François Hollande l’a constaté lors de son voyage à Moscou, « le développement de la Russie est impressionnant. » De fait, la situation économique russe contraste fortement avec une Europe surendettée qui s’enfonce dans la récession. La Russie bénéficie d’une croissance économique respectable (3,5 % en 2012), dispose des troisièmes réserves monétaires mondiales (après la Chine et le Japon) et fait figure de championne du désendettement (la dette russe est l’une des plus faibles au monde à hauteur de 10 % du PIB). Forte de ces résultats, Moscou profite de sa présidence du G20 pour faire entendre les revendications des BRIC visant à un rééquilibrage de l’architecture économique et financière mondiale. Pourtant, vus de France, ces succès russes ont parfois l’air suspect : la majorité des analyses nous dépeignent une Russie marquée par la décrépitude des infrastructures, l’obsolescence de l’industrie et l’absence d’innovation. Pas de quoi s’enthousiasmer et rien de commun avec le dynamisme effréné qui caractériserait les autres membres des BRIC : la présence russe dans ce groupe serait donc assez artificielle et relèverait plus d’aspects géopolitiques qu’économiques. Ces éléments négatifs correspondent, certes, à une partie de la réalité russe, mais à les répéter sans nuance, nombre d’évolutions plus favorables échappent au champ d’analyse. En réalité, la comparaison avec les autres BRIC est loin d’être aussi défavorable à la Russie qu’il n’y parait. En termes de croissance économique tout d’abord. Certes inférieure à celle de la Chine et de l’Inde, pays qui sortent du sous-développement, la croissance économique moyenne de la Russie sur la dernière décennie a été supérieure d’un point à celle du Brésil (4,8 % contre 3,8 %). Ce dynamisme permet à la Russie de grimper rapidement dans le classement des puissances économiques mondiales. Si en 2002, elle était considérée comme la 16ème économie mondiale (derrière l’Australie et les Pays-Bas), elle s’est hissée dix ans plus tard à la 9ème place, juste devant l’Inde. La Russie devrait selon toutes probabilités dépasser l’Italie cette année et se rapprocher du Brésil, qui a rétrogradé à la septième place au profit de la Grande-Bretagne. De plus, la taille réelle de l’économie russe est sans aucun doute sous-évaluée du fait de la part importante de l’économie informelle. Plusieurs indicateurs avancés semblent le confirmer : ainsi, la production électrique russe – un bon indicateur de la puissance industrielle du pays – se situe au quatrième rang mondial (derrière la Chine, les Etats-Unis et le Japon). De même, le marché de la consommation russe est en passe de devenir le premier d’Europe et démontre l’existence d’une classe moyenne dont le pouvoir d’achat augmente rapidement. Soucieux de prendre pied sur ce marché prometteur, les constructeurs automobiles mondiaux, suivis désormais des équipementiers, ouvrent les uns après les autres des usines en Russie tandis qu’ils ferment des unités en Europe. De fait, avec un PIB supérieur à l’Inde, mais une population près de 9 fois inférieure, la Russie est le leader incontesté des grands émergents pour la richesse produite par habitant : selon la Banque mondiale, le PIB par habitant de la Russie représente près de 2 fois celui du Brésil, 2,5 fois celui de la Chine et près de 6 fois le PIB par habitant indien…
Pour ce qui est des échanges extérieurs, la Russie s’est hissée en 2011 au rang de 9ème puissance exportatrice mondiale devant le Royaume-Uni (l’Inde et le Brésil se situent respectivement en 19ème et 23ème position). Certes, la dépendance aux exportations de matières premières (70 % du total) reste très élevée. Mais si les exportations de produits manufacturés russes ne représentent que 20 % des exportations russes, elles sont néanmoins nettement plus élevées que celles du Brésil. Il s’agit d’une situation récente qui s’explique par un renouveau des exportations manufacturières russes (plus 40 % en cinq ans) dans un certain nombre de secteurs clés (aéronautique militaire, nucléaire, espace…). Même constat dans le domaine des services commerciaux dont les exportations russes sont également supérieures à celles du Brésil. La Russie est notamment devenue un important exportateur de services informatiques. De nombreuses starts-up innovantes tentent de répéter les succès des quelques champions nationaux tels que le spécialiste de la sécurité informatique Kaspersky, le groupe Mail.ru (messagerie, réseaux sociaux) ou encore Yandex qui s’est hissé au quatrième rang mondial des moteurs de recherche (derrière Google, Baidu et Yahoo mais devant Bing de Microsoft).
De fait, si le taux d’investissement en Russie est jugé insuffisant pour obtenir une accélération de la croissance économique, il n’en est pas moins supérieur à la moyenne des pays occidentaux et s’accompagne d’une véritable modernisation dans certains secteurs de l’économie. Signe d’un changement d’époque, les autorités françaises appellent désormais à une augmentation des investissements russes… en France et promettent aux investisseurs russes de simplifier des « formalités administratives désuètes ». Une chose est sûre, la France est en retard par rapport à ses concurrents européens pour ce qui est du niveau des échanges économiques avec la Russie. Rappelons qu’en Europe, la France n’est que le cinquième partenaire commercial de la Russie derrière les Pays-Bas, l’Allemagne, l’Italie et la Pologne ! De fait, une véritable intensification des échanges économiques franco-russes ne pourra pas faire l’économie d’un changement d’approche de la part des médias comme de la communauté des experts. Tout en restant attentifs aux problèmes réels qui affectent la Russie (corruption, gouvernance, fuite des capitaux…), sans doute faudra-t-il accorder une plus grande attention aux mutations qui transforment ce grand pays (ré-)émergent et qui remettent en cause bien des stéréotypes.