meilleurs, ont le temps devant eux…

Cinq actions prioritaires

Le quinquennat n’est cependant qu’entamé et le système éducatif ne peut être géré seulement à la marge par ces créations d’emplois. Sa gestion doit aussi reposer sur des redéploiements, par exemple de postes implantés dans les lycées – dont les structures pédagogiques peuvent être tout à la fois améliorées et simplifiées – vers le premier degré qui lui est sous doté. Il est par ailleurs nécessaire de ne pas disperser les efforts, faute de quoi les objectifs fixés ne pourront en aucune manière être atteints.

A – Première interrogation : faut-il réellement consacrer, comme prévu, la moitié des « nouveaux » emplois d’enseignants à la formation initiale des enseignants ? Et à une formation initiale nécessairement guère améliorée par rapport à ce qui prenait place dans le cadre des défuntes IUFM en raison de l’extrême faiblesse de la recherche française dans le domaine des sciences de l’éducation, faiblesse conduisant à ce que la formation initiale -et continuée – des enseignants tourne en rond ? Ne faudrait-il pas plutôt à la fois mettre cette recherche à niveau et construire des formations professionnelles en deux années, suivant la licence, plus performante tant sur les volets scientifiques que professionnels, en offrant à certains de leurs élèves des contrats d’apprentissage ? On remarquera que les ingénieurs formés dans les « Grandes Ecoles » ne sont pas rétribués en tant qu’étudiant – à l’Ecole Polytechnique près – quand ils sont en formation. Ce privilège accordé aux futurs enseignants est généralement lié à la nécessité d’attirer davantage de licenciés vers le métier d’enseignant, cependant que simultanément des voix officielles affirment que le concours d’accès à ce métier ne peut donner de bons résultats que s‘il y a trois ou quatre fois plus de candidats que de places. Est-ce la meilleure façon d’attirer les étudiants que de prédire que les trois quarts d’entre eux sont destinés à échouer, et ne vaudrait-il pas mieux disposer ainsi d’une véritable école professionnelle, disposant pour former ses élèves de deux années complètes, avec une admission sur dossiers, régulée en flux, et à l’issue desquelles les élèves se feraient décerner un diplôme au niveau du Master, niveau auquel est aussi placé le diplôme d’ingénieur ? Dès lors que le flux de licenciés est insuffisant – et il est deux fois trop faible dans notre pays – il est naïf de penser que l’on aura nettement plus de candidats en leur offrant cet avantage initial. Et l’on ajoutera que si notre pays a besoin de licenciés, ce n’est pas seulement pour les besoins en personnels de l’Education nationale.

B- A l’inverse, les 13 000 emplois prévus pour le premier degré sont en nombre très insuffisant. La prévention des difficultés scolaires constitue pourtant le meilleur investissement. Il garantit à terme la possibilité d’avoir un collège réellement unique et au-delà une réduction significative des taux de sorties sans qualification. Mais point ne suffit de disposer d’emplois. Ces nouveaux emplois, comme ceux déjà engagés ne seront réellement efficaces que sous réserve d’une refondation de la formation initiale et continuée des enseignants mais aussi d’une remise à plat du dispositif de « management » du premier degré, dont on a peine aujourd’hui à percevoir le squelette.

C- On ne peut accepter qu’il y ait des générations perdues, celles constituées des 20 % d’élèves qui sortent chaque année du collège sans disposer des compétences nécessaires pour réussir y compris à un CAP. Il n’y a pas ici de « décrocheurs » mais seulement des élèves que l’on n’a pas su empêcher de décrocher. Ils doivent se voir accorder une seconde chance, sauf à assumer la responsabilité de ne pas apporter assistance à élèves en danger. Certains dispositifs spécifiques, avant la sortie du collège, de « seconde chance », construits sur la base du volontariat, sont temporairement nécessaires. Là encore, une rupture est indispensable. En effet l’Education nationale n’a pas fait la preuve, jusqu’à ce jour, qu’elle savait faire autrement que de mettre en place de tels dispositifs, sans en assurer le suivi et l’évaluation, sans apporter les moyens en personnels indispensables à leur bon fonctionnement, de sorte que ces dispositifs se transforment rapidement, à l’exemple des classes de 3e dites d’insertion, en 3èmes d’exclusion. Là encore, il n’est pas trop tard pour agir.

D – L’objectif de fin de quinquennat pour l’enseignement supérieur, à savoir conduire 50 % des jeunes au niveau au moins d’un BTS ou d’un DUT, et plus tard au niveau au moins de la licence, ne pourra être atteint sans que ne soit rapidement refondée la voie technologique. Les seuls bacheliers généraux ne suffiront pas pour atteindre cet objectif, puisqu’ils ne représentent que 35 % de la génération. De plus les deux tiers d’entre eux atteignent ou dépassent le niveau de la licence : les marges de progrès sont donc limitées. On ne peut donc progresser avec les plans successifs, dits de réussite en licence, que de façon très modeste. Et de plus ces plans ont fait la preuve de leur faible efficacité. Cette refondation indispensable de la voie technologique doit trouver ses bases tout autant au lycée, la formation générale des bacheliers technologiques étant aujourd’hui insuffisante pour leur permettre de réussir comme il le faudrait dans l’enseignement supérieur, qu’au sein de l’enseignement supérieur, où il s’agit de rehausser le niveau du DUT et des BTS, avec une année supplémentaire de formation permettant alors aux étudiants d’accéder à une Licence Universitaire de Technologie.

E – La réussite d’un système d’éducation et de formation se mesure d’abord à la lumière des parcours individuels des élèves, de la petite enfance jusqu’à leur sortie de l’école, mais aussi au vu de leurs conditions d’accès à l’emploi, de leurs capacités à s’y maintenir – parce qu’ayant appris à apprendre – mais aussi à bien vivre en société. La loi dite de refondation de l’Ecole met en avant la construction de « Projets éducatifs territoriaux ». Le gouvernement proposera prochainement par ailleurs divers volets d’une nouvelle loi de décentralisation. Peut-on attendre qu’elles contribuent aussi, l’une comme l’autre, à la réduction des échecs scolaires et, au-delà, à un mouvement d’ensemble vers le haut de la formation et de la qualification ? Les établissements scolaires des zones les plus difficiles doivent devenir des laboratoires de l’innovation, de celle qui porte sur la pédagogie, les contenus des programmes ou les rythmes scolaires. Il ne peut, pour autant que l’on cherche ici encore l’efficacité, y avoir d’un côté l’école, pourvoyeuse de connaissances et de l’autre agissant de façon indépendante, les associations, et notamment celles en charge du périscolaire, qui auraient à organiser des « activités », mais aussi le monde du sanitaire et du médico-social en charge de la santé des élèves, les collectivités territoriales ayant quant à elles simplement à prendre à leur charge les divers coûts de fonctionnement. Il y à, là aussi, de nouvelles cohérences à construire et une nouvelle dynamique à enclencher pour contribuer à la réussite des élèves et de notre pays.

Remerciements. Je remercie Pascal Mercier, Claude Mesliand et André Siganos pour de nombreuses et utiles discussions.

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