Accueil de Jean-Pierre Chevènement, président de la Fondation Res Publica, au séminaire « La Charia : qu’est-ce à dire ? » du 15 avril 2013
On parle beaucoup de la charia. Sans connaître l’arabe je crois savoir que le mot « charia » désigne la voie droite, la voie vers Dieu.
Historiquement, cette recherche était le fait du croyant qui, par son effort, devait parvenir à sa compréhension.
Dans la République, la recherche de la transcendance divine peut faire partie des motivations du citoyen car la laïcité n’est tournée contre aucune religion. Cette interprétation « déontologique » de la charia est-elle possible dans la République ? Cette notion n’a-t-elle pas évolué vers une sorte de codification, un « droit musulman » ? Comment le monde arabo-musulman, fort d’un milliard deux cent millions de personnes, va-t-il évoluer ? Ce monde est divers et sans doute y a-t-il de nombreuses sortes de charias. Le ministre des Affaires étrangères de l’Algérie me confia un jour qu’il y a « autant de charias que de couscous » ! Cette réflexion m’avait interpellé, d’autant qu’un ministre de l’Intérieur algérien m’avait expliqué que l’arrestation de deux ouvriers, pour avoir bu de l’eau et mangé un sandwich sur un échafaudage pendant le ramadan, relevait de l’application de la charia. « On ne pouvait pas faire autrement que de les arrêter car, juchés sur leur échafaudage, ils étaient vus par des centaines de personnes ! », ajouta-t-il. Comme je lui faisais observer que, dans la constitution algérienne, la liberté de conscience est garantie, il rétorqua : « Oui, mais c’est notre charia que nous appliquons ». Suivirent quelques explications un peu embarrassées dont il ressortit que les tribunaux étaient saisis de cette affaire. Effectivement, les tribunaux se prononcèrent et les deux intéressés furent libérés quelques jours après. Je vous raconte cette petite anecdote pour vous faire sourire au début de cette table ronde. Mais ces quelques échanges « au ras du sol » ont fait cheminer ma réflexion.
Nous accueillons ce soir M. Baudouin Dupret, directeur du Centre Jacques Berque à Rabat, directeur de recherche au CNRS, et auteur de « La charia aujourd’hui » [1], un ensemble de réflexions, émanant, sous sa direction, d’un certain nombre de personnalités éminentes dont, en particulier, M. Franck Frégosi [2], à cette table, directeur de recherche au CNRS, lui aussi, au sein de l’unité de recherche PRISME (Politique, Religion, Institutions et Sociétés :Mutations Européennes) à l’université Robert Schuman de Strasbourg. Il a écrit « Penser l’islam dans la laïcité » [3].
J’aurais dû commencer par présenter Mme Naïla Silini, islamologue, professeur de civilisation islamique à l’université de Sousse. Je la remercie de s’être déplacée pour cette table ronde qui, je l’espère, facilitera la compréhension entre les peuples, quelles que soient leurs traditions culturelles et religieuses.
Je ne veux pas en dire davantage. Je passe tout de suite la parole à Sami Naïr puis aux différents intervenants.
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[1] « La charia aujourd’hui. Usages de la référence au droit islamique », sous la direction de Baudouin Dupret, éd. La Découverte, 2012
[2] M. Frégosi est l’auteur, dans l’ouvrage collectif dirigé par M. Dupret, du chapitre : « Usages sociaux de la référence à la charia chez les musulmans d’Europe », dans « Les registres de la charia », p. 65
[3] Franck FRÉGOSI, « Penser l’islam dans la laïcité », Paris : éd. Fayard, collection « Bibliothèque de culture religieuse – Les dieux dans la Cité », 2008
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