Vers « l’économie des besoins »

Note de lecture de « L’Economie des besoins – Une nouvelle approche du service public », de Jacques Fournier (Odile Jacob, février 2013), par Baptiste Petitjean, directeur de la Fondation Res Publica.

Il est parfois utile de rappeler que le capitalisme n’est pas l’horizon de l’humanité, d’autant plus lorsqu’il montre ses limites à travers les crises des quatre dernières années. Il est encore plus utile de proposer un horizon alternatif. C’est l’entreprise de Jacques Fournier, qui dans son dernier livre fait un effort intellectuel remarquable de systématisation de ce qu’il appelle « l’économie des besoins ».

Au-delà des lamentations sur l’impuissance croissante de l’Etat, au-delà aussi des forces néolibérales qui cherchent à cantonner l’action publique à un volet de l’économie de marché, il existe le chemin d’une « utopie postcapitaliste » dans laquelle l’intervention publique peut s’inscrire. C’est l’économie des besoins, une nouvelle voie de développement, en adéquation avec l’évolution de notre société. Tout d’abord, elle s’oppose à l’économie de marché. Bien que le développement de l’intervention publique soit liée au développement du capitalisme, car elle rééquilibrait notamment dans le domaine des risques sociaux ce que la « main invisible » ne pouvait régler seule, elle doit aujourd’hui se recomposer en raison de l’avènement de la mondialisation néolibérale. Les préceptes du Consensus de Washington, rouleau compresseur au service de la dérégulation et de la financiarisation au niveau mondial, ont en effet fini par rejeter l’action publique dans la catégorie des mauvaises dépenses et des entraves à la croissance. Jacques Fournier, en traitant des évolutions idéologiques liées au tournant libéral des années 80, n’hésite d’ailleurs pas à faire observer le ralliement, presque sans condition, de la social-démocratie à l’économie de marché.

L’économie des besoins « s’ordonne autour de la rencontre entre le service collectif et le besoin social ». L’auteur fait un constat simple : il existe de nombreux domaines dans lesquels le respect des besoins fondamentaux ou la satisfaction des besoins essentiels (santé, éducation, transport, logement, etc.) ne peuvent être assurés correctement par le jeu, même régulé, du marché capitaliste. C’est une vision offensive, car elle ne remet pas en cause l’esprit de service public tel qu’il a été construit en France sur la base des luttes menées depuis le début du XIXème siècle. Au contraire, elle l’intègre. Offensive également car elle est une opportunité pour notre pays de se démarquer dans la compétition internationale, et, à court terme, de faire face aux crises. A ce titre, Jacques Fournier rappelle que, loin du moins disant social et contrairement aux préconisations toujours plus cinglantes sur la réduction des dépenses publiques, les activités s’exerçant dans le cadre de la satisfaction des besoins fondamentaux concourent pour plus d’un quart de la richesse nationale et font appel à un cinquième de la population. Rappelons aussi que notre système de protection sociale, lors de la crise des subprimes, a été unanimement – mais seulement provisoirement – réhabilité en raison de son rôle stabilisateur. Et pour ceux qui prônent sans arrêt ce « modèle allemand » que la France devrait tant reproduire, quelques chiffres suffisent pour briser l’enthousiasme : sept millions d’actifs touchent moins de 8,50 euros de l’heure en Allemagne. Mais ce retour en grâce de l’intervention publique n’aura duré que deux années, car, paradoxalement, l’éclatement de la crise des dettes souveraines en Europe a coïncidé avec l’âge d’or des plans d’austérité.

Ainsi, tout comme le travail, l’action publique ne saurait être considérée comme une charge dont il faudrait à tout prix limiter le coût. L’action publique, dans la dynamique de l’économie des besoins, devrait plutôt être vue comme une donnée contribuant à la prospérité du pays, au renforcement de l’intérêt général et au bien-être de ses habitants. Tout au long de l’ouvrage, on sent comme la présence des réflexions d’Emmanuel Mounier, fondateur du personnalisme, courant d’idées né dans les années 30 à la faveur de la crise économique, vécue aussi comme une crise de civilisation. Cette influence se retrouve par exemple dans le nouveau mode de développement que dessine Jacques Fournier, « centré sur l’acquisition des biens matériels mais aussi sur l’accomplissement des personnes ». C’est peut-être pour cela que l’auteur décrit l’économie des besoins comme le « communisme du XXIème siècle » : une nouvelle voie, humaniste, entre le capitalisme libéral et le marxisme. Elle exige de revisiter la définition et le champ de l’action publique afin de la rendre plus efficace, et afin de diriger le dispositif vers les individus [1]. L’économie des besoins est « un socle sur la base duquel peuvent s’affirmer les doit fondamentaux de la personne et se dessiner l’avenir de la collectivité nationale ». Condition de sa réussite : la reconnaissance de sa légitimité sur le plan européen grâce l’engagement des peuples pour une Europe sociale, qu’ils auront, enfin, plus de facilité à accepter.

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[1] Sur la conception philosophique de la dépense publique, voir ce texte de Jacques Fournier : « A propos de la dépense publique », publié le 15 janvier 2013

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