Etant donné l’ampleur de la crise financière il faut mener de front plusieurs réformes pour encadrer l’activité bancaire

Intervention de Jean-Michel Naulot, Membre du collège de l’Autorité des Marchés Financiers , au colloque « La réforme des banques » du 23 janvier 2012.

Je suis très heureux d’être parmi vous aujourd’hui. J’essaierai d’apporter dans ce débat un double regard : celui du banquier qui a dû participer dans sa carrière à plus de deux mille comités de crédit, à raison d’un ou deux par semaine, et qui a donc suivi attentivement l’évolution de la régulation prudentielle, et celui du régulateur de marchés qui s’impatiente tous les jours un peu plus devant la lenteur des réformes.
C’est par ce point que je voudrais commencer. La réforme des banques, c’est d’abord la régulation, l’encadrement, de l’ensemble des transactions financières que traitent les banques.

Les deux G20 fondateurs de Londres et de Pittsburg, en mars et septembre 2009, ont décidé d’ouvrir une dizaine de grands chantiers pour remettre les banques au service de l’économie. Ces chantiers étaient les suivants : les nouvelles institutions, les dérivés, les hedge funds, les fonds propres, les marchés d’actions, les agences de notation, les normes comptables, les matières premières, les paradis fiscaux, les bonus. Début 2010, la Commission européenne a ajouté le chantier des ventes à découvert en raison du retard réglementaire de l’Europe sur les États-Unis dans ce domaine. Sur chacun de ces chantiers, nous savons parfaitement quelles sont les trois ou quatre dispositions clés qu’il est indispensable d’adopter si l’on veut changer en profondeur la situation.

A ce jour, la plus grande partie de ces réformes n’est pas encore en application, soit que les textes ne soient pas encore validés, soit que les mesures de transposition ne soient pas encore décidées. Seules quatre décisions sont déjà en application : la mise en place des nouvelles institutions, le renforcement des fonds propres, l’agrément des agences de notation, les recommandations sur les bonus. Ce retard n’est pas dû au travail de la Commission qui délivre les textes dans des délais rapides mais aux désaccords entre gouvernements qui paralysent le trialogue européen, notamment du fait des résistances britanniques.

Deux exemples illustrent particulièrement cette lenteur des réformes. La directive européenne sur les produits dérivés, présentée par la Commission le 15 septembre 2010, n’a toujours pas été validée. Dans le même temps, l’encours de ces produits qui représentent de l’avis général un risque systémique, a continué à progresser fortement, de 20 % en trois ans. Il atteint désormais treize fois le PIB mondial. Quant aux marchés de dettes souveraines, qui sont au cœur de la crise de l’euro, ils restent paradoxalement les moins réglementés de tous les marchés. Depuis les premières attaques spéculatives contre la zone euro au cours de l’hiver 2010, aucune mesure n’a été prise par le Conseil des Ministres européen pour tenter de freiner la spéculation, ni sur les obligations souveraines, ni sur les CDS souverains. Or, une fois que la spéculation s’est installée, les mesures exceptionnelles sont beaucoup moins efficaces puisque les investisseurs perdent confiance et que les volumes deviennent très importants.

Près de trois ans après les deux G20 de 2009, il est par conséquent indispensable d’accélérer le rythme des réformes.
Vous observerez que dans ces grands chantiers ouverts par le G20, il n’a jamais été question de réformes de structures des banques. La crise de 2007/2009 n’a pas véritablement révélé leur nécessité. Les banques qui ont été à l’origine de la crise étaient soit des banques spécialisées dans la distribution du crédit immobilier, soit des banques d’affaires américaines. Les banques universelles ont plutôt bien résisté, même si elles ont été fragilisées. En dehors du cas Northern Rock, nous n’avons pas non plus assisté à de mouvements de panique de la part des déposants avec des queues aux guichets. Aux États-Unis, l’inquiétude sur la gestion collective de type monétaire, qui a conduit les autorités à délivrer une garantie de montant illimité, ne concernait qu’indirectement les banques. Cela ne veut pas dire bien entendu qu’il ne faut pas être vigilant pour l’avenir.

Depuis quelques semaines, plusieurs déclarations ont attiré l’attention sur l’intérêt qu’il y aurait à revenir au Glass Steagall Act, à séparer les banques de dépôt des banques d’investissement. Certains ont même préconisé d’adopter la réforme qui est actuellement en discussion en Grande-Bretagne, voire une version plus dure que celle-ci.

Le débat est ouvert mais la sagesse serait au minimum de se donner le temps de la réflexion avant de s’engager avec précipitation dans la mise en place d’un nouveau modèle comme si celui-ci était un remède miracle à la crise. La prudence est d’autant plus nécessaire que nous avons parfois tendance à considérer qu’une réforme institutionnelle se traduit nécessairement par une bonne politique. La décision prise par Michel Barnier, Commissaire européen aux marchés financiers, de demander un rapport pour le mois de juin est de ce point de vue une excellente initiative.

La réforme Vickers [1] s’explique en partie par le fait que David Cameron était politiquement obligé de faire quelque chose. Les Anglais restent en effet très marqués par la faillite d’une grande partie de leur système bancaire et par les queues aux guichets de la banque Northern Rock. Mais cette réforme qui cantonne les dépôts ne règle en rien le problème de la banque d’investissement et du contrôle du risque systémique ce qui est inacceptable. De plus, l’échéance est beaucoup trop lointaine, ne répond en aucune manière à l’urgence de la situation. Enfin, transposée en Europe continentale, elle poserait un problème évident aux banques universelles et surtout au secteur mutualiste puisque les banques d’investissement, par construction, sont filiales des banques de dépôts.

Certains proposent d’aller plus loin, de couper tout lien entre banque de dépôt et banque d’investissement, de revenir à un Glass-Steagall Act pur et dur. Ce serait une erreur. N’oublions pas que cette loi a été amendée plus d’une dizaine de fois dans les années 70-80 pour s’adapter au nouvel environnement économique et financier. Depuis un siècle les marchés ont pris une importance considérable et, pour financer l’économie, il faut pouvoir aller chercher l’argent où il est. Gardons-nous également de tirer un trait sur l’innovation financière des trente dernières années, même si les excès sont évidents. Les entreprises, grosses ou petites, ont besoin de toute une gamme de services et de produits financiers, parfois complexes, pour faire face à la mondialisation et à des marchés beaucoup plus volatils qu’autrefois. Le crédit, dit classique, ne représente qu’une petite partie de l’activité d’une banque avec ses clients industriels.

La version moderne du Glass-Steagall Act, c’est en réalité la réforme américaine, laVolker Rule, adoptée en juillet 2010 dans le cadre de la loi Dodd Franck. Cette réforme a un double mérite : elle est simple et d’application immédiate. Elle consiste à interdire le trading pour compte propre et le financement des hedge funds à partir du moment où l’établissement gère des dépôts. En d’autres termes, elle interdit la « banque casino » ce qui aura pour effet de mieux protéger les déposants et les contribuables. Aux États-Unis, elle entrera en application en juillet prochain. Non seulement elle permettra de mieux maîtriser le risque systémique mais elle contribuera au rétablissement de la confiance entre banques puisqu’il ne pourra plus y avoir de soupçon de prises de positions aventureuses. Une telle réforme pourrait s’appliquer très vite en France et en Europe.

La révision de la politique prudentielle mise en œuvre en 2004 est également indispensable. Le durcissement récent du ratio de solvabilité à 9%, voire 9,5%, était absolument nécessaire. Lors de la réforme de Bâle II, en juin 2004, les gouvernements avaient accepté des contraintes de fonds propres réglementaires très en deçà de celles de Bâle I et par conséquent assez peu raisonnables. Les fonds propres pouvaient inclure des quasi-fonds propres, des fonds hybrides, et surtout l’introduction de la pondération des actifs en fonction de la notation permettait d’entrer un montant d’actifs plus important dans le ratio dès que la notation était favorable. Au printemps 2007, juste avant la crise, l’abondance du crédit vis-à-vis des grands groupes était telle que les marges bancaires étaient devenues extrêmement faibles sur les financements consentis aux groupes les mieux notés. Les Européens ont beaucoup critiqué les Américains de ne pas avoir appliqué Bâle II mais ces derniers avaient souligné dès 2004 l’insuffisance des nouveaux ratios de solvabilité.

L’introduction récente de ratios de liquidité est également logique car les faillites de Lehman Brothers, Northern Rock ou Dexia ont montré à ceux qui l’avaient oublié qu’un bon niveau de fonds propres ne dispense pas d’une bonne gestion de la liquidité. L’application de ces nouveaux ratios doit naturellement être très progressive en raison de la faiblesse en Europe de l’intermédiation de marché qui augmente le recours au crédit et de l’importance de la gestion collective qui limite les dépôts.

En revanche, une critique forte doit être adressée au cœur même du système mis en place en 2004 : une pondération des risques très discriminante a été introduite en fonction de la notation. Dans la réglementation précédente, un crédit à une multinationale ou à une PME, à une entreprise très bien notée ou à une entreprise mal notée, exigeait exactement le même montant de fonds propres réglementaires. Dans la réglementation actuelle, les fonds propres réglementaires peuvent varier de un à six ou à sept, voire plus, pour un même montant de crédit. Comme il n’est pas question de multiplier par six ou par sept la marge appliquée au crédit, on voit bien où va la priorité du banquier. Cette pondération des actifs, petite « boîte noire » de la finance, organise une allocation des ressources qui est peu conforme à l’équité et donne de surcroît tout le pouvoir aux agences de notation. Il est indispensable que les États demandent au Comité de Bâle d’étudier la mise en place d’un système moins discriminant.

Une autre critique forte peut être adressée à la réglementation actuelle : le chapitre intitulé « atténuation du risque de crédit » des accords de Bâle II donne de fait la priorité aux hedge funds et aux établissements financiers qui interviennent sur les marchés de matières premières. Lorsqu’un emprunteur donne des garanties sous forme de titres ou de stocks de matières premières l’exigence de fonds propres réglementaires de la banque est réduite à presque zéro. Un hedge fund qui emprunte des titres pour les donner en nantissement est alors une cible prioritaire pour la banque, d’autant que le potentiel de courant d’affaires est souvent élevé. Cette disposition de Bâle II qui fait abstraction du risque de contrepartie explique en partie que la clientèle des hedge funds et des intervenants sur les matières premières ait été privilégiée par les banques.

En résumé, je dirais que l’ampleur de la crise financière est telle qu’il faut mener de front plusieurs réformes, surtout ne pas croire aux recettes miracles. Une priorité absolue doit être donnée à l’aboutissement des chantiers ouverts par le G20 pour encadrer l’activité bancaire. Dans le domaine des réformes de structure, la version américaine du Glass Steagall Act semble bien préférable à la version anglaise car elle permettrait d’interdire rapidement les opérations de spéculation dans les banques, déjà il est vrai en forte diminution. Enfin, une initiative politique consistant à saisir le Comité de Bâle d’une révision du système de pondération des risques et de la place faite aux garanties serait très utile, au nom de l’équité dans l’allocation des ressources.

Un mot en conclusion de la taxe sur les transactions financières : elle ne sera utile pour réduire la place de la spéculation que si elle s’applique aux produits dérivés, et non pas seulement aux actions, et que si elle concerne plusieurs pays, au minimum la France et l’Allemagne. Faire autrement serait prendre le risque de dénaturer une belle idée.

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(1) Du nom de John Vickers, auteur du rapport éponyme sur la réforme du secteur bancaire britannique.

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Le cahier imprimé du colloque « La réforme des banques » est disponible à la vente dans la boutique en ligne de la Fondation

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