A propos de la dépense publique

Par Jacques Fournier, membre du Conseil scientifique de la Fondation Res Publica, conseiller d’Etat honoraire. Il existe plusieurs catégories de dépenses publiques. Elles ont toutes une forte légitimité. Il est normal de chercher à en améliorer l’efficacité et à mettre en place pour chacune d’elles un financement approprié. Mais la qualité de la réflexion nécessaire sur le contenu de l’action publique serait gravement compromise si elle était ramenée à la poursuite d’un objectif simpliste de réduction de la dépense globale.

1 – La dépense publique n’est pas, contrairement à ce que l’on nous serine constamment, une charge pour l’économie. Elle est :

– soit l’un des éléments de la production nationale qui contribue au développement du capital humain du pays et aux infrastructures du développement (les dépenses d’investissement et de fonctionnement des services publics d’éducation, santé, culture, justice, sécurité, logement, transport, etc) ;

– soit l’expression de la solidarité nationale sous la forme des transferts sociaux qui, sans incidence directe sur la production, font transiter des ressources de certains agents économiques ou catégories de la population vers d’autres : des plus riches aux plus pauvres, des actifs aux chômeurs et aux retraités, des sans enfants aux familles, des bien portants aux malades ;

– soit un instrument de politique économique sous la forme de concours accordés aux agents économiques pour les inciter à certains comportements en matière d’embauche, d’investissement, de recherche, d’exportation, etc. Qu’il s’agisse de dépenses effectives ou de ce que l’on appelle les « dépenses fiscales » (exonérations d’impôt ou de cotisation), ces transferts économiques sont évidemment à prendre en considération eux aussi.

2 –Il existe à coup sûr des marges d’action dans le sens de la réduction de certaines dépenses publiques et il n’est pas illégitime de chercher à les utiliser.

Les partisans du service public ne doivent pas laisser à ses adversaires le monopole de la critique. Il faut reconnaître les blocages, avoir le courage de dire que l’amélioration du service rendu n’est pas nécessairement lié à l’augmentation des moyens mis en œuvre, oser prononcer le mot rentabilité car l’argent public qu’utilise le service public doit, plus que tout autre, être utilisé à bon escient.

Mais, en sens inverse, les facteurs d’augmentation de la dépense publique ne peuvent être ignorés. Les uns se rattachent aux tendances lourdes de l’évolution de notre société : le vieillissement de la population joue inévitablement dans le sens de l’alourdissement à terme des dépenses de santé et de retraites. D’autres sont liés aux politiques nouvelles susceptibles d’être mises en œuvre. Pour ne prendre que quelques exemples, le service public de la petite enfance, l’école de base, l’accompagnement et la formation professionnelle de la population en chômage, sans parler de la justice et de la sécurité, appellent aujourd’hui des moyens supplémentaires.

3 – Dans l’effort engagé par le gouvernement pour l’amélioration des finances publiques, c’est la solidité du couple prélèvements-dépenses, qui, plus que le montant intrinsèque des dépenses, conditionnera le retour à l’équilibre financier et la réduction de la dette. Des réformes sont nécessaires à cet égard. Elles ne sont que très partiellement engagées.

Du côté du financement de la protection sociale, la proposition du rapport Gallois consistant à transférer une partie de la charge des cotisations vers l’impôt va dans le bon sens. Elle reste pour le moment sur la table. La solution du crédit d’impôt retenue dans l’immédiat par le gouvernement ne peut qu’être transitoire. Il faudra le plus tôt possible aller au bout de la réflexion, en concertation avec les syndicats et le patronat.

Du côté du financement des dépenses de l’Etat la grande réforme de la fiscalité directe permettant la fusion à terme de l’impôt sur le revenu et de la CSG (engagement n° 14 du programme présidentiel) semble prendre quelque retard et on peut le regretter.

4 – Le gouvernement de la gauche commettrait une grave erreur en s’engageant dans une démarche qui paraitrait reprendre celle de la RGPP (la Révision Générale des Politiques Publiques) sous la Présidence Sarkozy.

L’opposition de l’époque a, à juste titre, critiqué cette opération en ce que, sans aucune concertation, elle n’a été menée qu’en vue de mettre en œuvre l’objectif fixé arbitrairement du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux. Il en est résulté beaucoup de confusion et une forte démoralisation de la fonction publique. Il ne faudrait pas que la conduite de la MAP ( la Modernisation de l’Action Publique, désormais à l’ordre du jour), soit à son tour compromise dès le départ par l’affichage d’un objectif purement financier.

Passée l’urgence qui s’attachait au vote de la première loi de finances du quinquennat, celle de l’année 2013, le gouvernement doit se donner le temps nécessaire pour, en concertation avec les organisations syndicales, les représentants des usagers, les composantes de la société civile, inventorier les besoins, évaluer les moyens mis en œuvre, discuter des objectifs à fixer et des indicateurs à retenir et en tirer les conséquences en terme de crédits, dans le cadre d’une contrainte budgétaire qui doit rester raisonnée et ne pas prendre le pas sur tout le reste. Le résultat final d’une telle revue ne saurait être affiché à l’avance.

On sent certains commentateurs à l’affut. Ils voudraient tant trouver chez un Président français de gauche le discours commun du libéralisme. Que ne leur soit pas donné ce plaisir !

Affirmation du service public, renforcement de la solidarité, rigueur de gestion : pour un pouvoir de gauche ces trois termes doivent rester indissociables.

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