Débat final animé par Jean-Pierre Chevènement

Débat final animé par Jean-Pierre Chevènement, Président de la Fondation Res Publica, au colloque « Nouveau pacte social : mode d’emploi » du 21 mai 2013

Mohammed Oussedik
Je souhaite rebondir sur le préalable qui, pour nous, est la création d’emplois, donc le redémarrage de la croissance qui passe par une nouvelle politique industrielle en France. C’est ce qui conditionne tout le reste. Nous ne pourrons pas avoir un « modèle de dialogue social » basé sur la confiance si la France ne retrouve pas une politique industrielle et une politique énergétique. Ce doit être la priorité du gouvernement en place et de ceux qui vont lui succéder. On peut entendre les propositions des uns et des autres pour favoriser cette politique industrielle.

On parle à juste titre de stratégie industrielle, notamment du fait que nos industries ne sont pas suffisamment montées en gamme. Mais il ne faut pas négliger la place du dialogue social qui ne peut pas laisser une partie des salariés sur le bord de la route. Or, parce que nous n’avons pas pris les bonnes décisions stratégiques pour nos filières industrielles, nous sommes amenés aujourd’hui à considérer la compétitivité à court terme, sous l’aspect des coûts, notamment du coût du travail, même s’il n’est pas cité en tant que tel dans le rapport de M. Gallois. Il faut aussi regarder lucidement ce qui a été fait. Une partie de la compétitivité-coût a été réalisée dans certaines filières aux dépens des salariés en situation précaire et des salariés de la sous-traitance. Je partage ce qui a été dit sur le fait qu’on ne retrouvera un nouveau pacte social que lorsque le gâteau sera un peu plus gros. Juste un chiffre : on crée 2000 milliards de richesses en France. Je crois savoir que plus de 170 milliards sont distribués aux entreprises au nom de la compétitivité-coût. L’industrie crée globalement aujourd’hui 200 milliards de richesses. Y a-t-il un moyen de répartir cet argent public, peut-être par des formes de contractualisation à trouver entre les secteurs qui en ont besoin et ceux qui n’en ont pas besoin, qui permettrait de « faire grossir le gâteau » ?

Louis Gallois
Sur la Loi et le contrat je suis d’accord avec ce qui a été dit. La Loi est au-dessus du contrat et vient d’ailleurs, dans le cadre de l’ANI, donner son onction à l’accord tout en ayant permis un certain nombre d’évolutions. Le contrat ne peut pas se substituer à la Loi. Mais l’accord a une vertu mobilisatrice que n’a pas toujours la Loi.

À la différence de Jean-Pierre Chevènement, je ne pense pas que tout se résume à un problème monétaire. Des politiques doivent être menées aux niveaux français et européen. Sans sous-estimer les aspects monétaires, je dirai que la dynamique des Trente glorieuses n’est pas venue du simple fait qu’on a dévalué tous les trois ans mais de notre capacité d’alors de réunir l’ensemble du pays sur un certain nombre d’objectifs. C’était plus facile du temps de la reconstruction, de l’accès à la société de consommation, dans la dynamique d’un monde en croissance plus forte.

Le pessimisme abyssal des Français n’a rien à voir avec la situation réelle du pays. Nous sommes plus pessimistes que les Espagnols, les Grecs ou les Italiens alors que notre pays est en meilleure situation. Nous sommes le pays le plus pessimiste du monde. Les Français manifestent une défiance profonde vis-à-vis de toutes les institutions (Le Monde l’avait montré clairement [1]). Curieusement ils ne croient qu’aux PME et n’ont aucune confiance dans les corps intermédiaires. Je crois essentiel de retrouver une capacité à nouer un pacte social sur les objectifs de reconquête et de croissance.

Il faut interpeller l’Europe sur sa politique, car la croissance ne naîtra pas des politiques françaises. Nos capacités de relance se limitent à l’investissement sur la recherche et l’innovation, les infrastructures et le logement. Il ne faut pas penser que la consommation puisse être un facteur de croissance car la France est actuellement une passoire à l’importation. Une relance de la consommation se traduirait d’abord par un déficit accru du commerce extérieur.
Notre problème vient du fait que nous sommes dans la zone de basse pression de l’économie mondiale et qu’il faut que nous retrouvions de la croissance au niveau européen. On peut ajouter à cela des éléments de parité monétaire auxquels mes précédentes fonctions m’ont évidemment sensibilisé : il y a même des problèmes de parité monétaire entre la France et l’Allemagne qui ne pourront s’atténuer que si l’Allemagne prône des politiques de convergence externe et de croissance interne. Des éléments de politique de relance sont indispensables au niveau des pays excédentaires et au niveau de l’Europe. L’Europe doit emprunter, créer des eurobonds. La BCE doit mener une politique monétaire plus active, en particulier pour refinancer les PME. Le risque d’inflation est nul.

Je le disais, l’Allemagne doit jouer son rôle, notamment sur les salaires du secteur syndiqué. Actuellement, les croissances des salaires sont supérieures en Allemagne à ce qu’elles sont en France, elles sont même, depuis deux ans, supérieures aux gains de productivité. C’est un pas en avant. La modification de la Loi fondamentale interdit aujourd’hui à l’Allemagne le déficit budgétaire. Reste aux Allemands à instaurer un salaire minimum qui permettrait d’en finir avec l’aberration qui fait qu’en Allemagne huit millions de salariés sont payés en dessous du SMIC français, que deux millions d’entre eux sont payés moins de quatre euros de l’heure et que le taux de pauvreté est plus élevé en Allemagne qu’en France ! Enfin l’Allemagne doit accepter que l’Europe mène des politiques de croissance, ce qui signifie qu’elle s’endette de manière raisonnable. L’Europe a une grande capacité d’endettement, absolument intacte, il faut qu’elle s’endette pour financer la croissance au niveau européen.

Jean-Pierre Chevènement
J’aimerais partager cet optimisme.

La croissance de l’Europe est nulle. L’Europe, même globalement, est en récession. L’euro, pour la France comme pour tous les pays de l’Europe du sud, est surévalué. Sans doute est-il sous-évalué pour l’Allemagne.
Je ne prétends pas que la solution réside uniquement une manipulation monétaire dont je reconnais d’ailleurs l’extrême difficulté alors que nous avons renoncé depuis plus de vingt ans à notre souveraineté monétaire.

Je ne distingue rien à l’horizon qui s’apparente au combat qui fut celui du Front populaire puis de la Résistance et déboucha sur le programme du CNR et les réformes constitutives des Trente glorieuses. Pourtant un « combat » serait nécessaire qui fasse converger les intérêts de la France, de l’Italie, de l’Espagne… pour permettre à ces pays de s’en sortir, de concevoir une Europe différente et d’en convaincre les Allemands. Mais nous sommes encore loin d’avoir une vision claire de cette Europe différente. Ceux qui pourraient contribuer à son édification s’enlisent dans des discours irénistes sur une espèce d’union politique qui entraînerait des transferts massifs… ! Un pays comme l’Allemagne ne peut pas l’accepter, nous-mêmes ne l’accepterions pas ! C’est totalement irréel !
Il faut donc trouver d’autres cheminements pour sortir de là.

Comme Louis Gallois, je pense que c’est une vision d’ensemble, motrice de la société française, dans le cadre européen et mondial, qui peut le permettre.

Je suis loin de faire de la simple manipulation de la monnaie l’unique solution… mais, à certains moments, cela permet de sortir de l’ornière. Depuis que M. Abe a décidé de doubler la masse monétaire, la croissance du Japon s’est accélérée entre janvier et mars à 0,9 % (en rythme annualisé, l’économie nippone a crû de 3,5 %). Les États-Unis, de leur côté, affichent 5 % de croissance. Toutes les banques centrales mènent cette politique… sauf la Banque centrale européenne ! Je me contente de faire cette observation.

Patrick Quinqueton
Puisque nous évoquons les perspectives européennes, je voudrais réajuster deux éléments concernant la situation de l’Allemagne. En effet, non seulement beaucoup de ce qui s’y décide – ou, plutôt, ne s’y décide pas – a une influence sur ce qui nous arrive mais nous en avons parfois une vision très inexacte.

Les lois Hartz , contrairement à ce qu’on entend souvent, n’ont pas été négociées. Elles ont fait l’objet d’une concertation très approfondie mais elles ont été votées par le Parlement et n’ont fait l’objet d’aucun accord national interprofessionnel.

L’apprentissage, en Allemagne, est un excellent moyen de formation professionnelle, répète-t-on. Mais les employeurs allemands considèrent que le système français de formation professionnelle est aussi bon. Il est clair que l’apprentissage, en Allemagne, est un moyen très important d’intégration dans l’entreprise, mais dire que c’est un moyen très efficace de formation professionnelle me paraît relativement inexact. Peut-être le système français privilégie-t-il une formation in abstracto. La grave question de l’entrée dans l’entreprise et du chômage des jeunes doit peut-être nous conduire à une vision un peu différente.

Quand on compare la France à Allemagne, il faut donc se méfier des visions excessives. La loi n’est en aucune façon négociée en Allemagne. Seul le niveau des salaires fait l’objet de négociations importantes. On peut en observer les résultats avec la forte hausse des salaires dans la période actuelle.

J’aurais aimé que nous parlions de la Gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), mais sans doute n’en aurons-nous pas le temps aujourd’hui. En effet, il me semble qu’il y a là un enjeu important : le passage d’une vision parfois un peu abstraite de ces questions à une vision très concrète, donc reliée à une stratégie d’entreprise et, au-delà, à une stratégie industrielle. Je veux dire qu’il n’y a pas de bonne façon de gérer les compétences indépendamment d’un projet industriel avec quelques repères. C’est sans doute dans ce domaine que nous aurions besoin de progresser.

Raymond Soubie
Sur le cas de l’Allemagne, tout ce que vous dites est vrai. Il reste que depuis le début des années 2000 la situation du chômage, même avec les « mini-jobs », s’est complètement inversée et la situation exportatrice de l’Allemagne s’est considérablement renforcée. On ne peut le nier, malgré les ombres dans le tableau, que vous avez citées.

Ma deuxième remarque portera sur l’honorable gouverneur de la Banque centrale du Japon qui, en inondant de liquidités le marché japonais, fait baisser le yen et obtient en effet des premiers résultats de croissance. Mais ce type de politique risque de créer une énorme bulle financière qui, si elle éclatait, ferait que le train, au lieu d’avancer, reculerait encore beaucoup plus.

Considérons les quelques années qui viennent de s’écouler :
2009, très forte baisse des taux de croissance de la plupart des économies, montée du taux de chômage ;
2010, réaction des gouvernements français, britannique (avec M. Gordon Brown), allemand, politiques de relance, par la consommation (10 milliards d’euros en France), par l’investissement (amorce de Louis Gallois). Tous ces pays ont mené la même politique qui a donné des résultats en 2010 et en 2011. Je rappelle que le taux de croissance français est passé à 1,5 en 2010 puis à 1,7 en 2011.
Fin 2011, les courbes amorcèrent un W, et tout est retombé.

Ce n’était pas faute d’avoir essayé beaucoup de méthodes de relance ou d’inondations de liquidités des économies.
Je ne suis pas sûr qu’il existe de solution miracle dans ces situations. Je suis même un peu sceptique. Sans doute faut-il faire plus d’investissements coordonnés, réunir les éléments coûts et hors-coûts de la compétitivité ; incontestablement le rapport Gallois va dans le bon sens ; probablement devons-nous nous donner des délais plus longs pour atteindre les objectifs de la trajectoire… il n’empêche que nous devons aussi rechercher un équilibre entre tous ces éléments.

Ayant dit ça je n’ai naturellement rien dit… Je suis comme les économistes, je ne sais pas !

Thierry Rochefort
Professeur à l’IAE de Lyon, j’ai une question pour M. Gallois sur la cohérence du pacte de compétitivité.
Le coût du travail est évidemment une donnée relative. Il doit être mis en rapport à la valeur créée. Aujourd’hui et depuis les années 90, on subventionne les emplois à bas salaires en exonérant les charges sur les emplois à bas salaires. Or l’objectif du pacte de compétitivité est la montée en gamme. Cette montée en gamme nécessite, particulièrement en France, beaucoup plus d’emplois qualifiés. Contrairement à ce qu’on croit, il y a une pénurie de salariés, par exemple sur les métiers d’ingénieurs. Il y a donc des créations d’emplois possibles.
Ne serait-il pas possible de basculer au moins une partie des exonérations sur les PME qui engagent un ingénieur marketing, un ingénieur pour l’export, pour l’innovation, pour les process … En effet, on sait que ces entreprises ont des difficultés aujourd’hui à embaucher pour des emplois qualifiés qui pourraient générer de la valeur.

Ma question porte donc sur la cohérence entre l’objectif (la montée en gamme) et les moyens (l’exonération sur les bas salaires).

Louis Gallois
Je ne suis pas très éloigné de penser ce que vous dites. J’avais ciblé les réductions de charges sociales jusqu’à 3,5 fois le SMIC justement pour avoir un impact sur la population des cadres où les écarts de coût du travail, avec l’Allemagne notamment, sont beaucoup plus importants. Sur les « cols bleus », les écarts sont faibles dans les grandes entreprises. Je peux en parler puisque j’avais les mêmes postes de travail en France et en Allemagne. Pour les « cols blancs » la différence (30 % entre le coût d’un ingénieur en France et en Allemagne) était due au fait que les cadres allemands cotisent à des systèmes privés de sécurité sociale qui ne sont pas financés par l’entreprise. Il est clair que ceci pesait. C’est pourquoi je souhaitais qu’on aille aussi haut que possible. Pour des raisons liées au fait qu’il voulait avoir un impact sur l’emploi – et pas seulement sur la compétitivité –, le Gouvernement a ramené cela à 2,5 fois le SMIC. Dans la situation actuelle on peut comprendre cela. Il est certain que les exonérations de charges sociales sur les bas salaires ont un impact plus fort sur l’emploi. Il est probable que la suppression de ces exonérations aurait un impact négatif sur l’emploi. Donc le gouvernement hésitera à aller dans votre sens. Du point de vue de la compétitivité vous avez probablement raison parce que les emplois à bas salaires ne sont pas dans l’industrie, ils ne sont pas dans les secteurs exposés, ils sont dans la grande distribution, dans les services non délocalisables et ne participent donc pas directement à la compétitivité.

Jean-Pierre Lettron
Je milite à la CGT dans une entreprise où on dit que « le communisme a réussi » (EDF).
Pour faire des accords, il faut être deux. On est souvent deux à signer : d’un côté les représentants syndicaux, de l’autre les représentants de la direction, mais les salariés ne sont pas là. Si les permanents obtiennent facilement des heures de délégation pour rencontrer les patrons, ils en ont très peu pour voir les salariés. Le pacte social ne peut pas transformer les salariés qui ont osé prendre des mandats en « chiens savants » des patrons, flattés de voir leurs noms cités dans les journaux d’entreprises quand un accord est signé. Le « dialogue social » est en vogue, on signe des accords, les représentants syndicaux sont traités avec égards. Mais dans le même temps, le mépris des salariés est observé partout, même dans les groupes publics. On n’a pas confiance dans les salariés. L’entrée des représentants des salariés dans les conseils d’administration n’y changera pas grand-chose : noyés dans les interminables discussions avec les représentants des employeurs, s’ils n’y prennent pas garde, ils se couperont complètement des salariés. Aujourd’hui, déjà, les discussions que les permanents multiplient avec les employeurs ont peu d’effets car le temps leur manque pour discuter des accords avec les salariés. C’est aujourd’hui le grand déficit. Si la reprise économique vient, il faudra associer les salariés aux discussions, leur donner du temps et pas seulement des informations (neutralisées par leur masse).

J’ai une grande pratique de la GPEC (gestion du capital humain). 60 % des agents d’EDF vont partir dans les dix années qui viennent et devront être remplacés. Sur fond d’accords « socialement responsables », on nous propose la sous-traitance dans le nucléaire, l’externalisation des centres d’appels pour les clients (la moitié est déjà externalisée). Et la situation est plus grave encore chez GDF-Suez. Le dialogue social doit associer les salariés par le biais des organisations syndicales. Il ne suffit pas de donner des boutons dorés aux représentants syndicaux.

Il faudrait aussi que le monde politique donne l’exemple. Combien de salariés à l’Assemblée nationale, à gauche comme à droite ?

Louis Gallois
Je n’avais pas l’impression qu’à la SNCF les représentants CGT au conseil d’administration fussent des « chiens savants ». Ils savaient mordre en tous cas !

Gilles Casanova
À propos de ce rouage du dialogue social que sont les syndicats, je me demande si nous n’avons pas constitué un cercle vicieux, un peu comme dans une fédération sportive où plus il y a de licenciés, plus on a de chances d’avoir des champions de haut niveau qui attirent les nouveaux licenciés … et inversement. Ici, il est question de la représentativité des syndicats et de leur reconnaissance par les salariés. Or on se rend compte que moins les syndicats sont nombreux et représentatifs, moins ils ont la confiance des salariés, plus on essaie, pour compenser, de leur donner des moyens, de l’argent, toutes choses qui renforcent un appareil mais ne restaurent pas la confiance. Et on finit par transformer en éléments conservateurs des syndicats par nature voués au mouvement !
Je ne prendrai qu’un exemple. Dans un très grand groupe télécom français, la majorité des syndicats se sont ligués pour s’opposer aux patrons qui voulaient faire travailler les salariés des centres d’appel le dimanche. En effet, les abonnés au téléphone mobile téléphonent le dimanche, posent des questions, ont des problèmes, se font voler leur téléphone… Ils ont remporté une grande victoire : aucun téléphoniste français n’est obligé de travailler le dimanche ! Conquête qui, naturellement, a entraîné la délocalisation des emplois au sud de la Méditerranée ! La majorité des syndicats de ce groupe présentent cette erreur comme une victoire : « On a réussi à empêcher qu’on vous fasse travailler le dimanche ! ». Ont-ils réfléchi aux véritables attentes des salariés, peu soucieux de voir partir les emplois ?

Quand la logique d’appareil l’emporte sur la logique de représentation, on représente le groupe le plus étroit, c’est-à-dire les gens à statut sur lesquels on est appuyé.

N’y a-t-il pas un moyen de faire avancer les choses autrement qu’en dispensant de l’argent et des moyens matériels qui tendent à délégitimer, à discréditer les dirigeant syndicaux ?

Mohammed Oussedik
Je nuancerai ce qui a été dit sur le lien entre salariés et organisations syndicales. Notre organisation syndicale a institué depuis 1992 un « baromètre » annuel qui mesure la confiance dans les organisations syndicales, singulièrement la CGT, et les éléments de contexte. Après avoir atteint 60 %, le pourcentage de salariés déclarant faire confiance aux organisations syndicales tourne aujourd’hui autour de 50 %. Mais la crise explique cette chute. Les autres indicateurs sont, par exemple, les derniers chiffres en matière de représentativité, notamment les chiffres du vote aux élections professionnelles (comité d’entreprise et délégués du personnel) où le taux de participation au scrutin est de 68 %. Donc les salariés votent pour les organisations syndicales dans leurs entreprises et dans leurs groupes, régulièrement (tous les deux, trois et quatre ans). Ce n’est pas quelque chose à sous-estimer. Ceci doit nous amener à atténuer le propos sur la base de la confiance.

L’autre particularité de notre type de dialogue social (de négociation collective, de syndicalisme) c’est que les organisations syndicales négocient pour l’ensemble des salariés, pas seulement pour leurs adhérents. Il n’y a pas de caractère contraignant à l’adhésion à une organisation syndicale, ce qui diffère de ce qui se passe en Allemagne et dans les pays nordiques où, pour bénéficier de certains dispositifs de protection sociale, il faut adhérer à une organisation syndicale. Là aussi, ce système par choix relativise ce qui peut être dit à propos de l’état du syndicalisme et de la représentation des salariés en France.

Je souscris à ce qui a été dit sur la nécessité pour les organisations syndicales d’être plus proches, plus représentatives des salariés. Un autre facteur, mesuré par une enquête récente, est la répression syndicale. Lorsque vous vous engagez – et j’en sais quelque chose – pour représenter les salariés, pour négocier, pour améliorer la situation sociale dans l’entreprise, vous devez faire une croix sur votre déroulement de carrière, voire sur votre emploi. Cela peut faire réfléchir. L’une des premières causes du désengagement syndical en France est la peur de la répression.

Je rejoins mon camarade pour dire que les organisations syndicales doivent se tourner véritablement vers les salariés. C’est ce que nous essayons de faire, notamment dans les entreprises. Je citais le chiffre de 85 % des accords signés par la CGT. C’est la preuve que nous écoutons les salariés. On ne signe pas un accord sans avoir l’assentiment des salariés, sinon la sanction tombe immédiatement.

Dans la salle
Les tensions sont actuellement palpables. Pensez-vous que la société française soit proche d’une explosion sociale ou, au contraire, que le pessimisme et la lassitude générale découragent la mobilisation ? Y a-t-il un risque, peut-être un espoir ?

Louis Gallois
M. Soubie nous rappelait que, quinze jours avant la faillite de Lehmann Brothers, les gens pensaient qu’il ne se passerait rien. Les mouvements sociaux naissent d’une manière imprévisible. De plus, je ne pense pas que les organisations syndicales aient capacité à les générer s’il n’y a pas des circonstances qui s’y prêtent. Nous vivons une situation de crise, nous constatons une certaine résignation mais les révoltes restent possibles. Aussi me garderai-je bien d’émettre un pronostic sur ce sujet.

Mohammed Oussedik
Dans l’entreprise, le niveau optimum du dialogue social est atteint quand les négociations aboutissent, quand les partenaires sociaux arrivent à se mettre d’accord. Mais les situations de conflits sont intéressantes parce que lorsqu’un salarié fait grève c’est qu’il y croit encore. Il pense que par sa capacité de contester, de se mobiliser, il arrivera à faire bouger les choses. Lorsqu’il ne fait plus grève, ça ne veut pas dire qu’il est d’accord.
Si on transpose ceci au plan national, on peut craindre qu’il y ait un effet de renoncement à toute forme d’action collective pour aller dans des sens peut-être plus incontrôlables et plus néfastes, notamment sur le plan politique. Le fait que les salariés, les citoyens « n’y croient plus » est un vrai risque. Cette désespérance peut dégénérer en choix politiques suicidaires. Les pays européens soumis à ces crises sans précédents (l’Espagne, la Grèce, le Portugal…) sont le théâtre de mouvements sociaux en même temps qu’ils voient monter les mouvements d’extrême-droite, le fascisme et la xénophobie.

En tant que citoyens et que syndicalistes, nous avons le devoir d’agir pour éviter que le pays ne s’enfonce dans cette forme de désespérance.

Jean-Pierre Chevènement
Merci.
Nous allons laisser la conclusion à M. Oussedik. Il rejoint la pensée de Victor Hugo : « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent… » [2]. C’est très vrai.
Le risque, c’est que nos concitoyens s’adaptent progressivement au déclassement de leur pays. Je ne veux pas souligner la coupure entre les élites et le peuple… C’est quand même le problème qui nous est posé.
Bonne soirée quand même.

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[1] « La défiance des Français envers la politique atteint un niveau record » (Le Monde  du 15.01.2013 ), par Thomas Wieder.
[2] « Ceux qui vivent, ce sont ceux qui luttent », poème extrait du recueil « Les Châtiments », Victor Hugo (1853)

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Le cahier imprimé du colloque « Nouveau pacte social : mode d’emploi » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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